mardi 26 octobre 2021

ANGE «AU DELÀ DU DÉLIRE» (1974) - par Pat Slade



Ange, le groupe qui a fêté son demi-siècle au Trianon en janvier 2020 avant que la Covid ne prenne le haut de l’affiche. Je vais revenir 46 ans en arrière pour parler de l'un de leurs chefs-d’œuvre.



LES FILS DE LUMIÈRE AU DELÀ DU DÉSIR




Le 31 janvier 2020, j’aurais du être au Trianon pour le concert des cinquante ans de l’un des meilleurs groupes français, ou du moins l'un des plus prolifiques grâce à sa longévité, «Célèbre à être passé inaperçu» comme le dit si bien Christian Decamps, mais des circonstances indépendante de ma volonté m'ont empêché de voir un concert que je ne voulais louper pour rien au monde. Enfin de compte j’ai gardé ma place et ronger mon frein dans mon coin. Pourtant bon sang !! Qu’est ce j’aurais voulu y être !!! Mais bref ! Ce ne sera pas le premier concert que je louperais. Mon plus grand regret restera celui de Led Zeppelin en 1980 alors qu’il devait passer à Paris et que j’avais mon billet en poche, toute la tournée sera annulée suite au décès du batteur John Bonham. Mais Ange avant de parler concert, c’est une carrière ponctuée d’albums (24 en studio et 14 live).

Antony Phillips
Dans le rock progressif, les histoires sur le  moyen-âge sont légions, pour prendre deux  exemples parmi tant d’autre, Anthony Phillips et   «The Geese and the Ghost» en 1977 et que j’avais chroniqué dans nos colonnes (clic), «The Six Wives of Henry VIII» en 1973 ainsi que «The Myths and Legends of King Arthur and the Knights of the Round Table» en 1975 du clavier Rick Wakeman connu pour avoir joué avec le groupe Yes. Ce mouvement musical que l’on appellera le Médiéval rock dans les années 70 émergeait des mouvements Electric folk et folk progressif. A l’heure actuelle, le groupe le plus connu reste Blackmore’s Night avec l’ex «souriant» guitariste de Deep Purple et sa dame. J’aurais pu mettre Genesis dans la liste avec «Nursery Cryme» mais je trouve que leur univers est plus victorien que moyenâgeux. Puisque la perfide Albion était prolifique dans le domaine, il se fallait que la France réagisse. Toujours l’éternelle guéguerre entre les deux pays comme le Crunch en rugby au moment du tournoi des six nations, Ange va nous sauver de l’invasion britannique. Fort du succès d’estime de leur second album «Le Cimetière des Arlequins», le groupe belfortain va enfoncer le clou qui les rendra célèbre Outre-manche. 

Oyez, oyez, gentes dames, nobles seigneurs, damoiselles et damoiseaux, sortez vos plus beau atours et que l’olifant soit sonné car seront données moultes réjouissances en votre présence. Quel beau langage !! Mais s’il fallait faire un saut dans le passé à l’époque du film «Les Visiteurs», déjà nous ne comprendrions pas le langage des autochtones et avec notre manière de nous exprimer, ces derniers nous prendraient pour des hérétiques et nous finirions tout droit au bûcher de l’inquisition. Les sieurs Decamps et frères, Brezovar, Haas et Jelsch vont nous narrer l’histoire de Godevin des Alouettes qui vit avec sa femme Céline et ses enfants. Nous sommes en 1358 en pleine guerre de cent ans sous le règne de Jean II le Bon. Godevin est un "vilain" (paysan du Moyen-âge) qui souhaite s’émanciper. «Godevin le vilain» On commence avec une mélodie lente au violon avant un rythme martelé et l’orgue Viscount de Francis au premier plan. «Les Longues Nuits d’Isaac» notre croquant part en quête de spiritualité et d’émancipation, il rencontre Isaac l’alchimiste, il lui raconte sa misérable vie et l’hermétiste lui enseignera une partie de ses connaissances. Brezovar passe sur le devant de la scène avec un riff ravageur qui pour l’époque était très hard. Entre des passages en douceur et des parties fortes, il reste mon titre préféré de l’album.

«Si j’étais le Messie» les incantations du sorcier éclairent l’esprit de Godevin, de retour dans son village, il parle à ses compagnons de misère et décide de fomenter une révolte pour qu’ils deviennent des hommes libres. Une musique démarrant sur la douceur de la flûte rythmée par quelques frétillements de cymbales pour finir sur une envolée d'orgue. La révolte des vilains sera vite réprimée et les barons inviteront Godevin au château pour connaitre son secret. Devant son refus, ils le brûleront comme hérétique. Godevin mort, son âme spirituelle s’élèvera pour rejoindre le cosmos. Il reviendra sur terre au XXVe siècle ou la race humaine aura disparu. A ce stade de l’histoire on se retrouve coincé entre Pétrarque et Jules Verne.  

«Ballade pour une Orgie» une page médiévale qui trouve sa place comme un interlude dans l’histoire. Nous ne sommes plus au Moyen-âge, mais sous Louis XV. Ambiance et atmosphère douces, le mariage de la guitare classique et des claviers en font un titre à l’alchimie parfaite. «Exode» Un morceau particulièrement brillant avec une ligne classique avec l’attaque des synthés, des percussions et ensuite centré sur la guitare acoustique et qui finira par un final rapide avec de furieux soli qui finiront ce très bon morceau. «La Bataille du Sucre» Elle a vraiment eu lieu et sera mené par Napoléon Bonaparte en 1806 en faisant un blocus des produits venant d’Angleterre et parmi eux, la canne à sucre. Dans ce titre nous sommes entre le futur et le passé : «C’était en 2015 et Noël approchait et comme en 1515 les enfants attendaient..» on se retrouve maintenant dans une ambiguïté temporelle coincé entre François Villon (Même s’il était un contemporain de l’histoire ci-dessus) et H.G Wells. L'histoire de la disparition totale du sucre et des conséquences que cela entraine. Un morceau qui commence comme celle du rythme d’un orgue de barbarie, une mélodie douce et triste avec la voix d’un enfant en pleine détresse de son monde qui s’effondre, le titre ce termine par une longue phrase musicale «La Colère des Dieux». «Fils de Lumière» le plus rock de l'album, avec un magistral crescendo des claviers et guitares sur fond de roulements de batterie qui restera comme un des grands moments de la carrière du groupe, la version live sur «Tome VI» (clic) est tout bonnement génial ! «Au-delà du Délire» le titre éponyme qui s’enchaine directement au précédent titre avec un Brezovar à la mandoline. Une première partie acoustique, toute en arpèges au rythme du tambourin et une deuxième partie qui s'envole dans un duo de synthés et guitares de plus de quatre minutes. 

Ange 1995
Mais l’histoire de Godevin pourrait être racontée plus simplement, plus rationnellement, Godevin fort de la connaissance d’Isaac va, en ce révoltant,  devenir une sorte d’idole. Invité au château du   baron, il va être le témoin d’une scène d’orgie. La   foudre va tomber et frapper le château qui va brûler, accusé du drame provoqué par sa  connaissance, il parvient à s’échapper et entre dans l’ascenseur du temps c’est l’ «Exode» ; on se retrouve à la fin de notre ère «La Colère des   Dieux» vient tout écraser, le soleil envoie des bactéries anéantir la race humaine. Le «Fils de Lumière» c’est Godevin qui traverse le soleil pour revenir sur terre (Christian au moment de la répétition de la tournée «Bivouac 74» ce casse les talons lors d'un saut au travers un soleil au dessus de la batterie pendant les répétitions), tous les animaux se présentent à lui un à un, c’est le renouveau de la planète.

Dans la tournée d’adieu en 1995, Christian faisait une introduction : «Il réintègre la planète et devient le premier Noé sans eau, le roi des animaux. Au-delà de son délire une biche lui fait l’amour (l’image de la femme de Godevin, Céline), ensemble ils créent la nouvelle race. Ici dans l’univers on appelle ça la race du peut-être, oui, peut-être..»  


Ange signe ici un de ses albums les plus aboutis. Il est essentiel dans l’image du rock progressif français, notons le chant de Christian qui ne surjoue pas ses propre textes, il les vit ! «Au-delà du Délire» sera salué unanimement par la critique comme par le public. Même si la technique de l’époque parait un peut désuète et mériterait une remasterisation digne de ce nom. Il se vendra à plus de 100.000 exemplaires et se classera 11e dans les charts pendant 28 semaines. L'édition française du magazine Rolling Stone le classera 73e meilleur album de rock français.   

La pochette recto-verso de Philippe Huart est splendide et l’encart intérieur de Philippe Umbdenstock écrite en caractère Old English est très beau.




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