Il n'y a pas que dans le monde du Rock que des artistes prometteurs meurent bien trop jeunes… Dans l'histoire de la musique classique des décès prématurés nous ont sans doute privé d'un répertoire passionnant. Ah… Sonia lit par-dessus mon épaule, la coquine…
- Tu penses à qui Claude… Schubert à 31 ans, Mendelssohn à 37 ans ou encore Bizet à 36 ans…
- Beaucoup plus jeune encore Sonia et du coup oublié ou presque,
aujourd'hui parlons de Norbert Burgmüller disparu à 26 ans !
- Ah oui, presque comme ceux du groupe des 27… Allemand ce jeune homme ?
- En effet, prussien, et contemporain de Schubert, Mendelssohn et du
vieux Beethoven, donc un compositeur du début du romantisme…
- Il est bouillonnant ce concerto…
- Oui c'est le mot, l'un des plus passionnant depuis le cinquième concerto dit "l'Empereur" de Ludwig van de 1809.
Norbert Burgmüller (1810-1836) |
On imagine parfois à tort que les décès prématurés et tragiques sont réservés aux stars du rock menant une vie de bâton de chaise, épuisés par les tournées, adeptes des drogues plus ou moins dures avec une préférence pour les secondes. Sonia cite le tristement célèbre club des 27 chanteurs, chanteuses et instrumentistes pop-rock morts à 27 ans. Ne me demandez pas pourquoi, mais j'ai toujours pensé qu'ils n'étaient que 4 ou 5 avec Amy Winehouse en dernière position (+2011). Et bien, mon dieu… Wikipédia en récence 25 dont 7 assez célèbres, le dernier en date étant un rappeur : Fredo Santana emporté par un cancer dû à l'abus de stupéfiant. La liste des causes est pléthorique : du stupide accident de voiture à l'assassinat ou au suicide en passant par toutes les overdoses possibles voire des raisons inconnues pour Robert Johnson en 1938.
Côté classique, le métier semble moins fatal mais ne nous y trompons pas,
les mêmes difficultés conduisent aux mêmes fins tragiques. Le manque de
reconnaissance du vivant d'un compositeur est une cause fréquente de
mortalité, exemple :
Moussorgski, dépressif, alcoolique et opiomane mort à 41 ans. Et puis la médecine
approximative de l'ancien temps prenait son dû :
Schubert, syphilis soignée aux injections de mercure, 31 ans,
Mendelssohn, AVC, 37 ans malgré une hygiène de vie a priori correcte,
Henri Purcell, tuberculose, 36 ans.
Guillaume Lekeu, typhoïde contractée dans un sorbet frelaté, 24 ans…
Arrêtons ici cette liste morbide, sinon ce billet risque de ressembler à
une rubrique nécrologique. Deux personnages dans les deux mondes, rock vs
classique, ont connu des destins tragiques très similaires à 140 ans
d'intervalle environ.
Le 3 juillet 1969, le guitariste et multi-instrumentiste (une
variété incroyable)
Brian Jones, cofondateur des
Rolling Stones, bien shooté et alcoolisé, se noie dans sa piscine lors d'un bain de
minuit ; ses organes vitaux se révèleront déjà bien usés pour un homme si
jeune. Il a 27 ans !
En mai 1836, Norbert Burgmüller atteint d'épilepsie qu'il soigne à coup de pintes de bières dans les tavernes de Düsseldorf jusqu'à l'ivrognerie chronique prend des bains à Aix-la-Chapelle. L'épilepsie, l'alcool et l'eau surchauffée, un mélange qui se révèlera fatal. Il a 26 ans !
Friedrich Burgmüller (1806_1874) |
Dans les deux cas, la musique perdit deux grands talents. La virtuosité
du premier a survécu grâce à l'industrie du disque et à la notoriété
inusable des
Rolling Stones, le groupe qu'il venait de quitter suite à son comportement de junkie
irascible, et englué dans divers procès. Les vieilles pies diraient "il l'a bien cherché". Pas très charitable ça…
On pourrait dire la même chose méchante à propos de
Norbert Burgmüller
addict au flacon. L'article Wikipédia consacré à
Brian Jones, est fort long mais l'aspect people domine complètement la biographie du
gars.
Norbert Burgmüller
redécouvert récemment joue la modestie dans un article plus bref, logique
pour cet homme oublié jusqu'en 1980 et n'ayant produit qu'un maigre
catalogue, maigre certes, mais riche. Question : qu'aurait-il composé de
génial si sa carrière avait duré plus longtemps ?
Norbert Burgmüller nait en 1810 à Düsseldorf. Son père Friedrich August était directeur de la musique de la ville et commence l'enseignement du piano à son fils nettement plus doué que Papa… Papa, que l'histoire a jugé comme un irresponsable qui abandonnera son fils seul à son clavier et a laissé le vague souvenir d'un compositeur médiocre. Son autre fils Friedrich sera lui aussi compositeur, surtout un mondain vivant à Paris.
Friedrich August
père meurt en 1824, son fils
Norbert n'a que 14 ans et se retrouve face à la misère sociale et à l'errance
intellectuelle. Un ange veille parfois, ce sera le comte
Franz von Nesselrode-Ehreshoven qui décide de prendre en charge
l'adolescent et l'envoie suivre une formation solide à Cassel auprès de
Moritz Hauptmann
et de Louis Spohr. Avec de tels professeurs, il fait des progrès fulgurants tant comme
pianiste que comme compositeur. En 1830, il a vingt ans et crée son
propre
concerto opus 1 d'une maturité et d'une ambition qui vous surprendront lors de
l'écoute.
Sa nature maladive associée à une rupture sentimentale douloureuse le plongent en dépression et, plus grave, dans l'alcoolisme. Il s'était épris en 1829 de Sophia Roland, une cantatrice française qui l'évincera pour mourir peu de temps après cette séparation ! Norbert vu comme un ivrogne, Spohr refuse de poursuivre son enseignement ! En 1834, Norbert rencontre Felix Mendelssohn qui admire son travail et lui offre le peu d'amitié que Norbert rencontrera dans l'existence. En 1835, il s'éprend de Joséphine Collin, la gouvernante des enfants du comte Nesselrode-Ehreshoven. Bénéficiera-t-il enfin d'un réel bonheur, notamment en partant pour Paris ? Non La grande faucheuse l'attend dans les eaux d'Aix-la Chapelle… mettant fin à cette nouvelle vie.
Robert Schumann bouleversé dira "Après la mort prématurée de Franz Schubert, aucune ne pourrait être plus pénible que celle de Burgmüller."
Nikolaus Lahusen
|
Blackboulé par la vie, entre un père indifférent, une maladie neurologique
sans traitement à l'époque, une hypersensibilité qui lui fait fuir les
mondanités, le fantasque
Norbert Burgmüller nous a pourtant légué un catalogue plutôt passionnant ! le nombre
officiel d'opus s'arrête à 17, mais je suis prêt à parier que quelques
manuscrits somnolent dans des fonds de bibliothèques. Son style est à
l'image du personnage, hyperromantique… ça tombe bien, l'époque raffole des
conflits opposant l'ardeur épique et les déchirements psychologiques,
courant artistique surgi du siècles de lumière. Nous sont parvenus : deux
symphonies
(la seconde inachevée), le grand
concerto pour piano, quatre
quatuors, cinq
pièces
pour
piano
dans le style de
Chopin
(né lui aussi en 1810), et quelques petites pièces diverses dont une
vingtaine de
lieder…
Et bien tout cela n'a pas disparu dans les limbes. Le label MDG a
édité un coffret de 4 CD réunissant les ouvrages essentiels, autant dire à
peu près tous 😊. Il existe quelques gravures isolées des
symphonies.
Schumann
né lui aussi en 1810 avait en très haute estime les compositions de
Norbert Burgmüller. Il est assez logique d'avoir complété l'album avec les
Konzertstücke
Op. 92
&
Op. 134
du compositeur qui lui, mourra rongé par la folie à 46 ans (1856, lui
aussi né en 1810, un grand cru musical !).
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Heribert Beissel |
En cherchant des informations sur le pianiste
Nikolaus Lahusen, surprise, mais encore surprise bien triste puisque l'artiste est décédé
en 2005 d'un cancer à l'âge de 44 ans ! Ma parole, le compositeur et
son interprète semblaient nés sous une étoile machiavélique … Né à Brème en
1960, le futur pianiste a vécu jusqu'à 14 ans au Mexique où il
apprend le piano juste pour son plaisir sur un Steinway acheté avec le fruit
de la vente d'un vignoble 😉 ; enfin une anecdote amusante. Devenu
concertiste, il s'érige en spécialiste de
Liszt
et de
Mikalojus Konstantinas Ciurlionis, pianiste et peintre russe (1875-1911 soit mort à 35 ans, décidément). Un
compositeur qui lui aussi n'est pas un habitué des unes de la presse
spécialisée !
Lahusen
publiera une intégrale en cinq CDs des compositions pour clavier de
Ciurlionis.
Le maestro allemand Heribert Beissel nous a quittés en 2021 à l'âge de… 88 ans, quand même, enfin un gars robuste. Son répertoire était fort traditionnel, de Bach au postromantisme. Toute sa carrière s'est déroulée à la tête d'orchestres allemands de l'ouest puis de l'est après la réunification. Sa discographie à l'ère numérique ne comporte que huit enregistrements confidentiels mais témoignent d'une appétence pour l'originalité, les œuvres trop laissées pour compte !
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Düsseldorf vers 1830 |
Le
concerto opus 1
est composé pendant la période 1828-1929, avant sa rupture avec son
maître Spohr saoulé par l'ivrognerie de son élève (un calembour d'une sincère sobriété
😊). Il est créé en 1830 par
Burgmüller
lui-même et Mendelssohn, pianiste virtuose, le rejouera à Düsseldorf en 1834. Un concert
qui aurait suffi à imposer
Norbert pour une longue carrière si la mort n'avait pas été au rendez-vous en
1836. À noter que ce numéro d'opus n'a pas de sens. Aucune de ses
œuvres ne fut publiée du vivant de Burgmüller, son catalogue se termine par l'opus 17 à cette heure, mais il s'agit
d'une liste à la Prévert peu chronologique. La dernière partition écrite
serait le
quatuor N° 4
opus 14 de 1835. La composition de Trois quatuors
et d'une
ouverture précèdent l'écriture du
concerto qui logiquement devrait être noté opus 5. Cela explique l'envergure de
ce concerto apparaissant à l'évidence comme la création d'un jeune homme déjà
expérimentée !
L'orchestration est celle qui deviendra une référence pour le siècle du romantisme : 2/2/2/2 – 2/2/3 – timbales et cordes. Le nombre de cors augmentera jusqu'à 4, par exemple dans le 1er concerto de Brahms où par contre les trombones seront en congés. Exemple non pris au hasard. À mon humble avis, le concerto de Burgmüller établit un pont stylistique entre les concertos n°3 et n°4 de Beethoven, somptueusement émouvants, mais marqués par le classicisme lyrique d'un Mozart et non du romantisme bouillonnant des symphonies postérieures à la symphonie "héroïque" de 1805. Un pont avec l'anticonformisme de celui de Brahms de 1869, gigantesque et tempétueux, aux accents shakespeariens (Clic). (Concerto incompris lors de sa création et qui fit un bide épouvantable !!!).
Düsseldorf vers 1794 avant les ravages des armées napoléoniennes |
Plus précisément… Le concerto opus 1 de Burgmüller et le 1er de Brahms présentent un point commun d'importance, un renouveau. L'orchestre sert moins de faire-valoir au piano que dans les ouvrages qui précèdent, ce qui n'est en rien une critique négative. Non, ici, piano et orchestre mettent en scène une complicité voire une rivalité, ils deviennent les deux personnages d'une même dramaturgie instrumentale. Contemporains du concerto de Burgmüller, ceux de Chopin, également de 1829 souffrent de cette prééminence donnée au piano dans leur composition, option permettant à certains pianistes de favoriser leur virtuosité au détriment d'un jeu réellement poétique. Deux belles œuvres néanmoins, on ne peut pas tout avoir 😊. (Clic) et (Clic.)
1 - Allegro ma non troppo : Beethoven confiait au piano les introductions des concertos N°4 et N°5. Burgmüller revient à la tradition : une ouverture symphonique imposante. Quelques accords sombres assénés par les vents et les cordes précèdent une menaçante chevauchée, une scansion des cordes graves et des timbales rythment une mélodie de la petite harmonie dans laquelle domine le thème de la flûte. On constate d'emblée le goût du compositeur pour les orchestrations concertantes mais aérées. En écoutant cette cavalcade échevelée, je pense à la course éperdue vers l'enfer qui achève la damnation de Faust de Berlioz… (Je parle de forme, ici le ton est moins tragique). [2:06] la course de plus en plus éperdue s'épuise enfin pour présenter un second thème, un choral des bois et une reprise du thème de la flûte par les cordes assagies. [3:28] L'entrée du piano est inhabituelle, sans réelle transition ni rupture mélodique avec la fin de l'ouverture orchestrale. La scansion des cordes accompagne discrètement le jeu fantasque du piano. Voilà bien le style de Burgmüller, une forme de récit en continu conciliant le soliste et l'orchestre en lieu et place d'affrontements de motifs très (trop) individualisés.
Mendelssohn vers 1834. Image 3 D réalisée par Hadi Karimi avec Zbrush à partir de gravures et de masques en plâtre originaux |
Le piano sait prendre sa place de soliste, notamment lors d'une furieuse cadence ; oui encore une curiosité car l'orchestre ne cède jamais la totalité de l'espace sonore au piano… [5:42] à [7:50]. À vrai dire, piano et orchestre ne feront jamais réellement cavaliers seuls dès la fin de l'introduction. [8:19] Quelques notes partagées entre le piano et l'orchestre semblent amorcer une reprise. Écriture étrange et surtout très originale … passionnante aussi car ce concerto au discours audacieux nous entraîne jusqu'à la coda dans une aventure à la fois intrépide et poétique dans un style inconnu jusque-là dans la forme concerto. Le jeu vigoureux de Nikolaus Lahusen met en valeur la dimension épique de cet allegro. Je m'aperçois, arrivé à la coda, qu'il y a peu de passages lents ou méditatifs dans le premier mouvement hormis l'exposé du motif de la seconde section, encore une première musicologique si ma mémoire ne me trahit pas.
2 - Larghetto con moto [15:21] Le mouvement lent est un bijou de sensualité, contrastant souverainement avec l'allegro ma non troppo. Son ambiance chambriste est elle aussi très opposée au climat plus robuste dudit allegro. L'énoncé du thème conducteur est joué à découvert par le violoncelle solo vite rejoint par le piano qui enchaine des arpèges cristallins. Les cordes accompagnent les deux instruments tendrement. [16:28] Ce bloc thématique rêveur au rythme processionnaire est repris comme l'impose la forme sonate usuelle. Quelques variations dans le développement invitent les cors, les flûtes, les hautbois à colorer ce chant bucolique. Le thème initial sera repris, la flûte remplaçant le violoncelle dont les trémolos ajoutent une autre fantaisie dans l'emploi des timbres d'une reprise. [21:28] Le retour du violoncelle en duo avec le piano prépare une conclusion onirique. Un des plus beaux mouvements lents jamais composés en ce début du romantisme…
3 - Allegro moderato [23:38] Le piano énonce le premier thème guilleret du final ; en sourdine : des pizzicati des basses. Une certitude, Burgmüller n'abandonne jamais son piano à la solitude en imposant le silence à l'orchestre. Le tempo précisé moderato laisse pressentir une conclusion sans esbrouffe. Les bois reprennent la première section de ce thème avec un soupçon de vaillance. La construction du discours est libre, éloignée de celle très organisée de la forme sonate. L'œuvre se terminera telle un concerto pour orchestre avec piano obligé, sans virtuosité excessive. La musique propose une lisibilité qui plut à un public, même populaire. En l'absence de la partition, difficile d'affirmer que nous écoutons un rondo même si l'esprit de cette construction labyrinthique, fréquente dans un final de concerto ou de symphonie, caractérise le flot mélodique, à savoir un jeu de piste coloré plein de surprises dans "l'échauffourée" entre le clavier et l'orchestre. La coda offre un rare et court passage de jeu exalté et expansif au piano.
Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée. Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…
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INFO : Pour les vidéos ci-dessous, sous réserve d'une écoute directement sur la page web de la chronique… la lecture a lieu en continu sans publicité 😃 Cool. |
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En 1998, paraît une interprétation concurrente : celle du pianiste
Leonard Hokanson
et du chef d'orchestre
Gernot Schmalfuss
dirigeant l'Orchestre Symphonique de Wuppertal, un maestro déjà écouté dans une chronique consacrée à
Antonio Cartellieri
en 2015
(Clic). Les tempos sont un poil plus fougueux et la prise de son claire et
dynamique. Et pourtant, je ne trouve pas complètement le suspense de la
version commentée, le violoncelle est somptueux dans le Larghetto. (MDG – 5/6). Sonia me soupçonne de chipoter, elle n'a pas tort… La
symphonie N°2
est un complément judicieux.
(YouTube)
Il existe à ce jour trois gravures du concerto. Aucun grand virtuose
étiqueté comme tel et en contrat chez les labels prestigieux ne semble
vouloir relever le défi…
En 2012, pour Carus, Tobias Koch au piano, et l'orchestre de La Hofkapelle de Stuttgart (instruments d'époque, timbales en peau) sous la direction de Frieder Bernius a enregistré l'œuvre en recourant à un piano forte. Le jeu est fluide et lumineux tant dans l'orchestre qui ne sonne heureusement pas baroque et par la sonorité légère du piano. (Carus – 5/6). En complément, l'ouverture opus 5 et l'entracte opus 17. Belle prestation des cuivres.
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