jeudi 31 octobre 2024

STATUS QUO, et la simplicité féconde, par Benjamin



« Il faut s’ébrancher de tout ce qui altère le jet pur de l’arbre, il faut émonder les gourmands parasites » Andres Suarez : Voyage du condottière.

C’est qu’il en faut du courage pour  émonder les gourmands parasites, pour rejeter avec force les fréquentations qui nous sont nocives et les sujets qui nous exaspèrent. Sans cesse sollicité par le chaos bruyant de la foule, l’individu finit bien souvent par y succomber. La majorité de l’humanité ne pense donc pas, ou si peu, elle évolue dans les cases qui lui furent assignées à la naissance ou par l’éducation. L’écologie et le wokisme devinrent ainsi des lubies bourgeoises, tant il est vrai que les délires abstraits ont plus de prise sur les esprits creux aux ventres pleins. La coterie des intellectuels sans idées habillent aujourd’hui l’absurdité de leur pensée de concepts fumeux, cachant ainsi la vacuité du fond derrière la lourdeur de la forme. 

Le même phénomène se produit souvent en littérature, en cinéma, dans tous les arts où l’artifice peut donner au vide l’allure de la profondeur. Ainsi naquit une bonne part de la Nouvelle Vague, Virginie Despentes, le "jeu d’acteur" de Pierre Niney… C’est que, porté par un indécrottable mépris de classe, nombreux sont les observateurs convaincus que la simplicité du style ne peut que révéler la bassesse de la pensée. Ce dogmatisme esthétique se double bien souvent d’un dogmatisme idéologique, les snobs traditionalistes se montrant bien souvent partisans d’une certaine complexité mûrie au fil des ans. Cherchant sans cesse à définir la frontière entre simplicité et simplisme, la critique se retrouve souvent dans la situation de Montherlant crachant son mépris sur la verve argotique de Céline.

Elle reconnut parfois ses erreurs, comme par exemple dans cet article où Lester Bang se repentit après avoir incendié le premier album du MC5. Puis il y eut les autres, ceux qui durent toujours subir les assauts fanatiques de cette inquisition du bon goût. Bien souvent, ces journalistes furent également les serviteurs zélés du conformisme de leur époque. Suivant ainsi l’adage dylanien voulant que «  celui qui n’est pas occupé à vivre est occupé à mourir », ces hordes modernistes firent souvent comme si rien n’exista avant eux. L’époque s’y prêtait, les sixties / seventies voyant naître des légions de mélodies foisonnantes et de concepts musicaux fascinants. Alors que tous repoussaient les possibilités de la musique populaire, la simplicité devint presque une faute impardonnable. 

Dans ce contexte, poussé à suivre les délires d’une génération en plein trip, Status Quo commença par reproduire les standards de la pop psychédélique. C’est ainsi que, composé de Rick Parfitt, Francis Rossi, Alan Lancaster et John Coghlan, le groupe sortit le tube « Picture of matchick man » en février 1968. Loin d’atteindre le niveau d’un « Penny Lane », ou d’un « Strawberry field forever », le titre parvint toutefois à s’insérer dans la lignée des tubes planants de l’époque. Solides fils de prolétaires anglais, ces musiciens supportèrent de moins en moins d’apparaître dans des costumes à l’extravagance efféminée. Les jours de la douceur planante étaient heureusement comptés, une nouvelle génération s’apprêtant à donner au rock la violence tonitruante du fracas des usines du black country. Le cirque hypnotique de cette première version du Quo ne fit rapidement plus recette, ce qui permit à ses musiciens de reprendre le contrôle de leur destin. 

Lâché par son organiste, Status Quo troqua ses costumes baroques contre de simples jeans de prolos anglais. Obligée de repartir de zéro, la formation conquit les bars anglais grâce à un rock gorgé de boogie et de blues. Moins pompeux qu’un Led Zeppelin et plus modéré qu’un Deep Purple, ces musiciens devinrent progressivement les héros du peuple anglais. 

Trois années durant, ces forçats du boogie blues tournèrent dans les bars les plus reculés de la perfide Albion, forcèrent le destin en défendant leur honneur dans les pires conditions. Durant cette période, Status Quo parvint néanmoins à publier « Dog of two head », un grand disque de boogie blues auquel il serait temps de rendre justice. Pas encore contaminé par la violence des hordes heavy blues menés par Led ZeppelinStatus Quo y développe un mojo binaire d’une nonchalance hookerienne. Au fond l’ambiance des bars louches de Chicago n’était alors pas si éloignée de celle des pires pubs anglais. Le prolétaire anglais de cette époque subissait des peines semblables aux noirs américains, l’usine fut son champ de coton. 

Alors les tempos de « In my chair » et autre « Gerdundula » devinrent les échos britanniques de « Hoochie coochie man » et « Boogie chilin », le vieux et l’ancien continent poursuivant ainsi un dialogue qui fit l’histoire. Tout comme, chez l’homme, la naissance spirituelle intervient bien après la naissance physique, le Quo ne naquit véritablement qu’avec la sortie de « Piledriver ». En donnant au « Roadhouse blues » des Doors toute son ampleur heavy blues, le groupe fit une entrée fracassante dans l’arène des brutes hard rock. Il y eut également « Big fat mama » dont le riff résonnait comme le clairon d’une armée prête à conquérir le monde. Nous trouvions également, dans la simplicité de ces riffs enjoués, une énergie insouciante qui conquit le cœur du peuple anglais. Status Quo creusa le sillon de ce mojo viril et rugueux sur trois autres bombes boogie blues, « Quo », « On the level » et « Blues for you ». A mi chemin entre la classe mélodique des Stones et la simplicité vivifiante d’AC/DC, le Quo semblait parti dans une ascension irrésistible. 

Vint ensuite le double « Live ! » qui assomma le nihilisme punk à grands coups de riffs gras et binaires. Nombreux furent alors ceux qui révèrent de voir le Quo défendre éternellement la trinité guitare / basse / batterie et la puissance d’un boogie blues sans artifice. Mais nous étions alors à la fin des seventies, le grand public prenait goût aux sucreries pop et le groupe de Rick Parfitt rêvait d’un succès mondial. 

Status Quo rentra donc en studio après avoir recruté un claviériste, avant de chercher dans le répertoire populaire de quoi donner une nouvelle dimension à sa carrière. Le « Rockin all over the word » de John Fogherty s’imposa alors comme une évidence, ses tempos ainsi que son refrain fédérateur semblant faits pour faire chavirer les stades où ces forçats du boogie se produisaient. Moins connu, le dépoussiérage du « Gettin better » des Beatles donnait le ton d’un boogie plus lisse et tubesque. La simplicité n’étant pas synonyme de grossièreté, l’album « Rockin all over the word » vit également le Quo écrire une de ses plus belles ballades. Si beaucoup virent dans ce virage la fin d’un âge d’or et une trahison impardonnable, des disques tels que « Rockin all over the word », « Whatever you want » ou le second live sont loin d’être indignes du swing des débuts. Au fond, le Quo ne faisait alors que se rapprocher du génie mélodique qui fit la grandeur du rock anglais. Les fans les plus fidèles regrettèrent pourtant la chaleur de leurs albums moins léchés, la simplicité de leur swing naturel. 

Entendant leurs lamentations, le Quo s’offrit les services d’une section de cuivres sur le bien nommé « If you can’t stand the heat ». Véritable dernier épisode de son âge d’or, ce disque à l’énergie aussi spectaculaire que directe développe une chaleur pop / blues cuivrée unique dans la discographie du groupe. Le succès mondial ne vint toujours pas, l’Amérique se montrant toujours sourde à cette simplicité boogie pop. Pour séduire le nouveau continent, le Quo devint de plus en plus lisse, de plus en plus pop, de plus en plus mièvre. « Rock’n’roll », « Never to late », « Take me away », tous ces titres n’étaient plus que les résidus d’une énergie passée noyée dans une guimauve pop. Ayant l’impression de devenir un musicien pour midinette, le bassiste Alan Lancaster finira par quitter le groupe après la sortie du ridicule « Back to back », avant d’attaquer les autres musiciens en justice afin de les empêcher d’utiliser le nom Status Quo.

Après des mois de procédures judiciaires, Francis Rossi et Rick Parfitt purent finalement poursuivre l’aventure en compagnie d’un nouveau bassiste et d’un nouveau batteur. Ainsi naquirent les albums « In the army now », « Ain’t complaining » et « Perfect remedy », guimauves gluantes que le groupe produisit dans l’espoir de plaire enfin à la capricieuse Amérique. Le temps passant, ces musiciens abandonnèrent finalement l’idée d’élargir leur public. Vénéré en Angleterre, Status Quo finit par se résoudre à célébrer sans trêve son glorieux passé. Sans être des chefs-d’œuvre, des disques tels que « Heavy traffic », « Under the influence » ou « Quid pro quo » renouaient avec l’énergie simple des premières heures. Un rock ébranché de tout ce qui altère le jet pur de son arbre, voilà ce que fut l’œuvre de Status Quo lorsqu’elle ne perdit pas sa boussole. Ultime baroud d’honneur, la formation originale se réunit en 2014, le temps de quelques concerts immortalisés sur un excellent live. 

Même si la mort de Rick Parfitt réduit désormais sa formation au rang de tribute band, Francis Rossi continue aujourd’hui de défendre la simplicité irrésistible de ce groupe portant si bien son nom.  

8 commentaires:

  1. grand fan du Quo (que j'ai vu plusieurs fois en live !) l'album de reprise "Don't Stop" en 1996 était particulièrement bon avec sa pléthore d'invités. Pour information de dernière minutes Francis Rossi et le clavier Andy Bown quittent le Quo après de nombreuses années au service du boggie.

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  2. Tu es sûre ?
    Je ne trouve cette info nulle part

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  3. Il y a une tournée qui se prépare pour 2025, mais pas mention de "Status Quo", juste le nom de Francis Rossi. Apparemment, ce serait un seul en scène, genre master class itinérante. Le double-live était un de mes disques de chevet. Gamin, quand je m'évertuais à jouer de la batterie (sur une Remo, muette, mais qui enquiquinait tout de même sérieusement mes parents !) c'est ce live qui passait, au casque, dans mes oreilles. Status Quo c'est la bonne école pour apprendre à tenir un tempo, et travailler le shuffle !

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  4. Francis fait une tournée solo sans le Quo en 2025 (voir son site officiel), il veut, à présent, se consacrer à la production de nouveau groupe !

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  5. Hasard du calendrier... Vendredi prochain, sur Arte, 22h30, un doc sur Status Quo !

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  6. Le 1er cadeau d'anniversaire reçu d'une amoureuse en 74, la cassette de Hello.... You're my sweet Caroline...
    C'est noté pour le doc merci

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  7. Autant que je me souvienne, c'est avec le Quo et non avec le Nuge que l'expression. "If it is too loud, you are too old" a eu son heure de gloire. Meme sir je 'ai pas eu l' occasion de les voir live, dans les 70's, au temps ou il n'y avait pas de plafond de db à ne pas dépasser, ils joiaient tous potards à fond.

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  8. Connais (et ne veux connaitre) que "In the army now"... Oui, je ne suis pas "ouvert d'esprit"...

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