- Une année néfaste aux musiciens classique Claude. Quatrième RIP
depuis janvier, les maestros John Nelson et Roger Norrington, le
pianiste Alfred Brendel et ce chef aujourd'hui déjà écouté grâce à deux
chroniques dans le blog… Tu l'as entendu en concert ?
- Oui en 2019 à la Philharmonie de Paris, l'année de ses 90 ans dans un
programme comportant le double concerto de Ligeti, car cet immense
artiste a beaucoup servi la musique contemporaine…
- 70 ans de carrière, il a dû enregistrer beaucoup de disques… Un
catalogue intéressant ?
- Moins large que feus Karajan ou Dorati mais très travaillé… Dohnányi
était fidèle aux partitions et soucieux de mettre en avant chaque
instrumentiste.
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Christoph von Dohnányi jeune |
Donc Philharmonie de Paris en 2019. Le maestro quasi nonagénaire
dirige l'Orchestre de Paris. Il arrive en scène. Plutôt petit mais râblé,
Christoph von Dohnányi était de ces hommes sur
lesquels le temps ne semble pas avoir réellement de prise… Chevelure
argentée et encore fournie, pas lent mais assuré, il dirigera d'une battue
déterminée et précise, assis sur un tabouret de contrebassiste… Il devra
cravacher ses instrumentistes pendant le final de la
3ème symphonie
de
Brahms
insatisfait du tempo trop sage, manquant de lyrisme et de fougue…
Il était l'un des derniers géants de la direction d'orchestre de cette
génération, ayant cessé de diriger il y a peu.
Herbert Blomstedt
reste donc le doyen des maestros en exercice suivi maintenant de
Zubin Metha
(89 ans). En mai 2025, à 97 ans, le chef suédois a assuré un
programme
Berwald
(compositeur de son pays) et
Brahms, à Paris lui aussi. En 2026, le reverrons-nous encore une fois ?
Pas d'annonce à ce jour…
Deux gravures de Dohnányi avait été sélectionnées pour deux chroniques. L'une était une évidence : le concerto pour violon de Philip Glass, Gidon Kremer au violon – un spécialiste des musiques de son temps - et la Philharmonie de Vienne, orchestre mythique avec lequel le chef aura dirigé fréquemment (Clic). Et la seconde, avec cette même phalange, la 1ère symphonie de Mendelssohn. L'œuvre d'un compositeur de 15 ans, est jouée allègrement 😊 par Dohnányi qui montre par la vaillance juvénile de son style de direction que bien des compositeurs séniors ne posséderont jamais un talent aussi affirmé que celui du jeune Felix. (Clic)
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Une solution de facilité consisterait à renvoyer le lecteur aux éléments
biographiques résumés dans chacun de ces articles. Je souhaite m'attarder
comme historien amateur sur la famille Dohnányi dont j'ai vu qualifier à juste
titre plusieurs membres d'aristocrates humanistes. Les régimes monarchiques
ou impériaux ont tant engendré de dynasties de profiteurs et courtisans,
parfois même de débauchés, qu'évoquer la splendeur des
von Dohnányi (comme dirait Orson Welles – sauf que là, il
n'est pas question d'une chute en abîme, tout au contraire) permet de mieux
comprendre les traits de caractère de
Christoph
le maestro.
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Ernő Dohnányi (1877-1960) |
En 1667 György Dohnányi est anobli pour haut fait d'armes
lors de la guerre contre les turcs. En France Louis XIV règne en
monarque absolu.
Dohnányi est un village situé dans l'actuel Slovaquie, mais la famille trouve à
l'époque ses racines en Hongrie mais a résidé à aussi en Allemagne.
Christoph
né en 1929 à Berlin avait la double nationalité. Dans une généalogie
comprenant des scientifiques, des juristes, des musiciens… Le grand-père et
le père du maestro ont été des personnalités qui méritent que l'on s'y
attarde.
Ernő Dohnányi (1877-1960) est un contemporain et ami de Bela Bartók, certes plus célèbre de nos jours comme créateur d'une musique nouvelle. Il étudie la composition et le piano, sa virtuosité fera penser au monde musical qu'un successeur de Liszt prend son envol ! Bien entendu, il suit des cours de direction et devient un chef d'importance à Budapest, jouant notamment les œuvres de Zoltán Kodály et Bartók. Si sa musique est peu connue en occident (c'est dommage, surtout la musique de chambre), Ernő Dohnányi se révèlera l'un des professeurs de piano les plus recherchés, parmi ses élèves : Géza Anda, Annie Fischer, Georg Solti, György Cziffra... Quand on connait la carrière à venir de ces artistes 😊 !
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Hans et Christel Bonhoeffer-Dohnányi |
Ernő Dohnányi
sera idéologiquement antinazi. Mais trop âgé, il ne cherchera pas à
participer efficacement à la résistance contre le régime Horty allié
d'Hitler. Son fils Hans et deux autres membres de sa famille y
laisseront leur vie 😞.
Vers la fin de la guerre,
Ernő Dohnányi
n'attend rien de démocratique du stalinisme avec raison et fuit d'abord en
Autriche, puis en Argentine et enfin en 1948 aux USA où il travaille
et enseigne jusqu'à sa mort à New-York en 1960. Le chef
Antal Dorati, très présent dans le blog, était son neveu. Une chronique à envisager
montrera un compositeur ami et héritier de
Brahms.
Hans von Dohnányi (1902-1944), père de
Christoph, devient un brillant juriste opposé vigoureusement et activement au
nazisme. Ayant sauvé des juifs, il a été élu "juste parmi les nations". Son
épouse Christel Bonhoeffer-Dohnányi (1903-1965) et ses deux frères
Dietrich
et Klaus Bonhoeffer participeront eux aussi à la résistance. Seule
Christel, bien qu'arrêtée par la gestapo échappera à la mort. Son
mari et ses deux frères connaitront des exécutions atroces dans divers camps
de concentration sur ordre direct d'Himmler pendant la débâcle du
régime en avril 1945. Rares sont les familles, surtout de la
noblesse, à avoir accepté un tel sacrifice.
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Coffret 40 CD |
Après ce récit, revenons à l'hommage à
Christoph von Dohnányi. Né en 1929, avant et pendant la guerre, il étudie le droit, une
vocation fréquente dans la famille. Son frère Klaus né en
1928, et toujours parmi nous, suivra la même voie. Membre du Parti
social-démocrate SPD, il deviendra Maire de Hambourg et ministre du
chancelier Willy Brandt.
Pendant ses jeunes années
Christoph
chantera dans le
Chœur Saint Thomas de Leipzig, le temple de
Bach. Cette expérience sera-t-elle une révélation de sa passion musicale ?
Après la guerre, il étudie le piano, la composition et la direction
d'orchestre à Munich. Il part aux USA achever sa formation auprès de son
grand-père
Ernő Dohnányi
et de
Leonard Bernstein
déjà célèbre.
La liste des postes occupés donne le vertige :
-
1957-1963
directeur musical à
Lübeck
-
1963-1966
directeur musical à
Kassel
-
1968-1977
directeur musical de l'Opéra de Francfort
-
1964-1969
direction de l'Orchestre symphonique du WDR de Cologne
-
1975
directeur musical du "Philharmonisches Staatsorchester Hamburg" et intendant de l'Opéra de Hambourg
-
1982-1984
puis
1984-2002
directeur adjoint puis directeur musical de de l'Orchestre de Cleveland (20 ans, un record pour cette formation prestigieuse du groupe des big
five.
-
1994 / 1997-2003
premier chef invité puis chef principal du
Philharmonia Orchestra de Londres
-
1998-2000
principal chef invité et conseiller artistique de l'Orchestre de Paris
-
2004-2011
direction de l'Orchestre symphonique du NDR de l’Elbphilharmonie de Hambourg
-
Pendant toute sa carrière : une
centaine de concerts avec la
Philharmonie de Vienne
qui n'a pas de chef attitré.
Depuis 2011, il parcourait inlassablement la planète, donnant des
concerts comportant souvent de la musique contemporaine.
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La semaine passée, j'imaginais un ouvrage guide "pour les nuls" justifiant
mon plan rédactionnel. La généalogie de
Christoph von Dohnányi
ne me semble pas hors sujet. Elle permettra d'apprécier son tempérament en
découvrant la lignée d'intellectuels et d'humanistes dont il était un
héritier.
N'ayant évidemment jamais croisé le maître pour une interview, fions-nous à
des témoignages : "personnalité exigeante et rigoureuse". Son répertoire était à l'évidence influencé par la fidélité de son père
à la tradition classique-romantique, mais aussi à la musique moderne. Dans
sa direction,
Dohnányi
était un adepte des tempos sans legato non précisé sous les portées, aucun
rubato hédoniste, un respect des indications du compositeur, point. Il en
ressort tant au concert qu'au disque une impression de retenue. Possible,
mais le gain en clarté est fabuleux, chaque instrument prend sa place, si
modeste soit sa contribution (une note !). Cela s'entendra nettement dans
Mort et Transfiguration
de
R. Strauss
(le final). Il y a une remarque dans Wikipédia que j'aime "cette technique précise bénéficie au chant secondaire". En un mot on entend tout !!!!
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Christoph von Dohnányi et Hans Werner Henze à New-York vers 1975 |
On a pu croire que
Christoph von Dohnányi
semblait froid et même intransigeant avec les musiciens. Hors, il n'en était
rien, du travail et de la patience, ah oui, les musiciens devaient en avoir…
Je propose une vidéo d'une répétition du diaboliquement difficile double
concerto pour flûte et hautbois de
Ligeti.
Dohnányi
a 89 ans, il explique, détaille calmement, peut amuser, la harpiste sourit.
Cette façon détendue de peaufiner en murmurant calmement des précisions se
révèle aux antipodes de l'hystérie grossière d'un
Toscanini
ou d'un
Reiner, de l'impatience ronchonne d'un
Carlos Kleiber ou méprisante d'un
Celibidache… Et au final le résultat est tout aussi parfait.
Le chef était discret, ignorant le showbiz "karajanesque". Cela peut
expliquer que les médias ont passé sa disparition sous un silence
assourdissant (exception : la presse papier).
Dohnányi
n'a rien composé de notable semble-t-il. Par contre, il fut le compagnon de
route de
Ligeti
(Clic)
dont il créa entre autres le
double concerto
en 1972 et l'inscrivit souvent à ses programmes. Autre complicité :
celle avec le compositeur allemand
Hans Werner Hense, auteur d'une musique contemporaine en marge des tendances obsessionnelles
du sérialisme, poétique et lyrique, disons… accessible.
Dohnányi
a créé plusieurs de ses opéras.
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Anthologie :
Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée. Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…
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INFO : Pour les vidéos ci-dessous, sous réserve d'une écoute directement sur la page web de la chronique… la lecture a lieu en continu sans publicité 😃 Cool. |
Vidéo 1 : répétition du
double concerto pour flûte et hautbois
de
Ligeti.
Orchestre symphonique de la radio bavaroise
(2018).
Vidéo 2 :
Nachtstücke und Arien (Nocturne et aria) pour orchestre de
Hans Werner Hense,
Orchestre de la radio de
Cologne.
Vidéo 3 : Concert Live : NDR Elbphilharmonie Orchester (janvier 2020)
1. Charles Edward Ives - The Unanswered Question (question sans réponse) du compositeur américain fantasque.
2. György Ligeti - double concerto pour flûte et hautbois [07:43]
3. Tchaïkovski - Symphonie Nr. 6 op. 74 "Pathétique" [30:35] (Chronique)
Vidéo 4 : Dvoràk : symphonie N°7 opus 70 – Orchestre de Cleveland (DECCA 1986) (Chronique)
Vidéo 5 : Orchestre de Cleveland (DECCA 1992)
-
Richard Strauss – Tod und Verklärung (Mort et transfiguration) (Chronique)
-
Richard Strauss – Metamorphosen (Métamorphoses pour 23 cordes) (Chronique)
Vidéo 6 : Orchestre de Cleveland (DECCA 1995)
-
Bela Bartok – Musique pour cordes, Percussion & Célesta (Chronique)
-
Bohuslav Martinů – Concerto pour quatuor à cordes & Orchestre
Superbe intégrale des symphonies de Beethoven avec Cleveland, parue chez Telarc et malheureusement non rééditée, peut être la meilleure parue dans les années 80, et non moins remarquable intégrale des symphonies de Mendelssohn avec Vienne pour Decca. Un immense chef, en effet, loin du fracas médiatique…
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