- Et un petit Mozart de plus dans le catalogue Claude ! Enfin, un
petit… une trentaine de minutes quand même… divertissant ?
- Tout à fait Sonia, on reconnaît le style de Wolfgang dès les
premières mesures et pourtant une controverse existe à propos de son
authenticité… Est-ce le manuscrit original que l'on joue - il a été
perdu – ou un arrangement posthume d'une main inconnue…
- Et c'est grave docteur ?
- Non, pas du tout, la partition est charmante surtout bien interprétée. S'il y a contrefaçon, le faussaire était balaise.
- Oui, c'est très élégant et poétique, surtout l'adagio… Tu as choisi l'interprétation de l'Orpheus Chamber Orchestra, cet ensemble de chambre que tu aimes tant dans ce répertoire…
- Oui, j'avoue. Léger, pétillant, des solistes qui jouent le jeu de la probité… Il n'y a aucune philosophie dans cette musique sautillante et guillerette…
Stephen Taylor |
Je confirme que pour écouter cette sinfonia, inutile de vous mettre la tête
entre la main en mode méditation sophrologique. Imaginez-vous à Vienne en
cette année 1778, dans un parc. Dans le carrousel, quatre
instrumentistes solistes jouent respectivement :
hautbois,
clarinette en si bémol,
basson et
cor en mi bémol. Ils sont accompagnés
par un petit orchestre de cordes auquel
se joignent deux cors et
deux hautbois. Donc par pitié, pas un
océan de cordes, les membres issus d'une des grandes philharmonies
planétaires, certes des musiciens éminents, mais non, pas une symphonie !
Voici une chouette musique pour soirée mondaine (vraisemblablement) ou
dimanche printanier. Cette musique doit refléter la légèreté de la crème
fouettée d'un chocolat viennois 😊.
Donc, avec Sonia, j'évoquais les disputes (polies) entre musicologues à propos de l'authenticité de cette partition, du moins dans la forme connue et exécutée de nos jours car très populaire. C'est souvent le problème quand un manuscrit original a été perdu. Une certitude : Mozart a bien écrit une symphonie concertante pour flûte, hautbois, cors et basson, là aussi celui qui trouve le manuscrit fera fortune. D'où la question pertinente, la sinfonia K 297b est-elle issue de cette symphonie originelle ? Il faut se rappeler (voir la chronique sur les concertos pour flute – Clic) que Mozart n'aimait guère la flûte, pourtant très utilisée, mais s'était très vite entiché de la clarinette qui venait d'être inventée, un bois à anche simple dérivé du cor de basset et qui ne cessait de se perfectionner.
David Singer |
Il y a les tenants d'un plagiat comme le musicologue anglais
Stanley Sadie qui méprise cet ouvrage ; il est bien difficile cet
homme, mais c'est un spécialiste reconnu de
Mozart
et, à l'opposé, les supporters de Wolfgang comme Alfred Einstein qui
professent qu'une grande partie de cette musique est bien de la main de
Mozart.
Il est fort possible de trouver un consensus. À mon humble avis, la facétie, la bonhomie et les vertus réjouissantes et poétiques de la sinfonia K 297b ne peuvent guère être les fruits d'un tâcheron, si doué soit-il. Je me lance dans ma petite théorie : le matériel mélodique aurait été repris quasiment in extenso de la symphonie initiale égarée composée par Mozart, mais il est fort possible que les parties solistes, surtout en substituant la flûte par une clarinette, aient subi des adaptations en fonction des improvisations assurées par divers musiciens avant et après les publications par Paul Waldersee (1831 – révision en 1906). J'écris mes réflexions avant de consulter ma "bible" Mozart, à savoir l'ouvrage de Jean et Brigitte Massin. (Je ne triche pas.)
William Purvis |
Les deux musicologues français arrivaient il y a 50 ans à la même
conclusion. Ils citent même les amis de
Mozart
à qui l'œuvre semblait dédiée :
Johan Wendling
(flûte),
Friedrich Ramm
(hautbois),
Giovanni Punto
(cor) et
Georg Wenzl Ritter (basson). Au denier moment la
création est déprogrammée, les partitions disparaissent. Ce n'est qu'en
1869, que la partition refait officiellement surface dans la
collection de l'intellectuel Otto Jahn. D'où une dernière
question à laquelle je n'ai pas de réponse dans mon enquête : qu'a publié
l'éditeur Paul Waldersee en 1831. J'attends vos réponses. À
noter que les Massin font de la surenchère à propos du rapport de
Mozart
à la flûte en usant du mot "Aversion".
Carrément.
- Oui Pat, une réponse ?
- […] (censuré)
- Ah bien ! Tu t'en fous royalement, je vois […]. Cool, c'est l'heure de
prendre un petit noir… Ok…
Et pour finir sur ce sujet, le pianiste, compositeur et musicologue américain Robert Levin s'est passionné pour les ouvrages supposés apocryphes de Mozart, entre autres : le Requiem incomplet à cause du décès du maître, la grande messe en Ut également inachevée (les connaisseurs savent qu'une grande partie du credo et de l'agnus dei manquent, non composés faute de temps) et cette sinfonia. Son étude a été réalisée par comparaison structurelle avec les divers concertos. Il pense que les parties solistes ont été retouchées et logiquement restitue la flûte à la place de la clarinette dans le groupe soliste. Autre idée : la partie orchestrale a été composée de toute pièce par…(mais par qui ?) Robert Levin a publié un ouvrage sur ce travail. Il est vrai que j'avais noté que bizarrement l'introduction par l'orchestre seul attribué à Mozart n'est pas d'une originalité folle et bien longuette, même pour un ouvrage destiné à un quatuor de potes. Le résultat de la reconstruction est charmant, j'avoue. Neville Marriner a enregistré cette édition alternative avec le brio qu'on lui connaissait. Je la propose en complément et ferai quelques commentaires sur l'intro. Le mystère restera entier à tout jamais. Deux sinfonia pour le prix d'une, super 😊.
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Steven Dibner |
Je ne présente plus l'Orpheus Chamber Orchestra, un ensemble symphonique chambriste Yankee composé de solistes des grandes
phalanges de la côte est et de professeurs de conservatoire comme la
Julliard School. (Voir chronique
Albinoni
vs
Pachelbel
de 2011 –
Clic).
Pour cette interprétation de la
Partition usuelle, les solistes sont :
Stephen Taylor
(Hautbois),
David Singer
(clarinette),
William Purvis
(cor) et
Steven Dibner
(basson).
Pour la reconstitution éventuelle de l'originale (belle humilité que cet
adjectif qui maintient le mystère), pas de partition en ligne autre que
quelques pages d'une transcription avec les quatre solistes et un piano.
Bref. Là encore, je ne présente pas le chef anglais historique
Neville Marriner
à qui j'ai consacré plusieurs chroniques depuis 2011 - sa biographie
est à lire dans celle présentant le
Messie
de
Haendel
Clic
-. Les solistes sont
Aurèle Nicolet
(flûte),
Heinz Holliger (hautbois),
Hermann Baumann
(cor),
Klaus Thunemann
(basson) et bien entendu l'orchestre
Academy of St Martin in the Fields.
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1 - Allegro : (Mi bémol majeur) Le thème principal est énoncé par les cordes de l'orchestre. Un thème
très mozartien par son esprit fantasque et galant. En 1778,
Mozart
a 22 ans et vient d'arriver à Paris. Il compose donc pour ses amis restés à
Mannheim. La symphonie concertante est à la mode. Elle prend la place du
concerto grosso étant plus ambitieuse, offrant à des virtuoses de plus en
plus habiles la possibilité de joutes musicales, de concours pour départager
le plus brillant 😊. Quatre solistes,
Mozart
y va fort !
Robert Levin (né en 1947) |
À la huitième mesure, les deux hautbois et les deux cors se joignent aux
cordes pour développer une sérénade entraînante. Du maître himself ou pas
cette ouverture est délicieusement primesautière. Ce qui interpelle, c'est
sa durée inusitée, comme si
Mozart
composait une symphonie-divertimento sans solistes !? [2:39] Le thème A est
repris par les quatre solistes seuls et à l'unisson ! Plus étrange encore la
même exposition "à découvert" est entendue à [3:34]. D'où la question :
reprise tardive ou réexposition après un premier développement, une
architecture sonate peu banale à trois expositions ? Ce thème agit en
leitmotiv dans tout l'allegro. Qu'à cela ne tienne, le discours est
savoureux. [5:27] la clarinette qui surgit très avant signe la stylistique
de l'allegro : une chorégraphie facétieuse d'instruments à vents. [11:26]
Autre curiosité, héritée de la forme concerto, une cadence assurée par les
quatre solistes se déploie jusqu'à une coda dans laquelle les cordes
concluent l'allegro [11:26].
Dans l'édition de Robert Levin, on remarquera que le thème principal
est conservé mais que les solistes font leurs entrées dès la huitième
mesure, la flûte en étant le témoin [0:16]. Le discours paraîtra plus
poétique, avec un climat d'étrangeté par instant. La durée est réduite de 3
minutes environ, une concision plutôt bénéfique. Le musicologue connaît son
Mozart, c'est indéniable !
2 - Adagio : Une courte et
ascendante introduction aux cordes nous amène à l'entrée du basson et du
cor, suivie mesure après mesure de celle de la clarinette et enfin du
hautbois. Un échange aux teintes nocturnes noté
Dolce. [0:16] L'allegro se construisait sur un dialogue constant des solistes.
Dans l'adagio, chacun bénéficie d'un temps de parole soliste marqué, le
basson principalement [2:59] ou le hautbois [4:14]… Les ruptures de rythme
et de tempos assoient la variété dans le flot musical. L'adagio se termine
par une tendre méditation.
3 - Andante con variazioni : Une thématique rythmée et individualisée des quatre solistes, soutenue par des notes furtives des cordes lance cet allegro ludique. Neuf variations drolatiques s'enchaînent. Non ! Je ne donne pas le minutage 😊, les transitions sont musicalement évidentes. Un adagio [6:54] et un allegro [7:25] joué da capo concluent avec habileté et charme la sinfonia.
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Le disque d'Orpheus
est assez facile à trouver, soit en album séparée soit dans l'anthologie de
la musique concertante pour vents présentée dans l'article "Petit concert Mozart et Haydn" publié en août 2013. Un coffret de 3 CD (DG Trio - 1991
pour la
sinfonia
- 5/6)
Une discographie alternative existe. Mes disques préférés sont :
Karl Böhm
avec la
Philharmonie de Berlin, Böhm ou l'art de mettre de la grandeur là ou ne l'attend pas (DG –
1966 – 5/6 -
YouTube),
Claudio Abbado
avec le
Mozart Orchestra, interprétation vif-argent mais avec des sauts de tempos un peu secs (DG
– 2011 - jaquette hideuse – 4/6 -
YouTube).
Et pour terminer, la gravure de Neville Marriner à partir de l'édition Levin est devenue difficile à trouver en album simple (DECCA devrait la republier depuis son acquisition du fond Philips). On la trouve dans un coffret de 7 CD réunissant les concertos pour cordes ou vents (DECCA – 4/6).
Tu parles du pavé de Jean et Brigitte Massin, que je possède aussi évidemment, et qui est la bible pour tous les fans de Mozart qui ce respect, mais une question à brûle pourpoint : Franz Xaver Süßmayr qui fut l'élève de Salieri et l'assistant de Mozart, l'intégralité des récitatifs de la la Clémence de Titus et finira le Requiem à la demande de Constanze, n'aurait-il pu finir cette Sinfonia Concertante ? La question est peut-être simpliste, mais c'est la première chose que j'ai pensé !
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