mercredi 27 octobre 2021

Ronnie MONTROSE "Territory" (1986), by Bruno

 

     Voilà des années que Mr Ronnie Montrose ne donnait plus signe de vie. Ce monstre de la guitare Hard-rock qui avait scotché 96 % des auditeurs qui avaient eu la curiosité de prêter une oreille (ou deux) à son album éponyme et/ou à "Paper Money". Le 4 % de résistants étant majoritairement constitué de fans des Rubettes, de Sim, de Topaloff, de Miki "barbie bitch" Minaj, de Sheila et de Michael Franck. L'homme qui préfigura le son et la patate "Van Halen".


   Et puis voilà qu'un soir de pleine lune, deux minutes avant minuit, en 1986, un album estampillé "Ronnie Montrose" fait son apparition dans les bacs des (bons) disquaires. Heureuse surprise. On croyait l'homme retiré de la musique, couvant des jours paisibles dans un lieu retiré, loin du monde du divertissement. Après quatre années de silence, quatre années après l'aventure dans le robuste Hard-FM avec Gamma, Ronnie Montrose refait enfin parler de lui.

Une fois de plus, Mr. Montrose arrive là où on ne l'attendait pas. Si on reconnaît bien sa patte sur les soli les plus endiablés, ce nouvel album se démarque de ses productions précédentes. Pourtant, en moins d'une dizaine d'années, ce n'est pas faute d'avoir touché à divers styles allant du Hard-rock le plus solide à un autre plus léger, plus propre, apte à séduire les ondes FM, en passant par le Jazz-rock. Mais là, le maître apparaît dans des dimensions qu'on ne lui aurait jamais prêtées jusqu'alors. Plus surprenant encore, il maîtrise chaque fois intégralement et de fort belle manière son sujet.

     Ainsi, Ronnie Montrose nous convie à des voyages ; des voyages autant inter-dimensionnels que territoriaux. Et même au-delà, car aussi étonnant que cela puisse paraître, on a parfois la sensation de pénétrer dans la psyché de l'auteur. Du moins, d'y jeter un regard par une fenêtre dérobée.

     Pour commencer, le premier morceau est particulièrement moderne (pour l'époque). Rien d'étonnant, sachant que Mr Montrose a souvent fait office de précurseur en matière de guitare, voire aussi d'arrangements. Ainsi, "Catscan" (1) est un vaisseau spatial parcourant à grande vitesse les galaxies dans une traînée de photons éblouissants, avec Ronnie, jambes écartées sur le cockpit (habillé d'un scaphandre, tout de même), guitare en main, mitraillant de rayons lasers multicolores émanant du manche de la gratte. Zap ! Zap ! 💥 Zapzapzapzepzopzop ! Tututuf !! ⚡ Explosant au passage les météores, et autres débris de navettes spatiales (y'en a plus qu'on ne croit. D'autant que toujours pas de code de l'espace. Chacun n'en faisant qu'à sa tête 😁). Le vieil ami Edgar Winter sort dans le vide noir et glacial de l'espace, retenu à l'engin par un cordon ombilical pour oxygénation, et envoie un tonitruant solo de saxophone (on raconte que même Dark Vador en fut ému ; cependant il n'aurait eu la vie sauve que grâce au solo suivant de Ronnie que les Predators estimèrent comme celui d'un grand guerrier... de la guitare 👽


   Après une entrée en matière plutôt échevelée, Ronnie rétrograde, inverse les gaz et revisite à sa sauce le vieux hit des 60's, "I'm Gonna Be Strong". A moins qu'il ne se soit inspiré de la version de Blue Angel, de 1980, le premier groupe sérieux de Cyndi Lauper (avant d'entamer sa carrière solo). Qu'importe, Ronnie, lui, a viré le chant et en a fait un superbe instrumental commençant sur un ballet, sur la pointe des pieds, avant d'écraser la pédale de disto, modèle XXL, donnant définitivement un goût désuet et anémié aux versions précédentes (évidemment, à condition d'aimer la guitare 😁). Nouvelle exploration, nouvelle dimension avec le "Love To You" de George Harrison (sur "Revolver"), ici magnifié. Ronnie semble alors avoir réintégré son vaisseau, son vimana pour aller à la rencontre de déités indiennes. Tout sourire, portés par des nuages bleutés, s'étirant en circonvolutions Shiva, Brahma, Bhûmi Devi, Ganesh et Vishnu dansent au son de sa musique. Transporté par tant de grâce et de respect, Ronnie ose chanter. Et il se défend pas mal - même si l'on soupçonne l'artifice de quelques supports de studio. 

   Dernière reprise avec "Woman of Ireland", du compositeur Sean O Riada, devenu un grand classique de la musique irlandaise, repris par The Chieftains, The Corrs, Sinéad O'Connor, Mike Oldfield, Kate Bush, Jeff Beck. Plus communément, ce superbe morceau est connu grâce au "Barry Lyndon" de Stanley Kubrick. Sinon par le hit de The Christians, "Words", qui n'est en fait qu'une adaptation. Et par ici la monnaie… Ronnie finalise son disque du retour - tant attendu - avec une belle incursion dans la verte Erin. Dépouillée, mélancolique et solitaire, presque irréelle comme les falaises de Moher peuvent l'être, cette belle interprétation paraissant venir du fond du cœur, ne repose que sur une harpe et une guitare électrique en son clair, drapée de delay et de réverbération. 

   Mais auparavant, avant ce final de toute beauté, Ronnie a voyagé. Dans un monde futuriste, où le béton, l'acier, la pollution annihilent ce qui pourrait rester d'humanité dans le cœur des hommes. "Odd Man Out" aurait pu faire la bande-son d'un film de Carpenter ou de J. Cameron, avec sa subtile amertume de "carton pâte", kitch millésimé 80's. Hélas écrasé par une batterie inutilement suramplifiée, gâchant le plaisir. "I Spy" est également marqué par les 80's. Plus fortement encore avec son mélange de Soft-pop et de Cold-wave. Brouet synthétique de Devo, de XTC et de Talking Heads. Pas indigeste, mais le morceau semble perdu, cherchant son chemin, - à peine récupéré par une chanteuse dont la voix évoque celle de Gabriele Kerner, du groupe allemand Nena (les fadas de ballons).


   Ronnie Montrose, qui restera à jamais connu pour ses deux premiers disques magistraux (le 1er a eu 48 ans le 17 octobre), où il gravait dans le marbre l'un des sons de la guitare du Hard-rock "made in USA", du gros son, canon pour les décennies futures, dévoile avec "Synesthesia" sa capacité à créer d'une seule guitare acoustique un instrumental qui a du sens - seulement doublée sur le coda pour quelques notes supplémentaires en harmoniques. Il semble émaner de cette pièce une profonde douleur enfouie, cachée, ne surgissant - pour soulager l'âme - que grâce à des notes magiques.

   Avec "Pentagon", Ronnie s'empare d'un koto et visite un jardin japonais, au moment où la brise fait frissonner les cours d'eau encombrés de nénuphars et voltiger les pétales de fleurs de cerisiers, créant un climat serein et apaisant, invitant les kijimunas à se dévoiler, furtivement, gracilement, au détour d'un bosquet ou d'un arbre.

   Enfin, au milieu de ces climats et ambiances divers, trône la chanson-titre, "Territory". Morceau empli de mystère, d'anxiété et de mélancolie désabusée. Longue plainte aux synthés avant que la guitare n'intervienne, piaffant d'extase devant la splendeur de territoires vierges de la folie des hommes. Ronnie fait chanter, crier, sa guitare, en contrôlant et étirant ses notes à l'aide du vibrato, s'en délectant jusqu'à leur dernier souffle.

     Au final, un album formidable, apparemment réalisé sans aucune optique commerciale. Juste pour le plaisir de jouer, d'offrir, de partager en toute probité. Un album qui devrait ravir autant les amateurs de Ronnie Montrose que ceux de Steve Hackett, de David Gilmour, voire de Satriani. Un album oublié, mais souvent considéré comme l'un des meilleurs du maître par les connaisseurs. Un album sans étiquette définie. Le Hard-rock qui a fait la notoriété de Montrose resurgit forcément, mais d'autres éléments extérieurs s'immiscent ou s'imposent dans une fusion douce et naturelle. Folk, pop, rock, progressif,... world ? Le Jazz diront certains - probablement incités par le nom du label qui a sorti l'album : Passport Jazz Records -.  Indéniablement le plus éclectique. A découvrir.

(1) Aucun rapport avec Catsan, la marque de litière pour chatounets. 🐱 Miaouw ?



🎶🎸🎹
➸➽   Autre article / Ronnie Montrose (lien) : "Montrose" (1973) + "Paper Money" (1974) ; Ronnie Montrose "10x10" (2107)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire