Mozart est si intimement lié à l’histoire de la musique classique, histoire
avec un grand H, que tout un chacun se fait son image personnel du génie en
perruque. Les clichés sont nombreux : le gamin aux jambes trop courtes
face à son clavecin, l’épicurien pétomane et ingérable courant après les
jupons, un agonisant ébauchant son Requiem pour un mystérieux inconnu, un
corbillard conduit sous la neige et suivi uniquement par un chien, un
cercueil abandonné dans la brume hivernale et perdu à jamais.
Mozart est-il ainsi plus une légende qu’un musicien ?
Milos Forman, dans son film iconoclaste Amadeus (1984), nous
dresse le portrait d’un démon de la composition vu à travers le regard de
détestation de Salieri. Forman, bien qu’excessif, approche la réalité
de la rage de vivre de Mozart, en diabolisant Salieri qui était un pédagogue
de grand talent mais irrité par l’effronterie du génie. Il faudrait plus
qu’une seule chronique pour y voir clair.
Le jeune Mozart voit le jour en janvier 1756 à Salsbourg. Son
père n’est autre que Léopold Mozart, un pédagogue de renom auteur
d’une célèbre symphonie « des jouets ». Dès ses trois ans, le garçon
présente des dons prodigieux : une oreille absolue et vraisemblablement une
mémoire eidétique (comme Lisbeth Salander dans la saga Millenium…). Déconcerté, son père lui apprend le clavecin avant la lecture, puis
l’orgue et la composition. L’enfant compose à partir de 6 ans. À quatorze
ans, il aurait ainsi parfaitement retranscrit le Miserere de
Gregorio Allegri, polyphonie complexe de quinze minutes, en ne
l'ayant écouté qu’une seule fois. Voilà pour l’enfant prodige.
La vie complète de Mozart est un thriller musical. Le jeune homme voyage
beaucoup suivant les emplois qu’il occupe auprès des grands de son temps. En
1782, il préfère jouir de sa liberté pour composer à sa guise. Cette
date marque le début des compositions très en avance sur leur temps :
opéras, concertos et sonates pour le piano forte qui remplacera le
clavecin, des quatuors et quintettes ambitieux. Le style de Mozart se
caractérise par des climats joyeux (modes majeurs), et un rejet de
l’académisme destiné à satisfaire des princes commanditaires peu enclins à
l’innovation.
Pour aller au bout de son génie, Mozart acceptera une fin de vie
matériellement difficile. Cela dit, ses grands chefs d’œuvres vont être
composés en cette période : les derniers concertos pour piano, la
Flûte enchantée, des symphonies qui annoncent
Beethoven et Schubert et le concerto pour clarinette,
sujet du jour. Ultime pied de nez d’un Franc-maçon qui avait embrassé
les idées du siècle des lumières, sa dernière commande sera le fameux
Requiem, en partie inachevé bien que commencé six mois avant sa
mort.
Il meurt en décembre 1791, d’une infection rénale suppose-t-on. Il
n’y a pas eu de petit chien grelotant. Suivant la coutume, Mozart fut
enterré au cimetière Saint Marx aux alentours de Vienne, dans
une fosse commune, entouré… d’un millier de personnes. La légende
commençait…
La rencontre de Mozart, Benny Goodman et Charles Munch en 1956
Ahhh, j’entends déjà les puristes et les gardiens du temple mozartien se
demander pourquoi avoir choisi cet enregistrement. Un Jazzman qui joue
Mozart !! Comme s’il n’y avait pas plutôt untel ou untel à Vienne ou à
Londres ? Stop ! Parce que je suis intimement persuadé que si
Mozart – pionnier de l’utilisation de la clarinette – était parti en
goguette dans un certain Palomar Ballroom en août 1935, à
Los Angeles, il aurait swingué avec les musiciens de
Benny Goodman. Mozart inventait l’avenir musical : le piano
succédait au clavecin, la clarinette remplaçait le hautbois dans la 39ème
symphonie. Il aurait explosé de rire en entendant Boulez proférer «le Jazz c’est de la musique pour boîtes de nuit ».
Quand on parle de Benny Goodman, l’image d’une clarinette et le mot swing
viennent à l’esprit immédiatement. Mozart ? Pas sûr ! J’empiète
sur le territoire de mes camarades jazzmen, mais nous n’avons jamais évoqué
cette figure du Jazz dans le Blog. Alors, en quelques lignes…
Benny Goodman
naît en 1909 dans une famille juive de Chicago. Il joue de la
clarinette dès 10 ans à la synagogue. Déjà professionnel à 14 ans, il
gagne sa vie ! En 1925 il rejoint le groupe de
Ben Pollack et réalise ses premiers enregistrements. En
1929 il gagne New York et joue dans plusieurs ensembles.
De 1920 à 1940, l’époque dite « du swing » bat son
plein. C’est aussi le temps des Big Band tels que celui de
Duke Ellington (au Cotton Club) ou celui de Count Basie. En
1934, Benny crée son propre Big Band, qui deviendra l’un plus
populaires de l'ère du swing. Il se produit sur la NBC dans l’émission
"Let's Dance" avec d’autres musiciens réputés comme
Benny Carter.
En juillet 1935 Benny Goodman crée un Trio à l’aide de
Teddy Wilson. Benny Goodman sera le premier instrumentiste blanc à
embaucher des artistes noirs dans une époque où la ségrégation raciale sévit
toujours.
Lionel Hampton les rejoint en
août 1936 pour former un quartet.
La virtuosité de Benny Goodman lui ouvrira toutes les portes, celles de la
célèbre salle de bal Palomar à Los Angeles, puis
Carnegie Hall où il sera le premier musicien de Jazz invité dans le
temple du Philharmonique de New York. Il peut ainsi partager la scène avec
Louis Armstrong, Billie Holiday, Ella Fitzgerald, Count Basie et bien
d’autres.
Il dissout son Big Band en 1947 pour poursuivre une carrière comme
soliste et s’affiche dans quelques films, jouant Mozart dans
The Benny Goodman story en
1955. Il parcourt le monde, y compris l’URSS ! Il s’éteint à New
York en 1986.
Son répertoire classique ne se limitait pas à Mozart, il comprenait des
pièces majeures de Debussy, Aaron Copland (le concerto),
Weber, Nielsen et Brahms.
Charles Munch
a déjà fait la une du DEBLOCNOT’ dans l’article consacré à la
Symphonie Fantastique de Berlioz. Le chef d’orchestre alsacien régnera sur l’orchestre de Boston,
l’un des meilleurs de la planète, de 1949 à 1962. Bon enfant,
résistant contre le nazisme, cet homme à la culture immense appelait ses
musiciens « mes enfants » et ne criait jamais, a contrario de bien
des chefs de sa génération. Sa direction dépouillée, énergique et élégante
ne pouvait que s’accorder avec les exigences envers lui-même du
clarinettiste, sa puissance de jeu et sa sensibilité. On évoque souvent
l’ego de Goodman et un évident manque d’affabilité envers ses musiciens.
Face à un géant comme Munch, le choc ne pouvait se faire que dans un respect
mutuel bénéfique à Mozart.
Le concerto pour Clarinette K 622
Mozart a écrit le concerto pour clarinette en 1791
peu de temps avant sa mort. Il est le dernier de ses 43 concertos, ce qui
explique (maturité oblige) sa longueur et sa richesse d’inspiration. La
clarinette était une invention récente, et
Anton Stadler, virtuose de l’instrument et membre de la même loge
maçonnique que Mozart lui passa commande de l’œuvre. Il comprend trois
mouvements :
1 – Allegro : un mouvement plein de vie. L’interprétation de Goodman et de Munch
ne laisse aucune place à un quelconque maniérisme. Pour pasticher
Audiard, on pourrait dire « Faut quand même admettre : c'est plutôt une interprétation
d'homme… ». Munch prend à bras le corps
l’introduction orchestral de l’Allegro, un Mozart bien carré. L’orchestre de
Boston allie virtuosité et vigueur. De nos jours, on attendrait un peu
d’élégie, un phrasé plus souple et coloré, mais en 1956, on jouait
Mozart avec clarté et détermination, sans mièvrerie. L’entrée de la
clarinette est du même style. Benny Goodman ne cherche pas à insuffler une
métaphysique qui n’existe sans doute pas. Les notes se détachent
allégrement. Le legato est hardi mais jamais brutal. Les transitions
forte-piano ne présentent aucune rupture. Dans tout le mouvement, la poésie
joyeuse est bien présente, même si les cordes graves de l’orchestre se font
un tantinet envahissantes. Les artistes nous proposent une conjugaison
virevoltante entre jovialité et douceur toute viennoise.
2 – Adagio : il a été immortalisé dans
de nombreux films comme
Out of Africa. C’est une page plus nostalgique, à l’instar des mouvements lents des
derniers concertos pour piano, où l’intimité de Mozart se révèle dans sa
plus émouvante réalité. Ici, l’adagio prend des accents beethoveniens. Le
jeu de la clarinette est sans faille, d’une justesse inouïe, mais on
pourrait souhaiter un soupçon de romantisme bucolique dans ce passage aux
inflexions mélancoliques.
3 – Rondo : dans le final enthousiaste,
Munch et Goodman prolongent et achèvent de façon fort guillerette le
concerto. Les amateurs qui ressentent parfois un manque de clarté dans la
musique classique, un climat qui leur semble touffus, trouveront leur
bonheur dans le jeu ciselé et abrupte de cette interprétation.
En 1956 RCA, maîtrisait parfaitement la stéréophonie
depuis deux ans. On pourra trouver le son un peu dru, mais l’espace
sonore est remarquable pour une gravure de 55 ans. Une interprétation
historique qui séduira les amateurs d’une vision fougueuse de l’univers
Mozartien.
Benny Goodman avait déjà enregistré ce quintette dans les
années 30 avec le Quatuor de Budapest, l’un des meilleurs
ensembles de chambre du XXème siècle. Lors de l’enregistrement du concerto
en 1956, il récidive, accompagné de quatre solistes de l’orchestre de
Boston. Pour la petite histoire ce quintette a été utilisé dans la B.O. du
film M*A*S*H de
Robert Altman en 1970.
Il s’agit de nouveau d’une œuvre dédiée à Anton Stadler
composée et créée en
1789, période très difficile pour Mozart tant sur le plan
financier qu’en terme d’inspiration. Le quintette avec clarinette (le
premier de l’histoire) est en quatre mouvements : Allegro - Larghetto
- Menuetto - Allegretto con variazioni.
Une ambiance un peu recueillie est de mise dans ce quintette très
imprégné de la spiritualité liée aux rites maçonniques. Benny Goodman fait
chanter son instrument avec brio mais sans s’imposer. La couleur claire
obscure est bien présente. Le quatuor improvisé par des membres de
l’orchestre manque un peu de caresse et de soyeux. L’idéologie de
fraternité chère à l’idéal franc-maçon l’aurait permis. Bon, soyons
sincère, c’est une belle interprétation intériorisée qui sera une
découverte passionnante pour ceux dont la musique de chambre n’est pas
systématiquement l’intérêt premier. Les traits concertants ne peuvent
qu’émouvoir voire, trivialement, prendre aux tripes, pour chiper une
définition du blues due à une de mes lectrices experte dans ce
domaine.
Ces deux œuvres, uniques dans la production de Mozart, ouvraient la voie
à l’utilisation de la clarinette dans l’histoire de la musique. Les voir
réunies sur la même galette par des artistes aussi impliqués pour nous
faire partager la vivacité Mozartienne, est une aubaine à ne pas
manquer.
Le concerto pour clarinette suivi à [28:38] du quintette pour clarinette ;
benny Goodman est accompagné ici par le quatuor de Budapest, une gravure qui
porte son âge...
Décidément, ça se lit comme un roman policier.
RépondreSupprimerTout y est, c'est clair et même un profane peut y trouver le fil qui le conduira vers le classique comme vers le jazz.
Ce genre d'articles élève le débat, incite à la curiosité et amène le lecteur à l'Art et la Culture avec la simplicité dont seuls font montre les grands connaisseurs.
Bravo!!
Quelle plume!!!!
RépondreSupprimerCet article me donne vraiment envi d'écouter les CDs à la rencontre de Mozart et de Goodman, ayant vécus dans 2 époques différentes et surtout dans 2 mondes très differents, que sont le classique et le jazz.
En tous cas, un grand merci pour cet article passionnant!!