Pour les fans de plats typiques florentins, un chouette site(Clic)
MARDI : Pat Slade est un fan de
Jacques Higelin
qu'il a souvent honoré dans ce blog… Cette semaine, retour sur ce qui marqua
définitivement son virage rock en 1975, la publication de l'album "irradié" un an après "BBH75". Pat en devient rayonnant (α, β ou γ) selon l'intensité des titres.
L'artiste devenait autant militant que baladin ; citons Pat : le rock d’Higelin, c’est celui des
mots et d’un certain je-m’en-foutisme de la mélodie.
MERCREDI : Cool ! entre deux essais
transformés et quelques drops, Bruno a retrouvé son clavier pour publier son
billet hebdomadaire. Retour à l'aube de l'humanité (non ça c'est dans
2001 de Kubrick), du rock, cru 1970, avec un album du groupe
FREE
"Fire And Water". Son opinion :
il y a dans ces chansons une rare beauté, celle de la simplicité, de
l'évidence, de la spontanéité et de l'authenticité… Les quatre gars doivent bicher à lire ça même si séparés en 1973, y
compris les deux qui sont au paradis…
JEUDI : Claude a beaucoup parlé en 12
ans des la musique symphonique de
Tchaïkovski. Un seul billet pour la musique de chambre, son trio. Il faut dire que la
production chambriste du russe est maigre. Bref, le Toon nous a fait écouter
le
sextuor
de 1892 titré "Souvenir de Florence". Pas un carnet de voyage expressionniste à la Debussy (Iberia) mais une
œuvre fougueuse mêlant folk italien ou slave et pensées nostalgiques d'un
voyage heureux de 1874, rare moment de bonheur chez ce compositeur
introverti.
VENDREDI : Luc est parti à Hollywood négocier une adaptation de
l'histoire du Deblocnot. Nema M. assure une pige avec une chronique sur un
must d'Agatha Christiede 1937 dans une super traduction de 1950 de Louis Postif, "Témoin muet". Fête de Pâques chez la bourgeoise avec sa famille de rapaces. Libation
annulée car Madame est trouvée morte dans l'escalier. Une chute due à son
grand âge ? Hercule Poirot a des doutes… Style Cluedo et Humour british au
rendez-vous 😊. Mais qui ose dire qu'Agatha Christie est démodé ? Sacrilège !
👉 On se revoit mardi avec Peter Gabriel ; jeudi, du
jazz avec James Blood Ulmer ; vendredi :
Coup de chance, le Woody Allen de 2023… et bien sûr, mercredi, la
chronique surprise de Bruno…
Sonia rentre de chez madame Portillon. Elle était passée voir la
logeuse après avoir promené le chien du voisin, Boby, un adorable
scottish terrier gris. Elle lui lance une balle et aussitôt le chien la
rattrape et la lui rapporte. Sonia continue à jouer avec le chien quand
Nema l’arrête brusquement :
- Stop ! Un conseil : ne t’avise pas de faire ce jeu avec le chien dans
l’escalier qui monte chez madame Portillon !
- Mais, heu… Mais Boby aime bien jouer et madame Portillon aime bien
Boby, répond Sonia…
- Non, crois-moi, un scottish terrier plus une balle, c’est très
dangereux. Ça me rappelle un roman d’Agatha Christie "Témoin Muet".
Sonia hausse les épaules, prend Boby dans ses bras et sort de
l’appartement.
Agatha Christie vers 1930
Un roman d’Agatha Christie. Ça se lit encore ? Alors que de nombreuses adaptations au cinéma ou en
séries télévisées ont été faites à partir de l’œuvre de cette autrice
remarquable d’inventivité et de malignité, avec ses romans policiers si bien
élaborés, on aurait encore envie de lire ce genre de roman daté ? Et oui.
Cet été en faisant quelques rangements dans la maison de vacances familiale
je suis tombée sur une pile de romans, édités par le
Club des Masques dans les années 1970. Bon. Le papier n’étant
pas d’une qualité excellente, et le stockage dans le grenier loin d’être
parfait, ces livres offrent à ma vue des pages jaunies et à mon odorat une
délicate odeur de moisi. Qu’importe. Lovée dans un fauteuil Ikea, je déguste
"Témoin Muet" comme une petite madeleine, pardon, plutôt un "muffin", un peu rassis. A
noter qu’il s’agit de la traduction de 1950, ce qui apporte un petit
charme supplémentaire.
My name is Boby I'm grey scottish terrier
Donc nous voici en 1936. En Angleterre, vous vous en doutez. Très
précisément à
Market Basing, bourgade qui sera le cadre de plusieurs histoires policières de la chère
Agatha. Miss Arundell, une vieille dame d’un autre âge (comprenez de l’époque Victorienne 1837 –
1901) est la propriétaire de
Littlegreen, un grand cottage au somptueux jardin. Elle attend, pour les fêtes
de Pâques, sa famille. Il faut que
Miss Lawson, sa dame de compagnie, organise tout : les chambres qui seront attribuées
à telle ou telle personne, les menus etc.
Miss Arundell est très exigeante
et, soyons claire, sèche et autoritaire avec
Minnie Lawson qui paraît un peu
benête. Bien entendu, il y a des domestiques : une femme de chambre et une
cuisinière. Et pour le jardin, un jardinier. Bref un milieu aisé et
solidement installé dans cette campagne.
Charles et sa sœur
Thérésa, ainsi que Bella et son mari
le docteur Tanios viennent donc
passer trois jours chez leur tante.
Charles est un beau garçon,
hâbleur et désinvolte, horriblement dépensier et dénué de tout scrupule.
Thérésa est une jolie jeune
femme élégante, très coquette, aimant le luxe et paradoxalement fiancée à un
jeune docteur pauvre, très prometteur,
Rex Donaldson, mais très taciturne et obnubilé par la recherche vaccinale. La mère de
ces deux-là a été dans le passé accusée de crime. Bonjour l’ambiance.
Quant à Bella, elle suit son mari comme un toutou, imite sa cousine
Thérésa comme une ombre (mais à
bon marché car elle n’a pas les moyens de se payer des robes de haute
couture) et se trouve toute désemparée en l’absence de ses enfants. Le
docteur Tanios est grec, donc
étranger, et il y a un peu de distance avec cet homme, au demeurant très
affable et sympathique, mais dont la peau est de couleur bistre.
D’autres personnages, bien entendu, gravitent autour de
Miss Arundell comme par exemple
deux sœurs adeptes de spiritisme très copines avec
Minnie Lawson. Mais la vieille Miss, si elle est d’accord pour essayer de temps en temps
le dialogue avec l’au-delà, n'y croit vraiment. Le bon
docteur Grainger suit
Miss Arundell depuis si
longtemps qu’ils sont amis. Il lui prescrit des pilules pour son foie. Et il
autorise des remèdes anodins recommandés par
Miss Lawson et ses deux
complices en spiritisme.
English cottage for sale around 1930
Une lettre parvient à
Hercule Poirot. Le 28 juin. Il la relit deux fois à la grande surprise de son ami le
capitaine Hastings, venu rendre au détective. En général,
Hercule Poirot classe
verticalement la plupart des courriers reçus. Qu’est-ce qui a attiré
l’attention du cher Hercule aux
grandes baccantes ? La date de rédaction de la lettre est le 11 avril. Cela
semble curieux alors que dans le texte, Emily Arundell
demande une prompte réponse.
Hercule Poirot décide donc
d’aller avec Hastings à
Market Basing
et de rencontrer Miss Arundell.
Curieusement, arrivés devant
Littlegreen, les deux compères découvrent que la propriété est à vendre. En fait,
Miss Arundell est morte. Bon.
Cela arrive à bon nombre de personnes âgées, et finalement à toutes. Mais
voilà, toutes n’écrivent pas à un détective privé quelques jours avant leur
mort. La lettre est très embrouillée.
Poirot use de multiples
subterfuges pour entrer en relation avec les uns et les autres. Le testament
avait été changé peu de jours avant le décès.
Il y a Boby le chien de
Miss Arundell qui adore faire
rouler sa balle jusqu’en bas de l’escalier. Or
Miss Arundell a fait une
mauvaise chute dans cet escalier pendant que sa famille était là.
Coïncidence ou pas ? Elle meurt peu de temps après mais pas du tout des
suites de cette chute. De mort naturelle ou pas ? Et
Poirot bavarde avec les uns et
avec les autres. Et
Hastings s’interroge, pour lui
il n’y a rien qui fasse penser à un meurtre.
Mais Poirot ayant un doute,
petit à petit des éléments vont venir dessiner une ambiance de plus en plus
trouble : d’abord tous les neveux et nièces ont besoin d’argent, ensuite il
y a le récit d’une vision d’une broche sur une robe de femme à genou dans
l’escalier dans un miroir, justement le soir de l’accident dans cet
escalier, et puis le récit d’un halo lumineux autour de la tête de
Miss Arundell lors d’une séance
de spiritisme peu de temps avant sa mort. Comme tout cela est étrange. On
est en fait tenu en haleine jusqu’aux dernières pages. Tout comme
Hastings qui ne trouve pas
l’assassin alors qu’il assiste à toutes les rencontres de
Poirot avec les différents
protagonistes.
Petite incursion dans les années 1930, quand les meubles de bois massif
sentaient bon l’encaustique, quand les pharmaciens élaboraient les
prescriptions dans leurs officines, quand pour un film au cinéma il y avait
le changement de bobine. Accessoirement, certains passages m’ont fait penser
à la série Downton Abbey, car la description des tenues et le langage des domestiques, le respect
de la hiérarchie entre la demoiselle de compagnie et la cuisinière par
exemple, sont typiquement anglais et habilement repris dans la série ou dans
les films de ce monument so british de
Julian Fellows.
Pour un retour aux sources du polar type Cluedo, bonne lecture !
Librairie des Champs-Elysées, Club des Masques
253 pages
La traduction de cette édition devenue collector est de
Louis Postif (1887-1942), un polyglotte qui traduisit les
œuvres d'Agatha Christie entre 1930 et 1940. L'éditeur le
masque a fait retraduire par la suite et d'après Nema, ce n'était
forcément en bien… Ajoutons qu'il traduisit aussi
Jacques London et pour les anciens comme Le Toon, des
publications pour ados de la "bibliothèque verte".
Autre chronique consacrée à Agatha Christie, de la plume d'Elodie en 2010 : "Le Noëls d'Hercule Poirot" (Clic).
- Tiens de la musique de chambre de Tchaïkovski, Claude !! Je parcours
l'index et, pour seize chroniques, une seule dédiée à un trio et quinze
à de la musique orchestrale… La production de maître russe en dehors de
l'orchestre serait-elle médiocre, expliquant ainsi avoir reporté si
longtemps un second billet à propos des pièces chambristes (j'cause
bien) ?
- Non pas du tout, mais elle est moins au centre de la création du
compositeur russe que chez Brahms ou Schubert par exemple. Il faut
admettre que sa célébrité repose sur ses ballets et ses symphonies, donc
de la musique symphonique souvent opulente…
- Tchaïkovski a-t-il séjourné en Italie et donc écrit ce sextuor à la
manière d'un carnet de voyage ?
- Oui et non, le succès venu il voyagera vers 1880 en Europe, mais le
sextuor ne reflète guère la joie de vivre italienne chez cet homme
mélancolique…
- Voici un troisième papier avec le quatuor Emerson et deux comparses
pour faire six, hihihi ; une formation yankee que tu aimes à
l'évidence…
- Oui, j'avoue apprécier leurs peps, mais il existe d'autres disques
passionnants et l'ouvrage a été transcrit pour orchestre à cordes… Ce
quatuor fera ses adieux mi octobre…
Tchaïkovski en 1892 (Cliché Carnegie Hall)
XXX
Que penser de la remarque pertinente de Sonia estimant a priori pour le
moins déséquilibré le choix des commentaires consacrés à
Tchaïkovski
depuis douze ans. Les ouvrages orchestraux dominent :
les
six
symphonies
(sauf la
3ème
qui me laisse de marbre pour des raisons personnelles donc discutables en
rapport avec la pauvreté mélodique,
Karajan ou d'autres n'y font rien…) et la symphonie
Manfred, les
concertos, pour
violon
et le
1er
pour
piano, deux hits du répertoire, les grandes
ouvertures fantaisies
qui peuvent revendiquer le statut de poème symphonique d'après Shakespeare
et quelques bricoles dont l'inénarrable et braillarde
ouverture de 1812
! Le billet sur l'interprétation cultissime du
Trio
par
Rubinstein,
Heifetz
et
Piatigorsky, grâce à une sensibilité pathétique à faire pleurer les menhirs, reste une
exception.
Il faut mentionner que pour nombre de mélomanes, Tchaïkovski évoque surtout la symphonie pathétique, des ballets
à l'écriture et à l'orchestration éblouissantes, et le premier concerto pour pianoet celui pour
violon… Et pourtant, si Tchaïkovski
occupe une place essentielle dans l'univers orchestral romantique de la
seconde moitié du XIXème siècle, n'oublions pas que l'homme a composé cent cinquante mélodies et une centaine de Pièces pour piano
peu jouées. Ah j'oubliais onzeopéras dont deux majeurs : Eugène Onéguine et La Dame dePique, les scènes lyriques les programment rarement, mais certains bénéficient d'enregistrements,
mais là encore l'orchestre mène le jeu dans l'art lyrique.
- Hihi et dans les ballets, il mène la danse…
- Excellente Sonia…
Et oui Sonia, côté musique de chambre, la moisson est plus maigre : quatre
quatuors
dont le 1er n'est qu'anecdotique, le beau
Trio, le
Sextuor
écouté ce jour et un
Duo
violon et piano, fort court, peu connu, et titré
Souvenir d'un lieu cher.
On trouve fréquemment réunis sur un double CD les trois quatuors de la
maturité et le sextuor. Pour l'enregistrement, les artistes du quatuor font
appel à un altiste et à un violoncelliste supplémentaires en toute
complicité.
Pour cet album simple, ultime gravure de cette œuvre par les Emerson, Sony a eu la riche idée de compléter le programme par le poignantSextuor d'Arnold Schoenberg,
La nuit transfigurée.
(Clic)Pour écouter cette interprétation complétant l'album
(YouTube).
~~~~~~~~~~~~~~~~
Florence en 1880
Il serait absurde de commenter un sextuor à cordes comme on furèterait dans
un dépliant touristique "musical", et cela du fait de l'ambiguïté du titre,
d'imaginer chaque thématique comme ayant une fonction descriptive d'une des
merveilles artistiques ou architecturales de Florence : la
coupole en terre cuite de
Brunelleschi coiffant la cathédrale ou le
campanile de Giotto, les chefs
d'œuvres protégés par les murs des galeries, celle des offices ou de
l'académie ; oui, vous pensez à la
Naissance de Venus de
Botticelli ou le David de
Michel-Ange… Une telle musique descriptive, expressionniste ou
impressionniste, nous viendra d'Ottorino Respighi
qui suivit les cours de composition et d'orchestration de
Rimski-Korsakov
à Saint-Pétersbourg, mais bien après la mort de
Tchaïkovski.
Rimski-Korsakov
fut l'un des fondateurs du groupe des cinq réunissant
AlexandreBorodine,
CésarCui,
MiliBalakirev,
ModesteMoussorgski, tous ayant le point commun d'exercer un autre métier en parallèle :
chimiste, ingénieur ou officier.
Tchaïkovski, lui, ne se passionnait que pour la musique. Étant plus âgé, il sera l'un
des professeurs de ce groupe. Les cinq rêvaient de modernité, d'une musique
typiquement slave et n'aimait guère le style de leur maître formé à la mode
occidentale. Ce dernier, bien que peu reconnu encore dans son pays, enseignera à cette "nouvelle vague" dans les années 1868-1871. En résumé, les cinq jeunes hommes le respectent, sans plus… Rimski-Korsakov
sera néanmoins fasciné par la 2ème symphonie "petite Russie" de son ancien maître en 1873, œuvre riche en thèmes populaires russes, un virage
stylistique chez Tchaïkovski qui séduira cette jeune génération de compositeurs…
Tour de palazzo vecchio
Cass Gilbert - aquarelle - 1880
Souvenir de Florence
marque la fin de la carrière de
Tchaïkovski
dans l'univers chambriste. 1890 ; il ne lui reste qu'à peine trois
ans à vivre… choléra ? suicide contraint par un tribunal d'honneur constitué
d'officiers révulsés par son homosexualité clairement affichée et,
circonstance aggravante, sa relation avec un jeune cadet ? Une mort à la
Socrate ? Plus d'un siècle après le
mystère du flacon d'arsenic et des
circonstances de sa mort demeurent.
Le répertoire pour sextuor confrontant
deux violons, deux altos et deux violoncelles reste encore modeste à
l'époque, mais aucunement médiocre ; au top : les six de
Boccherini
(1776), un de
Louis Spohr
(1847), les deux ouvrages ambitieux de
Brahms
(1858/1866 -
Index) qui inspireront
Dvořák
dans sa jeunesse (1878). Étrangement, depuis le début du XXème
siècle, le genre motive maints compositeurs, le catalogue se révèle
désormais pléthorique…
Souvenir de Florence, l'une de ses dernières œuvres d'envergure – avec le ballet
Casse-Noisette, et la
Symphonie N°6"pathétique" de 1893 - est destiné à remercier la
Société de musique de chambre de Saint-Pétersbourg
suite à la nomination de
Tchaïkovski
comme membre honoraire. Six musiciens de cette société créeront le sextuor
en novembre 1890. Une version remaniée sera proposée, jouée à Paris
et éditée en 1892.
La visite de Florence est déjà lointaine, en 1874 semble-t-il.
L'hypersensible et angoissé
Tchaïkovski
ne recourt que furtivement, dans les premier et second mouvements à du
matériel thématique inspiré de la joie de vivre italienne. L'écoute complète
suggère l'écriture d'une partition oscillant entre son intérêt pour le
folklore coloré de la péninsule et ses éternels tourments existentiels si
présents dans les trois dernières symphonies. Inutile d'attendre une
citation de la chanson si populaire
Funiculì funiculà (1880) comme dans
Aus Italian
de
Richard Strauss, symphonie très secondaire du maître bavarois, il faut bien le dire…
Difficile donc de dépeindre un climat global prééminent dans
Souvenir de Florence. En aucun cas il ne s'agit d'une œuvre descriptive ni même expressionniste
à la manière d'un
Debussy
(Iberia
par exemple). Le musicologue anglais, Anthony Holden évoque plutôt
une parabole introspective trouvant ses racines chez les poètes romantiques
; et cite même
Á la recherche du temps perdu de
Proust. Mélancolie et rage se lient dans une ambiance élégiaque
ambiguë, nettement moins mortifère que dans le si dramatique adagio achevant
la
6ème symphonie
dite "pathétique", sous-titre posthume hérité de ce final glaçant.
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Eugene Drucker, Philippe Setzer Paul Watkins, Lawrence
Dutton
Paul Neubauer - Colin Carr
Sélectionner une interprétation objet d'une chronique répond à divers
critères : avoir séduit les critiques et les mélomanes discophiles, être
disponible sur le marché à tout hasard et avoir donné lieu à la création
d'une vidéo YouTube pour permettre une écoute sur laquelle s'appuie une
analyse pas trop ésotérique, à vocation plus passionnée que pédagogique.
J'avoue tenir compte des discographies comparées de la presse, mais sans
plus… En résumé il faut que la version "me botte !" pour stimuler ma prose
enthousiaste. Je n'écrirai jamais sur une œuvre qui me laisse de marbre
subjectivement et mon but n'est pas de flinguer un artiste ou un ensemble
qui ne m'inspire guère, à tort ou à raison 😊. À qualité interprétative
égale, je choisis la meilleure prise de son.
Donc aujourd'hui dans une discographie plutôt riche : Le
Quatuor Emerson
auquel se sont joints
Paul Neubauer
au second alto et
Colin Carr
au second violoncelle…
Pour faire écho au commentaire de Sonia… troisième chronique dédiée au
quatuor américain dont l'énergie séduit fréquemment mon ouïe, mon
logiciel, mon ADN, mon algorithme…
- Heu… tu te lances en politique Claude ?
- Non Sonia, je brocarde juste cette rhétorique politicienne récente
et imbécile nourrie à coup d'abus sémantiques et qui me hérisse le
poil… ou me fait poiler suivant mon humeur…
Bref, rendez-vous pour lire une bio de cet ensemble en 2016 pour
le
quatuor N°8
de
Chostakovitch
et en 2017 pour le
quatuor N°13
"Rosamunde" de
Schubert…
(Clic)
&
(Clic). Juste une information récente, l'ensemble créé en 1976 donnera
son dernier concert le 22 octobre 2023 ; les quatre instrumentistes
actuels souhaitent achever un demi-siècle de concerts et d'enregistrements
pour assumer des fonctions pédagogiques. C'est souvent le cas l'âge venu…
La gravure du jour date de 2013 et réunit donc
Eugene Drucker
et
Philippe Setzer, violon,
Lawrence Dutton, alto et
Paul Watkins, violoncelle. L'ultime casting.
~~~~~~~~~~~~~~~~
Rue de Florence - aquarelle Cass Gilbert - 1880
Le sextuor comporte quatre mouvements, la playlist comprend quatre
séquences
(Partition)
1 - Allegro con spirito (ré mineur)
: Le vigoureux allegro initial se structure autour de la forme sonate
habituelle… en apparence.
Tchaïkovski
crée le suspens en contournant habilement l'académisme ABAB… etc. L'étude de
la partition laisse dubitatif bien des musicologues. Forme sonate oui, mais
à partir d'une thématique qui certes facilite l'écoute par sa cohérence tout
en apparaissant subtilement fantasque. L'introduction tempétueuse se veut
concertante, le violon solo chantant une mélodie énergique rythmée de-ci
de-là par un motif vif-argent de six croches. Les cinq autres instruments
accompagnent tel un petit orchestre ce violon vaillant à l'image d'un
chanteur de rue florentin amateur de sérénade et de bel canto… Rare
réminiscence du style populaire italien pensera-t-on. Un motif secondaire
précède la reprise à [0:37].
Tchaïkovski
syncope la reprise ! le second thème s'impose brutalement : un discours plus
lyrique noté tranquillo. [0:49] Est-ce le second motif ou le vrai thème principal ? Une troisième idée en
la majeur se développe à partir de [1:22]. Qui dit tonalité majeure dit
enthousiasme et poésie. Les lignes mélodiques s'entrecroisent brillamment.
Donc, troisième ou second thème, les deux premiers n'en formant qu'un ?
Avais-je tort d'écrire "forme sonate… en apparence"… La composition s'avère fort originale et complexe à décrypter, tournant
le dos aux usages, mais sans sophistication pour satisfaire une quelconque
théorie musicale expérimentale. Le développement se nourrira de ces
matériaux mélodiques opposés : endiablés ou nostalgiques. La coda impétueuse rappelle le début un peu fou du Quintette opus 111 de Brahms.
2 - Adagio cantabile e con moto (ré majeur)
: Nous sommes face de nouveau à une structure sonate atypique : deux groupes
thématiques encadrent un interlude. Une introduction indépendante d'une
dizaine de mesures, une complainte élégiaque, précède l'énoncé du thème
principal. [0:38] Le violon solo chante (le violoncelle intervient plus tard
et en duo) une mélopée soutenue par les pizzicati des cinq cordes, mélopée
qui se développe amplement avec langueur, indécise sur le plan thématique.
Nous parlons ici d'une rêverie teintée de sensualité et émaillée de
changements de climat d'une surprenante inventivité dans un ouvrage a priori
postromantique. [4:11] Cet enchantement s'achève sur une récapitulation de
la mélodie énoncée au violon à laquelle répond l'obsédant soutien en
pizzicati.
Florence : Via Calimala Telemaco Signorini (1889)
[4:42] Voici un bien étrange interlude. Est-ce une confession de ses
éternelles angoisses au sein du mouvement a priori abstrait ? Un prélude
fait entendre un passage grelotant et angoissé, en tutti.
Tchaïkovski obtient cet effet de frissonnement grâce à un procédé d'écriture
pour le moins inattendu. Il supprime tout legato et impose des sauts
de nuance à chaque note 😦, en alternance, par exemple :
mf pp mf pp mf ppp etc. exigeant ainsi des musiciens une discipline
infernale dans le contrôle desdites nuances.
[5:37] Une nouvelle méditation des violoncelles accompagnés par une
scansion de pizzicati du violon II et des altos I & II assure une
harmonieuse symétrie en se faisant l'écho du long premier passage et
offrant un équilibre d'exception à cet adagio, initialement noté andante
et à la structure sonate très libre.
[7:35] Les pizzicati s'éteignent un temps pour laisser les six
instruments dialoguer de manière à la fois contemplative et véhémente. Cet
adagio serait le plus attendrissant mouvement lent écrit de la main du
compositeur d'après divers commentateurs. J'ajouterai que la surabondance
des pizzicati pourrait témoigner d'une volonté d'introduire dans l'œuvre des sonorités proches de celles d'une mandoline italienne, à
la Boccherini… Ou, quand le Folk italien rencontre le folk russe…
3 - Allegretto moderato (la mineur)
: Nous attendons un scherzo en guise de troisième mouvement mais là encore
la forme symétrique usuelle, rigoureuse, n'est pas au rendez-vous d'où le
simple titre allegro. La thématique accuse son essence slave, on pensera
même à
Dvořák. Le premier motif est tristounet pour un intermezzo. Le Tchaïkovski songeur et mélancolique n'est décidément jamais loin. [0:32] le
thème "officiel" d'une forme scherzo est allant et dansant, bien
charpenté, proclamé pourrait-on dire par l'alto reconnaissable à son
timbre taciturne. [1:24] Reprise pour satisfaire au mieux les règles
formelles imposées d'un scherzo. [2:50] Une brève variation en pizzicati
assure l'enchaînement vers ce que l'on appellera par habitude un trio au
ton contrastant avec la nostalgie précédente, car très chorégraphique.
Tchaïkovski retrouve sa Russie, ses danses et chants villageois au style si
slave. [4:08] Reprise logique du thème introductif. Une coda fantasque
clôt par des jeux de pizzicati assez jouissifs ce scherzo qui cache son
nom.
4 - Allegro vivace (ré mineur)
:
Tchaïkovski était-il résolument "gêné aux entournures" par la forme sonate
authentique ? Le final adopte certes la forme mais s'achève par une fugue
à six voix déchaînée, un exercice éreintant pour des musiciens ayant déjà
joué sans pause trente minutes de musique. Un premier thème entraînant et
chaloupé lance les "hostilités". [2:50] Après une reprise, le second thème
alterne un motif déhanché et l'évocation d'une danse rustique… Le
mouvement se développe avec fantaisie et détermination. Difficile de
parler de nostalgie à l'écoute de cette échauffourée instrumentale bon
enfant pleine de fantaisie et d'ironie. Soyons objectif, ce morceau
conclusif est cependant très répétitif, voire à la limite de la monotonie,
mais bougrement enlevé 😊.
Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que
conseillée.
Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la
musique…
En complément, la gravure légendaire du Quatuor Borodine, Genrik Talalyan et Mstislav Rostropovitch.
~~~~~~~~~~~~~~~~
La discographie n'encombre pas le catalogue. C'est dommage.
L'interprétation du
quatuor Emerson
possède une grande qualité de dynamisme, on ne s'ennuie jamais. On pourra
lui trouver un caractère un peu abrupt et par moment un manque de
souplesse dans les nuances. Ne chipotons pas dirait Pat Slade (SONY
– 5/6).
Bien qu'ayant une aversion pour le mot et le concept élitiste
sous-jacent, j'utiliserai néanmoins l'épithète "référence" pour la gravure de 1974 du
Quatuor Borodine
accompagné de
Genrik Talalyan
à l'alto II et de Mstislav Rostropovitch
au violoncelle II. La force vitale et la précision du discours sont sans
égales. Une version qui passionne. L'interlude et ses redoutables sauts de
nuances semble couler de sources pour les six virtuoses. Les tempos sont
idéaux, y compris dans le vivace final qui, souvent confus, retrouve ici
poésie et clarté (CHANDOS - 6/6). L'album propose aussi les
trois quatuors
; un plus !
L'œuvre connaît des versions modernes produites par des labels plus
confidentiels. J'en recommande deux qui m'ont enchanté : celle du
David Oistrakh Quartet
qui se prolonge elle-aussi par
La nuit transfigurée
de
Schoenberg
(Praga – 2022 – 5/6) et une intégrale du jeune
Quatuor Danel
avec en complément les
trois quatuors
(CPO – 2019 – 5/6). Les
Danel
et leurs compères ne concurrencent pas les
Borodine
mais du sang neuf est le bienvenu dans ce répertoire peu fréquenté face à
une pléthore d'enregistrements des
symphonies
souvent dispensable face à la légende
Mravinsky.
Le sextuor a été transcrit pour orchestre à cordes… Comme expliqué plus
haut je n'aime pas le genre ampoulé et liquoreux de ces arrangements
même par des grands chefs 😅… Aller, pour les fans de cordes,
I Musici de Montréal sauve la mise grâce à son chef Yuli Turovsky.
Free est l'un de ces groupes connus de
la masse généralement pour une seule de leurs chansons : le
méga-tube interplanétaire, « All Right Now ». L'arbre
qui cache la forêt ? Bien plus que ça. Et encore, lorsque ce
superbe et intemporel titre signifie encore quelque chose aux
esgourdes. Anecdote : il y a des années, - quand j'étais
encore jeune, beau et séduisant -, en faisant écouter cette pièce
emblématique à un ami, il s’esclaffe, le trouvant excellent mais, hilare, déplore qu'on plagie
aussi honteusement AC/DC. No comment. Bien sûr, Airburne n'avait pas
encore graver quoi que ce soit. Bien souvent aussi, les gens connaissent la chanson (entre les reprises - même Christina Aguilera l'a reprise- et les nombreuses insertions dans films et séries) sans avoir la moindre idée du groupe, ni même de son âge (plus d'un demi-siècle ! Crénom !). Et donc, de cet album, "Fire And Water", celui qui porte en son sein ce monument, et qui est parfois quasiment la seule pièce retenu ; voire avec la chanson éponyme. Pourtant, il s'agit bien d'un écrin accueillant divers joyaux. Seulement sept pièces, mais uniquement des bijoux.
Le label, Island Records, conscient du
fort potentiel de "All Right Now", l'avait judicieusement sorti en 45 tours un peu plus
d'un mois avant l'album complet. Durant plusieurs semaines, il caracole en tête de nombreux charts de la planète
(France incluse), boostant immanquablement les ventes de l'album. Ainsi, « Fire and Water », en dépit de critiques parfois mitigées (d'hier et d'aujourd'hui), devient à jamais la meilleure réussite commerciale de Free.
Ce troisième essai n'est pas à proprement parler un disque de hard-rock, ou de
hard-blues, comme pourrait le faire supposer les deux titres le cernant - l'éponyme en ouverture et « All
Right Now » en clôture - . Ces deux
chansons, parmi les plus célèbres du groupe, ne sont guère
représentatives de l'album, car l'essentiel se blottit plutôt dans les bras de sombres ballades, de chansons au spleen
si profond qu'elles pourraient donner le cafard aux auditeurs les plus guillerets. Oui, ces chansons parlent d'amour déçu, perdu, ou contrarié, exhalent quelque chose de moite, de profondément triste (à croire que tout a été écrit pendant de longues et mornes journées hivernales et pluvieuses). Blessures de l'âme.
Pourtant rien de rédhibitoire, car il
y a dans ces chansons une rare beauté. Celle de la simplicité, de
l'évidence, de la spontanéité et de l'authenticité. Alors que quasiment tous les groupes de blancs-becs qui se sont forgés en imitant - ou singeant - les artistes de Blues, ont tendance à durcir leur son, à envoyer les watts et saturer leurs amplis, à beugler comme des enragés dans un micro et parfois surjouer, Free s'obstine dans le dépouillement et la retenue, les tempi lents et mesurés ; comme si chaque note avait une importance cruciale, qu'il convenait d'apprécier, comme s'il fallait s'en délecter, comme si chacune était la dernière. Le silence est autant un élément musical que la note. Et la note elle-même vit, résonne à satiété. Tant de simplicité et de profondeur. Même la guitare de Paul Kossof reste dans les clous, ne s'autorisant ni dérapage ni accélération. En comparaison, il ferait passer BB King ou Albert King (deux de ses influences prégnantes) pour des shredders.
Une pureté des lignes et du son. Kossof et Fraser ne s'embarrassent ici d'aucun effet. Branchés directement dans leurs amplis, ils modulent leur timbre en nuançant leur attaque et en jouant des potentiomètres de leur instrument, procurant ainsi une atmosphère relativement "roots" (il y a un monde entre cette galette et les surproductions dont nous assaillent les majors depuis des lustres). Une "austérité" qui renforce la profondeur et la solidité du disque.
Minimaliste, cet album l'est. Et plus encore les ballades. A commencer par « Oh I Wept » qui reflète la profonde tristesse d'un amour déchu – déçu -,
engourdissant le corps autant que l'esprit, ternissant et obscurcissant les journées ensoleillées. Toutefois, il faut se relever, chercher la lumière en laissant tout derrière soi pour un
nouveau départ. « … Difficile à vivre, difficile à
soigner. Mais je m'en fiche. Rien à faire si mes yeux me font mal.
Maintenant, j'ai tout laissé derrière moi...». Ici,
l'orchestration est sur la pointe des pieds, comme pour respecter le
malaise du malheureux. "Heavy Load", sur des notes de piano rigides, pesantes et basiques, quasi autistes (jouées par Andy Fraser) referme la première face sur une douce atmosphère - mais limite oppressante... le poids des regrets... La sensation d'un visage collé aux carreaux d'une fenêtre saturée d'une froide condensation, le regard perdu, hypnotisé par les gouttes de pluies s'écrasant contre la vitre. Et puis le joyau de la seconde face (juste avant "All Right Now"), « Don't Say to Love Me », superbe love-song aux intonations Soul, lorgnant du côté d'Otis Redding (idole de Rodgers).
« Remember », avec sa construction coincée entre un boogie ostensiblement ralenti et un slow-blues enjoué, est plus lumineux. Bien que le conteur demeure enfermé dans son humeur d'amoureux délaissé, plutôt que de s’apitoyer sur son sort (qu'il a peut-être mérité), il préfère se remémorer les instants de bonheur simple. Souvenirs heureux revenant au rythme de claquements de mains résonnant comme un métronome dans une chapelle - comme une teinte pastel de gospel.
Bien sûr, il serait inconvenant de ne pas glisser un mot sur "Mr Big", au risque de s'attirer les foudres des bassistes. Morceau de référence pour les amateurs de quatre-cordes. Même si Andy Fraser n'est pas Entwistle ou Bogert, pendant longtemps ce morceau aux allures de jam maîtrisé, avait les faveurs des bassistes. Notamment parce que le le bambin du groupe, Andy (17 ans ! Et déjà une certaine réputation), avec tact et élégance, sans esbrouffe, émancipe la basse de son rôle purement rythmique. En hommage, Billy Sheehan (le bassiste jouant du tapping sur sa basse - Talas, David Lee Roth, Mr Big, Niacin, Wynery Dogs) reprit le titre de cette chanson emblématique pour baptiser "son" supergroupe.
Et bien sûr, l'hymne absolu du heavy-rock, chef-d'œuvre monumental illuminant l'imposant panthéon du Rock. "All Right Now " est un coup de génie avec notamment ce riff magnifique qui fait encore école, toujours cité parmi les meilleurs. Si bien souvent, c'est le super riff de cette chanson qui focalise l'attention, elle n'en demeure pas moins la somme d'un tout. Parfaite cohésion d'un groupe solidaire. A commencer par la frappe de Simon Kirke, qui donne une pulsation presque cardiaque au morceau (plus flagrant en live où il semble alors cogner de toutes ses forces); puis il y a la basse qui tempère le propos quasi martial par des lignes plus sémillantes ; et puis, bien sûr, cette chaleureuse voix gorgée de Soul qui, en Angleterre, intimide et ravit les plus grands (Blackmore et Page en sont fans, le dernier réalisant un vieux rêve en fondant au milieu des années 80 un groupe avec lui).
La vieille querelle de savoir lequel des albums de Free serait le meilleur, a toujours cours. Controverse futile car tous les albums de Free sont incontournables - à l'exception du premier "Ton of Sobs", car encore hésitant -, et donc réduire ce formidable groupe à un disque, ou pire, une chanson, relève de l'hérésie.
Side one
"Fire and Water" – 3:57 - (A. Fraser / P. Rodgers)
"Oh I Wept" – 4:26 - (Rodgers, Paul Kossoff)
"Remember" – 4:23 - (A. Fraser / P. Rodgers)
"Heavy Load" – 5:19 - (A. Fraser / P. Rodgers)
Side two
"Mr. Big" – 5:55 - (Fraser, Rodgers, Simon Kirke, Kossoff)
"Don't Say You Love Me" – 6:01 - (A. Fraser / P. Rodgers)