mercredi 27 septembre 2023

FREE " Fire And Water " (1970), by Bruno



     Free est l'un de ces groupes connus de la masse généralement pour une seule de leurs chansons : le méga-tube interplanétaire, « All Right Now ». L'arbre qui cache la forêt ? Bien plus que ça. Et encore, lorsque ce superbe et intemporel titre signifie encore quelque chose aux esgourdes. Anecdote : il y a des années, - quand j'étais encore jeune, beau et séduisant -, en faisant écouter cette pièce emblématique à un ami, il s’esclaffe, le trouvant excellent mais, hilare, déplore qu'on plagie aussi honteusement AC/DC. No comment. Bien sûr, Airburne n'avait pas encore graver quoi que ce soit. Bien souvent aussi, les gens connaissent la chanson (entre les reprises - même Christina Aguilera l'a reprise- et les nombreuses insertions dans films et séries) sans avoir la moindre idée du groupe, ni même de son âge (plus d'un demi-siècle ! Crénom !). Et donc, de cet album, "Fire And Water", celui qui porte en son sein ce monument, et qui est parfois quasiment la seule pièce retenu ; voire avec la chanson éponyme. Pourtant, il s'agit bien d'un écrin accueillant divers joyaux. Seulement sept pièces, mais uniquement des bijoux.


   Le label, Island Records, conscient du fort potentiel de "All Right Now", l'avait judicieusement sorti en 45 tours un peu plus d'un mois avant l'album complet. Durant plusieurs semaines, il caracole en tête de nombreux charts de la planète (France incluse), boostant immanquablement les ventes de l'album. Ainsi, « Fire and Water », en dépit de critiques parfois mitigées (d'hier et d'aujourd'hui), devient à jamais la meilleure réussite commerciale de Free.

     Ce troisième essai n'est pas à proprement parler un disque de hard-rock, ou de hard-blues, comme pourrait le faire supposer les deux titres le cernant - l'éponyme en ouverture et « All Right Now » en clôture - . Ces deux chansons, parmi les plus célèbres du groupe, ne sont guère représentatives de l'album, car l'essentiel se blottit plutôt dans les bras de sombres ballades, de chansons au spleen si profond qu'elles pourraient donner le cafard aux auditeurs les plus guillerets. Oui, ces chansons parlent d'amour déçu, perdu, ou contrarié, exhalent quelque chose de moite, de profondément triste (à croire que tout a été écrit pendant de longues et mornes journées hivernales et pluvieuses). Blessures de l'âme.

      Pourtant rien de rédhibitoire, car il y a dans ces chansons une rare beauté. Celle de la simplicité, de l'évidence, de la spontanéité et de l'authenticité. Alors que quasiment tous les groupes de blancs-becs qui se sont forgés en imitant - ou singeant - les artistes de Blues, ont tendance à durcir leur son, à envoyer les watts et saturer leurs amplis, à beugler comme des enragés dans un micro et parfois surjouer, Free s'obstine dans le dépouillement et la retenue, les tempi lents et mesurés ; comme si chaque note avait une importance cruciale, qu'il convenait d'apprécier, comme s'il fallait s'en délecter, comme si chacune était la dernière. Le silence est autant un élément musical que la note. Et la note elle-même vit, résonne à satiété. Tant de simplicité et de profondeur. Même la guitare de Paul Kossof reste dans les clous, ne s'autorisant ni dérapage ni accélération. En comparaison, il ferait passer BB King ou Albert King (deux de ses influences prégnantes) pour des shredders.

     Une pureté des lignes et du son. Kossof et Fraser ne s'embarrassent ici d'aucun effet. Branchés directement dans leurs amplis, ils modulent leur timbre en nuançant leur attaque et en jouant des potentiomètres de leur instrument, procurant ainsi une atmosphère relativement "roots" (il y a un monde entre cette galette et les surproductions dont nous assaillent les majors depuis des lustres). Une "austérité" qui renforce la profondeur et la solidité du disque.


   Minimaliste, cet album l'est. Et plus encore les ballades. A commencer par « Oh I Wept » qui reflète la profonde tristesse d'un amour déchu – déçu -, engourdissant le corps autant que l'esprit, ternissant et obscurcissant les journées ensoleillées. Toutefois, il faut se relever, chercher la lumière en laissant tout derrière soi pour un nouveau départ. « … Difficile à vivre, difficile à soigner. Mais je m'en fiche. Rien à faire si mes yeux me font mal. Maintenant, j'ai tout laissé derrière moi... ». Ici, l'orchestration est sur la pointe des pieds, comme pour respecter le malaise du malheureux. "Heavy Load", sur des notes de piano rigides, pesantes et basiques, quasi autistes (jouées par Andy Fraser) referme la première face sur une douce atmosphère - mais limite oppressante... le poids des regrets... La sensation d'un visage collé aux carreaux d'une fenêtre saturée d'une froide condensation, le regard perdu, hypnotisé par les gouttes de pluies s'écrasant contre la vitre. Et puis le joyau de la seconde face (juste avant "All Right Now"), « Don't Say to Love Me », superbe love-song aux intonations Soul, lorgnant du côté d'Otis Redding (idole de Rodgers). 

   « Remember », avec sa construction coincée entre un boogie ostensiblement ralenti et un slow-blues enjoué, est plus lumineux. Bien que le conteur demeure enfermé dans son humeur d'amoureux délaissé, plutôt que de s’apitoyer sur son sort (qu'il a peut-être mérité), il préfère se remémorer les instants de bonheur simple. Souvenirs heureux revenant au rythme de claquements de mains résonnant comme un métronome dans une chapelle - comme une teinte pastel de gospel.

   Bien sûr, il serait inconvenant de ne pas glisser un mot sur "Mr Big", au risque de s'attirer les foudres des bassistes. Morceau de référence pour les amateurs de quatre-cordes. Même si Andy Fraser n'est pas Entwistle ou Bogert, pendant longtemps ce morceau aux allures de jam maîtrisé, avait les faveurs des bassistes. Notamment parce que le le bambin du groupe, Andy (17 ans ! Et déjà une certaine réputation), avec tact et élégance, sans esbrouffe, émancipe la basse de son rôle purement rythmique. En hommage, Billy Sheehan (le bassiste jouant du tapping sur sa basse - Talas, David Lee Roth, Mr Big, Niacin, Wynery Dogs) reprit le titre de cette chanson emblématique pour baptiser "son" supergroupe. 

     Et bien sûr, l'hymne absolu du heavy-rock, chef-d'œuvre monumental illuminant l'imposant panthéon du Rock. "All Right Now " est un coup de génie avec notamment ce riff magnifique qui fait encore école, toujours cité parmi les meilleurs. Si bien souvent, c'est le super riff de cette chanson qui focalise l'attention, elle n'en demeure pas moins la somme d'un tout. Parfaite cohésion d'un groupe solidaire. A commencer par la frappe de Simon Kirke, qui donne une pulsation presque cardiaque au morceau (plus flagrant en live où il semble alors cogner de toutes ses forces); puis il y a la basse qui tempère le propos quasi martial par des lignes plus sémillantes ; et puis, bien sûr, cette chaleureuse voix gorgée de Soul qui, en Angleterre, intimide et ravit les plus grands (Blackmore et Page en sont fans, le dernier réalisant un vieux rêve en fondant au milieu des années 80 un groupe avec lui).

     La vieille querelle de savoir lequel des albums de Free serait le meilleur, a toujours cours. Controverse futile car tous les albums de Free sont incontournables - à l'exception du premier "Ton of Sobs", car encore hésitant -, et donc réduire ce formidable groupe à un disque, ou pire, une chanson, relève de l'hérésie.


Side one
  1. "Fire and Water"   –   3:57   -   (A. Fraser / P. Rodgers)
  2. "Oh I Wept"  –   4:26   -   (Rodgers, Paul Kossoff)  
  3. "Remember"   –   4:23   -   (A. Fraser / P. Rodgers)
  4. "Heavy Load"   –   5:19   -   (A. Fraser / P. Rodgers)

Side two

  1. "Mr. Big"   –   5:55   -    (Fraser, Rodgers, Simon Kirke, Kossoff)
  2. "Don't Say You Love Me"   –   6:01   -   (A. Fraser / P. Rodgers)
  3. "All Right Now"   –   5:32   -   (A. Fraser / P. Rodgers)




🎼👍
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10 commentaires:

  1. Shuffle Master28/9/23 09:06

    Je confirme que le lumpenprolétariat évoluant dans la superstructure musicale ne connaît très souvent des groupes qu'un seul morceau: All right now, bien sûr, mais aussi La Grange et Gimme all your loving pour ZZ TOP, Walk on the wild side pour Lou REED, ou Spooky pour Atlanta Rhythm Section (je signale aux jeunes lecteurs, qui ignorent tout du second degré qu'ici, il y a un gag). En étant parfaitement incapable de donner la moindre information sur la composition du groupe, la date de sortie, l'assistant de l'ingénieur du son (regag). La faute à qui? Aux jeunes, tout d'abord, puisque le jeune, particulièrement celui de l'époque actuelle, est bête, feignant, inculte, et abruti par les sociaux-traitres (publicitaires, mercantis, tatoueurs, réseaux sociaux). A leurs parents, qui présentent exactement les mêmes caractéristiques, à quelques variantes près (Facebook au lieu de Tik Tok, SUV au lieu de scooter, bar à tapas au lieu de McDO...etc, mais avec les mêmes bracelets de poignets (accessoire qui offre l'avantage de pouvoir rapidement reconnaître le crétin).
    Pour en revenir à Free, c'est effectivement très épuré, et curieux à une époque où il fallait faire dans la démesure, surtout guitaristique. Sur les ballades, il faut souligner le talent de Paul Rodgers, qui avait de très beaux restes jusqu'à récemment. J'aime beaucoup M. Big.

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    1. Des "jeunes", ici ?
      Etre feignant est loin d'être une tare, c'est même de plus en plus un gage de lucidité...
      Votre liste des crétineries modernes est bien vue, même si non exhaustive. Dans les responsabilités, vous omettez tout de même les principales (Educ' Nat' et politiques de ces 50 dernières années).
      Par contre, quelle étroitesse d'esprit de penser qu'on ne puisse pas apprécier A LA FOIS musiques d'antan et musiques plus actuelles ou récentes...

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    2. J'ai écouté ce "Spooky" d'ARS... c'est d'un mielleux, mais d'un mielleux. Toutefois... il faut bien admettre que l'orchestration est excellente, et les soli de guitares sont magistraux. En faite, il faut persévérer et passer les trois-qutre premiers mouvements. 😉

      Tiens, c'est un truc à développer, ça : les groupes généralement connus pour une chanson. C'est même parfois étonnant. Par exemple, Lynyrd Skynyrd ? "Sweet Home Alabama". Midnight Oil ? "Beds are burning ". Aerosmith ? "Walk this Way" et... "Armageddon"... 😪 Sim ? "C'est pas moi, c'est ma soeur". Europe ? "Final Countdown" ! Van Halen ? "Jump" !!

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    3. Shuffle Master.28/9/23 23:08

      Pour la responsabilité de l’Éducation nationale dans le désastre, il faut nuancer. Même s'il y a un bon nombre de guignols incompétents dans les enseignants, dernier maillon de la chaîne, les responsabilités sont plutôt à chercher au sein des directions du ministère (notamment les commissions des programmes), du corps des inspecteurs, des agrégés (plus corporatistes et arc-boutés sur leurs privilèges, il n'y a pas), des chefs d'établissements, sans oublier les fédérations de parents d'élèves (surtout la FCPE, la PEEP étant généralement plus sensée), lesquels parents, contrairement à ce qu'on essaie de nous faire croire depuis quelques semaines, sont les véritables maîtres dans beaucoup d'établissements, faisant et défaisant les carrières. La faute aussi à un système qui repose sur la veulerie, la crainte, l'avancement à la tête du client, et la co-gestion avec les syndicats. Dans ces conditions, essayer d'ouvrir à l'esprit critique, par exemple, relève de la gageure et ne peut que susciter des problèmes.
      S'agissant d'ARS, le groupe compte une paire d'extraordinaires guitaristes qu'on peut écouter en bavant, notamment sur Dog Days et Red Tape. Quant aux jeunes, plus sérieusement, ils n'écoutent quasiment pas de rock (ancien ou moderne).

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    4. Y'en a plein des comme ça... Desireless "Voyage, voyage", Caroline Loeb "C'est la ouate", Cookie Dingler "Femme libérée", Patrick Hernandez "Born to be alive"... :-)
      Faut pas être si défaitiste, avec Internet, les jeunes (et moins jeunes) n'ont jamais eu accès aussi facilement à autant de musiques. Et il n'y a pas que le rock.
      Dans la (grosse) boite où je viens d'atterrir (et d'où je vais déguerpir aussitôt, avant la fin de ma période d'essai, étant donné l'extrême répétitivité et le manque d'intérêt de ma tâche d'indexeur de plans EDF...), il y a un jeune stagiaire qui a le rire facile et qui dit souvent "en vrai" et "nickel"...
      J'irai écouter par curiosité cet ARS et les deux albums cités.

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    5. J'avais pensé à ce Patrick et Borgne to be alive" 😄 Mais, sur l'instant, je n'étais pas sûr qu'il ait fait d'autres trucs... "Boogie trucmuche" et "Disco Queen" ? Mais des disques, des 33 tours, des long-players ??

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  2. Comme sociaux-traitres, les tatoueurs se posent-là ! J'aime beaucoup "Mr Big" aussi, et le disque en général. J'ai réécouté le premier "Free" de 69, il est vachement bien aussi, encore plus en ligne claire et dépouillé (le "Lying in the sunshine" est sublime).

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    1. Le premier alboume de Free se nomme "Ton of Sobs". L'éponyme est le second sorti la même année. Magnifique opus 👍

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  3. En ce qui concerne ARS , si les deux disques cités par Shuffle sont bons , je préfère de beaucoup le live de 1976 , " Are you ready" qui met nettement plus en valeur les deux excellents guitaristes que les disques studio . Le point faible de ce groupe , les compos qui flirtent un peu trop souvent avec la pop! Pour les curieux avides de savoir , je recommande la lecture du com. rédigé par le maître sur un site bien connu , il y a quelques années ......Instructif et bien sûr drôle !

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    1. Ha, oui, ce fameux album live de l'ARS. J'ai souvent lu qu'il était excellent (probablement la première chose que j'ai pu lire sur ce groupe), mais jamais trouvé (si, une fois, mais le prix affiché m'avait alors brûlé la rétine - un "prix pour Américains").
      J'aime bien les "Dogs Days" et "Red Tape". Surtout ce dernier. Avec de fabuleuses parties de guitares tout en feeling, un bon swing du batteur, et un bassiste groovy (quelle démonstration sur "Another Man's Woman" !), il y a effectivement du bon, du très bon matos. Quant aux claviers... bien des fois, c'est bien mieux lorsqu'ils sont muselés ou mis en retrait. Très bon musicien, il donne parfois l'impression d'être arrivé là par hasard, ou par piston.
      Des trucs piqués à Potliquor 😊, et inversement d'autres choses personnelles semblant avoir été piquées par d'autres... Réécouter "All Night Rain" par exemple.
      Cependant, malheureusement, à mon sens, ça flirte un peu trop souvent avec le soft-rock. Impression généralement imposée par les intonations pop (ou FM) dans lesquels le chanteur Buddy Buie s'épanouie en jouant au crooner de bal (dérapages moins présents sur "Red Tape"). Ainsi "Crazy" gâche l'entame de "Dog Days" tandis que "Beautiful Dreamers" m'évoque les vieilles boums à deux balles d'antan avec son lot de slows pour frottages, sueurs et plus si affinité...
      Malgré tout, "Red Tape" est effectivement un très bon disque à connaître - bien plus que le "Champagne Jam" tant vanté.

      Les propos ci-dessus n'engage que son auteur, et aucunement l'ensemble de la rédaction 😁

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