jeudi 21 décembre 2023

BRAHMS – Trio pour cor, violon et piano Opus 40 (1865) – DALBERTO / AMOYAL / DEL VESCOVO (1979) – par Claude Toon


- Tiens Claude, un trio avec un cor à la place du violoncelle ! C'est pas banal… J'écoute, ceux qui doutent que Brahms a l'esprit romantique auront définitivement tout faux…

- En effet Sonia, ce type de trio est peu fréquent et Brahms n'en a composé qu'un… Il aimait beaucoup le son de cet instrument, surtout le cor naturel sans piston à la sonorité plus nostalgique…

- J'ai déjà vu cette pochette dans un article, la chronique dédiée au trio pour clarinette commentait le disque qui réunissait Emanuel Ax, Yo-Yo Ma, Richard Stoltzman…

- Bonne mémoire Sonia, je proposais ce disque dans la discographie alternative… J'aime cette gravure, un peu ancienne certes, 1979, mais qui s'abstrait du style trop élégiaque, parfois de mise, dans les interprétations de la musique de Brahms…

- Et puis ce sont des artistes français… La discographie, puisqu'on en parle, est riche ou modeste Claude ?

- Ben, pas négligeable Sonia, même si ce trio sentimental ne fait pas partie des plus grands chefs-d'œuvre de ce compositeur…


Cor naturel et ses tuyaux additionnels
  
  
Johanna Henrika Christiana Nissen

En 1865, Johannes Brahms vit depuis trois ans à Vienne. Sa notoriété enfin reconnue lui a certes permis de s'établir définitivement dans La Capitale de la musique germanique et austro-hongroise, mais ses attaches avec l'Allemagne de l'ouest restent fortes. Vers 1864, tout porte à croire qu'il a séjourné vers Karlsruhe au nord de la Forêt-Noire, et qu'il s'est ressourcé lors de promenades sur les montagnes et sous les ramures qui par leur sombre densité ont inspiré nombre d'écrivains et de compositeurs romantiques (SchumannWagner). N'oublions pas que le Rhin  sépare les Vosges de cette forêt montagneuse.

Brahms écrit à un ami "Un matin je marchais, et au moment où j'arrivais là le soleil se mit à briller entre les troncs des arbres ; l'idée du trio me vint à l'esprit avec son premier thème". Autre détail, le recours à un cor naturel dans sa composition. Un cor en mi ♭. À l'époque, cet instrument sans piston, tel un cor de chasse, n'a pas encore complètement cédé la place au cor d'harmonie à pistons et valves. Sa sonorité est plus mâle et sa tessiture de deux octaves limite des effets mélodiques très accentués. Pour changer sa tonalité, il est nécessaire de posséder un jeu de tuyaux permettant de varier sa longueur. Sa justesse incertaine, son timbre un peu fruste eurent longtemps ses défenseurs dont Brahms

Les quatre charmants concertos pour cor de Mozart sont joués avec un cor naturel.

J'avoue ne pas savoir si dans les exécutions modernes du trio les cornistes utilisent ce cor naturel hérité du baroque ou un cor moderne à pistons. Ce n'est pas l'outil qui fait l'ouvrier ou l'instrument le virtuose 😊… La couleur de l'œuvre a pu évoluer, vers une nostalgie prononcée, pendant la composition, Brahms ayant eu la douleur de perdre sa mère en février 1865. Il n'existe qu'une seule photo de la frêle et maladive Johanna Henrika Christiana Nissen qui était… vendeuse d'aiguilles. Son mari, plus jeune était artisan et musicien (cor d'harmonie précisément et contrebasse). 

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Forêt Noire
(Franz Xaver Gräßel)

La composition aura lieu à Baden-Baden, en pleine Forêt Noire. La création date du 7 décembre 1865 à Karlsruhe. À partir des écrits du compositeur ou de ses amis, on suppose que la thématique du premier mouvement est antérieure au travail de composition ou, à l'inverse, a traversé la psyché du maître contemplant à l'aurore les rayons du soleil illuminant un bois de sapins. Étrange premier mouvement… il est noté andante (tempo lent) et non allegro pourtant plus conforme aux usages du temps. Il n'obéit pas non plus à la forme sonate, à savoir à une construction rigoureuse ; exemple basique : ABABCA'B' (A et B étant les groupes thématiques). Il existe des plans bien plus complexes notamment chez son concurrent Bruckner. Brahms, fidèle au postclassicisme était pourtant soucieux de respecter ces formes familières pour le public. Cela dit, il contournait allègrement cet académisme à grand renfort de variations. L'andante comprend donc cinq sections et les ruptures de tonalité sont nombreuses.


La discographie est riche de gravures de qualité. J'aime bien les interprétations bien vivantes de la musique de Brahms. Élégiaque s'applique fréquemment à son style méditatif. Ne pas confondre avec mièvre et tristounet. Certaines interprétations m'ennuient dès les premières mesures car un chouia lentes voire sinistres… Je ne balance pas, soucieux d'objectivité, mais chez les trois virtuoses français, j'apprécie un lyrisme de bon aloi, une caractéristique qui ne transforme pas l'andante en Requiem 😊. Ce disque de 1979 publié chez Erato en vinyle est encore disponible et réédité chez Apex en CD.

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Michel Dalberto

Le pianiste français Michel Dalberto voit le jour en 1955 et bien qu'enfant d'une famille non musicienne pianote dès ses quatre ans ! Il suit les cours de deux illustres aînés au Conservatoire de Paris : Vlado Perlemuter, spécialiste de Ravel qu'il fréquenta et de Chopin (Clic), et Jean Hubeau, spécialiste de Gabriel Fauré (Clic).

Entre 20 et 23 ans, à sa sortie du Conservatoire, il remporte quatre prix internationaux dont le prix Clara Haskil en 1975 et van Clibum en 1977. Homme discret, Michel Dalberto a suivi une carrière éblouissante, tant comme soliste accompagné par les maestros Sir Colin Davis, Erich Leinsdorf, Wolfgang Sawallisch pour ne citer que trois chefs parmi les plus illustres, que comme soliste et invité de festival tels ceux de Lucerne, Aix-en-Provence ou de La Roque-d'Anthéron. Ajoutons une carrière d'accompagnateur de cantatrices : Barbara HendricksJessye NormanNathalie Stutzmann

Comme pédagogue, il a enseigné au Conservatoire de Paris de 2011 à 2022 et vient d'être sollicité pour diriger une classe de piano en Chine à la nouvelle Yehudi Menuhin School à Qingdao. Cet établissement flambant neuf accueille 120 étudiants chinois avec un objectif de plus de 300 venus d'Asie du sud est en 2024. Une salle de concert de 1000 places.

Le répertoire de Michel Dalberto est assez classique, sa discographie généreuse.

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Pierre Amoyal

Pierre Amoyal est né à Paris en 1949. Comme son ami pianiste, il suit sa formation au conservatoire de Paris. Surdoué, il obtient un 1er pris à l'âge de 12 ans. Il remporte le prix Ginette Neveu en 1963 et le prix Paganini en 1964.

En 1966, le violoniste mythique Jascha Heifetz, célébrissime tant par son talent que par son exigence accepte de faire travailler Pierre Amoyal à Los Angels pendant cinq ans. Le virtuose russo-américain que certains considèrent comme le plus grand violoniste depuis Paganini (mon sentiment est plus réservé, quoique son enregistrement du Trio de Tchaïkovski… Ah mon dieu - Clic) enregistrera quelques disques avec Amoyal. Soulignons que sa carrière autre que pédagogue touche à sa fin à cause d'un handicap à l'épaule.

Pierre del Vescovo

Après un tel début dans le métier, sa carrière commence brillamment sur les meilleures scènes de la planète, en soliste ou dans le répertoire concertant (En complicité avec Karajan, Solti, Boulez, Ozawa, etc.)… Une anecdote fit grand bruit en 1987 ! Pierre Amoyal possédait un Stradivarius nommé Kochanski d'Antonio daté de 1717. Distrait, le violoniste le laisse sans méfiance dans sa Porsche lors d'une tournée en Italie. La voiture et donc le violon sont volés par le mafieux Valentino Giordano, alias le Gitan. En fait une Porsche, ça se vend fastoche, un stradivarius non ! Quatre ans de négociations entre avocats et la Mafia permettront de retrouver l'instrument estimé entre 4 et 6 millions d'euros. Entre temps, Pierre Amoyal a utilisé puis acquis en 1991 le Stradivarius "Milanollo" ayant été joué par Christian Ferras.

Avec le temps, sa carrière a évolué vers l'enseignement notamment au Conservatoire de Paris, mais également à Lausanne où il crée un orchestre à cordes, la Camerata de Lausanne, qui joue sans chef. Sa discographie n'est guère maintenue au catalogue depuis le début du siècle.

 

Les cornistes sont moins connus que les pianistes et violonistes virtuoses hormis de rares exceptions (Barry Tuckwell). Pierre del Vescovo est né le 1er juin 1929 à Nice et nous a quittés en août 2021 près de Toulouse. Dans sa longue carrière il s'est illustré comme cor solo des orchestres suivants : l'Orchestre symphonique de Bâle, l'Orchestre philharmonique d'Israël, l'Orchestre symphonique de Montréal, puis l'Orchestre national du Capitole de Toulouse à partir de 1977, phalange que je considère comme l'une des deux meilleurs de France avec l'orchestre National de France surtout à l'époque l'orchestre étant dirigé par Michel Plasson et donc Pierre del Vescovo comme cor solo (Michel Plasson a conduit l'ensemble pendant 35 ans !).

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Rochers - Sebastian Luz (1894)

1 – Andante : Donc, cinq sections en lieu et place des groupes thématiques bien ordonnancés et avec reprise de la forme sonate… Une construction insolite bien en harmonie avec le désir d'illustrer les différentes étapes de la promenade, que sais-je : une clairière, une futaie, le bruissement des feuillages, ombres et lumières… ? (Partition)

Brahms aiguillonne notre imagination. En introduction (section 1), piano et violon évoquent le calme des lieux. Noté 2/4, la mélodie s'articule sur des successions de motifs de trois notes, 1 noire et 2 croches pour marquer le pas du promeneur. La réponse du cor est un écho en termes de rythmique à ce groupe de motifs qui tient lieu de thème. [0:57] quelques arpèges au piano annoncent un léger changement d'écriture mais pas réellement de climat expressif, la lumière changeante entre les ramures sans doute. [2:16] La section 2 est notée 9/8 et en si majeur au lieu de sol majeur introductif. Brahms, en compositeur pointilleux détaille, il précisait dolce expressivo pour débuter l'andante, mais voici la mention Poco piu animato, le pas s'accélère pour le marcheur l'enthousiasme le gagne. [4:04] La section 3 retrouve le rythme 2/4, le mi ♭ majeur et le tempo noté dolce. La mélodie s'inspire des motifs romanesques de l'introduction de la section 1 énoncés ici par le cor solo et non le violon. [5:04] La section 4 retrouve la bonhomie de la section 2, 9/8, Poco piu animato, mais tonalité de ré  majeur.

[6:20] Comme dans la section 3, le cor chante de nouveau la thématique d'ouverture mais en sol  majeur. Le discours de la section 5 conclut avec une réelle vivacité cette pérégrination. Brahms inscrit un poco animato poi a poi (un peu animé de temps en temps) dans ce final, signifiant que ce bel andante charmeur et bucolique n'est ni du cardio ni une procession !!! "De la nuance mesdames et messieurs, de la nuance, c'est une balade !" et dans ce domaine nos trois comparses sont dans le ton, notamment Michel Dalberto qui, bien que bénéficiant de l'instrument le plus puissant, accompagne ses amis subtilement à la manière d'un lieder…  



Forêt noire et maison
Franz Xaver Gräßel (1890)
 

2 - Scherzo (Allegro) : De facture plus traditionnelle, le scherzo débute par une chevauchée endiablée. Comme dans l'andante, le lyrique mi ♭ majeur est à l'honneur. Le romantisme caracolant dans les forêts telle celle de Der Freischütz de Carl Maria Von Weber s'invite dès les premières mesures scandées au clavier. Un second motif plus bucolique joué au violon avec le cor et en duo suit ce préambule. Le développement adopte maintes nuances. On ne trouvera guère de pathétisme dans ce trio opus 40, pourtant habité par le deuil comme l'affirment divers musicologues. À vous d'en juger. [2:45] Le trio en forme de mélopée offre une place prépondérante au cor. Le tempo s'étire, meno molto allegro (moins joyeux), la tonalité élégiaque et peu usuelle de la ♭ mineur nous plonge dans une brumeuse méditation. [4:24] Reprise da capo du scherzo, forme sonate incontournable obligée ? Brahms ne s'aventure pas dans l'occulte 😊.

 

3 - Adagio mesto : Pas de dramatisme mais de la mélancolie dans le mouvement lent noté Adagio mesto (lent – triste). La tonalité étant mi mineur. L'enchaînement thématique sans rupture marquée déroule un récit contrapunctique désenchanté. On ne peut nier la douloureuse spiritualité qui habite ce mouvement, l'un des plus élégiaques de Brahms. Les lamentations arpégées au piano puis la mélopée au violon et au cor, premières idées thématiques, confirment cette impression. Le long développement central intègre un poignant dialogue quasi sépulcral entre le violon et le cor… 


4 - Allegro con brio : Après l'adagio, le promeneur affligé retrouve la joie. Vif-argent, le final adopte la forme sonate classique. L'exposé du premier thème au violon est frénétique, une danse survoltée. Le cor répond avec la même exaltation. Si dans les mouvements précédents, le violon et le cor préféraient le duo au duel, ils dialoguent de manière plus conflictuelle dans le final. Dieu que la partie de cor est difficile ! [0:42] Le second thème reste tout aussi allant, avec des timbres très vaillants, notamment celui du cor. Le développement fantasque reprend des éléments musicaux précédents jusqu'à une coda pleine de vitalité un peu folle.

Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée.

Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…


INFO : depuis quelques temps, Youtube n'accepte plus l'usage de bloqueurs de publicités, "adBlock" par exemple, ou alors il faut raquer 10€ par mois… 😩 Les vidéos ci-dessous, sous réserve d'une écoute directement sur la page web de la chronique ne présente pas cette pollution… La lecture a lieu en continu 😃 (pour l'instant)


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J'aurais souhaité proposer des gravures récentes de ce Trio en discographie alternative. Il y a des interprétations certes mais dont le passage éclair au catalogue disponible m'empêche de vous les suggérer… D'autres sont… disons lugubres… pas de nom 😊.

Puisons dans les trésors du passé, deux seulement, et oui :

A Marlboro, festival d'été 1960 ; autour du pianiste virtuose Rudolf Serkin, le violoniste Michael Tree et le corniste Myron Bloom jouent la retenue. Tempo lent, mais sens du détail et des couleurs instrumentales incomparables. Son très correct (Sony – 5/6).

En 1969, Vladimir Askenazy au piano et Itzhak Perlman au violon enregistrent ensemble pour la première fois. Au programme la sonate de Franck (une version de plus). Complément original avec en complément le trio pour cor de Brahms avec la participation du légendaire Barry Tuckwell. Une interprétation impétueuse, prise de son transparente et dynamique. (Decca – 5/6)




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