lundi 6 juin 2022

MOZART – Concertos pour flûte 1 & 2 et pour flûte et harpe – E. PAHUD & C. ABBADO (1997) – par Claude Toon

 


- Cool Claude, de la jolie musique rafraîchissante pour flûte et petit orchestre du jeune Mozart ! Et en prime celui pour flûte et harpe qui avait déjà été proposé dans un mini concert estival de l'Orchestre Orpheus que tu aimes tant…
- Super Sonia, tu suis l'affaire aux petits oignons dis-moi !!! Mon billet du jour est une rencontre avec Emmanuel Pahud, flûtiste franco-suisse parmi les plus virtuoses de cet instrument. N'oublions pas Marie-Pierre Langlamet à la harpe et Claudio Abbado au pupitre…
- Je ne pense pas que ces concertos justifient des analyses musicales pointues, mais je peux me tromper…
- Excellente remarque Sonia. Mozart les a composés sur commande pour un flûtiste qui souhaitait des œuvres faciles à interpréter. Ce sont des bijoux de divertissement et le N°2 est même une transcription d'un concerto pour Hautbois…  
- Et celui pour harpe et flûte, c'est le contraire…
- ö non pas plus, là aussi une commande pour un père et sa fille, des amateurs de talents mais sans plus… J'aurais moins à écrire… 


Emmanuel Pahud

Sonia a raison en précisant que les concertos pour flûte et celui avec une harpe en prime ne justifient pas d'analyse musicologique pour en pénétrer un sens plus ou moins ésotérique 😊, je préfère le mot "guide" à "analyse". Si j'étais insolent, je dirais même que ces ouvrages ont eu pour but principal de faire "bouillir la marmite". Les anecdotes liées à l'écriture des ces charmants concertos, d'exécution techniquement plutôt facile, sont amusantes.

Il faut savoir que Mozart n'aimait pas ces instruments !! Le son aigrelet des flûtes de l'époque heurtait-il son audition délicate ? Possible, vers le milieu du siècle des lumières, les vents et les cuivres n'ont pas encore acquis un mode de fabrication standardisé tel que nous le connaissons aujourd'hui. Il y a encore des flûtes à bec, quant aux flûtes traversières, elles sont en bois et sans clés. La justesse des flutistes reste donc dépendante de leur habileté à obstruer les perforations, surtout pour jouer les altérations qui nécessitent une "demi obturation" (au pif en un mot). Mes lecteurs qui ont subi les "orphéons" de 25 flûtes à bec aux collèges doivent toujours en faire des cauchemars nourris de fausses notes nasillardes insupportables… 😊. Ceux parmi nous qui connaissent bien les orchestrations des symphonies et des grands concertos pour piano de Mozart auront remarqué que ladite flûte est souvent absente, au bénéfice des deux hautbois et des deux cors (parfois quatre) et des bassons. Plus tardivement la clarinette viendra prendre sa place et les dernières symphonies et opéras inviteront la flûte…

On conviendra donc que c'est la médiocrité du son et l'absence de virtuoses à l'époque qui rebutaient Mozart. Cela ne l'empêchera pas d'écrire son chef-d'œuvre lyrique, La flûte enchantée. Enfin, il s'agit là d'une flûte de pan, instrument magique de Papageno l'oiseleur…

 

Theobald Boehm (1794-1881)

C'est Theobald Boehm, compositeur, facteur d’instruments de musique, acousticien et inventeur bavarois qui entre 1831 et 1847 met au point la flûte moderne. Le mécanisme (simple, mais il fallait y penser), d'anneaux à charnières qui permet de positionner les doigts avec précision sur les trous est une aide majeure pour le flûtiste, notamment pour la vélocité. Dans un premier temps Boehm construit encore des flûtes en bois mais les métaux (des alliages de cuivre, de nickel et de fer et, pour le très haut de gamme l'adjonction d'argent voire d'or) se substitueront au bois sensible à l'humidité. Il travaillera de manière scientifique sur la qualité de l'usinage de la perce et des trous que permet le métal. La flûte traversière moderne, puissante, sensuelle, cristalline, est née (système Boehm) mais mettra pourtant du temps à s'imposer. Mozart en avait-il rêvé ? Boehm l'a fait ! 

Quatre flûtes traversières. De haut en bas : baroque (1750), Boehm (en bois de 1832 et en métal de 1847) et moderne.


Johann Baptist Wendling  (1723-1797)

Dès mes débuts dans ce super blog, j'avais proposé un billet sur Mozart et son célébrissime concerto pour clarinette joué par Benny Goodman et Charles Munch. Une mini biographie introduisait le commentaire sur ce bijou. Tous nos lecteurs connaissent les grandes lignes de la vie du génie musical, né en 1756 au siècle des lumières, à l'époque "classique" (au sens historique du terme). Le gamin surdoué apprenant le clavier et à marcher en même temps, les tournées en Europe organisées par Papa, compositeur archi mineur, qui ruineront la santé de Wolfgang (le conduisant surement à cette mort prématurée à 35 ans), les compositions raffinées, et réjouissantes dès l'adolescence… Suivront la rupture avec ce père narcissique, conflit lié à son amour pour Constance qui deviendra son épouse, puis les postes aux rémunérations souvent chiches, les oppositions avec des "protecteurs" plus ou moins éclairés et conscients de son génie novateur, et puis les années de la maturité, Salzbourg et Vienne et un Mozart confronté à la futilité d'un public autrichien qui apprécie et comprend de moins en moins sa musique – Il aura beaucoup plus de succès à Prague – et la fin en 1791, l'écriture inachevée du Requiem… Des détails sur cette existence parsèment les 26 chroniques précédentes présentant une quarantaine d'œuvres au bas mot. (Clic) et (Index)


En 1772, la vie trépidante de sa jeunesse se termine par un retour à Salzbourg. Le fougueux jeune homme étouffe dans cette ville à la mentalité provinciale qui deviendra plus entreprenante grâce à Mozart qui est son emblème et dont la célébrité en fera l'une des capitales de la musique classique avec notamment son célèbre festival estival. À vingt et un an, il fait ses valises et en compagnie de sa mère (aimante), il tente sa chance d'obtenir un poste à Munich. Hormis quelques concerts, des piges payées en montres en or😳 (on peut toujours les mettre au mont de piété… 😊). Mozart connait les vaches maigres et part en octobre 1777 pour Mannheim dans laquelle il s'installe jusqu'en mars 1778.


Adrien Louis de Bonnières 

La ville de Mannheim s'enorgueillit d'avoir un orchestre plus étoffé que celui de Salzbourg, principalement pour la petite harmonie, donc les vents. Il est vrai que le flûtiste Johann Baptist Wendling, un virtuose reconnu, sympathise avec Mozart qui entend l'instrument d'une autre oreille. (J'ai corrigé Sonia, car tu avais écrit "voit le son de l'instrument d'un autre œil" !?). Wendling organise une rencontre avec Willem van Britten de Jong connu sous le nom de Ferdinand Dejean, un riche bourgeois qui a fait fortune comme chirurgien pour La Compagnie des Indes Orientales (sans doute grâce à des honoraires en secteur 2). Le personnage, amateur de sciences et d'arts commande trois concertos et deux quatuors pour flûtes à Mozart. Il précise "pas trop difficiles", une modestie concernant sa virtuosité qui l'honore. 200 florins (? €), ça ne se refuse pas. Mozart travaille ardument, compose le concerto K 313 en sol majeur, puis, pressé, transcrit pour la flûte le concerto pour hautbois K 314 de 1776 Il compose un adagio alternatif K 315. Par ailleurs, un seul quatuor verra le jour, le K 285. Ferdinand Dejean estime ne pas avoir été pleinement comblé et s'irrite que le concerto K 314 en ré majeur ne soit qu'une transcription… En conséquence, il carottera 104 florins sur les gages. Pfff, radin ! Cela dit, un contrat c'est un contrat…

Pour chaque concerto, Mozart opte pour une orchestration légère : 2 hautbois, 2 cors, des cordes. 2 flûtes se substituent aux hautbois dans l'adagio du K313. Forme usuelle : 3 mouvements :


Concerto K 313 en sol majeur

1.     Allegro maestoso

2.     Adagio ma non troppo

3.     Rondo : Tempo di Menuetto

Concerto K 314 en ré majeur

1.     Allegro aperto

2.     Adagio ma non troppo

3.     Rondo : Allegretto

 

Claudio Abbado vers 1993

Mozart n'aimait donc guère la flûte. Pareil pour la harpe. Pourquoi ? Sans doute les mêmes raisons que pour la flûte de l'époque. Les harpes ne sont pas les grands instruments modernes à pédales mis au point par Erard entre 1794 et 1811, donc après la mort de Mozart. On imagine au XVIIIème siècle une jolie donzelle de bonne famille accorder sa harpe pendant une heure pour ensuite jouer faux pendant une deuxième heure pour citer Lili Laskine

En 1778, Mozart séjourne à Paris et rencontre un noble haut placé dans la monarchie à bout de souffle. Peu importe. Adrien Louis de Bonnières est Duc depuis 1776 et joue de la flûte. Il a une fille harpiste, Marie-Louise-Philippine de Bonnières. Il demande à Mozart la possibilité de composer des ouvrages à leurs portées et de donner des cours à sa fille. Mozart, emballé dans un premier temps a l'idée de faire coup double avec son concerto K 299 en do majeur pour flûte et harpe, il sera déçu par les progrès modestes de la gamine qui d'après lui, parfois langue de vipère, écrira "Non seulement elle est complètement sotte, mais aussi tout à fait paresseuse". Quand au père qui va bientôt sombrer dans un scandale financier, il ne paye Mozart qu'épisodiquement…

Heureusement, le compositeur ne sait décidément pas bâcler le travail et son très romantique concerto fait partie des Hits de son répertoire, principalement l'adagio qui fait le bonheur de tous les mélomanes, classiques ou pas ! Par ailleurs, plus ambitieux que les deux pour flûte seule, le concerto dure une demi-heure.

Toujours la même orchestration : Flûte et harpe solistes, 2 hautbois, 2 cors, des cordes. Et bien entendu une forme en trois mouvements :

1.  Allegro

2.  Andantino

3.  Rondo : Allegro


Marie-Pierre Langlamet 

Les trois concertos avec flûte sont interprétés par Emannuel Pahud, flutiste de renommée internationale né en 1970 à Genève. Il est également naturalisé français et a suivi sa formation musicale à Paris. Il réside à Berlin.

Il occupe le poste de flûtiste solo de l'Orchestre de Munich à l'époque où l'ensemble est dirigé par Sergiu Celibidache (1979-1996) puis à la Philharmonie de Berlin à partir de 1992, date à laquelle Claudio Abbado la dirige depuis le départ de Herbert von Karajan en 1989. Parallèlement, il enseigne à Genève.

Son répertoire est très vaste, du baroque (Telemann, Bach) à la musique contemporaine (Nielsen, Schulhoff…). Sa discographie est à l'image d'une carrière hyperactive tant dans par son catalogue des œuvres pour flûte et orchestre qu'en musique de chambre. Comme il se doit pour un artiste de ce niveau, Emannuel Pahud, a créé des partitions contemporaines comme les concertos d'Elliott Carter ou de Luca Lombardi.

Marie-Pierre Langlamet est une harpiste originaire de Grenoble qui a suivi son enseignement au conservatoire de Nice puis au Curtis Institute de Philadelphie. Depuis 1993, elle est harpiste soliste de la philharmonie de Berlin, ce qui explique sa participation à ce disque.

 

Quant à Claudio Abbado, on ne présente plus le maestro italien disparu en 2014 à 81 ans après une courageuse lutte contre la maladie. (Clic) Comme chaque interprétation des œuvres de Mozart, Claudio Abbado allège le trait orchestral pour obtenir un son transparent et empreint de galanterie mais sans mièvrerie. Cet album est une merveille et magnifie des concertos qui ne se révèlent en aucun cas des partitions simplettes juste destinées à satisfaire une clientèle de musiciens amateurs peu exigeants. C'est bien là le mystère Mozart, non ?

Le concerto K314 écrit à l'origine pour hautbois a connu un enregistrement mythique réalisé par Grehard Turetschek, soliste de la Philharmonie de Vienne dirigée par Karl Böhm qui signait là en 1974 l'un de ses plus beaux et poétiques disques consacrés à Mozart. Je vous propose ce témoignage en quatrième vidéo.




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