jeudi 28 octobre 2021

BEETHOVEN – Concerto pour piano N°2 (1795) – ARGERICH / OZAWA (Live 2017) – par Claude Toon


- Tiens Claude un concerto de Beethoven jamais commenté !? Il en reste ? Martha Argerich et Seiji Ozawa, M'sieur Pat va aimer…
- Surement Sonia ! Oui, le concerto n° 2 n'a pas encore eu les honneurs du blog, on se rattrape… Le N° 2 qui serait le 1 d'ailleurs…
- Comment ça Claude ? Beethoven ne marquait pas la date sur la partition à six carreaux de la marge, comme moi en primaire…
- Ah non ma belle, et puis sur une partition il y a des portées, pas des carreaux de type Jean-Alexandre Séyès …
- Et c'est si important cette numérotation ? Il y a matière à débat à l'académie ? hihihi...
- Très drôle ! Ces deux concertos sont contemporains et nous montrent comment Ludwig bascule pas à pas du classicisme vers le romantisme…  


Beethoven en 1795

Les spéculations sur le classement chronologique rigoureux des œuvres des grands compositeurs m'amusent toujours. Il y a des musicologues professionnels qui noircissent des pensums sur le sujet. La sonate N°3 de Patricij Lukášbouchačka (1787-1856) serait en fait la N°2, la N°2 étant la N°0 posthume du fait que… et blablabla ; cerise sur le gâteau : pas un mot sur l'intérêt de répondre à la question pour mieux partager l'esprit de la composition et l'apprécier en regard du contexte de création, à savoir ses liens avec les circonstances historiques voire politiques, les vicissitudes ou bonheurs de la vie sentimentale et professionnelle de l'auteur.

Doit-on s'en "f**e" éperdument des théories de sorbonnards à propos des catalogues ? Pas toujours. Premier exemple : Bruckner a composé 10 + 1 symphonies numérotées de 0 à 9 + une "d'étude" et les a modifiées tout au long de sa carrière pour tenter de conquérir un public frileux. La 3ème a ainsi connu environ 8 versions 😮; la 4ème une récriture complète du scherzo et du final ; la 8ème fut réorchestrée de fond en comble ! De nos jours, les fans du compositeur autrichien bénéficient grâce au disque d'une petite vingtaine de variantes très marquées de ces symphonies tant sur le plan mélodique qu'orchestral. Par contre, chipoter pour savoir si la symphonie N°43 "Mercure" de Haydn a été composée avant la N°44 "funèbre" serait absurde, si tant est que l'on dispose de l'information, à ce jour sans doute vers 1770/71. Les deux "bijoux" datent de la période "sturm und drung" (tempête et passion), courant préromantique qui passionne Joseph à l'époque. Elles échappent ainsi l'une et l'autre au statut de simple divertissement en pleine époque classique. 1770 : naissance de Beethoven.


Pour enfants de CM1-CM2
Imprime l'image et entoure :
l'orchestration du 1er concerto avec ton crayon bleu ;
l'orchestration du 2ème concerto avec ton crayon rouge.




Pourquoi ce préambule ? La problématique du "lequel composé en premier" existe pour les concertos N°1 & 2 de Beethoven. Information en passant, Ludwig n'a pas composé que les cinq concertos si connus mais sept !!! Il a existé un concerto noté WoO 4 écrit par l'adolescent entre 1784 et 1787. Le manuscrit d'orchestre est perdu et les tentatives de reconstruction sont hasardeuses. Quant au "6ème" opus 61b, il s'agit d'une transcription du concerto pour violon contemporain du 4ème pour piano (1806) et écrite vers 1808.

Question : le concerto N°2 est-il en fait le N°1 dans le genre ou inversement, la chronologie a-t-elle été respectée lors de l'établissement définitive du catalogue Opus ? Regardons les dates connues.

Concerto n°1 opus 15 : écriture pendant l'année 1795, première édition chez Mollo en 1801 et création en décembre 1795.

Concerto n°2 opus 19 : écriture pendant l'hiver 1794-1795 création en mars 1795 ; correction en 1798 et 1800. Publication à Leipzig en 1801 chez Hoffmeister.

Donc, le 2ème a été créé 8 mois avant le 1er !!! Bigre. Lequel des deux ouvrages a pu bénéficier de l'expérience acquise lors de l'écriture de son presque jumeau ? À l'écoute, il semble que l'opus 19 soit un peu moins maîtrisé que celui portant l'indice opus 15… Y aurait-il une inversion due aux dates des premières exécutions, uniquement un détail de calendrier ?

Scully et Mulder auraient dit "La vérité est ailleurs". Laissons tomber le jeu de piste temporel empli d'ambiguïtés à propos des rédactions, créations et éditions… 😊et examinons les deux orchestrations :

Beethoven au travail

Concerto n°1 opus 15 :  flûte, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 2 cors, 2 trompettes, timbales et cordes. Orchestre beethovénien typique utilisé ultérieurement dans les concertos et les symphonies (+ 3 trombones dans les N°5 et N°9mais avec deux flûtes… puis adopté par la plupart des symphonistes du romantisme au XIXème siècle. 

Concerto n°2 opus 19 : flûte, 2 hautbois, 2 bassons, 2 cors et cordes. Orchestre léger typiquement mozartien (18ème concerto par exemple ; dans les 22ème et 23ème, les clarinettes remplacent les hautbois mais toujours ni trompettes, ni timbales) …

On se résume : l'organisation du temps de travail de Ludwig van laisse à penser que les deux ouvrages ont vu le jour ensemble ou presque (fréquent chez le maître). Il est évident que dans le concerto dit N°2, le jeune compositeur pense encore à Mozart, recourt à une orchestration qui n'adopte pas encore cet effectif enrichi et "étalon" de la fin du classicisme et noté 2/2/2/2 – 2/2/(3), timbales et cordes. Par contre le concerto N°1 en dehors du fait qu'il sonne de manière plus altière - portant ainsi en lui une hauteur de vue teintée de romantisme - affiche une orchestration qui, depuis les symphonies londoniennes de Haydn, devient cette référence instrumentale romantique définitive avec la symphonie "héroïque" de Beethoven.

- Donc Claude, on en déduit que cette inversion de numérotation n'est pas une erreur disons… simplement éditoriale…
- Non Sonia ! Beethoven commence à se sentir à l'étroit dans le divertissement classique, les états d'âmes caractéristiques du romantisme commencent à titiller son inspiration… 


Le cycle des cinq concertos a été gravé par tous les virtuoses du clavier depuis l'invention du phonographe. Parfois plusieurs fois, sans compter des enregistrements isolés en live ou en studio. Au moins 200 à partir d'informations disséminées dans la toile. Inutile d'affirmer qu'il existerait la version inégalable… Elle n'existe pas !

D'où mon choix pour un disque hors des sentiers battus : la publication en 2020 par DECCA d'un concert capté au Japon. L'un des derniers concerts de Seiji Ozawa. Au piano Martha Argerich, la virtuose argentine ayant déjà souvent enregistré ce concerto, avec Claudio Abbado ou Guiseppe Sinopoli, deux disques parus chez DG.

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Concert d'octobre 2020

Martha Argerich et Seiji Ozawa ont déjà fait la une du blog. Nous pouvons écouter Martha dans un autre concerto de Beethoven, le N°3 accompagnée par Claudio Abbado. Une biographie de la pianiste fringante octogénaire est à lire dans une chronique dédiée à la Sonate de Franz Liszt, un ouvrage bien en accord avec son surnom "la lionne". (Clic)

Seiji Ozawa, grand chef nippon, est un "cumulard" côté chroniques 😊: Carl Orff, Francis Poulenc, Maurice Ravel, Bela Bartók, Serge Prokofiev. Un résumé de son parcours et de son immense carrière est à lire principalement dans les billets consacrés à Poulenc et à Bartók (Index).

Les mélomanes savent que le dynamique chef du symphonique de Boston pendant trente ans a fêté ses 86 ans en septembre. Il se battait depuis une dizaine d'années contre un cancer qu'il avait vaincu. Le concert écouté ce jour date d'octobre 2020 et est sans doute l'un des derniers qu'il ait dirigés. Depuis juillet 2021, le maestro si talentueux est atteint de la maladie d'Alzheimer… Cette maladie atroce n'a pas effacé la musique de sa tête. Il existe une courte vidéo récente où il dirige toujours très souriant un court passage de Johann Strauss, mais soutenu par Zubin Mehta pour éviter une chute, bouleversant et quel punch. (Clic)

L'orchestre de chambre Mito tient ce nom de la ville japonaise qui l'a vu naître en 1990 à l'initiative du maire Kazunobu Sagawa en partenariat avec le musicologue Hidekazu Yoshida

Seiji Ozawa acceptera d'assurer le coaching de l'ensemble : recrutement d'une trentaine de musiciens, concerts réguliers jusqu'en 2020… Le niveau de cet orchestre s'était envolé, on s'en doute.

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Piano forte Graf de Beethoven

1 - Allegro con brio (si bémol majeur) [V1] : L'allegro est de forme sonate avec laquelle Beethoven prend quelques libertés. Le 1er mouvement dure un quart d'heure, soit la moitié du temps total d'exécution du concerto (comme chez ceux de Mozart et dans ses propres concertos à venir). L'introduction orchestrale, assez longue, expose le premier bloc thématique lui-même composé de deux motifs. Le piano se fera attendre… L'orchestre nous défie allègrement dès la première mesure (plus un temps) : une suite pétillante de sept accords d'une altière prestance, en tutti. Ça jette ! Voici la signature typique du style introductif de Beethoven qui prend d'emblée à bras le corps son auditoire, un principe qui atteindra l'universalité dans la 5ème symphonie… PaPaPa Paaam. Les deux mesures suivantes prolongent avec sérénité cette invite. Mesures dans lesquelles s'imposent les premiers violons auxquelles répondent les bois. [0:17] Le premier thème mélodieux se développe aux cordes souligné par de discrets accords des vents. Le rapprochement avec un climat mozartien serait crédible. [0:30] Le motif secondaire plus allant se veut martial jusqu'à la reprise du thème initial [1:19]. On reproche parfois à ce concerto un manque d'originalité, mais qu'elle fraicheur, pas une note de trop dans cette effervescence juvénile ponctuée de pensées intimes.

[2:45] Le piano fait une entrée ludique dans l'aigu. Sa thématique espiègle s'insinue alternant martialité et facétie et trouve sous les doigts de Martha Argerich une incandescente légèreté. Le romantisme et ses affres ne sont pas encore de mise à l'époque dira-t-on ? Oui si on associe cette remarque à l'obligation d'évoquer un imaginaire, et non en savourant la joie de vivre d'un jeune compositeur pas encore frappé de surdité et d'autres maux, un avenir funeste qu'il n'appréhende pas encore.

[11:26] La rudesse de la cadence composée plus tardivement (vers 1801, soit six ans plus tard environ) surprend. La raison : une violence contenue contrastant avec la gaité primordiale du mouvement. Son introduction dans le grave à la main gauche nous fait pénétrer un climat plus âpre et échevelé dans lequel s'entrechoquent de robustes arpèges à la noirceur difficilement atténuée par des réminiscences guillerettes des principaux thèmes initiaux.


2 – Adagio (mi bémol majeur) [V2] : La forme du mouvement lent repose sur le principe thème et diverses variations. La thématique se veut onirique voire nocturne. La partie de piano comporte peu d'interruptions, tel un long rêve éveillé. Le piano a la part belle, Beethoven recourant à des touches colorées de l'harmonie. [6:48] Un passage un tantinet pathétique introduit une méditation du piano où les notes se font rares, suggérant l'extinction de l'illusion poétique et songeuse.

 

3 - Rondo-Molto (allegro en si bémol majeur) [V3] : Beethoven aurait écrit cette "plaisanterie" musicale dans la soirée précédent le concert dit-on ! Un rondo gaillard et lyrique, l'une de ses chorégraphies dont le bonhomme avait le secret. Le jeu percutant de Martha Argerich est jouissif.


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Ce disque reflète la complicité de deux artistes qui n'ont plus rien à prouver, clavier étincelant sous les mains de Martha Argerich, accompagnement pudique du chef nippon, maestro le plus anti hédoniste qui soit… Une référence ? Sans doute uniquement pour le duo Argerich - Ozawa. À noter qu'ils ont également gravé un autre concert avec le 1er concerto… Oui, Ok, j'aurais pu faire coup double, mais nous verrons ce concerto plus ambitieux plus tard ; à tout hasard, la pochette est proposée en prime en regard de la vidéo. Dire que L'orchestre de chambre Mito n'est pas la philharmonie de Vienne serait enfoncer une porte ouverte (écouter la phalange autrichienne dirigé par H.S. Isserstedt). La sonorité est un peu terne… Ouais, ouais… Mais comme la photo le montre, l'effectif est compatible avec celui dont disposait Beethoven à l'époque. La partie instrumentale reste encore modeste, les violoncelles et la ou les contrebasses jouent ensembles à la note près (tout comme dans le 1er concerto d'ailleurs et bien entendu dans ceux de Mozart). En résumé des disques points d'orgue exceptionnels de deux fins de carrières mythiques !


Hans Schmidt-Isserstedt 

Prétendre dresser une discographie alternative objective témoignerait d'un culot monstre. J'exclus les intégrales et enregistrements isolés célèbres à juste titre de Argerich (déjà), Gillels, Brendel (x fois), Kempf (n fois), etc. Des dizaines ! J'arrête, il y a des sites qui ont fait le recensement avant moi.

 

Trois propositions originales :

Il y a quelques semaines, nous avions visualisé le DVD d'un concert public à Vienne en 1962 comportant une interprétation remarquable du 4ème concerto de Beethoven sous les doigts de Wilhelm Backhaus accompagné par Hans Knappertsbusch.

Rebelote, mais en 1957 et dans une stéréo limpide où le chantre beethovénien du XXème siècle est accompagné ici par un immense chef spécialiste du romantisme, Hans Schmidt-Isserstedt (1900-1973) dirigeant lui aussi la Philharmonie de Vienne, un maestro un peu trop oublié à mon goût. Deux artistes qui pensent Beethoven, vivent Beethoven… L'équilibre instrumental est transcendantal, le jeu de Backhaus d'une sensibilité à fleur de peau, un kaléidoscope d'émotions, bref un joyau !!! Je n'ose pas le dire… "Et s'il ne fallait en garder qu'un". (DECCA – 6/6) (Deezer)


Leonard Bernstein & Glenn Gould
On joue ou on s'engueule...

Autre curiosité : Glenn Gould et Leonard Bernstein. Fin des années 1950, la Columbia réunit le pianiste iconoclaste canadien et le chef un soupçon hédoniste américain pour quelques gravures : un concerto de Bach, et les concertos 2 à 4 de Beethoven. La mésentente cordiale finira en pugilat lors d'un concert où l'on donne l'"Empereur" et ou Bernstein annoncera au public de vive voix qu'il est juste là pour faire le job étant en désaccord avec le soliste😅. (Comme les avocats commis d'office). Leonard Bernstein pense musique, Glenn Gould et son anti-legato pense solfège. 

Le 2ème concerto peu habité psychologiquement convient à merveille à Gould. Les émotions des compositeurs, Gould s'en fichait complètement, il préférait les siennes, à vrai dire un peu obscures (je vais me faire des potes 😊). Pourtant l'homme (Asperger ?) qui pianotait comme on "clavecine", met en avant l'incroyable architecture pianistique imaginée à la fin du siècle des lumières sur un piano-forte préhistorique. Ses arpèges sont des mécanismes de montres suisses. Les tempos sont vertigineux et Bernstein facétieux. Une curiosité. 

Après la gravure des concertos N°2, 3 et 4, la rupture entre les deux vedettes est consommée.

Columbia terminera l'intégrale en faisant appel à deux autres maestros Léopold Stokowski pour l'"Empereur" (un ratage : chacun pour soi et Beethoven pour tous) et Vladimir Golschmann, pour le N°1. Golschmann avait accompagné Gould dans les concertos de Bach, l'homme étant d'un tempérament conciliant et un spécialiste de musique contemporaine notamment du groupe des six par ses origines françaises …

 

Enfin toujours pour sortir des sentiers battus, un disque récent de 2019. Peu de temps avant de poser sa baguette à près de 90 ans, Bernard Haitink* accompagne en live Maria Joao Pires dans ce concerto . Encore un témoignage de belle facture de décennies de deux carrières. Les compléments sont originaux : le triple concerto et l'ouverture Leonore II. Après la tempête Gould - Bernstein La poésie beethovénienne… Un poil lent pour certains sans doute…

(*) En relisant ce papier, j'apprend ce matin le décès à 92 ans de Bernard Haitink. Nous sommes le 22 octobre, je vais rédiger un petit RIP pour demain samedi 23 octobre...



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