lundi 15 septembre 2025

R.I.P. Le maestro Christoph von DOHNÁNYI nous a quittés (1929-2025) – Hommage de Claude Toon



- Une année néfaste aux musiciens classique Claude. Quatrième RIP depuis janvier, les maestros John Nelson et Roger Norrington, le pianiste Alfred Brendel et ce chef aujourd'hui déjà écouté grâce à deux chroniques dans le blog… Tu l'as entendu en concert ?

- Oui en 2019 à la Philharmonie de Paris, l'année de ses 90 ans dans un programme comportant le double concerto de Ligeti, car cet immense artiste a beaucoup servi la musique contemporaine…

- 70 ans de carrière, il a dû enregistrer beaucoup de disques… Un catalogue intéressant ?

- Moins large que feus Karajan ou Dorati mais très travaillé… Dohnányi était fidèle aux partitions et soucieux de mettre en avant chaque instrumentiste.


Christoph von Dohnányi jeune

Donc Philharmonie de Paris en 2019. Le maestro quasi nonagénaire dirige l'Orchestre de Paris. Il arrive en scène. Plutôt petit mais râblé, Christoph von Dohnányi était de ces hommes sur lesquels le temps ne semble pas avoir réellement de prise… Chevelure argentée et encore fournie, pas lent mais assuré, il dirigera d'une battue déterminée et précise, assis sur un tabouret de contrebassiste… Il devra cravacher ses instrumentistes pendant le final de la 3ème symphonie de Brahms insatisfait du tempo trop sage, manquant de lyrisme et de fougue…

Il était l'un des derniers géants de la direction d'orchestre de cette génération, ayant cessé de diriger il y a peu. Herbert Blomstedt reste donc le doyen des maestros en exercice suivi maintenant de Zubin Metha (89 ans). En mai 2025, à 97 ans, le chef suédois a assuré un programme Berwald (compositeur de son pays) et Brahms, à Paris lui aussi. En 2026, le reverrons-nous encore une fois ? Pas d'annonce à ce jour…

Deux gravures de Dohnányi avait été sélectionnées pour deux chroniques. L'une était une évidence : le concerto pour violon de Philip Glass, Gidon Kremer au violon – un spécialiste des musiques de son temps - et la Philharmonie de Vienne, orchestre mythique avec lequel le chef aura dirigé fréquemment (Clic). Et la seconde, avec cette même phalange, la 1ère symphonie de Mendelssohn. L'œuvre d'un compositeur de 15 ans, est jouée allègrement 😊 par Dohnányi qui montre par la vaillance juvénile de son style de direction que bien des compositeurs séniors ne posséderont jamais un talent aussi affirmé que celui du jeune Felix. (Clic)

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Une solution de facilité consisterait à renvoyer le lecteur aux éléments biographiques résumés dans chacun de ces articles. Je souhaite m'attarder comme historien amateur sur la famille Dohnányi dont j'ai vu qualifier à juste titre plusieurs membres d'aristocrates humanistes. Les régimes monarchiques ou impériaux ont tant engendré de dynasties de profiteurs et courtisans, parfois même de débauchés, qu'évoquer la splendeur des von Dohnányi (comme dirait Orson Welles – sauf que là, il n'est pas question d'une chute en abîme, tout au contraire) permet de mieux comprendre les traits de caractère de Christoph le maestro.


Ernő Dohnányi (1877-1960)

En 1667 György Dohnányi est anobli pour haut fait d'armes lors de la guerre contre les turcs. En France Louis XIV règne en monarque absolu. Dohnányi est un village situé dans l'actuel Slovaquie, mais la famille trouve à l'époque ses racines en Hongrie mais a résidé à aussi en Allemagne. Christoph né en 1929 à Berlin avait la double nationalité. Dans une généalogie comprenant des scientifiques, des juristes, des musiciens… Le grand-père et le père du maestro ont été des personnalités qui méritent que l'on s'y attarde.

Ernő Dohnányi (1877-1960) est un contemporain et ami de Bela Bartók, certes plus célèbre de nos jours comme créateur d'une musique nouvelle. Il étudie la composition et le piano, sa virtuosité fera penser au monde musical qu'un successeur de Liszt prend son envol ! Bien entendu, il suit des cours de direction et devient un chef d'importance à Budapest, jouant notamment les œuvres de Zoltán Kodály et Bartók. Si sa musique est peu connue en occident (c'est dommage, surtout la musique de chambre), Ernő Dohnányi se révèlera l'un des professeurs de piano les plus recherchés, parmi ses élèves : Géza Anda, Annie Fischer, Georg Solti, György Cziffra... Quand on connait la carrière à venir de ces artistes 😊 !

Hans et Christel Bonhoeffer-Dohnányi
 

Ernő Dohnányi sera idéologiquement antinazi. Mais trop âgé, il ne cherchera pas à participer efficacement à la résistance contre le régime Horty allié d'Hitler. Son fils Hans et deux autres membres de sa famille y laisseront leur vie 😞.

Vers la fin de la guerre, Ernő Dohnányi n'attend rien de démocratique du stalinisme avec raison et fuit d'abord en Autriche, puis en Argentine et enfin en 1948 aux USA où il travaille et enseigne jusqu'à sa mort à New-York en 1960. Le chef Antal Dorati, très présent dans le blog, était son neveu. Une chronique à envisager montrera un compositeur ami et héritier de Brahms.

Hans von Dohnányi (1902-1944), père de Christoph, devient un brillant juriste opposé vigoureusement et activement au nazisme. Ayant sauvé des juifs, il a été élu "juste parmi les nations". Son épouse Christel Bonhoeffer-Dohnányi (1903-1965) et ses deux frères Dietrich et Klaus Bonhoeffer participeront eux aussi à la résistance. Seule Christel, bien qu'arrêtée par la gestapo échappera à la mort. Son mari et ses deux frères connaitront des exécutions atroces dans divers camps de concentration sur ordre direct d'Himmler pendant la débâcle du régime en avril 1945. Rares sont les familles, surtout de la noblesse, à avoir accepté un tel sacrifice.

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Coffret 40 CD
 

Après ce récit, revenons à l'hommage à Christoph von Dohnányi. Né en 1929, avant et pendant la guerre, il étudie le droit, une vocation fréquente dans la famille. Son frère Klaus né en 1928, et toujours parmi nous, suivra la même voie. Membre du Parti social-démocrate SPD, il deviendra Maire de Hambourg et ministre du chancelier Willy Brandt.

Pendant ses jeunes années Christoph chantera dans le Chœur Saint Thomas de Leipzig, le temple de Bach. Cette expérience sera-t-elle une révélation de sa passion musicale ? Après la guerre, il étudie le piano, la composition et la direction d'orchestre à Munich. Il part aux USA achever sa formation auprès de son grand-père Ernő Dohnányi et de Leonard Bernstein déjà célèbre.

La liste des postes occupés donne le vertige :

- 1957-1963 directeur musical à Lübeck

- 1963-1966 directeur musical à Kassel

- 1968-1977 directeur musical de l'Opéra de Francfort

- 1964-1969 direction de l'Orchestre symphonique du WDR de Cologne

- 1975 directeur musical du "Philharmonisches Staatsorchester Hamburg" et intendant de l'Opéra de Hambourg

- 1982-1984 puis 1984-2002 directeur adjoint puis directeur musical de de l'Orchestre de Cleveland (20 ans, un record pour cette formation prestigieuse du groupe des big five.

- 1994 /  1997-2003 premier chef invité puis chef principal du Philharmonia Orchestra de Londres

- 1998-2000 principal chef invité et conseiller artistique de l'Orchestre de Paris

- 2004-2011 direction de l'Orchestre symphonique du NDR de l’Elbphilharmonie de Hambourg

- Pendant toute sa carrière : une centaine de concerts avec la Philharmonie de Vienne qui n'a pas de chef attitré.

Depuis 2011, il parcourait inlassablement la planète, donnant des concerts comportant souvent de la musique contemporaine.

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La semaine passée, j'imaginais un ouvrage guide "pour les nuls" justifiant mon plan rédactionnel. La généalogie de Christoph von Dohnányi ne me semble pas hors sujet. Elle permettra d'apprécier son tempérament en découvrant la lignée d'intellectuels et d'humanistes dont il était un héritier.

N'ayant évidemment jamais croisé le maître pour une interview, fions-nous à des témoignages : "personnalité exigeante et rigoureuse". Son répertoire était à l'évidence influencé par la fidélité de son père à la tradition classique-romantique, mais aussi à la musique moderne. Dans sa direction, Dohnányi était un adepte des tempos sans legato non précisé sous les portées, aucun rubato hédoniste, un respect des indications du compositeur, point. Il en ressort tant au concert qu'au disque une impression de retenue. Possible, mais le gain en clarté est fabuleux, chaque instrument prend sa place, si modeste soit sa contribution (une note !). Cela s'entendra nettement dans Mort et Transfiguration de R. Strauss (le final). Il y a une remarque dans Wikipédia que j'aime "cette technique précise bénéficie au chant secondaire". En un mot on entend tout !!!!


Christoph von Dohnányi  et Hans Werner Henze
à New-York vers 1975

On a pu croire que Christoph von Dohnányi semblait froid et même intransigeant avec les musiciens. Hors, il n'en était rien, du travail et de la patience, ah oui, les musiciens devaient en avoir… Je propose une vidéo d'une répétition du diaboliquement difficile double concerto pour flûte et hautbois de Ligeti. Dohnányi a 89 ans, il explique, détaille calmement, peut amuser, la harpiste sourit. Cette façon détendue de peaufiner en murmurant calmement des précisions se révèle aux antipodes de l'hystérie grossière d'un Toscanini ou d'un Reiner, de l'impatience ronchonne d'un Carlos Kleiber ou méprisante d'un Celibidache… Et au final le résultat est tout aussi parfait.

Le chef était discret, ignorant le showbiz "karajanesque". Cela peut expliquer que les médias ont passé sa disparition sous un silence assourdissant (exception : la presse papier).  

Dohnányi n'a rien composé de notable semble-t-il. Par contre, il fut le compagnon de route de Ligeti (Clic) dont il créa entre autres le double concerto en 1972 et l'inscrivit souvent à ses programmes. Autre complicité : celle avec le compositeur allemand Hans Werner Hense, auteur d'une musique contemporaine en marge des tendances obsessionnelles du sérialisme, poétique et lyrique, disons… accessible. Dohnányi a créé plusieurs de ses opéras.  

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Anthologie :

 

Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée.

Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…


INFO : Pour les vidéos ci-dessous, sous réserve d'une écoute directement sur la page web de la chronique… la lecture a lieu en continu sans publicité 😃 Cool. 

Vidéo 1 : répétition du double concerto pour flûte et hautbois de Ligeti. Orchestre symphonique de la radio bavaroise (2018).

Vidéo 2 : Nachtstücke und Arien (Nocturne et aria) pour orchestre de Hans Werner Hense, Orchestre de la radio de Cologne.

 

 

Vidéo 3 : Concert Live : NDR Elbphilharmonie Orchester (janvier 2020)

1.   Charles Edward Ives - The Unanswered Question (question sans réponse) du compositeur américain fantasque.

2.   György Ligeti - double concerto pour flûte et hautbois [07:43]

3.   Tchaïkovski - Symphonie Nr. 6 op. 74 "Pathétique" [30:35] (Chronique)

 

Vidéo 4 Dvoràk : symphonie N°7 opus 70 – Orchestre de Cleveland (DECCA 1986) (Chronique)


 

Vidéo 5 Orchestre de Cleveland (DECCA 1992)

  1. Richard Strauss – Tod und Verklärung (Mort et transfiguration) (Chronique)
  2. Richard Strauss – Metamorphosen (Métamorphoses pour 23 cordes) (Chronique)

 

Vidéo 6 Orchestre de Cleveland (DECCA 1995)

  1. Bela Bartok – Musique pour cordes, Percussion & Célesta  (Chronique)
  2. Bohuslav Martinů  – Concerto pour quatuor à cordes & Orchestre



1 commentaire:

  1. Superbe intégrale des symphonies de Beethoven avec Cleveland, parue chez Telarc et malheureusement non rééditée, peut être la meilleure parue dans les années 80, et non moins remarquable intégrale des symphonies de Mendelssohn avec Vienne pour Decca. Un immense chef, en effet, loin du fracas médiatique…

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