jeudi 5 octobre 2023

JAMES BLOOD ULMER "Revealing" (1977 - 1990)

Nous sommes en 1960, année où le jazz est moribond et le rock est souverain. Les anciens sentirent le déclin arriver dès les premiers riffs de Chuck Berry. Il faut avoir vu cette scène de jazz on a summer day où, obligé de jouer avec un orchestre de jazz qui lui était hostile, le grand Chuck Berry parvint tant bien que mal à sauver son mojo face aux pièges tendus par les autres musiciens. 

Chez les jazzmen, ce genre de joute a toujours été une grande tradition, une façon de mettre les nouveaux venus à l’épreuve. Cette fois, cette hostilité exprimait un malaise plus profond, celui d’une culture déclinante qui refuse de mourir. Si les bluesmen accueillirent si bien les rockers, c’est que certains d’entre eux reprenaient leurs titres.

Il fallait être sourd pour ne pas comprendre que le rock fut d’abord un mélange de country et de blues boosté au speed. Le jazz, lui, était trop complexe pour inspirer les premiers rockers. Plus tard, au milieu des années 60, une part du rock progressif chanta son amour pour la musique de Charles Mingus. Pour l’heure, en ce début de sixties, le bop s’essouffle et le jazz modal ronronne. Dans l’intimité des studios Columbia, un jeune prodige a disposé ses musiciens telles deux armées prêtes à en découdre.

Réagissant spontanément aux assauts du quartet adverse, les musiciens enchainent les chorus agressifs et stridents, une rythmique hystérique fait exploser un swing tonitruant. Ce qu’Ornette Coleman déchire dans cette grande joute [relire l'article de Benjamin : clic ici ] ce sont les règles de composition austères qui menacent de tuer le jazz. Décrétant la mort de l’obsession de la mélodie héritée des grands compositeurs européens, Coleman passa sa carrière à ériger de grandes sculptures sonores, des constructions abstraites faites de matériaux apparemment inconciliables. L’architecture fut sa principale source d’inspiration, les sons furent son ciment et les notes ses briques. Il apprit au jazz les bienfaits des dissonances fécondes, la grandeur des cacophonies savamment orchestrées.

Refusant de suivre cette nouvelle voie, Miles Davis se servit du rock afin de régénérer son swing, pendant que son disciple Coltrane utilisa la révolution free pour créer sa religion musicale. Qu’il soit haï ou vénéré, personne ne peut nier l’importance du free dans l’histoire du jazz. James Blood Ulmer fit ses premières armes au milieu de cette époque agitée. En 1959, il commença à jouer dans quelques groupes de rock dont l’histoire ne retint pas le nom. Si l’époque forge les hommes, celle de James Blood Ulmer fut moins pauvre culturellement que la nôtre. Diminué par le succès du rock, le jazz survivait grâce au succès de Miles Davis et à quelques clubs acquis à sa cause.

Survivant vaillamment aux humeurs changeantes du temps, les Jazz Messenger accueillirent le jeune guitariste en 1969. Quelques mois plus tard, James Blood Ulmer devint le premier guitariste ayant rejoint l’orchestre d’Ornette Coleman. Adoubé par le père du mouvement, celui qui avait enfin installé sa notoriété dans le milieu du free put voler de ses propres ailes. Si beaucoup ne jurent que par son « Free lancing », chef d’œuvre alambiqué où le musicien fait preuve d’une dextérité impressionnante, ce premier album n’a rien à lui envier. Il y’a d’abord le saxophone fiévreux de George Adams, flot incandescent que le guitariste guide de ses notes comme des étincelles. Puis, quand le torrent cuivré s’est tu, James Blood prolonge son ruissellement destructeur de son solo étincelant.

Pour imaginer ce qu’est le jeu de cet homme, il faut se représenter ce qu’aurait pu être la musique de Thélonious Monk s’il n’avait joué que ses blue notes. Blood Ulmer fait de la dissonance la source de son swing. Soufflant le chaud et le froid pour maintenir l’auditeur en haleine, le guitariste et le saxophoniste sont capables de moments de grâce dignes de John Coltrane.

Funk spatial, jazz atomisé pour créer de nouvelles formes sonores, énergie du rock’n’roll servant une virtuosité qui la dépasse, la musique de James Blood Ulmer se nourrit des courants déclinants et triomphants d’une époque bénie. Libéré de toutes ses entraves et de ses limites, le jazz atteint sur ce « Revealing » un niveau d’inventivité fascinant.

mercredi 4 octobre 2023

ROBERT JON & The WRECK " Ride into the Light " (2023), By Bruno



     Southern-rock is not dead ! Southern-rock has le vent en poupe (in french in ze text -pronounced Lé van en pouapeu). Après un tout récent double live en demi-teinte, trop conventionnel et sage, on pouvait craindre que le quintet se soit confortablement installé dans une dangereuse routine. Que la flamme des débuts commence à s'estomper. Déjà, les deux précédents disques studio amorçaient une relative édulcoration en mettant un peu (trop ?) d'eau dans leur savoureux southern-heavy-rock des débuts. Une perte en degré d'alcool correspondant à l'entrée de Henry James Schneekluth, dernier à pourvoir le poste envié de lead-guitar. Certes, ce dernier était déjà sur "Take Me Higher", de 2019, qui contient même quelques titres typiquement hard-rock ; mais cet album, peut-être le moins bon du groupe, a quelque chose d'azimuté, comme tiraillé entre diverses direction.


   Les consonnances rock'n'roll, voire heavy typé 70's, commencent sérieusement à se déliter en 2020 avec "Last Light on the Highway". Le suivant, "Shine a Light on Me Brother" confirme la direction, même si, de temps à autres, rejaillit le feu d'un volcan qu'on croyait éteint. Pourtant, ces deux derniers disques sont tout simplement excellents, et si l'on peut regretter le matériel "burné" des "Glory Bound", "Good Life Pie" et "Robert Jon & The Wreck", la quasi totalité des nouvelles chansons proposées est d'un tel niveau, que l'on accepte sans broncher (ou presque) ce revirement.

     Mais voilà qu'en cette année 2023, le quintet est revenu avec les bras chargés de condiments épicés. Pas de quoi cracher des flammes, mais suffisamment pour ajouter quelques saveurs corsées. 


   Accueilli sur Journey man Records, le label de Joe Bonamassa, le quintet d'Orange County délivre un album court, concis, sans déchet ni d'à peu près. Pas loin d'une quintessence de ce qui a fait une carrière de douze ans (déjà). Peut-être bien plus qu'avec les précédents, " Ride Into The Light " s'inscrit en digne héritier d'un Southern-rock né à l'aube des 70's. L'ombre des Lynyrd Skynyrd, Hydra, Allman, Outlaws, plane sur ces lascars. Mais sans les étouffer, car dès leur second opus, "Glory Bound", le groupe a défini un son, une certaine personnalité, qui évolue certes, et heureusement, mais qui reste indentifiable. La voix de son leader, Robert Jon Burrison, y étant pour beaucoup.

     S'il n'y a pas de subtilité telle qu'on pouvait la retrouver chez les Allman Brothers ou chez Lynyrd première épopée, il y a un enthousiasme et une sincérité qui font croire au truc. La cohésion et la qualité infaillible des musiciens permettent même d'atteindre quelques sommets.

     L'album débute avec l'intégralité du matériel paru précédemment sur un obscur Ep, "One of a Kind", sorti à la fin du premier trimestre de cette année (et déjà introuvable). En fait, la dernière livraison se présente comme deux Ep cumulés, le verso présentant la pochette du premier, avec son titre, et le recto, la fournée complémentaire. Ainsi, il y a bien une petite différence de texture entre les quatre premiers morceaux et les suivants plus âpres, plus festifs, plus rock'n'roll.

      "Pain No More" (co-écrit avec Charlie Starr) annonce la couleur, celle d'un retour à des choses plus corsées. Le riff de guitare soutenu par un orgue d'obédience Hammond rappelle les premiers Whitesnake, époque Micky Moody avec une slide tranchante et expressive. Burrison ne se laisse pas embarquer par ce flot d'épaisses vibrations, gardant la maîtrise sur son chant un brin rauque et duveteux, plutôt proche d'un Bob Seger mesuré. "Who Can Love You" fait dans la ballade country-rock dans le style des Outlaws, voire d'un Atlanta Rhythm Section. Sympa mais académique. "Come At Me" est particulièrement enjoué et communicatif, comme si le chanteur invitait l'auditeur à le rejoindre, à boire ses paroles. Comme une prêche. "One Of a Kind" monte en tension, l'orchestration est plus épaisse, copieusement enrobée de slide gouailleuse pour entraîner la musique vers des parfums plus heavy ; c'est bourré d'énergie ça sonne live et entraînant. Visiblement le filiforme Henry James a pris du poil de la bête, orientant son bottleneck plus vers Rod Price qu'Ed King.


   Seconde partie avec "Bring Me Back Home Again" où, là encore, la slide impose sa loi. Hard-blues aux couleurs de Foghat, mâtiné de country-rock façon Lynyrd. Comme pour le premier chapitre, ça enchaîne avec un titre mainstream. Cependant, les paroles de 
"West Coast Eyes" ne sont guères réjouissantes, exposant des regrets profonds issus d'un passé qu'on ne peut plus changer : "J'ai passé une journée à rêver de mourir à Mesa, en Arizona, où tout le vert de la vie s'était transformé en cendre. Et je sentais que j'étais en feu avec les choses que j'aurais pu te dire". Retour à l'engouement, la soif de vivre avec un exaltant "Don't Lock Down" aux allures de bacchanale, invitant le spectateur à monter sur scène, à danser, à offrir quelques pintes. Décidément, ce fil-de-fer d'Henry James semble avoir acquis le mordant qui lui manquait. De plus, il seconde parfaitement Robert Jon dans rôle de choriste. "Ride Into The Light" par contre, même si elle fait son office, ne tient pas les promesses d'une chanson titre. Surtout après la précédente qui fait des étincelles.

     On peut se poser la question du pourquoi : pourquoi avoir repris un Ep précédent (certes, introuvable - probablement alors disponible qu'en streaming), en rajoutant juste quatre morceaux, portant la durée de l'album à seulement 31 minutes. C'est chiche. D'un autre côté, le quintet s'est bien gardé d'en faire des tonnes, de faire l'escroc en rallongeant inutilement les chansons par moults soli en tous genres. Voire d'introductions diverses à base de bruitages stériles. La qualité avant la quantité. Néanmoins, pourquoi ne pas avoir inclus la bien sympathique dernière livraison, "Stone Cold Killer", sortie en vidéo en septembre dernier. Et le single "She's A fighter" ? Pourquoi ne pas l'avoir récupéré ? Oublié ? Ne voulant pas faire les choses à moitié, Joe Bonamassa, qui a apporté sa petite contribution avec Josh White, a dégoté des cadors en matière de production : Don Was, Dave Cobb et évidemment Kevin Shirley. Pourtant, malgré quatre producteurs différents, l'album n'a rien d'un patchwork. La personnalité du Robert Jon & The Wreck est respectée. Rien de farfelu, juste du bon Southern-rock.




🎶🚙

Autre article sur la bande : 👉 " Shine A Light On Me Brother " (2021)





mardi 3 octobre 2023

PETER GABRIEL (1980) - par Pat Slade



Peter Gabriel reste l’ex-chanteur de Genesis mais sa carrière solo sera plus prolifique.


Je ne me souviens pas !




 Je l’avoue, j’ai toujours eu beaucoup de mal à apprécier Peter Gabriel. J’ai connu Genesis à l’époque de ”A Trick of the Tail“ ou Phil Collins faisait ses premier pas sur le devant de la scène en s’emparant du micro. Bien sûr, j’ai écouté les albums de Genesis avec Peter Gabriel, les grands classiques comme par exemple ”Selling England by the Pound“ pour ne citer que celui-là, mais même si Rael reste une image pour ne pas dire une icône du rock, même si j’ai préféré la première période avec Phil Collins cela n’empêche en rien d'estimer l’indiscutable talent de l’homme qui ira jusqu’à modifier son apparence pour incarner ses différents personnages.

Je vais faire mon Mea Culpa et parlant de Gabriel en solo. Et dès son premier album en 1977, celui qui sera surnommé ”car“, déjà la patte Gabriel sera présente avec un titre comme ”Solsbury Hill“. Mais je m’arrêterai au troisième album celui qui a marqué les esprits et surtout le mien. Ce n’est pas que le second était inintéressant avec la production de Robert Fripp mais je préfère quand même le troisième. Na !

Mince ! Il a fallu que ses quatre premiers albums ne portent pas de nom, alors pouvoir faire une différence entre chaque, bonjour, on les nommera par un détail de la pochette.

Melt“ (fondu). Peter Gabriel rentre de plain-pied dans la world music et dans la chanson engagée. Les artistes qui l’entourent sont prestigieux : Kate Bush, Robert Fripp, Phil Collins, Paul Weller sans oublier l’incontournable Tony Lévin.


Intruder“ Annonce ce que sera la couleur globale de l’album, intro très lourde avec la batterie de Phil Collins qui impose la durée du morceau. Plutôt sombre avec des paroles étranges comme peut l’être le Gab. ”No Self Control“ Encore une place importante pour les percussions et l’apparition de Kate Bush dans les chœurs. ”I Don’t Remember“ Le titre que je préfère sur cet album, Jerry Marotta à la batterie frappe très fort.   

Games Without Frontiers“ Le titre de la chanson fait référence à l’émission de télé ”Jeux sans Frontières“. Percussions acoustiques et synthétiques, idem pour la basse et la voix de Kate Bush dans les chœurs. ”Not One Of Us“ est l’image parfaite de la particularité de cet album c’est l’absence de cymbales pour l’effet Gate Reverb un effet audio avec une forte reverb qui crée un son massif et puissant tout en gardant le mixage global d'une grande clarté et précis, un effet que l’on pourra entendre dans ”In The Air Tonight“ de Phil Collins.

Steve Biko
 Biko“ Si Peter Gabriel n’avait pas fait cette chanson, beaucoup de monde n’aurait jamais entendu parler de Steve Biko, militant et chef de file de la lutte contre l’apartheid. Arrêté par la police en aout 1977, il est torturé. Le , Biko meurt en détention, officiellement des suites d'une grève de la faim. Les conditions de la détention ainsi que le décès brutal de Biko font l'objet d'une polémique internationale qui débouche sur la condamnation du régime sud-africain

L’ONU imposera l’interdiction des ventes d’armes à destination de l'Afrique du Sud. Après son décès, Biko devient le symbole de la résistance noire face à la cruauté du pouvoir en place. Les tambours brésiliens, la guitare, la cornemuse synthétisé et cette rythmique obsédante en feront un succès et la chanson de protestation anti-apartheid non-sud-africaine la plus significative.

Peter Gabriel“ (Melt) sera suivi par ”Peter Gabriel“ (Security) deux ans plus tard qui contient le titre ”Shock The Monkey“. Il n’est pas simple de parler de Peter Gabriel et certains risquent de critiquer mon ignorance et mes lacunes sur le sujet, mais comme je disais au début, cela n’enlève rien à son talent.





dimanche 1 octobre 2023

BEST-OF À LA FLORENTINE


Pour les fans de plats typiques florentins, un chouette site (Clic)

MARDI : Pat Slade est un fan de Jacques Higelin qu'il a souvent honoré dans ce blog… Cette semaine, retour sur ce qui marqua définitivement son virage rock en 1975, la publication de l'album "irradié" un an après "BBH75". Pat en devient rayonnant (α, β ou γ) selon l'intensité des titres. L'artiste devenait autant militant que baladin ; citons Pat : le rock d’Higelin, c’est celui des mots et d’un certain je-m’en-foutisme de la mélodie.

MERCREDI : Cool ! entre deux essais transformés et quelques drops, Bruno a retrouvé son clavier pour publier son billet hebdomadaire. Retour à l'aube de l'humanité (non ça c'est dans 2001 de Kubrick), du rock, cru 1970, avec un album du groupe FREE "Fire And Water".  Son opinion : il y a dans ces chansons une rare beauté, celle de la simplicité, de l'évidence, de la spontanéité et de l'authenticité… Les quatre gars doivent bicher à lire ça même si séparés en 1973, y compris les deux qui sont au paradis…

 


JEUDI : Claude a beaucoup parlé en 12 ans des la musique symphonique de Tchaïkovski. Un seul billet pour la musique de chambre, son trio. Il faut dire que la production chambriste du russe est maigre. Bref, le Toon nous a fait écouter le sextuor de 1892 titré "Souvenir de Florence". Pas un carnet de voyage expressionniste à la Debussy (Iberia) mais une œuvre fougueuse mêlant folk italien ou slave et pensées nostalgiques d'un voyage heureux de 1874, rare moment de bonheur chez ce compositeur introverti.

VENDREDI : Luc est parti à Hollywood négocier une adaptation de l'histoire du Deblocnot. Nema M. assure une pige avec une chronique sur un must d'Agatha Christie de 1937 dans une super traduction de 1950 de Louis Postif, "Témoin muet". Fête de Pâques chez la bourgeoise avec sa famille de rapaces. Libation annulée car Madame est trouvée morte dans l'escalier. Une chute due à son grand âge ? Hercule Poirot a des doutes… Style Cluedo et Humour british au rendez-vous 😊. Mais qui ose dire qu'Agatha Christie  est démodé ? Sacrilège !

 

👉 On se revoit mardi avec Peter Gabriel ; jeudi, du jazz avec James Blood Ulmer ; vendredi : Coup de chance, le Woody Allen de 2023… et bien sûr, mercredi, la chronique surprise de Bruno…