vendredi 1 novembre 2024

L'AMOUR OUF de Gilles Lellouche (2024) par Luc B.



Gilles Lellouche avait annoncé à ses producteurs qu’il souhaitait réaliser une fresque de 4 heures. Après le succès (mérité) de LE GRAND BAIN, tout lui était permis. Et puis on est passé à "au moins 3 heures". A Cannes, le métrage faisait 2h45, et six mois plus tard, en salle, on est redescendu à 2h40. Les mauvaises langues diront que c’est déjà 2h40 de trop ! Sauf qu’on ne s’ennuie pas une seconde, le souci n’est pas là. Jusqu’au dernier moment, Lellouche a corrigé son montage, ce n’est généralement pas bon signe. 

Annoncé comme un mélodrame musical et dansé, à part une courte scène, on ne voit pas l’ombre d’une chorégraphie. Tout cet aspect a été coupé. Malgré un budget conséquent et des années de boulot, l’impression qui domine devant L’AMOUR OUF, est un film bancal, inabouti. Le cul entre deux chaises. 

L’histoire est simple. Jackie et Clotaire se rencontrent au lycée, elle est bonne élève, lui un p’tit branleur. Coup de foudre. Clotaire plonge dans la délinquance, s’accoquine avec le caïd La Brosse, participe à un casse qui tourne mal. Case prison. 12 ans plus tard, que reste-t-il de son couple avec Jackie, que devient-elle, pense-t-elle encore à lui dans sa nouvelle vie bien rangée ? C’est mince, mais qu’importe, la mise en scène devrait transcender tout ça. On y reviendra… 

Le principal souci, est qu’on ne croit pas à l’histoire d’amour entre Clotaire et Jackie. Au début un peu plus, jolies scènes de virées en mob, beau moment avec la première éclipse de soleil, ce travelling qui suit l’ombre qui envahit la plage, plonge les spectateurs dans l’obscurité, et dans le même mouvement, recadre finalement les deux amoureux qui se bécotent sur le sable. Leur première fois est joliment filmée, à fleur de peau, au sens strict, très gros plans pudiques. La première partie du film est d’ailleurs la plus intéressante, il y a du drame mais de la légèreté, de l'humour, de l’insouciance. 

Alors oui, Jackie (Mallory Wanecque, version jeune, vue dans PAS DE VAGUE) cherche à revoir Clotaire, jolie scène avec la mère (formidable Elodie Bouchez) qui sans jamais l’avoir vue, la reconnaît. Clotaire, en sortant de taule, frappe à la porte de Jackie, qui n’habite plus ici, son père (Alain Chabat, pas mauvais, jolie scène quand sa fille avoue avoir séchée les cours) le fout dehors. Mais c’est tout, c'est peu, pour un couple censé avoir été fusionnel. Les amants sont virtuellement réunis lors de la seconde éclipse (qu’on imagine être celle de 1998*) avec un effet de superposition d’images, qui sonne un peu faux. 

On en a vu des grands films d’amour, et Lellouche aussi, grand cinéphile. Il parodie TITANIC avec ses amoureux à l'avant d'une locomotive, à défaut de la proue d’un paquebot. Il a sûrement vu LICORICE PIZZA de Paul Thomas Anderson, auquel on pense. Hélas de très loin, car contrairement aux héros de PTA, on n'est pas touché, ému, par le lien qui unit ces deux personnages. Gilles Lellouche hésite sur la direction à prendre. Le mélodrame ouvrier ? Pourquoi pas. Lellouche filme bien les usines du nord, les docks. Il filme un environnement, mais pas les gens dedans. La grève des dockers n’est qu’un prétexte pour le hold-up. Résumons : pas de drame prolétaire, pas de comédie musicale, histoire d’amour bancale. Qu’est ce qui reste ? Le polar. 

Mais là encore, on sent le poids des références. L’initiation au crime, renvoie à tellement de films, de LITTLE CÉSAR en 1931, jusqu’aux AFFRANCHIS, et surtout LES INFILTRÉS. La Brosse et Clotaire (Benoit Poelvoorde et Malik Frikah), c’est Nicholson et DiCaprio chez Scorsese. Les scènes de boite de nuit, c’est du Olivier Marchal, les poursuites du Cédric Jimenez, le casse lorgne vers Michael Mann. On a vu ça cent fois. Dans ce film d’amour, il y a moins de baisers ou de regards de biche (oh ma biche...) que de coups de barre à mine dans la gueule. Clotaire est devenu une brute (François Civil, monolithique, paradoxalement les jeunes acteurs ont plus de charisme que leurs aînés) assoiffée de vengeance, y cause pas, il cogne, mix de Joe Pesci et James Cagney

Les personnages sont trop stéréotypés, comme Jeffrey, le mari de Jackie, joué par Vincent Lacoste, bourge tête à claques en p’tit polo, lunettes fumées et décapotable, le père de Clotaire qui comme il est ouvrier frappe son gosse, Lionel, le copain noir donc forcément rigolo (Jean Pascal Zadi)… Étonnant lorsqu’on se souvient des personnages joliment et tendrement croqués du GRAND BAIN. Quid de l’amitié entre ces gamins, de la fratrie (Raphaël Quenard, sous employé aussi). On sent qu'il a fallu faire des choix au montage, l'aspect polar a été privilégié visiblement, pour une question de rythme. 

La mise en scène… Lellouche fait feu de tout bois ! Il donne à voir, presque trop. Y a-t-il un seul plan fixe en 2h40 ? Panoramiques à la vitesse grand V, figure de style redondante, travelling au ras du bitume, du drone en veux-tu en voilà, couleurs saturées, contre-plongées abyssales, les truands sont filmés comme dans un clip de gangsta rap. Y’a des idées (la fusillade filmée hors champ, uniquement en ombres projetées) c’est efficace, rythmé, on ne peut pas nier la volonté du réalisateur de vouloir faire du grand cinéma, de remplir l’écran. On aurait aimé qu'il se calme un peu, parfois. Il y a un joli twist narratif, le coup de fil sur le Nokia, juste avant un casse, on voit la scène deux fois, mais l’issue est différente. D'ailleurs, n'y avait-il pas moyen de mixer les époques, plutôt que deux récits juxtaposés ? 

On aimera la reconstitution des années 80, des p’tits détails justes, la compile sur cassette TDK, walkman, cabines France Télécom, les fringues. Lellouche convoque beaucoup de musique (d’où le budget colossal ?!), Cure, Prince, INXS, Soft Cell, Foreigner... le « Child in time » de Deep Purple fait un peu figure d’intrus !

L’AMOUR OUF est un film ambitieux, très personnel, Lellouche y a mis beaucoup, mais dans le désordre et sans dosage. Ca parlera sans doute à cette génération (90 % des spectateurs avaient moins de 20 ans) qui s’était retrouvée énamourée, devant le clinquant ROMÉO + JULIETTE de Baz Luhrmann.

* il n’y a pas eu deux éclipses totales du soleil visibles depuis la France à 10 ans intervalle, Lellouche le savait, mais est passé outre, pour la beauté du geste de cinéma !


couleur - 2h41 - scope 1:2.39 

2 commentaires:

  1. Effectivement, ce film de Lellouche m'a terriblement déçu, surtout si on le compare à son film précédent, Le grand bain. Ce dernier était rempli d'humour (merveilleuse Leila Bekhti) alors que celui-ci tourne à vide par rapport aux scènes humoristiques. Seul, la dernière avec le patron de l'hypermarché dans l'entrepôt est à sauver. C'est encore la fantasque Adèle Exarchopoulos qui s'en tire le mieux dans ce film et largement mieux que François Civil. En fait, je dois être trop vieux pour pouvoir apprécier un tel film...

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  2. La scène de l'entrepôt est non seulement bien faite, bien écrite, mais en plus elle repose ! La qualité de l'écriture est moins pointue que sur Le Grand Bain, la réalisation et le montage tout feu tout flamme semblent masquer la faiblesse du scénario. Lellouche avait dit qu'il avait co-écrit avec Audrey Diwan, dont la finesse du regard apportait un plus aux personnages. Elle n'a du bosser qu'à temps partiel !

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