jeudi 10 novembre 2011

BENNY GOODMAN : Concerto pour clarinette de MOZART par Claude Toon


Wolfgang Amadeus Mozart
Mozart est si intimement lié à l’histoire de la musique classique, histoire avec un grand H, que tout un chacun se fait son image personnel du génie en perruque. Les clichés sont nombreux : le gamin aux jambes trop courtes face à son clavecin, l’épicurien pétomane et ingérable courant après les jupons, un agonisant ébauchant son Requiem pour un mystérieux inconnu, un corbillard conduit sous la neige et suivi uniquement par un chien, un cercueil abandonné dans la brume hivernale et perdu à jamais.
Mozart est-il ainsi plus une légende qu’un musicien ? Milos Forman, dans son film iconoclaste Amadeus (1984), nous dresse le portrait d’un démon de la composition vu à travers le regard de détestation de Salieri. Forman, bien qu’excessif, approche la réalité de la rage de vivre de Mozart, en diabolisant Salieri qui était un pédagogue de grand talent mais irrité par l’effronterie du génie. Il faudrait plus qu’une seule chronique pour y voir clair.
Le jeune Mozart voit le jour en janvier 1756 à Salsbourg. Son père n’est autre que Léopold Mozart, un pédagogue de renom auteur d’une célèbre symphonie « des jouets ». Dès ses trois ans, le garçon présente des dons prodigieux : une oreille absolue et vraisemblablement une mémoire eidétique (comme Lisbeth Salander dans la saga Millenium…). Déconcerté, son père lui apprend le clavecin avant la lecture, puis l’orgue et la composition. L’enfant compose à partir de 6 ans. À quatorze ans, il aurait ainsi parfaitement retranscrit le Miserere de Gregorio Allegri, polyphonie complexe de quinze minutes, en ne l'ayant écouté qu’une seule fois. Voilà pour l’enfant prodige.
La vie complète de Mozart est un thriller musical. Le jeune homme voyage beaucoup suivant les emplois qu’il occupe auprès des grands de son temps. En 1782, il préfère jouir de sa liberté pour composer à sa guise. Cette date marque le début des compositions très en avance sur leur temps : opéras, concertos et sonates pour le piano forte qui remplacera le clavecin, des quatuors et quintettes ambitieux. Le style de Mozart se caractérise par des climats joyeux (modes majeurs), et un rejet de l’académisme destiné à satisfaire des princes commanditaires peu enclins à l’innovation.
Pour aller au bout de son génie, Mozart acceptera une fin de vie matériellement difficile. Cela dit, ses grands chefs d’œuvres vont être composés en cette période : les derniers concertos pour piano, la Flûte enchantée, des symphonies qui annoncent Beethoven et Schubert et le concerto pour clarinette, sujet du jour. Ultime pied de nez d’un Franc-maçon qui avait embrassé les idées du siècle des lumières, sa dernière commande sera le fameux Requiem, en partie inachevé bien que commencé six mois avant sa mort.
Il meurt en décembre 1791, d’une infection rénale suppose-t-on. Il n’y a pas eu de petit chien grelotant. Suivant la coutume, Mozart fut enterré au cimetière Saint Marx aux alentours de Vienne, dans une fosse commune, entouré… d’un millier de personnes. La légende commençait…
 
La rencontre de Mozart, Benny Goodman et Charles Munch en 1956
Ahhh, j’entends déjà les puristes et les gardiens du temple mozartien se demander pourquoi avoir choisi cet enregistrement. Un Jazzman qui joue Mozart !! Comme s’il n’y avait pas plutôt untel ou untel à Vienne ou à Londres ? Stop ! Parce que je suis intimement persuadé que si Mozart – pionnier de l’utilisation de la clarinette – était parti en goguette dans un certain Palomar Ballroom en août 1935, à Los Angeles, il aurait swingué avec les musiciens de Benny Goodman. Mozart inventait l’avenir musical : le piano succédait au clavecin, la clarinette remplaçait le hautbois dans la 39ème symphonie. Il aurait explosé de rire en entendant Boulez proférer «le Jazz c’est de la musique pour boîtes de nuit ». 
Quand on parle de Benny Goodman, l’image d’une clarinette et le mot swing viennent à l’esprit immédiatement. Mozart ? Pas sûr ! J’empiète sur le territoire de mes camarades jazzmen, mais nous n’avons jamais évoqué cette figure du Jazz dans le Blog. Alors, en quelques lignes…
Benny Goodman naît en 1909 dans une famille juive de Chicago. Il joue de la clarinette dès 10 ans à la synagogue. Déjà professionnel à 14 ans, il gagne sa vie ! En 1925 il rejoint le groupe de Ben Pollack et réalise ses premiers enregistrements. En 1929 il gagne New York et joue dans plusieurs ensembles.
De 1920 à 1940, l’époque dite « du swing » bat son plein. C’est aussi le temps des Big Band tels que celui de Duke Ellington (au Cotton Club) ou celui de Count Basie. En 1934, Benny crée son propre Big Band, qui deviendra l’un plus populaires de l'ère du swing. Il se produit sur la NBC dans l’émission "Let's Dance" avec d’autres musiciens réputés comme Benny Carter.
En juillet 1935 Benny Goodman crée un Trio à l’aide de Teddy Wilson. Benny Goodman sera le premier instrumentiste blanc à embaucher des artistes noirs dans une époque où la ségrégation raciale sévit toujours. Lionel Hampton les rejoint en août 1936 pour former un quartet.
La virtuosité de Benny Goodman lui ouvrira toutes les portes, celles de la célèbre salle de bal Palomar à Los Angeles, puis Carnegie Hall où il sera le premier musicien de Jazz invité dans le temple du Philharmonique de New York. Il peut ainsi partager la scène avec Louis Armstrong, Billie Holiday, Ella Fitzgerald, Count Basie et bien d’autres.
Il dissout son Big Band en 1947 pour poursuivre une carrière comme soliste et s’affiche dans quelques films, jouant Mozart dans The Benny Goodman story en 1955. Il parcourt le monde, y compris l’URSS ! Il s’éteint à New York en 1986.
Son répertoire classique ne se limitait pas à Mozart, il comprenait des pièces majeures de Debussy, Aaron Copland (le concerto), Weber, Nielsen et Brahms.
Charles Munch a déjà fait la une du DEBLOCNOT’ dans l’article consacré à la  Symphonie Fantastique de Berlioz. Le chef d’orchestre alsacien régnera sur l’orchestre de Boston, l’un des meilleurs de la planète, de 1949 à 1962. Bon enfant, résistant contre le nazisme, cet homme à la culture immense appelait ses musiciens « mes enfants » et ne criait jamais, a contrario de bien des chefs de sa génération. Sa direction dépouillée, énergique et élégante ne pouvait que s’accorder avec les exigences envers lui-même du clarinettiste, sa puissance de jeu et sa sensibilité. On évoque souvent l’ego de Goodman et un évident manque d’affabilité envers ses musiciens. Face à un géant comme Munch, le choc ne pouvait se faire que dans un respect mutuel bénéfique à Mozart.
Le concerto pour Clarinette K 622
Mozart a écrit le concerto pour clarinette en 1791 peu de temps avant sa mort. Il est le dernier de ses 43 concertos, ce qui explique (maturité oblige) sa longueur et sa richesse d’inspiration. La clarinette était une invention récente, et Anton Stadler, virtuose de l’instrument et membre de la même loge maçonnique que Mozart lui passa commande de l’œuvre. Il comprend trois mouvements :
1 – Allegro : un mouvement plein de vie. L’interprétation de Goodman et de Munch ne laisse aucune place à un quelconque maniérisme. Pour pasticher Audiard, on pourrait dire « Faut quand même admettre : c'est plutôt une interprétation d'homme… ». Munch prend à bras le corps l’introduction orchestral de l’Allegro, un Mozart bien carré. L’orchestre de Boston allie virtuosité et vigueur. De nos jours, on attendrait un peu d’élégie, un phrasé plus souple et coloré, mais en 1956, on jouait Mozart avec clarté et détermination, sans mièvrerie. L’entrée de la clarinette est du même style. Benny Goodman ne cherche pas à insuffler une métaphysique qui n’existe sans doute pas. Les notes se détachent allégrement. Le legato est hardi mais jamais brutal. Les transitions forte-piano ne présentent aucune rupture. Dans tout le mouvement, la poésie joyeuse est bien présente, même si les cordes graves de l’orchestre se font un tantinet envahissantes. Les artistes nous proposent une conjugaison virevoltante entre jovialité et douceur toute viennoise.
2 – Adagio : il a été immortalisé dans de nombreux films comme Out of Africa. C’est une page plus nostalgique, à l’instar des mouvements lents des derniers concertos pour piano, où l’intimité de Mozart se révèle dans sa plus émouvante réalité. Ici, l’adagio prend des accents beethoveniens. Le jeu de la clarinette est sans faille, d’une justesse inouïe, mais on pourrait souhaiter un soupçon de romantisme bucolique dans ce passage aux inflexions mélancoliques.
3 – Rondo : dans le final enthousiaste, Munch et Goodman prolongent et achèvent de façon fort guillerette le concerto. Les amateurs qui ressentent parfois un manque de clarté dans la musique classique, un climat qui leur semble touffus, trouveront leur bonheur dans le jeu ciselé et abrupte de cette interprétation.
En 1956 RCA, maîtrisait parfaitement la stéréophonie depuis deux ans.  On pourra trouver le son un peu dru, mais l’espace sonore est remarquable pour une gravure de 55 ans. Une interprétation historique qui séduira les amateurs d’une vision fougueuse de l’univers Mozartien.
Le quintette pour clarinette et cordes K 581
Benny Goodman avait déjà enregistré ce quintette dans les années 30 avec le Quatuor de Budapest, l’un des meilleurs ensembles de chambre du XXème siècle. Lors de l’enregistrement du concerto en 1956, il récidive, accompagné de quatre solistes de l’orchestre de Boston. Pour la petite histoire ce quintette a été utilisé dans la B.O. du film M*A*S*H de Robert Altman en 1970.
Il s’agit de nouveau d’une œuvre dédiée à Anton Stadler composée et créée en 1789, période très difficile pour Mozart tant sur le plan financier qu’en terme d’inspiration. Le quintette avec clarinette (le premier de l’histoire) est en quatre mouvements : Allegro - Larghetto - Menuetto - Allegretto con variazioni.
Une ambiance un peu recueillie est de mise dans ce quintette très imprégné de la spiritualité liée aux rites maçonniques. Benny Goodman fait chanter son instrument avec brio mais sans s’imposer. La couleur claire obscure est bien présente. Le quatuor improvisé par des membres de l’orchestre manque un peu de caresse et de soyeux. L’idéologie de fraternité chère à l’idéal franc-maçon l’aurait permis. Bon, soyons sincère, c’est une belle interprétation intériorisée qui sera une découverte passionnante pour ceux dont la musique de chambre n’est pas systématiquement l’intérêt premier. Les traits concertants ne peuvent qu’émouvoir voire, trivialement, prendre aux tripes, pour chiper une définition du blues due à une de mes lectrices experte dans ce domaine.
Ces deux œuvres, uniques dans la production de Mozart, ouvraient la voie à l’utilisation de la clarinette dans l’histoire de la musique. Les voir réunies sur la même galette par des artistes aussi impliqués pour nous faire partager la vivacité Mozartienne, est une aubaine à ne pas manquer.
Il existe des versions alternatives bien entendu, mais cela sera une autre histoire….

 Vidéos
Le concerto pour clarinette suivi à [28:38] du quintette pour clarinette ; benny Goodman est accompagné ici par le quatuor de Budapest, une gravure qui porte son âge...

2 commentaires:

  1. Décidément, ça se lit comme un roman policier.

    Tout y est, c'est clair et même un profane peut y trouver le fil qui le conduira vers le classique comme vers le jazz.

    Ce genre d'articles élève le débat, incite à la curiosité et amène le lecteur à l'Art et la Culture avec la simplicité dont seuls font montre les grands connaisseurs.

    Bravo!!

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  2. Quelle plume!!!!
    Cet article me donne vraiment envi d'écouter les CDs à la rencontre de Mozart et de Goodman, ayant vécus dans 2 époques différentes et surtout dans 2 mondes très differents, que sont le classique et le jazz.
    En tous cas, un grand merci pour cet article passionnant!!

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