Seiji Ozawa fin des années 70 |
Il y a des disparitions d'artistes qui chagrinent plus que d'autres… Ce
sentiment n'a aucun lien avec le talent voire le génie du disparu mais avec
son charisme. Les maestros sont des personnages pittoresques, certains
savent gagner l'intérêt du public et des discophiles par leur maîtrise, mais
aussi leur sympathie. J'avais évoqué ce cas en 2014 lors de la
disparition de
Claudio Abbado, très estimé de ses musiciens et des mélomanes, qui connaissaient par la
presse spécialisée ou divers autres médias l'humanisme de l'homme.
D'autres grandes baguettes, plutôt de l'ancien temps, ont laissé le
souvenir de dictateurs musicaux terrorisant les musiciens quand l'autorité
ne se hissait pas jusqu'au mépris. Je balance :
Celibidache
ou
Reiner, mais la discipline de fer imposée donnait, il faut bien l'avouer, une
réussite indéniable sur le plan interprétatif…
Ma première rencontre avec
Seiji Ozawa
fut discographique. Un album paru chez EMI réunissait la
Sinfonietta
de
Janáček
et le
concerto pour orchestre
de
Lutoslawski. En 1971 le chef qui a 36 ans débute réellement sa brillante
carrière et dirige l'orchestre symphonique de Chicago, et oui pas Boston ce jour-là… Un programme moderne et pour le moins
aventureux en cette époque où le public raffole encore de la tradition,
Mozart,
Beethoven, une pincée de
Brahms. Notons que le compositeur polonais
Lutoslawski est bien vivant (+1994). Ce disque témoigne de deux facettes
de de la personnalité artistique d'Ozawa
: il dirigera les meilleures phalanges de la planète et ne sera jamais
dépendants d'un label unique…
André Malraux et Charles Munch |
Autres souvenirs marquants : deux concerts inoubliables. En 1975,
Ozawa
très actif auprès du jeune
Orchestre de Paris créé par son mentor
Charles Munch, il programme la
Turangalila-Symphonie
d'Olivier Messiaen. Sur scène, toujours bon pied bon œil,
Yvonne Loriod
(épouse de Messiaen) au piano et sa sœur
Jeanne Loriod
aux ondes Martenot. Ozawa recrée la légende du chef d'œuvre de 1946. La musique
contemporaine résonne dans un Palais des Congrès bondé. (Malgré l'acoustique
désastreuse, mais il n'y a pas de salle de concert disponible à
l'époque). Ozawa venait de ou allait graver l'ouvrage avec l'Orchestre de Toronto pour RCA également avec les sœurs
Loriod. Je propose ce disque pionnier en complément…
Le 3 décembre 1976, le maestro bénéficie d'une aura internationale et… il ose tout. Toujours au Palais des Congrès (mais là l'immense scène est plutôt un atout) il réunit l'Orchestre symphonique de Boston, l'Orchestre de Paris et les chœurs de l'Opéra de Paris sans compter des micros fanfares dans les accès à la salle (350 musiciens environ). Au programme le Requiem de Berlioz. Ozawa, à la direction très athlétique, effectue en bondissant des saltos de patineur pour contrôler ses troupes entourant le public pendant le Tuba mirum !!! Par ce concert historique, il commémore les dix ans de l'Orchestre de Paris fondé en 1968 par Charles Munch sur demande d'André Malraux et qui fit de cette œuvre un fleuron du répertoire de l'Orchestre symphonique de Boston que Munch dirigea de 1949 à 1962.
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Rapidement :
Seiji Ozawa
avait vu le jour en 1935 dans une famille nipponne installée en
Mandchourie lors de l'occupation par l'Empire du soleil Levant. Il retourne
à Tokyo en 1944 pour assister à l'effondrement de son pays en
1945. Au milieu du désastre, il étudie le piano, mais pratique
également le rugby, sport plus violent. Il se fracture deux doigts dans une
mêlée mais le jeune homme montre déjà qu'il sait rebondir ! Il ne sera pas
pianiste virtuose mais… Chef d'orchestre, un métier qu'il apprend auprès
d'Hideo Saito
(1902-1974). En 1959, il remporte le
concours international des chefs d'orchestre de Besançon et obtient une bourse pour se perfectionner auprès de
Herbert von Karajan
à Berlin.
Seiji Ozawa et Herbert von Karajan |
Le lauréat de Besançon attire l'attention de
Charles Munch
alors directeur de l'Orchestre symphonique de Boston. Celui-ci l'invite à diriger l'illustre phalange de la côte Est.
Leonard Bernstein
le remarque aussi et le nomme assistant de la
Philharmonie de New-York.
Seiji Ozawa
sera le seul futur grand maestro à partager son temps d'apprentissage entre
Herbert von Karajan
et
Leonard Bernstein…
La suite sera une carrière en forme d'épopée à travers toute la planète,
principalement : l'Orchestre symphonique de San Francisco, l'Orchestre symphonique de Toronto, l'Opéra d'État de Vienne et l'Orchestre symphonique de Boston. Il occupera ce poste pendant trente ans, en une époque où les engagements
ne dépassent guère la dizaine d'années…
La longévité de
Seiji Ozawa
comme patron à Boston a peu d'équivalent dans l'histoire de la direction
d'orchestre moderne. Quelques records :
Eugene Ormandy
à Philadelphie ou
Evgeny Mravinsky
à Leningrad (49 ans chacun) et bien sûr
Karajan
à Berlin (35 ans) …
Avec Leonard Bernstein |
En 2006, le chef est atteint d'un cancer de l'œsophage, une forme
souvent mortelle de cette maladie. Courageusement, il subit des traitements
agressifs, est confronté aux métastases et en 2009, il guérit ! Il a
74 ans, a dû annuler nombre de concerts mais il continue sa carrière
posément avec un capital sympathie accru chez ses fans. N'est-ce pas Pat
Slade, un inconditionnel comme votre serviteur !
Son répertoire est immense, de
Beethoven
à
Ligeti, mais sa passion est de permettre l'essor de la musique moderne dans des
bonnes conditions symphoniques. Proche de
Messiaen, il crée en 1983 son opéra fleuve et mystique,
Saint François d'Assise. Parallèlement, il anime la vie musicale internationale : en
1992 il fonde l'Orchestre Saito Kinen en hommage à son
ancien professeur.
Depuis 1958,
Seiji Ozawa
avait reçu 28 récompenses, médailles et prix ! Le 24 septembre
2008 il est reçu à l'Académie des Beaux-arts au fauteuil laissé vacant par
Yehudi Menuhin
pour sa francophilie, sa passion pour la musique française et la
reconnaissance mondiale apportée entre autres à
Olivier Messiaen
et
Henri Dutilleux.
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Ozawa académicien !!!
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Depuis les débuts du Deblocnot, Seiji Ozawa a donné lieu à la publication de sept chroniques représentatives de son parcours : les voici :
Bela BARTÓK |
Le Mandarin Merveilleux (Ballet intégral) - Symphonique de
Boston |
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Ludwig van BEETHOVEN |
Concerto pour piano N°2 (1795) avec Martha Argerich (Live 2017) |
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Carl ORFF |
Carmina Burana – Philharmonie de Berlin |
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Francis POULENC |
Stabat Mater (1950) - K. Battle (1989) - Symphonique de Boston |
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Serge PROKOFIEV |
Symphonie N° 7 - Philharmonie de Berlin |
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Maurice RAVEL |
Alborada Del Gracioso - Boston Symphony Orchestra Bolero La valse Pavane Pour Une Infante Défunte |
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Henryk WIENIAWSKI |
Concertos n°1 et n°2 pour violon (1852/1870) avec Itzhak Perlman |
Seiji Ozawa
nous lègue une discographie immense et rééditée régulièrement.
RCA a publié un coffret de six des gravures avec l'orchestre symphonique de Chicago
; Warner une somme de 25 CD, des interprétations réalisés avec 9 des
meilleurs phalanges planétaires… 23 disques chez DG. Sans compter les
albums isolés, impossible de dresser une liste préférentielle
objective…
Dans les temps à venir, une chronique pourrait commenter sa version des
Gurrelieder
de
Schoenberg
à Boston avec
Jessie Norman. Pour DECCA (Philips),
Ozawa
avait enregistré une intégrale
Mahler
difficile à dénicher, mais la monumentale
8ème, est toujours disponible en album solo…
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Parcours musical
: Je vous propose quatre enregistrements représentatifs de l'art de
Seiji Ozawa.
1 - Seiji Ozawa fut un grand interprète de Mahler, notamment pour les grandes œuvres chorales (2,8), écoutons la 2ème symphonie "Résurrection" captée en 2000 pour Sony Classical avec le Saito Kinen orchestra, le Shinyukai Choir, Emiko Suga (Soprano) et Nathalie Stutzmann (Contralto). (Chronique de la gravure à Londres de Georg Solti)
Playlist : [1] Allegro maestoso - [2] Andante moderato - [3] In ruhig
fliessender Bewegung - [4] "Urlicht" - [5] Im Tempo des Scherzo's
2 - Fan de musique française, le chef avait enregistré en
1987 la musique orchestrale de
Gabriel Fauré, le son de l'Orchestre symphonique de Boston
fait preuve d'une élégance rare.
Playlist : [1] à [5] Pelléas et Mélisande - [6] Après un rêve - [7]
Pavane - [8] Elégie - [9] à [14] Dolly.
3 -
Seiji Ozawa
entreprit une intégrale des
sept symphonies
de
Prokofiev
avec la
Philharmonie de Berlin dans les années 90 pour DG. J'avais retenu son interprétation pour le
billet consacré à la
7ème. Voici l'ambiguë 6ème
de 1945, moderniste et sarcastique, fêtant la victoire amère (20
millions de morts russes) contre les nazis ; une œuvre faisant écho à la
8ème
de
Chostakovitch.
(Chronique du disque de Walter Weller)
YouTube : [0:00] Allegro moderato - [15:23] Largo - [29:55] Vivace.
4 – Grand serviteur d'Olivier Messiaen,
Seiji Ozawa
a enregistré, comme noté plus haut, la
Turangalila-Symphonie
en 1975. Cette œuvre majeure du compositeur français sera commentée
dans l'année dans une autre interprétation tout aussi passionnante. Cette
grande symphonie mêlant philosophie orientale et naturalisme est richement
orchestrée : percussions, orchestre classique, piano et onde Martenot.
Elle comporte dix parties. Je donne à titre indicatif les sous-titres des
dix mouvements.
Playlist : [1] Introduction - [2] Chant d'amour 1 - [3] Turangalîla 1
- [4] Chant d'amour 2 - [5] Joie du sang des étoiles - [6] Jardin
du sommeil d'amour - [7] Turangalîla 2 - [8] Développement de l'amour -
[9] Turangalîla 3 - [10] Finale.
Turangalîla : concaténation de deux mots en sanscrit qui peut signifier
"chanson d'amour, hymne de joie, mouvement, rythme, vie et mort".
Le 6ème mouvement, un adagio, est l'une des plus belles pièces
méditatives écrites au 20ème siècle !
Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée. Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…
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INFO : Pour les vidéos ci-dessous, sous réserve d'une écoute directement sur la page web de la chronique… la lecture a lieu en continu sans publicité 😃 Cool. |
Je ne pouvais rester muet face à cette disparition, Seiji Ozawa restera pour moi une icône qui me fera approfondir mon écoute de certaines oeuvres classique que je n'aurais surement jamais cherché à écouter comme la "la Turangalila-Symphonie" de Messian et je n'aurais surement jamais su qui était Zoltán Kodály et "Les Danses de Galánta" qu'il avait enregistré avec l'orchestre symphonique de Chicago et puis il y a Berlioz avec une "symphonie Fantastique "chez DG et une version de "La Damnation de Faust" toujours chez DG avec Edith Mathis. mon premier album que j'ai acheté de lui était "Sheerazade" de Rimsky-Korsakov couplet avec les Danses Polovtsiennes Du "Prince Igor" de Borodin chez EMI, ce fut ensuite Bartok avec "le mandarin merveilleux " et "musique pour cordes, percussion et celesta" mais je ne peux pas énumérer toutmes albums que j'ai de lui. un chef sympathique et charismatique, le seul qui j'ai vu dirigé en col roulé !
RépondreSupprimerMême moi, je connaissais le bonhomme. Un vieux reste des "Grand Échiquier" version Chancel. Jacques, pas Annie...
RépondreSupprimerMoi non, mais je suis une buse en classique. Et je n'ai jamais pu regarder Le Grand Echiquier". Le type est quand même atypique: rugbyman et chef d'orchestre. C'est pas chez nous que ça arriverait.
RépondreSupprimerBen, pourquoi pas ?
SupprimerCela me rappelle au bon souvenir du président de notre club qui était heureux de retrouver un beau brassage dans son équipe.
Fièrement, il disait : "Pas de distinction sociale dans l'équipe. il y a de tout, du docteur au déménageur" J'm'en souviens comme si c'était hier...
Tu vois Shuffle, Il y a un parallèle à faire entre Ozawa et Jacky Chan... La plupart des maestros dirigent mutiques droits comme un i ! Cela dit Herbert Blombstedt dirigera un peu de cette manière les 24 et 25 avril 2024 à 16h00, la 8ème de Bruckner, à la Philharmonie de paris (un monument de 1H20 sans pause) mais forcément, à presque 97 ans, il affiche toujours une jovialité incroyable, et musicalement c'est top (pour ceux qui aiment !!!)
RépondreSupprimerOzawa dansait sur le podium communiquant son énergie aux musiciens et au public. On ressortait gonflé à boc de ses concerts...
https://philharmoniedeparis.fr/fr/activite/concert-symphonique/26196-orchestre-de-paris-herbert-blomstedt
Etonnant... le prix est bien moins onéreux que pour un groupe phare de musique populaire (pop, rock, trucmachinbi, métalledelamorkitu).
SupprimerIls sont pourtant plus nombreux... Les musiciens de musique classique ne toucheraient que des nèfles ? 😲
Shuffle Master.
RépondreSupprimerAtypique aussi par son comportement, les Japonais étant réputés assez réservés (euphémisme), confirmé par Marc Dal Maso, rugbyman landais qui a entraîné l'équipe nationale quelques mois. Tu as dû tomber dans la marmite du classique assez jeune, pour avoir vu le maestro en 1975 et 1976?
SupprimerBonne question Shuffle… Eh oui je viens de franchir le cap des 72 ans…
SupprimerDès gamin, j'aimais regarder les concerts à la TV et chercher des morceaux à la radio (un gros truc en bois hyper vintage).
C'est surtout au collège entre 64 et 66, que je suis tombé dans le truc, le prof de musique nous passant les disques des grands classiques. Pour Noël 1965, avec mes parents (famille d'ouvriers), on a cofinancé l'achat d'un "électrophone". Mon premier LP 33 tours fut la 6ème de Beethoven, une réédition à petit prix (9,9 Fr). J'écoutais quelques yéyés (Sylvie Vartan, Adamo, Mireille Matthieu – ne me dénonce pas 😊) mais plutôt Jean Ferrat, Ferré, les chanteurs dits à texte…
Étant nul en anglais, ben la musique anglo-saxonne ne me branchait pas plus que ça, mystère… Et puis après j'ai emprunté des disques à la médiathèque municipale (1Fr) avec mon argent de poche…
Après, ça s'emballe, j'ai écrit mon premier billet pour la "feuille de choux" de l'IUT en 1970 (Schubert et Bruckner) … Et voilà l'histoire…
Salut à toi....
des disques classique a 9.90 Fr ? Ce ne serait pas la collection "Musidisc richesse classique" ? Je pense que nous avons tous commencer par ça et quand tu achetais ton premier Deutsche Grammophon collection "prestige" c'est comme si tu avais l'impression d'avoir le graal entre les mains !
Supprimer"Étant nul en anglais, ben la musique anglo-saxonne ne me branchait pas plus que ça"... Oui, mais, pour l'opéra ? Tu assures donc en italien ? 😁
SupprimerBien souvent, c'est mieux de ne pas comprendre l'intégralité des paroles. Because, ça ne vole pas très haut. C'est rien de le dire. C'est souvent en dessous de la ceinture ; limite affligeant même.
Mais peut-être moins que nos "stars" françaises... il me semble... on peut se tromper...
Ça tient à peu de chose... Au collège, j'ai dû subir un type en blouse grise qui tapait sur un guide-chant verdâtre en nous faisant ânonner des chants "folkloriques" avec la partition au tableau. Et examen à la cléf (de sol). Inutile de dire que je voue depuis une solide détestation au solfège, aux claviers et à ceux qui en jouent.
SupprimerJe vois le genre, j'ai connu ça, avec l'élève victime qui pompait façon Shadoks :). Pour moi, le solfège n'est qu'un langage. C'est vraiment l'écoute des disques au collège qui m'a filé cette passion.
SupprimerMince j'ai joué du piano pendant quelques années, tu me fais peur là... C'était après la mort "tragique" de ma première épouse en 1993, mon fils se débrouillait bien, par contre les deux gamines, ben rien de trop, on a lâché l'affaire...
Manque de bol ma prof était une vieille fille de mon âge, a priori sympa mais érotomaniaque.
Son but premier était donc de finir dans mon lit... MAIS POURQUOI CE GENRE DE TRUC N'ARRIVE QU'A MOI ????? Encore un projet contrarié !
"j'ai écrit mon premier billet pour la "feuille de choux" de l'IUT en 1970 " 😲👍🏼 Respects !
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