- Tiens, c'est vrai M'sieur Claude que vous nous avez parlé de Fauré que
pour son célèbre Requiem… Elle est jolie cette pochette pour une fois
!!
- Oui Sonia, c'est le visuel d'une édition qui n'est plus disponible,
mais il existe une réédition à prix modique (visuel sur Deezer)…
- Et aujourd'hui en lisant le titre, je vois que l'on n'écoute que les
quintettes, pas les quatuors avec piano ?
- Eh oui, sinon avec les quatuors, cette chronique deviendrai un roman au
grand dam de M'sieurs Rockin' et Luc…
- J'ai écouté quelques notes tout à l'heure, ça m'a fait penser à un
ruisseau sous les charmilles…
- Ah Ah… Sonia poétesse, déjà dans le coup de la magie de Fauré…
Le pianiste
Jean Hubeau
était considéré comme le meilleur interprète de la musique en clair-obscur
de
Gabriel Fauré. Une raison ? Oui : l'extrême modestie des deux hommes, et la capacité du
pianiste à pénétrer avec humilité et délicatesse dans la poésie
impressionniste du compositeur.
Né en 1917,
Jean Hubeau
est admis dès 9 ans au Conservatoire de Paris comme élève de
Paul Dukas
entre autres ! Il obtient un 1er prix de piano à 13 ans et un
second prix de Rome à 17. En
1941, il devient directeur du
conservatoire de Versailles, puis dirige la classe de musique de chambre du
Conservatoire de Paris de
1957 à
1982. En dehors de ce CV
exemplaire,
Jean
Hubeau
compose des œuvres un peu oubliées de nos jours dans différents genres.
Pianiste de grand talent, il excelle dans les interprétations de
Fauré,
Schumann
et de son maître
Dukas.
De
Fauré, Il a enregistré en solo ou avec de grands solistes et le
Quatuor Via Nova
l'intégrale de la musique pour piano, ainsi que la musique de chambre :
Sonates pour violoncelle
avec
Paul Tortelier,
quatuors
et
quintettes
avec piano
et
trio
avec
André Navarra. Seule lacune : les deux
sonates pour violon. Un corpus qui 40 ans après garde toute sa fraîcheur.
Jean Hubeau
nous a quittés en 1992.
Le
quatuor Via Nova
est une institution nationale créée en
1968 autour du premier violon
Jean Mouillère. Les autres membres ont été remplacés plusieurs fois. Parmi les plus
connus, on rencontre à l'alto
Gérard Caussé
qui participa aux enregistrements des albums de ce jour.
Je n'ai pas trouvé de photo de la formation à l'époque…
Gérard Caussé
a déjà fait la une du blog comme soliste dans la chronique sur le
quintette pour cordes
de
Brahms (CLIC).
Les mélomanes débutants sont parfois surpris de la production a priori
modeste de
Fauré
pour un compositeur qui a vécu 84 ans, âge vénérable pour les hommes de sa
génération. Ce n'est pas surprenant en regard de l'agenda blindé de
professeur de composition, puis directeur du
conservatoire de Paris, de
1896 à
1920, d'organiste à
Saint Sulpice puis
la Madeleine et diverses autres
fonctions pédagogiques.
Fauré
compose quand il a le temps et n'aime pas produire à la chaîne, d'où la
qualité globale plutôt haut de gamme de ses œuvres.
Fauré
n'est pas orchestrateur par vocation (ses œuvres orchestrales se limitent à
2 CD). Même la version n°3 sur-orchestrée de son
Requiem
est de la main d'un élève (Clic).
Fauré
compose pour l'intimité des salons des artistes modernistes et pour des
récitals.
Les
quintettes avec piano
sont des œuvres ambitieuses et tardives :
1903-1906 pour le
premier opus 89
et 1919-1921 pour le
second opus 115
(3 ans chacun de maturation !). L'opus
115
est l'avant-dernière œuvre chambriste avant l'ultime
quatuor
à cordes
opus 121
de 1923, au crépuscule de sa
vie, alors que
Fauré
à l'instar d'un
Beethoven
souffre d'une audition de plus en plus déficiente.
Le quintette avec piano et quatuor à cordes est une forme difficile. Même
les plus grands compositeurs n'en ont souvent composé qu'un seul :
Mozart,
Schumann,
Brahms,
Dvorak
ou encore
César
Franck
et
Chostakovitch. Cette formation à cinq peut s'apparenter à un ensemble symphonique, mais
l'erreur absolue serait d'écrire un "concerto" pour piano et cordes.
Fauré, avec ses deux quintettes est donc une exception. Et puis nous
sommes au début du XXème siècle, et si
Fauré ne lorgne pas du tout vers les nouveautés de l'école sérialiste de Vienne,
il a ses modes de compositions qui n'ont rien de classiques, loin de là…
Fauré
est un homme de son temps, celui de l'impressionnisme. La couleur et la
lumière doivent l'emporter sur la forme sonate et la tonalité absolue,
suggérer plutôt que décrire.
Fauré
partage le goût de l'innovation esthétique impressionniste et symboliste
avec
Debussy. Il l'applique à sa musique. Il est fort possible que
Gustave
Caillebotte, l'un des peintres
fondateurs de l'impressionnisme et mécène de ce courant pictural, ait côtoyé
Fauré
Bd Malesherbes, où se trouvent les résidences du peintre et du musicien en
cette seconde moitié du XXème siècle
Les quintettes témoignent également d'un nouveau virage dans le style de
Fauré.
Fauré, un mondain timide ? Pas du tout, mais l'un des plus importants
compositeurs français enfin reconnu. Lorsqu'il est nommé directeur du
Conservatoire en 1905, il fait
le ménage ! Il pousse à la retraite quelques professeurs en peu trop enclins
à l'académisme depuis le second Empire… Il demande à
Debussy
et
d'Indy
de le rejoindre à la direction du conservatoire. Tout cela fait un peu
scandale car
Fauré
n'a jamais fréquenté l'établissement et n'a jamais tenté ni reçu le prix de
Rome !!! On parle de Tyran à propos du robuste ariégeois qui n'a surtout
qu'une idée en tête : sortir la musique française du XIXème
siècle des opérettes et autres mièvreries et introduire la modernité, et un
peu plus de travail et de sérieux en passant...
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Avec un tel emploi du temps,
Gabriel Fauré
fuyait la capitale en été pour trouver calme et sérénité en Suisse, entre
Lausanne et Genève, un bol d'air propice à l'écriture.
Brahms
chérissait aussi l'Helvétie et
Mahler
se réfugiait dès la fin des saisons de concerts épuisantes dans une cabane
isolée dans sa propriété.
La composition du quintette
N°1 opus 89
avait été entreprise début des années
1890, mais abandonnée faute de
temps disponible… L'écriture va s'étendre des étés
1903 à
1905. La partition, a contrario
des plans habituels, ne comporte que 3 mouvements à l'instar d'un concerto.
On spécule sur le
Fauré
dernière manière, entre l'appauvrissement pour certains et l'épure pour les
autres. Je suis de ce second parti.
Fauré supprime ainsi le scherzo dans son œuvre, un mouvement de transitions à
l'utilité discutable.
Fauré
n'aime pas écrire des notes pour ne rien dire, c'est tout. La tonalité
dominante de ré mineur suggère une œuvre sombre… Est-ce le cas ? Pour le
1er mouvement, rien n'est moins sûr, quant à l'adagio et le
final, ils sont en sol majeur et ré majeur…
Molto moderato
: Une série d'arpèges de triples croches, dans l'aigu, introduit le
mouvement au piano. On pense à des gouttelettes scintillantes. L'alto
rejoint le piano exposant l'un de ses longs thèmes dont
Fauré a le secret ; ombrage d'une journée estivale ou brume d'un jour de pluie ?
La musique de
Fauré distille les émotions qui trouveront écho à nos imaginaires, il ne résout
pas nos interrogations à notre place. Je n'ai pas choisi ce tableau de
Caillebotte au hasard. Ce grand impressionniste gardait de sa
formation académique qu'il allait renier le souci d'un graphisme réaliste.
Les ronds dans l'eau de l'Yerres et la lumière irisée illustrent à merveille
le début du quintette. Cette belle mélodie se développe de motifs en motifs
vers un discours plus allant. Inutile de chercher les thèmes A, B, etc.
Fauré préfère donner l'impression d'une improvisation à travers des motifs qui
s'enchevêtrent dans un climat pastoral et radieux. La musique flâne.
Fauré semble adopter une écriture plus psychanalytique que contrapuntique ; pour
le dire plus simplement, il partage avec l'auditeur ce qui lui passe par la
tête, nous entraînant dans ses paysages polyphoniques intérieurs. Le touché
de
Jean Hubeau, la précision, la délicatesse n'ont jamais vraiment eu de concurrent dans
ce répertoire. Les méandres mélodiques du
quatuor
Via Nova
déchaînent la passion élégiaque et les contrastes variés de ce poème
symphonique de chambre…
Adagio Moderato
: L'adagio prolonge le climat pastoral du moderato mais sans les contrastes
animés de celui-ci. Le violon énonce un long thème en apesanteur. La musique
adopte un balancement de berceuse à 12/8. Là aussi, l'absence de thèmes
marqués et figés dans une structure définie nous convie à une rêverie sous
les ombrages. A [3'30], un motif sensuel, exposé au violoncelle et repris
aux violons, nous invite à quelques galanteries de déjeuner sur l'herbe. Il
y a comme une ambiance voluptueuse dans ses entrelacs poétiques qui nous
remémorent le
Fauré auteur d'innombrables mélodies.
Finale : Allegretto moderato
: Très guilleret, le piano de
Jean Hubeau
égrène des notes facétieuses dignes d'une fête dans une guinguette. Le thème
du piano est repris par les cordes toujours avec ce phrasé legato et tendre
du quatuor Via Nova. Ce joli final reste l'une des pages les plus enjouées écrites par
Fauré. Une trame mélodique spontanée et d'une grande liberté de ton nous
entraîne vers une coda dynamique et énergique. Dans ce final virevoltant,
l'équilibre entre le piano et les cordes est parfait. Pléonasme ?
1921
: le vieux maître n'entend plus rien.
Fauré achève un
second quintette commencé en 1920. À la Suisse,
le compositeur préfère en cette période la quiétude du lac d'Annecy et le
soleil de Nice. Si le premier quintette n'a pas eu le succès et la postérité
qu'il mérite, le second, dédié à
Paul Dukas, sera l'une de ces œuvres qui permettront à son auteur de prendre une
place définitive dans le hit-parade de la musique française et même au-delà.
Fauré, curieusement, revient à la forme en quatre mouvements incluant un
jubilatoire scherzo de quelques minutes. La tonalité de do mineur domine
l'allegro initial et le final. Le mi bémol majeur et le sol majeur
s'imposent dans les deux mouvements centraux. Une fois de plus
Fauré
joue sur les contrastes tonals. Quant à la forme sonate, si elle est encore
discernable par les spécialistes, la multiplicité des thèmes ou assemblement
de motifs n'a définitivement plus rien à voir avec les règles en vigueur
depuis
Bach
et avant
Schoenberg. Les musicologues établissent des rapprochement avec les recherches
tonales d'un
Berg ou d'un
Bartók, ce qui ferait de
Fauré un pionnier de l'art contemporain. Que de chemin parcouru par cet homme
!
Allegro moderato
: on retrouve les arpèges du piano comme dans le quintette de 1905.
Mais, aux scintillements de chute d'eau se substitue une force épique. Le
violoncelle, viril, énonce un premier thème qui nous prend à bras le corps.
Les autres cordes rejoignent les deux instruments dans un développement
automnale et venteux avec toujours ces arpèges obsédants du piano. D'autres
idées vont surgir de manière abrupte. Mais curieusement, la succession
n'établit pas de rupture dans le flot musical dionysiaque.
Jean Hubeau
et les membres du
quatuor Via Nova
vont se jouer de l'harmonieuse et complexe architecture imaginée pour cette
page, sans doute l'une des pièces les plus élaborées de
Fauré. Il faut se laisser flotter, bousculer par ce ressac musical enchanteur.
L'extrême autonomie mélodique dédiée à chaque instrument présente un risque
majeur de confusion pour des interprètes mal préparés. Les artistes de cet
enregistrement conservent dans cette interprétation une stupéfiante
cohérence (si vous saviez la bouillie que j'ai pu parfois entendre…). Le
discours resserré lors de l'introduction du piano et du violoncelle ne fait
que s'élargir dans toutes les dimensions de l'espace et des sonorités
jusqu'à une coda en apothéose. On songe dans ce mouvement aux violents
climax des péroraisons d'un
Bruckner. Rien d'étonnant à ce que cet allegro gagne des proportions symphoniques
sans rival dans ce répertoire.
Scherzo : Allegro vivo
: un tempo peu usuel chez
Fauré, compositeur de la sérénité
et des climats diaphanes. Vous connaissez
le vol du bourdon
? Ce scherzo y fait penser par sa folie tourbillonnante. Un scherzo
frénétique mais poétique, furtif, un scintillement de notes des plus
fantasques.
Jean Hubeau
joue une partition prise de démence, mais sans jamais frapper les notes pour
ne pas rompre la magie capricieuse de ces quelques minutes.
Andante Moderato
: Le contraste après le volage scherzo est surprenant. Nous entendons une
prière, une déploraison, mais curieusement sans affectation. Dans son
Requiem,
Fauré avait déjà montré que l'on pouvait illustrer deuil et souffrance par des
lumières nocturnes et non de ténébreuses mélopées. Une fois de plus,
Fauré
joue sur les ambiguïtés : la douleur de l'introduction et la consolation de
la seconde idée. Les jeux des cordes s'entrecroisent une fois de plus comme
livrées à elles-mêmes. Dans
cette interprétation, les artistes s'écartent d'une langueur dramatique au
bénéfice d'une oraison secrète (pas funèbre). Jamais
Fauré
n'a atteint, par la musique pure, une telle tranquillité d'esprit face à la
surdité, à l'âge, à la réalité d'une existence qui approche du
dénouement…
Allegro Molto
: Après un andante aussi méditatif et bouleversant,
Fauré
conclut son quintette par un mouvement plus ludique. Là encore la complexité
de l'écriture s'efface et fait place lors de l'écoute à une bonhomie simple
et dansante. Presque octogénaire,
Fauré
continue de jouir de la vie comme un éternel jeune homme. À sa création, ce
fut un triomphe.
Fauré
présent dans la salle se leva timidement, s'avança pour remercier le public
qu'il voyait applaudir. Il n'avait hélas rien entendu…
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Ces disques de
Jean Hubeau
et du
quatuor Via Nova
n'ont jamais quitté le catalogue
Erato. La prise de son pourrait
être plus claire, mais la gravure a 45 ans.
La concurrence est mince ! Le disque
d'Éric le Sage
et du
quatuor Ébène
est la réussite la plus récente (2012). Le jeu pourtant précis du jeune
pianiste ne peut rivaliser avec celui de
Hubeau. On peut ressentir un staccato un peu trop marqué qui conduit à une légère
sécheresse. (C'est très subjectif.) Le
quatuor Ébène
apporte une fluidité au discours. Dans l'ensemble, c'est plus lent que
Hubeau
–
Via Nova, mais on ne constate pas de dislocation du phrasé. Une magnifique
alternative pleine de vie et qui bénéficie d'une prise de son exemplaire,
toujours un plus pour la musique enfiévrée de
Fauré… (α – 5/6)
Le disque de
Jean-Philippe Collard
et du
quatuor Parrenin
a été réédité un temps chez EMI en édition économique. On pouvait s'attendre
à un grand moment chez cet artiste aussi raffiné dans ce répertoire. Hélas
la prise de son grisâtre trahit les couleurs de la musique de
Fauré. Un défaut irrémédiable (EMI
– 3/6)
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