mercredi 7 février 2024

Gary MOORE " Wild Frontier " (1987), by Bruno



- Moll.... ? Moth... ? Moth... (bis) ? Donc, pour continuer dans la série des "Mo", pour répondre favorablement aux demandes pressantes du sieur Luc, on continue avec un Moore.

     Après des années d'égarement, de doutes, de remises en question qui le font passer dans le milieu pour une personne lunatique, ne sachant pas sur quel pied danser et après avoir eu le cran de quitter Thin Lizzy - alors qu'il venait de participer à l'un des grands classiques du groupe de Lynott (et un classique tout court du heavy-rock des 70's) -, mister Gary Moore trouve non seulement sa voix à l'aube des années 80, mais il rentre non pas dans un, mais dans deux cénacles. Celui des guitar-heroes (son nom se retrouve alors systématiquement dans les divers référendums rock européens), et celui des artistes-groupes dont la sortie de disques est attendue avec fébrilité.


   Ses disques s'incrustent dans la plupart des charts européens et japonais, en faisant chaque fois mieux que le précédent. Jusqu'à « Run for Cover » qui, finit par percer en Australie et tardivement aux États Unis. « Run for Cover » qui en dépit de son grand succès, marque néanmoins une nouvelle déception dans la vie de l'Irlandais balafré. En effet, quelques mois auparavant, il avait renoué avec son vieux copain, Phil Lynott. Tous deux avaient décidé de travailler et de partir sur la route ensemble. Le premier résultat de cette collaboration tellement souhaitée depuis « Black Rose : A Rock Legend », est un écrin – édité en format maxi-45 tours - comportant deux éclatants bijoux : « Out in the Fields » et « Military Man ». Effort accueilli à bras ouvert, tant par les médias que par les fans des deux hommes (plus grand succès commercial d'un single pour Lynott), laissant présager le meilleur (1). Cependant, Lynott est toujours englué dans ses forts problèmes d'addictions et le projet si prometteur tourne court. Finalement, à la fin de l'année, le jour de Noël de 1985, la mère de Lynott le découvre chez lui inanimé. Phil Lynott décède à l’hôpital le 4 janvier 1986. Il n'avait que 36 ans.

    Même s'il a toujours été au fait des excès de son ami, - excès qui dès 1974 l'incitaient déjà une première fois à remercier Lynott et quitter Thin Lizzy pour préserver sa santé -, cette disparition est une douloureuse blessure. Une brûlure qui dut l'inciter à prendre du recul et retourner se ressourcer un temps dans sa vieille ville de Belfast, où il a vu le jour un 4 avril 1952. Ce retour à la maison ainsi que le poids de la perte d'un ami, un ami profondément et sincèrement attaché à l'histoire de son pays (on le considère comme un incollable sur l'histoire et les riches légendes Irlandaises), l'inclinent à plonger les mains – et les guitares – dans la terre de cette Irlande meurtrie. Ainsi, jamais un album de Gary Moore ne contiendra autant de chansons inspirées par l'Irlande. La pochette elle-même, lui rend hommage, Gary campant fièrement, devant des étendues de champs dont l'horizon est obstrué par un froid brouillard, Gibson ES-5 1956 au poing (2). La couleur y est bannie - à l'exception du titre et du nom de l'auteur -, et la dame toute de noir vêtue, le regard perdu au loin, au recto, semble souligner un deuil. Au bas de la pochette, au dos, un pudique « For Philip » le confirme. Une notation discrète, comme s'il tenait à ce que cette disparition ne soit pas un objet de marketing.

     De prime abord, ce septième album studio solo de mister Robert William Moore paraît plus se recentrer sur un format de chansons dérivant, toutes proportions gardées, vers une Pop (-métôl), délaissant les prestes soli acrobatiques et torrentiels. Tout en gardant une solide et intangible fibre hard-rock/heavy-metal, l'album flirte avec des sonorités un peu new-wave, voire synth-pop, exacerbées par l'absence de batterie, remplacée par des boîtes à rythme et autres séquenceurs. Crime de lèse majesté, qui dissuade un nombre non négligeable d'auditeurs. Qui aurait cru ça possible de sa part ? Lui qui a précédemment joué avec Brian Downey, John Hiseman, Simon Phillips, Ian Paice, Tommy Aldridge, Bobby Chouinard et Paul Thompson. Toutefois, bien qu'effectivement les percussions pêchent par une allure générale assez métronomique, les arrangements tirés au cordeau font que ça passe.


   L'album débute comme une suite logique à « Out in the Fields » et « Military Man ». En accentuant même les accents « celtiques » dès l'ouverture avec l'entraînant et chantant « Over the Hills and Far Away ». En comprenant suffisamment d'ingrédients et de rythme « celtiques / irlandais », cette chanson aurait pu être intégrée à l'un des spectacles haut en couleurs de Michael Flatley. « Ils sont venus une nuit d'hiver. Arrêté, il a été lié. Ils ont dit qu'il y avait eu un vol. Son pistolet avait été retrouvé... et alors qu'ils l'emmenaient, il savait qu'il avait été lésé. Il savait qu'il n'avait pas d'alibi... mais pourtant, il n'osait pas dire où il avait passé cette nuit fatidique. Un secret doit le rester. Il a dû combattre les larmes de rage... car avec la femme de son meilleur ami il a passé sa dernière nuit de liberté. Au dessus des collines et loin de là, il jure qu'il reviendra un jour. Loin des montagnes et de la mer bleue, de retour dans ses bras, il jure qu'il le sera ». Et non, ce n'est une chanson de Nightwish, et ça n'a rien à voir avec les vikings.

   La chanson éponyme, "Wild Frontier", bien que plus carrée et rugueuse, avec une certaine orientation FM, quelques sobres touches de claviers et de violons, parvient à agréablement allier ligne mélancolique et rudesse. « Je me souviens du vieux pays, ils l'appellent le pays d'émeraude. Et je me souviens de ma ville natale, avant le début de la guerre ! Maintenant nous naviguons sur une mer de rage ! Les victimes que vous avez vues, vous ne les entendrez plus jamais chanter "Les 40 nuances de vert" (3). Nous retournons à la frontière sauvage.. Je me souviens des rues de ma ville, avant l'arrivée des soldats, maintenant des voitures blindées et des barricades. Rappelez-nous notre honte. Nous nous noyons dans une mer de sang !  »

   « Take a Little Time » conclut un triptyque impacté par l'esprit de Lynott,. Un triptyque qui aurait totalement convenu à l'aventure écourtée réunissant ce dernier et Gary Moore. Plus enjoué, franchement entraînant et fort d'une vigueur évoquant celle du peroxydé Billy Idol. Une première face exemplaire, clôturée par un instrumental, "The Loner", emprunté au claviériste Max Middleton et revisité pour l'occasion. L'original se trouve dans l'album « Over the Top » de Cozy Powell, avec Clem Clempson à la guitare. Moore en propose une version magnifiée, osant marcher dans les pas de Jeff Beck. Moore abandonne ses descentes vertigineuses à toute berzingue, travaillant alors avec le vibrato et le sustain pour faire chanter sa guitare avec des notes soutenues et travaillées. Il renoue alors avec la partie instrumentale de son célèbre « Parisian Walkways », sur lequel chantait d'ailleurs l'ami Lynott.


   La seconde face est surprenante. D'abord parce qu'elle change radicalement d'ambiance avec une reprise inattendue de « Friday On My Mind », le hit des Easybeats de 1966. La version – un poil métallisée mais plus fidèle que celle « froissée » de Bowie - est plutôt bonne, et parvient même à séduire une partie d'un public généralement plus porté sur le heavy-metal. Avec « Stranger in the Darkness », Moore semble essayer de se caler entre le rock alternatif à la U2 et The Alarm, un rock-gothique et même Billy Idol.

   Moore revient à l'Irlande, précisément à l'un de ses héros légendaires : le guerrier Cùchulain, qui fut aussi un emblème pour les conflits pour l'indépendance (dans l'un des récits, il défend l'Ulster contre la reine Medb). C'est sur un heavy-metal des plus basiques que « Thunder Rising » conte la légende de cet être mythique. Bizarrement, ce titre est, par rapport au reste, sous-produit. Comme repêché d'une session oubliée ou inachevée. Généralement apprécié, il dénote pourtant avec l'ensemble de l'album.

   Gary referme son chapitre sur une émouvante note intimiste, aux senteurs de tourbe, de hautes herbes humides et d'embruns salés. Loin, très loin des habitudes électriques de l'Irlandais, « Johnny Boy » résonne comme un classique du folklore gaélique. Jusqu'alors, Gary n'avait jamais chanté aussi bien. Il délaisse la guitare – juste quelques notes éparses d'acoustique – et se laisse porter par les violons (fiddle) et flûte (pipes, par Paddy Maloney des Chieftains), et une nappe de synthé s'étalant comme ce vent d'est qui cingle les visages. Un morceau unique dans la longue discographie de Gary, souvent considéré comme un hommage à Phil Lynott.


     Cet album marque le premier pas de l'Irlandais qui va l'amener à quitter les rivages d'un Hard-rock pur et dur. La fin des concerts débordant de soli agressifs plus ou moins démonstratif (le double live « We Want Moore ! ») pour entamer une nouvelle ère où, enfin, il n'aura plus le besoin de faire ses preuves, pour laisser libre cours à ses envies. Les variant désormais comme bon lui semble.


Gary Moore : Guitares lead, rythmique et acoustique, chant et chœurs, producteur
Neil Carter : Clavier et chœurs (également second guitariste sur scène)
Bob Daisley : Basse


(1) Fort heureusement, Gary Moore inclut ces deux formidables chansons dans son album "Run for Cover". La réédition remasterisée en CD récupère également la version réenregistrée de 1984 de "Still in Love You" ainsi que deux extraits du concert donné à Belfast le 17 décembre 1984, dont un torride "Stop Messin' Around".

(2) Une pré-Switchmaster, avec 3 P90. Magnifique.

(2) « The Forty Shades of Green » : référence à la chanson de Johnny Cash, écrite en hommage à l'Irlande en 1959 - sorti en 1961 - évoquant une Irlande d'avant les conflits sanglants.



🎶👑🎸 Articles liés (liens/clic) : ☞ " Corridors of Power " (1982) ☞   Gary MOORE "Dark Days in Paradise" (1997) ; Gary MOORE / SCARS "Scars" (2002) ; B.B.M. "Around the Next Dream" (1994)  ; ☞  Hommage R.I.P. 1952-2011

7 commentaires:

  1. La semaine prochaine, une chronique sur Moby ?

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    1. Dick ou Lette ?

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    2. Au choix, on a aussi Moby Liéurbain, moins connu mais talentueux.

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    3. Ah oui ! Et c'est plus simple puisque ça existe vraiment !

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    4. N'empêche, ça nous changerait un peu des barbus bedonnants et autres peroxydés à cuir cloutés de la six-cordes...

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  2. 😂👍🏼 Sinon, y'aurait Motor-Sistor, Mott The Hopple, Moho, Morandini & The Teens, Motörhead, Monstertruck, Moloch (pour faire le malin avec un truc obscur de Don Nix), Morbid, Mother Superior ou encore Motorcity Five 😊

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