Angleterre 1981. Alors que quelques années plus tôt, d'éminents spécialistes avaient enterré les derniers tenants du heavy-rock et ses avatars, moquant de leur plume la plus acerbe les derniers résistants, une nouvelle vague de chevelus, plus que jamais bardés de cuir et de fer - accessoirement d'instruments à cordes électrifiés et d'autres plus primaires sur lesquels quelques autistes s'évertuent à marteler -, partait à l'assaut de la perfide Albion. Aucun club, aucune pub, aucune salle n'étaient épargnés. Et là où autrefois, il ne semblait pas y avoir d'antagonisme entre les différentes factions, désormais, chacun devait choisir son camp. Ainsi, les sympathisants et émules se définissaient bien généralement par un uniforme arborant fièrement ses propres couleurs, ou par divers signes distinctifs relatant campagnes, allégeances et maisons.
Une vague qui ne cessait de croitre jusqu'à largement déborder sur les côtes du vieux continent, inondant les campagnes jusqu'au pays les plus reculés. Et parfois même fermés. Les "éminents spécialistes", courroucés, blessés, rageant contre ces sauvages qui ne comprenaient rien à la musique, redoublèrent d'effort pour tenter d'endiguer la force de ce courant de plus en plus fort. Mais rien n'y fit. Tels d'inarrêtables flots destructeurs d'un barrage écroulé sous la pression, emportant tout et sans distinction sur son passage. Une vague si puissante que depuis 1980, un festival annuel rend hommage à ces dieux ; ou plutôt ces monstres, puisqu'il s'agit du Monsters of Rock. Un petit malin nomma cette gigantesque vague The New Wave of British Heavy Metal. Terme qui resta jusqu'à nos jours, sous l'acronyme NWOBHM.
Un de ses fiers fers de lance est un quintet londonien baptisé Iron Maiden. Du nom d'un ignoble instrument de torture, la vierge de fer. Un sarcophage dans lequel on immobilisait une victime avant de refermer sur elle deux battants hérissés à l'intérieur de longues pointes. Toutefois, depuis quelques temps, l'existence réelle de cet abominable instrument est mise en doute. Il y en aurait eu quelques unes, mais bien tardivement, nullement au moyen-âge.
Dès son premier opus, avec son emblématique pochette spectrale, Iron Maiden marque irrémédiablement le paysage Métôl européen - et commence aussi, doucement mais sûrement, à s'immiscer au Japon et aux USA. Mais il faut impérativement confirmer en passant l'épreuve du second album, sur laquelle bien des formations ont trébuché. Avec la forte concurrence qui semble sortir de tous les clubs, caves, pubs et autres coins sombres, confirmer est primordial. Ce qui est fait, haut-la-main, avec un "Killers" moins "gothique" que le précédent et foncièrement plus fonceur et belliqueux ; plus métôl ! D'ailleurs, pour beaucoup, il restera longtemps le plus ouvertement agressif de la discographie du groupe.
Néanmoins, l'album débute plutôt calmement, sur un instrumental pas très développé. Les moins de deux minutes de "The Ides of March" évoluent comme l'approche menaçante d'une cavalerie, alternant trot allongé et galop de travail. [Finalement, au niveau de l'imagerie suggérée par la musique, il semble y avoir bien peu de rapport avec l'assassinat prophétisé de Jules - probablement une question sensibilité...]. Un prélude avant la charge meurtrière ? Bien possible, car "Wrathchild" est une attaque frontale avec un Paul Di Anno sabre au clair pointé sur la cible (le pauvre auditeur), plus venimeux que jamais, crachant les mots comme si l'enfant de la colère n'était autre que lui-même. "Je suis né dans une scène de colère et d'avidité, de domination et de persécution. Ma mère était une reine, mon père je ne l'ai jamais vu ! ... Je sais que je dois trouver une sérieuse tranquillité d'esprit, ou je sais que je deviendrai fou... "
"Murders in the Rue Morgue", inspiré de la nouvelle du même nom d'Edgar Alan Poe ("Double assassinat dans la rue Morgue" in French, avec le chevalier enquêteur Auguste Dupin, qui inspira certainement Maurice Leblanc pour son Arsène Lupin), renoue avec une imagerie quasi cinématographique, en droite ligne des plus beaux instants du précédent. Avec en plus, cette fois-ci, une véhémence à la fois plus affirmée et plus maîtrisée. La présence du fameux producteur Martin Birch à la console en étant probablement la cause. Après une intro évoquant quelques sombres rues saturées d'humidité crasse, où les réverbères à gaz peinent à percer un épais brouillard poisseux, la formation surgit comme un seul homme - ou plutôt une bête, toutes griffes et crocs dehors, impatiente d'apaiser sa frustration et ses peines dans la violence. Bien que lancé à fond de train, le quintet parvient à allier une cadence soutenue et une certaine mélodie - du genre fait d'acier et de bronze. Un chemin déjà occasionnellement emprunté par d'autres la décennie précédente, mais probablement avec moins de lourdeur et de morgue - si on fait exception du trio de sauvageons à la tête de moteur. La troupe maintient la pression avec un "Another Life" hargneux, avec les deux gratteux en osmose, jouant des chorus à l'unisson - de même que la basse percutante de Steve Harris -, quand elles ne se répondent pas en courts et vertigineux échos.
L'instrumental "Genghis Khan" renoue avec l'atmosphère de l'ouverture ; toutefois, plus long, il a l'espace pour insérer une partie franchement offensive, au goût de sang, de boue et de fer d'une charge à bride abattue, entre deux mouvements assez stylées dans un genre de métal-gothique - proche de Wishbone Ash (forcément avec un peu plus de disto et monté un peu plus dans les tours). Cependant, en matière de lourde charge héroïque, "Purgatory" pousse encore un peu plus le curseur dans le rouge. Certes, l'influence du fabuleux "Rising" de Rainbow y a laissé des traces, mais Maiden, avec sa basse autoritaire et incisive, son riff agressif et saisissant, et surtout la gnaque acérée et sauvage de Di Anno - croisement improbable d'un Gillan (première période) à Phil Mogg - fait la différence et ouvre de nouvelles portes où toute une frange du heavy-metal va s'engouffrer. Trop souvent pour une pâle copie. La rage de Di Anno est encore plus forte sur "Innocent Exile" (vieux titre de scène du groupe, l'un des premiers) où il chante avec tout son être, comme si, courroucé, il expulsait parle chant une accumulation de frustrations et de rancœurs. Il y avait chez lui comme une rage intérieure, quelque chose d'indomptable, de naturellement bestial.
Seul instant de répit, "Prodigal Son". Fausse ballade, martyrisée par la batterie lourde et vindicative de Clive Burr, naviguant dans une atmosphère pesante et sulfureuse où la basse insuffle un soupçon de mélodie, qu'elle dépose sur un lit de guitares, fait d'une sursaturée et d'une seconde électro-acoustique. Deux grattes se laissant porter par un vent mauvais de magie impie.
Sur la chanson éponyme, furieuse et épique cavalcade, c'est encore Steve Harris et sa Fender Precision Bass qui mène le sabbat. Et ce, dès l'intro toute en retenue, ponctuée d'un catalogue de cris sauvages - Di Anno évoquant alors un David Lee Roth en plus puissant, et... farouche. La galette se termine sans relâcher la pression. Moins percutant, "Drifter" n'en demeure pas moins une petite grenade de dirty-boogie-métal, où les grattes de Dave Murray et du petit nouveau Adrian Smith (un brin plus mélodique que son prédécesseur) s'en donnent à cœur joie ; et où l'implication sans retenue de Di Anno parviendrait presque à donner du sens à des paroles d'une banalité confondante.
Avec leur second essai, non seulement Iron Maiden confirme, mais il s'inscrit aussi définitivement et à jamais comme un chef de file de cette NWOBHM. Bien que la cadence des ventes, en comparaison avec le premier album, rament un peu les premières semaines, "Killers" devient une référence, plébiscité par de nombreux groupes subjugués par sa teneur et s'en servant alors comme un mètre étalon. Inlassablement sur les routes, le quintet part à la conquête du monde (capitaliste ?) avec une première et longue tournée mondiale - dont le Ep "Maiden Japan" est un succinct témoignage. Alors que la notoriété du quintet ne cesse d'enfler, parvenant presque à faire l'unanimité parmi les amateurs de métal lourd, le comportement toxique de Paul Di Anno commence à sérieusement impacter la pérennité de la formation. En roue libre, manquant sévèrement de discipline, il en vient à gâter des concerts en oubliant des paroles et en bâclant sa prestation. Son alcoolisme naissant et une consommation de substances illicites, désormais plus facilement accessibles (grâce au succès et ses retombées numéraires), exacerbent une attitude pouvant se révéler agressive et grossière. Une conduite qui va à l'encontre des principes du patron Steve Harris, et qui est incompatible avec l'objectif d'un groupe décidé à se hisser au niveau des meilleurs.
Ainsi, Di Anno est définitivement mis à la porte en octobre 1981 - un mois après la sortie du Ep live. Même si quinze disques studio vont suivre, même si son remplaçant est indéniablement un grand chanteur - ce qu'a d'ailleurs toujours reconnu Di Anno, l'estimant sans ambages meilleur que lui-même -, ce terrible trublion restera à jamais dans les mémoires. Certains arguant même avec véhémence qu'il représente la meilleure période de Maiden.
Pour autant, Di Anno n'arrête pas la musique, et poursuivra une carrière des plus chaotiques où, en dépit d'évidentes capacités - se révélant même à l'aise dans une forme robuste d'AOR lors d'une courte expérience en solo -, il n'effleurera quasiment jamais le niveau de Maiden - à l'exception de quelques morceaux éparpillés deci delà. Il contera sa vie dissolue dans une biographie nombriliste, pénible à lire, où il a tout de même l'honnêteté, avec le recul, de se dépeindre comme un gaillard peu recommandable, reconnaissant ses nombreux torts, réitérant les mêmes erreurs. A la limite du sale type. Malgré tout, jusqu'aux derniers instants de sa carrière, où il en était réduit à se produire en chaise roulante à cause d'une succession d'opérations chirurgicales ayant mal tourné, pour des concerts pathétiques dans le sens où il se contentait de reprendre le répertoire de Maiden afin d'être certain de remplir suffisamment la petite salle, et de ramasser assez de thunes pour rentrer dans ses frais et payer ses frais médicaux.
En hommage à Paul Di Anno, né Paul Andrews le 17 mai 1958 à Chingford (Essex), décédé le 21 octobre dernier, à 66 ans, chez lui, à Salisbury.
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Oh punaise, un truc que je connais... Toute mon adolescence... Bon, à très bientôt 50 balais, j'en suis un peu revenu. C'est un peu toujours pareil, comme 98,6% des artistes... "Moins percutant", Drifter ? Rien que le solo...
RépondreSupprimerOui, les petits échanges entre Murray et Smith envoient le bois. Certes 😊 En fait, plus précisément, c'est qu'en comparaison du reste, ça paraît moins abouti.
SupprimerComme un morceau de dernière minute, rajouté pour étoffer l'album
L'autobiographie de Di'Anno existe en français, elle est bien gratinée )) Killers est aussi fantastique que tu le dis, pourtant c'est au premier album que je reste le plus attaché. Je lui trouve un charme qu'on ne retrouve sur aucun autre. Je reconnais quand même que Killers lui est supérieur sur la plupart des points, production, cohésion instrumentale et...Adrian Smith !
RépondreSupprimerJ'ai lu cette autobiographie. Ce n'est guère reluisant, mais, au moins, l'intéressé est cash. Il avoue d'ailleurs, qu'ébloui par le succès et diverses substances, il s'est longtemps comporté comme un gros "salop". J'ai eu du mal à aller jusqu'au bout.
SupprimerEeeettt.... je ne sais pas si, également, je ne pencherai pas plus vers le premier. (de quoi courroucer Steve Harris 😄)
J'ai regardé un doc sur Arte "Iron Maiden, Flight 666"... Reportage sur la tournée de 2008, pas mal d'extraits ici et là, les à côtés de concert... classique, mais intéressant. Mais j'y apprends surtout que pour aller jouer dans les endroits les plus reculés du monde, le groupe a acheté un avion (Boing 757 !) dans lequel il y a tout le matériel de scène, les techniciens, roadies, et musiciens. Tout le monde voyage ensemble avec le matos en soute, gain de temps pour la logistique. Et qui pilote le zinc ? Bruce Dickinson !
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