lundi 25 mars 2024

R.I.P. - Le légendaire pianiste BYRON JANIS nous a quittés (1928-2024)



Byron Janis vers 1950
 

"Il y a des disparitions d'artistes qui chagrinent plus que d'autres…" Vous avez lu cette phrase en introduction de la chronique rédigée il y a un mois lors de la disparition du maestro Seiji Ozawa. Le chef atteignit cahin-caha l'âge canonique de 88 ans en dirigeant occasionnellement avec son sourire et sa verve habituels quand sa lutte contre le cancer lui octroyait un ultime répit pour coacher ses musiciens.

Byron Janis peut certes se prévaloir d'une belle longévité mais a connu un destin terrible… Le jeune prodige commence sa carrière en 1948 après avoir été le seul élève de Vladimir Horowitz qui condescendait rarement à refréner sa vanité pour conseiller un successeur possible à son "génie" 😊 (sans doute son seul disciple…). Début des années 70, les mains de Byron se font douloureuses, le touché devient incertain. À l'époque il est déjà une référence dans les exploits pianistiques qu'exigent les concertos de Rachmaninov ou de Prokofiev, l'arthrite psoriasique des mains et des poignets (le terme médical lui-même angoisse) met fin à son rêve d'une carrière internationale au plus haut sommet.

Il rejoint ainsi et hélas le club des artistes classique victimes d'une pathologie euthanasiant leur espoir de carrière brillante, comme il y a le groupe encore plus tragique des 27, des vies écourtées dans l'univers rock-pop et son équivalent en classique (Clic). Citons ainsi le pianiste Léon Fleischer (dystonie focale de la main droite dès 36 ans ; soigné en 1995, il nous a quitté en 2020) ; un autre pianiste, Gary Graffman (fracture du doigt mal soigné ; il sera le professeur de Yuja Wang en tant que directeur du Curtis Institute) ; ils avaient l'un et l'autre le même âge que Byron Janis en étant né en 1928. Ayons une pensée attristée pour la virtuose du violoncelle Jacqueline du Pré (sclérose en plaque, une interminable agonie). La plupart de ces instrumentistes ont tous atteint un tel niveau d'excellence qu'ils accèdent à une activité pédagogique dans des conservatoires réputés.  D'autres, trahis par leurs mains deviennent des maestros reconnus : Kurt Masur (élève pianiste et organiste mais… ténosynovite des doigts), Pierre Fournier (enfant pianiste, la poliomyélite lui interdira l'usage des pédales, il deviendra violoncelliste, l'un des meilleurs du XXème siècle), Emmanuel Krivine (violoniste, grave accident automobile) et Seiji Ozawa (futur pianiste, blessé adolescent en jouant au rugby !) (Clic)… Comment Byron Janis a-t-il surmonté son handicap physique et moral et atteint un âge canonique, restant une légende dans le répertoire russe et celui de Chopin

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Janis dans ses dernières années

Les "clic" sont pratiques, mais je recopie in extenso la biographie écrite en 2012 pour la chronique consacrée au 3ème concerto de Rachmaninov, l'un des plus ardus du répertoire que Byron Janis maitrisait dès ses 15 ans. (Clic)

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Byron Janis était né en 1928 en Pennsylvanie. L'enfant est surdoué et atteint si rapidement un niveau superlatif qu'il donne son premier concert avec orchestre à 15 ans : le concerto N° 2 de Rachmaninov ! Il le rejouera peu de temps après accompagné par un autre débutant d'avenir, Lorin Maazel (âgé lui de… 14 ans). Vladimir Horowitz l'entend et l'original maestro décide de le prendre sous son aile comme élève. C'est le seul qui bénéficiera de ce statut. Il faut dire que les méthodes pédagogiques du maître sont singulières puisque le jeune Byron doit suivre son mentor pendant ses tournées permanentes. Il sera d'ailleurs parfois reproché au style de Janis d'être un Horowitz bis, ce qui, entre nous, n'est pas un drame en soi, et de plus sans réel fondement.

En 1948Horowitz le "libère". La carrière internationale de Byron Janis s'envole et il donne jusqu'à 100 concerts par an jusqu'en 1960. C'est de cette époque que datent les enregistrements fabuleux pour la firme Mercury 

Hélas, en 1973Byron Janis commence à souffrir insidieusement des mains. Une arthrite est diagnostiquée. Pour l'homme, le combat entre conserver sa dextérité et l'abandon du clavier va se jouer au prix du courage et de l'acceptation de thérapeutiques hasardeuses. En 1984, épuisé par les drogues diverses, c'est la dépression, le découragement. À partir de 1985, il décide de parler franchement de sa maladie et crée une fondation pour aider la recherche médicale sur ce type d'affection. Il intervient dans les écoles pour encourager les marmots à ne jamais renoncer à leurs rêves, comme l'exprimait Kipling dans un célèbre poème. Il arrive ainsi à poursuivre sa carrière de concertiste et de pédagogue (Curtis Institute, le must) au gré des rémissions, mais bien évidement, à un niveau confidentiel. Byron Janis a pu enregistrer un récital Chopin/Liszt en 1996. Quel courage !

Sa discographie est bien entendu restreinte et déjà ancienne, axée principalement sur les concertos romantiques et postromantiques, mais d'un niveau d'énergie et de clarté qui en fait une référence à jamais, surtout avec le son légendaire Mercury.

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L'hommage à un grand artiste n'a de sens que si on partage son art, en l'occurrence l'écoute d'enregistrements parmi les plus marquants. J'en ai retenu six qui, en plus de constituer un petit best of, méritent pour deux d'ente eux que l'on raconte les péripéties qui ont précédé leur publication aux USA…

Parcours musical

À la fin des années 50, les discographies sont encore à la fois un peu maigres et de qualité sonore médiocre. Aux USA, les firmes RCA et MERCURY ont misé sur la stéréophonie claire, dynamique. Elle a parfois un son exubérant mais n'a pas pris une ride. RCA débute en 1954 avec la légendaire gravure de Ainsi Parla Zarathoustra de Richard Strauss dirigé par Fritz Reiner à la tête de SON Symphonique de Chicago, une prise de son à décoller la tapisserie. 


 

Reiner le grincheux que l'on retrouvera plus tard en complicité avec Byron Janis, toujours pour RCAAinsi Parla Zarathoustra sera suivi par la production de Une vie de héros du même Strauss enregistré avec la même fougue et la même transparence volcanique.

MERCURY attend 1958 pour nous offrir des disques mythiques en stéréo. Ce label créé en 1945 sera vendu à Philips en 1960. Ses premières publications alternent musique de genre et classique. 


1 - Rachmaninov concerto 1

En 1962, la crise des missiles de Cuba refroidie, Mercury veut-il concurrencer RCA dans le répertoire russe ? Après moults négociations diplomatiques, les ingénieurs du son s'envolent pour Moscou avec tout leur matos ! Byron Janis enregistrera de nuit le 8 juin 1962 le 1er concerto de Rachmaninov, moins connu que les N°2 & 3, accompagné  par… Kiril Kondrashin ! (Clic) Je souhaitais vous faire écouter ce disque plein de feu et conter l'anecdote concernant la première captation chez les soviets 😊. Byron Janis était fils d'émigrés juifs de l'Europe de l'Est. La rencontre des deux virtuoses slaves a du pep ! Bernard Pivot choisira cette gravure en 1975 comme générique pour Apostrophes !

 

2 - Prokofiev : Concerto N°3

Une chronique a été publiée en 2014. Le pianiste Lang Lang était accompagné par la Philharmonie de Berlin dirigée par Simon Rattle. Un bon cru EMI dans, là encore, une discographie débordante. Toujours en juin 1962, quitte à faire le déplacement, Byron Janis enregistre également le Concerto n° 3 de Prokofiev avec l'Orchestre philharmonique de Moscou placé sous la direction bien entendu de Kiril Kondrashin


3 - Tchaïkovski : Concerto N° 1

Poursuivons par un thriller classico-espionnage. Depuis 1958, un disque fait le buzz, y compris dans le Guiness en tant que disque de platine le plus vendu dans le genre classique… Au clavier : Van Cliburn, pianiste américain de 23 ans, l'Orchestre Symphonique RCA Victor était dirigé par Kiril Kondrashin ! Vous avez bien lu ! Le maestro russe sur le territoire Yankee au plus fort de la guerre froide, le décès pour alcoolisme de Mc Carthy en 1957 avait à peine détendu les tensions. Au programme : le Concerto N° 1 de Tchaïkovski.

Mercury oppose Byron Janis à Van Cliburn en 1960, un duel entre firmes 😁. L'Orchestre symphonique de Londres est dirigé par le trop oublié chef anglais Herbert Mengès (1902-1972), personnage british donc original !

De nos jours la discographie du célèbre concerto de Tchaïkovski est tellement pléthorique qu'il n'existe pas vraiment un palmarès définitif… Plusieurs interprétations se sont distinguées au fil du temps. Pour la chronique de 2013 j'avais proposé celle de Fazil Say (Clic). Pourquoi pas…

00:00  Allegro non troppo e molto maestoso - Allegro con spirito  / 19:01  Andantino simplice - Prestissimo - Tempo I  / 25:58  Allegro con fuoco – Molto meno mosso – Allegro vivo.

4 – Chopin : quatre pièces

Byron Janis se révéla un grand interprète de Chopin. En 1996, il propose une sélection de pièces, son testament pianistique.

1. Mazurka in F minor, Op. 68-4

2. Nocturne in G major, Op. 37-2

3. Mazurka in C-sharp minor, Op.15-3

4. Etude in C-sharp minor, Op. 25-7

5 - Chopin : Ballade 1

Depuis le film Le pianiste, qui n'apprécie pas cette merveille ? Enregistrement de 1952 pour RCA.

6 - Wagner : Tristan et Isolde

Byron Janis avait construit sa réputation d'habile interprète des concertos de Liszt, nous écoutons ici une insolite transcription de la mort d'Isolde de Wagner par Liszt, quelle émotion… l'indépendance des mains étant la signature des pianistes de génie, on l'entend bien sur ces gravures… CD enregistré en 1999 pour EMI.





2 commentaires:

  1. Shuffle Master.28/3/24 13:15

    Le club des 27 existe donc aussi en musique classique. Rien de nouveau sous le soleil, plus ça change et plus c'est la même chose...etc.

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  2. Et oui et quand on pense que Schubert est mort à 31 ans en laissant 1000 œuvres (pas mal de lieder de la durée des chansons actuelles certes) mais aussi des symphonies, messes, sonates, quatuors, trios, etc. de 30' à 1 heure et plus, on se demande quelle aurait été sa production totale si disparu octogénaire comme Haydn ?????

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