Je pensais connaître (présomptueux) le concerto pour violon de
      Berg. Merci à Isabelle Faust et Claudio Abbado pour cette
      relecture moderne d'une œuvre essentielle du XXème siècle. Une
      interprétation limpide qui va permettre, je l'espère, à ceux qui trouvent
      hermétique cette musique de découvrir les sonorités féeriques et le
      mystère de ce chef-d'œuvre (il n'est pas si hermétique si l'on se laisse
      porter sans résister par la vague des notes). Quant à ceux déjà conquis,
      ils devraient aimer encore plus ce chant concertant "à la mémoire d'un ange" (j'en suis).
    
  Le couplage avec un concerto "du grand répertoire", celui de
      Beethoven, devrait favoriser le rapprochement des deux univers musicaux dans
      l'esprit des mélomanes.
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| Manon Gropius | 
   Ludwig van Beethoven & Alban Berg
  Je ne présente plus
      Ludwig van Beethoven déjà
      rencontré dans le Deblocnot' au détour de son 5ème concerto
      pour piano "Empereur" (clic) et de sa
      5ème Symphonie
      "Pam Pam Pam Paaam" (re-clic)…
  Le compositeur Alban Berg, membre de l'école de Vienne, avait traversé l'article consacré au
      concerto pour violon de Schoenberg interprété par
      Hilary Hahn (re-re-clic).
  Alban Berg
      naît en 1885 à Vienne dans une famille aisée. À 15 ans, le
      jeune homme passionné de littérature commence à se tourner vers la musique
      en pur autodidacte. Une exception parmi tous les compositeurs rencontrés à
      ce jour. Il fait la connaissance d'Arnold Schoenberg en
      1904 : sa vie va être transformée par la rencontre du
      dodécaphonisme, même si son admiration va à Mahler et à Wagner. S'il
      apprécie les recherches chromatiques de ce dernier, il est horrifié par
      l'académisme mondain qui entoure le pèlerinage annuel à Bayreuth.
      Berg est un humaniste qui se passionne pour la révolution sociale de
      l'époque. Anton Webern sera le troisième complice de l'école de Vienne qui
      se dédie à l'exploration de cet univers à 12 sons organisés en série, le
      sérialisme. (Clic).
  Berg compose beaucoup pour la voix et notamment deux opéras qui vont
      marquer le XXème siècle :
      Wozzeck, l'histoire tragique d'un soldat, (créé par Erich Kleiber en
      1925), et Lulu, la destinée poignante d'une prostituée. L'opéra totalement
      dodécaphonique mais inachevé sera créé en 1937 et taxé
      immédiatement d'art dégénéré par les nazis.
  Riche héritier, le compositeur va se consacrer entièrement à
      l'exploration du sérialisme. Berg va aussi composer des
      suites pour orchestre et deux
      quatuors. Il est emporté par une septicémie en 1935 à Vienne et ne pourra
      assister à la première de son chef-d'œuvre :
      Le concerto "à la mémoire d'un ange".
  Isabelle Faust et Claudio Abbado
  La violoniste allemande Isabelle Faust est née à
      Stuttgart en 1972. Sa carrière débute brillamment à la fin
      de l'adolescence. A 15 ans, elle remporte un prix au concours
      Leopold Mozart à Augsbourg, puis en 1993, elle remporte le
      concours Paganini.
  Elle partage son talent entre la musique concertante et la musique de
      chambre avec la complicité des pianistes Alexander Melnikov et
      Ewa Kupiec. Elle joue sur un Stradivarius de 1704 portant le
      joli nom de "La Belle au Bois dormant", bien qu'elle n'ait pas encore enregistré le concerto de Tchaïkovski
      comme me l'a fait remarquer mon ami Pat Slade ! La discographie de
      la violoniste chez Harmonia Mundi est déjà abondante et comprend deux
      enregistrements du concerto de Beethoven.
  Présenter Claudio Abbado juste en quelques lignes serait un
      sacrilège. Une chronique lui sera entièrement consacrée avec… Verdi.
      Rapidement. Né en 1933 le chef italien a brillé à la tête de tous
      les orchestres de la planète : La Scala de Milan (j'ajouterais
      "bien sûr"), les Philharmonique de Londres, de
      Vienne et de Berlin où il a succédé à
      Herbert von Karajan en 1989 à la mort du maestro.
    
  Il se bat courageusement contre la maladie depuis le début du siècle. En
      2003, par amitié et respect, les solistes des plus grandes
      phalanges d'Europe (Berlin et Vienne, l'Orchestre de chambre d'Europe,
      l'Orchestre de chambre Gustav Mahler), et des virtuoses internationaux qui
      n'hésitent pas à redevenir musicien de rang, créent à l'initiative
      d'Abbado l'Orchestre du Festival de Lucerne. Cet ensemble de rêve
      parcourt le grand répertoire à un niveau superlatif.
      L'Orchestra Mozart de Bologne qui accompagne ici Isabelle Faust est
      encore une de ses créations.
  Claudio Abbado est un homme engagé. Il a partagé dans les années 70 et
      bien après, ses initiatives humanistes avec Maurizio Pollini et Luigi
      Nono. À suivre…
  Le concerto "à la mémoire d'un ange"
  Début des années 30. Avant l'arrivée de l'obscurantisme nazi, le
      dodécaphonisme a atteint sa maturité. Le mode d'écriture intéresse, même
      si comme aime à le souligner Schoenberg lui-même, ce n'est pas une
      découverte, mais une invention, un style de composition parmi d'autres. Le
      violoniste américain Louis Krasner défend à cette époque ces
      recherches comme une ouverture vers la musique contemporaine. Il préfère
      ainsi commander un concerto à un tenant du sérialisme et du
      dodécaphonisme plutôt qu'à un compositeur adepte de la
      tonalité classique. Il rencontre Berg en 1935.
  Berg, bouleversé par la mort de Manon, fille du célèbre architecte
      et ami Walter Gropius, emportée par la polio à 18 ans, décide de
      créer le concerto comme un requiem "à la mémoire d'un ange". Il travaille vite, et en collaboration avec le violoniste, car des
      doigtés inédits doivent être imaginés pour pouvoir interpréter les séries
      de notes prévues. L'œuvre va ainsi alterner des passages de recueillement
      d'une grande émotion avec des instants violents qui suggèrent la rage de
      voir disparaître ainsi une toute jeune fille.
  Hélas, Berg meurt avant la création qui aura lieu à Barcelone en
      1936 sous l'archet de Louis Krasner accompagné par
      Hermann Scherchen. L'œuvre est en deux parties.
  A l'écoute de la série initiale portée par le violon soutenu par la harpe
      et les vents, la tendresse nostalgique est là, rien d'ésotérique, juste
      des accords interrogatifs. Le violon ne s'impose pas dans une stérile
      virtuosité mais dialogue avec un orchestre extraordinairement vivant animé
      de mille couleurs. Les développements électrisants nous entrainent.
      L'orchestration a rarement autant brillé dans sa magique richesse (tuba,
      contrebasson, harpe). Les interprètes se font rageurs dans l'allegro
      introduisant le second mouvement. Berg voulait-il exprimer sa colère face
      à la tragédie de voir disparaître une jeune âme de manière aussi précoce,
      aussi injuste ? Les motifs s'entrechoquent jusqu'à la dislocation.
    
  Isabelle Faust et Claudio Abbado maîtrisent totalement cette violence
      difficile à aborder lors des premiers contacts avec l'œuvre, et plus
      généralement avec le sérialisme.
  On pense à une registration d'orgue dans la tendre prière centrale du
      second mouvement, prière secrète du violon d'Isabelle Faust. Les mélodies
      s'enchaînent sans heurt, sans pause, et pourtant ce legato affirmé atteint
      une précision et une clarté qui magnifient chaque détail, chaque phrase de
      cuivre nostalgique négociée au niveau sonore le plus pertinent. Les aigus
      du violon sont d'une pureté bouleversante à la fin d'une œuvre nimbée par
      un orchestre aérien. Magnifique !
  Le concerto de Beethoven
  Le concerto pour violon écrit et créé en 1806 est l'une des œuvres
      les plus sereines de Beethoven. L'ouvrage semble ignorer les affres qui vont envahir l'âme du
      compositeur suite aux prémices de la surdité. Il comprend 3 mouvements :
      Allegro, Larghetto et Rondo. Sa tonalité de ré majeur indique la volonté
      d'écrire une œuvre dépourvue de tensions dramatiques.
  Dès les premiers coups de timbales, il est évident que l'interprétation
      tourne le dos au dogmatisme germanique encore de mise dans certains
      enregistrements. Nous avons ici : des accords et rythmes furtifs,
      élégants, un tempo vif, un dialogue virevoltant des violoncelles. Bref
      nous ressentons une ductilité et une clarté qui montrent que des artistes
      de génie peuvent encore moderniser (au bon sens du terme) et apporter du
      neuf dans un concerto dont les bonnes versions sont légion. Isabelle Faust
      est en harmonie totale avec le discours de l'orchestre en faisant
      caracoler joyeusement les notes. Les artistes gomment tout pathétisme hors
      de propos dans cet œuvre en mode majeur. C'est incroyablement vivant !
      Abbado aborde le noble thème principal avec une souplesse sinueuse mais
      sans aucune affectation. Le climat ludique trouve son aboutissement dans
      une cadence originale et dansante soulignée par la timbale, discrète et
      mutine. N'oublions pas que la complicité romantique violon-orchestre
      anticipe ici
      l'Harold en Italie de
      Berlioz.
  Bien entendu (tant cette nouvelle interprétation semble une évidence pour
      ses musiciens), dans le larghetto, le violon d'Isabelle Faust marivaude,
      badine dans le clair-obscur poétique de cet orchestre
      Mozart de Bologne qui est surprenant de maturité. Fraîcheur et
      jeunesse prédominent toujours dans le final pour prolonger cette
      conception d'une grande spontanéité.
  Petit détail important. Isabelle Faust abandonne les cadences de Kreisler
      déjà entendues mille fois, pour celles adaptées de la transcription
      pianistique de Beethoven (oui, oui ça existe, un 6ème concerto
      pour piano en somme, transcrit en 1808).
    
  Donc, non pas un disque de plus dans une discographie pléthorique, mais
      un disque qui fera date. Je le conseille sans réserve. Je reviendrai dans
      un article ultérieur plus en détails sur ce concerto pour violon.
  Pour ce concerto de
      Beethoven, il y a d'immenses versions disponibles à découvrir au gré des
      commentaires dans la presse spécialisée.
    
  Et puis, après sa prestation idéale dans le concerto de Schoenberg,
      j'attends avec impatience qu'Hilary Hahn relève le défi dans Berg, une
      confrontation qui sera passionnante.
  Vidéos
Isabelle Faust dans le concerto de Beethoven.
Je suis de sale poil quand je ne peux pas vous proposer un extrait des œuvres par les interprètes choisis pour l'article ! Grrr.
  Par contre j'ai découvert une curiosité : un live du concerto de Beethoven
    par Yehudi Menuhin accompagné par Colin Davis dirigeant l'orchestre
    symphonique de Londres (pas neuf, mais dans les années 60, le son est très
    correct).
  
  Pour Berg écoutons Leonid Kogan ? Le nom ne vous dit rien ? Bizarre
    ! C'est étonnant si on regarde l'application avec laquelle les producteurs
    de disques ont enterré Dieu sait où ses enregistrements… Ceux de l'un des
    meilleurs violonistes du XXème siècle. Un jour entre amis, j'ai organisé une
    écoute "en aveugle" du concerto de Brahms. Le duo
    Kogan - Kondrashin (un vinyl Melodya du début de seventies) a renvoyé
    sans discussion à leurs chères études :
    Henryk Szering - Bernard Haitink et surtout beaux derniers
    Jascha Heifetz - Fritz Reiner ;
    Hilary Hahn - Neville Marriner ont pris la seconde place mais
    loin…
  Et puis comme je suis irrité par ce dédain d'origine mercantile, je vous
    invite du coup à écouter le concerto de Berg sous les doigts du violoniste
    russe. Quand, où et accompagné par qui ? Mystère, mais c'est assez magique
    quand même… Ça toussote donc c'est un live.
  Il existe quelques rééditions temporaires de coffrets genre "les
    indispensables" au contenu mal déterminé…
  Ah cool ; c'est important d'assurer la maintenance des chroniques...
    L'interprétation d'Isabelle Faust est disponible désormais ; deux
    vidéos pour une seule playlist ? Normal pour ce concerto en deux parties
    !
 







 

j'ai dis ça moi ? j'aurais pus aussi bien dire "La belle au bois dormant" opéra écris par Carafa en 1825 !
RépondreSupprimerComme toi j'ai fait une écoute "en aveugle" et sur le concerto de Beethoven,je retrouve dans Kogan du Oistrakh ( avec le L.S.O et Sir Adrian Boult).