samedi 22 septembre 2018

TCHAIKOVSKI – Symphonie N°6 "Pathétique" – Igor MARKEVITCH (1964) – par Claude Toon



- Mais M'sieur Claude, vous aviez déjà consacré un papier aux symphonies 4 à 6 de Tchaïkovski en 2012, ça devient du réchauffé !
- Enfin Sonia, relisez cet article, il avait pour but essentiel de comparer le style des gravures cultes de Mravinsky de 1960 vs un DVD génial de Gergiev en live salle Pleyel…
- Ah oui, je vois vous ne parliez pas très en détail des 3 symphonies, en effet, au contraire d'autres symphonistes…
- … Que l'on ne compte plus : Brahms, Mahler, Beethoven, Bruckner, Schumann, Sibelius, etc. dont la présentation  des cycles symphoniques va bientôt être complète…
- Igor Markevitch n'a jamais été au centre d'un commentaire… Ah si, justement dans la symphonie "Rêves d'hiver", la n°1 de Tchaïkovski… Un chef important ?
- Ô que oui, mais disparu prématurément en 1983. Une interprétation à comparer sans réserve à la vision frénétique et crépusculaire de Mravinsky, c'est tout dire !!!

Dernier portrait en 1893
Oui, étrange que je me sois limité à présenter très sommairement les trois ultimes symphonies de Tchaïkovski en plus de huit ans de rédaction ! Trois symphonies parmi les plus essentielles de l'histoire de la musique russe et bien au-delà. Et parmi celles-ci, la dernière dite "Pathétique" est un ouvrage puissant, au sous-titre accepté par le compositeur, et dont la popularité et l'importance dans les programmes de concert rivalisent avec la Symphonie du "Nouveau monde" de Dvorak, ou encore la 5ème symphonie de Beethoven et bien d'autres…
J'avais écrit une courte biographie du compositeur russe dans mon second papier consacré à quatre concertos, dont celui de Tchaïkovski, joués par la jeune Hilary Hahn (Clic). Tchaïkovski, l'écorché vif angoissé, exigeant avec son travail, critiquant son ballet Casse-noisette, pourtant l'un des plus imaginatifs de tout le répertoire. Enfin, une bisexualité impossible à vivre dans la Russie du XIXème siècle, situation qui lui vaudra bien des inimitiés. Il y plusieurs hypothèses à propos de sa mort, neuf jours après la création de cette symphonie au final adagio tragique et prémonitoire. Aurait-il contracté le choléra en buvant de l'eau de la Neva ? (Bon Ok, le vibrion résiste à l'hiver moscovite). Un suicide ? (Possible pour cette homme dépressif, mais hypothèse contestable après le succès de son œuvre qu'il aimait beaucoup – l'estime de sa patrie en tant que compositeur est telle qu'il bénéficiera d'obsèques nationales en présence de près de dix milles personnes)… Un complot homophobe qui l'aurait obligé, tel Socrate, à s'empoisonner à l'arsenic après la révélation (dénonciation) d'une supposée liaison avec un jeune cadet de 17 ans, fils du prince Stenbock-Fermor ? Cette dernière hypothèse semble la plus solide depuis 1979… À l'époque des tsars, on ne badinait pas avec de telles atteintes aux bonnes mœurs… Il faut savoir aussi qu'une 7ème symphonie était en cours de composition. Alors, le suicide spontané, bizarre !?
Toujours pour les même raisons, en 1890, lors de la révélation de son homosexualité, sa protectrice, Nadejda Von Meck lui coupe les vivres, prétextant des problèmes d'argent. Hypocrisie.

Ce sont pendant ces années noires et un climat délétère que la 6ème symphonie va voir le jour. Un ouvrage qui échappe à toutes les apologies. Tchaïkovski, très enthousiasmé par son projet ébauche la partition en février 1893 et achève l'orchestration en août. La forme est très nouvelle : un premier mouvement d'une durée digne de ce qu'on rencontre chez Bruckner et enchainant adagio, andante et allegro (furioso à mon sens). Après quelques hésitations, le compositeur conclut son œuvre par un adagio élégiaque qui fait pleurer nos amis slaves depuis 125 ans ! Une première dans l'univers symphonique que Mahler exploitera plus de quinze ans plus tard dans la conclusion de sa 9ème symphonie, un thrène tout aussi désenchanté. La première a lieu en petit comité le 28 octobre 1893. Le public restreint apprécie cet étrange final mortifère. Tchaïkovski meurt le 6 novembre. Il n'entendra pas la création officielle le 18 novembre. Le succès est là, même si la fin déroute le public par un tempo aussi lent, une musique qui se meurt. L'édition aura lieu en 1894 et l'œuvre reçoit le sous-titre de "Pathétique" d'après une proposition du frère du compositeur qui en avait apprécié l'idée…
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Igor Markevitch (à droite) entouré de jeunes musiciens.
Bien que compositeur, Igor Markevitch est mieux connu et apprécié comme maestro de grand talent. Le musicologue helvétique Robert-Aloys Mooser (1876-1969) avait même écrit ou dit "Je n'ai guère rencontré que deux compositeurs qui possédaient d'égales aptitudes dans l'art d'écrire et dans celui de conduire : Gustav Mahler et Richard Strauss. À ces deux exceptions vient s'ajouter aujourd'hui celle d'Igor Markevitch". Je ne partage que modérément cette opinion dans le sens où les œuvres de ces deux compositeurs forment des noyaux durs des saisons symphoniques, parfois à l'excès, tandis que les partitions contemporaines de Igor Markevitch restent très confidentielles. Par contre sa belle discographie demeure un incontournable dans bien des registres. Nota : aux maestros cités par Mooser, j'ajouterais Felix Mendelssohn, même si évidemment le musicologue n'a pu l'entendre ou le rencontrer.
Igor Markevitch voit le jour en 1912 dans une famille aristocratique ukrainienne très impliquée dans la vie musicale russe. Sa parenté a côtoyé Rimsky-Korsakov, Liadov, Glazounov, Glinka… Son arrière-grand-père jouait du violon sur un stradivarius et participa à la création du conservatoire de Saint-Pétersbourg. Son père est pianiste mais déjà de santé fragile à la naissance d'Igor. En 1915, la famille part pour la Suisse. Leur origine princière leur interdira un retour vers la Russie devenue bolchévique. La jeunesse du futur compositeur et maestro sera un éternel aller et retour entre Vevey, Lausanne et Paris. Il va ainsi apprendre le piano avec divers professeurs et la composition avec Nadia Boulanger.
En 1928, sa route croise de celle de Diaghilev, grand maître des ballets russes, commanditaire au début du siècle des chefs-d'œuvre de Debussy, Ravel et bien entendu de Stravinsky. Les deux hommes vont collaborer et on voit naître la Sinfonietta et le concerto pour piano… Le jeune homme de 16 ans fera aussi la connaissance de Cocteau. En 1933, le chorégraphe Serge Lifare lui commande l'envol d'Icare. La composition d'ouvrages divers l'occupera jusqu'en 1950. Mais un second destin l'attend.
En 1933, Markevitch rencontre Pierre Monteux, l'un des plus illustres chefs français, le créateur de Petrouchka et du Sacre. Il va faire un nouveau choix et s'orienter vers la direction d'orchestre.
Sa carrière sur les podiums va réellement démarrer après la guerre pendant laquelle Igor Markevitch va participer à la résistance contre les nazis et les fascistes en Italie. Il ne sera jamais complètement attaché à un orchestre international. Pourtant de 1957 à 1961, il va élever au niveau le plus haut l'orchestre mythique des Concerts Lamoureux. Il enregistre beaucoup, notamment pour les labels DG et Erato  avec des phalanges prestigieuses comme le symphonique de Londres, le Philharmonia ou la Philharmonie de Berlin. Son répertoire est large : classique, romantique, musique contemporaine. Une intégrale de ses propres œuvres est en cours chez Naxos. Une grande partie de ses gravures ne quittent jamais le catalogue.
Un peu oublié du grand public de nos jours ? Oui, hélas. Il meurt prématurément à 70 ans d'un infarctus après une tournée épuisante au Japon qui, pour ce globe-trotter de la baguette, n'était peut-être pas étrangère à cette fin dramatique.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Troika, Wassili Perov, 1866
L'orchestration est caractéristique de la fin du romantisme russe :
3 flûtes (+ piccolo), 2 hautbois, 2 clarinettes en la, 2 bassons, 4 cors (en fa), 2 trompettes (en la et si bémol), 3 trombones (2 ténors et 1 basse), 1 tuba, timbales, cymbales, grosse caisse, tam-tam et cordes.

1 – Adagio - Allegro non troppo : Structuré en cinq parties très différenciées dans l'esprit, plus sa coda, le long premier mouvement témoigne de la volonté de Tchaïkovski, comme tous les génies fondateurs du postromantisme, d'échapper au dictat des formes sonates normalisées qui, trop appliquées à la lettre, peuvent nuire à l'intensité des émotions et confidences confiées à l'auditeur, au suspens. Vont ainsi se succéder : la tristesse et la douleur, le lyrisme slave, la danse, la tempête et la rage et enfin : la réconciliation. Une vingtaine de minutes qui rapproche ce premier mouvement des trois ouvertures-fantaisies d'inspiration shakespearienne déjà commentées dans ce blog comme Roméo et Juliette  ou la tempête. (Clic) La densité de thèmes est stupéfiante et disserter sur la richesse innovante de l'écriture nécessiterait un bien long chapitre. Tentons de cerner la succession des épisodes dans le récit symphonique. (Oui on peut le dire, une forme d'enchaînement épique, telle celle d'un poème symphonique.)
L'introduction débute par un chant lugubre au basson solo d'une tristesse infinie, vision amère des brouillards givrés et grisâtres des steppes hivernales. Est-ce la tristesse qui envahit l'âme du compositeur dans ces années déprimantes, de rejet de son être par les esprits bien-pensants ? Un ténu accompagnement des altos et des contrebasses accentue ce sentiment de douleur jusqu'aux sanglots dont les slaves ont le secret. Tchaïkovski aimait la voix ténébreuse et dramatique des bassons ; on les retrouve en trio énoncer le premier thème sévère de la symphonie tragique Manfred. Ce chant désespéré sera repris en complicité avec la clarinette et le cor qui tentent d'éclaircir ce climat mortifère d'une lueur d'espoir. [2:11] De cette grisaille originelle surgit un premier groupe thématique allègre (allegro non troppo) contrastant avec la noirceur de l'adagio. Le premier thème joué aux cordes et aux bois nous renvoit aux motifs colorés si souvent entendus dans les grands ballets. [3:00] La musique s'illumine de solos de flûte et de hautbois avant de dériver en une fanfare brillante et héroïque. Tchaïkovski nous a-t-il trompés par son introduction digne d'un requiem ? Ce passage presque pastoral montre un homme qui croit encore à la vie. [4:45] Un second groupe thématique également joué principalement par les cordes explore une autre idée, celle de la tendresse, avec son chatoyant dialogue basson-flûte-hautbois à [5:41]. J'utilisais le mot danse dans mon préambule car, avec sa rythmique assumée, la mélodie inspirerait certainement les ballerines du Bolchoï, la musique s'y prête merveilleusement. Un développement varié et par instant lascif joue la carte du tendre, gagne dans l'intimité la plus nocturne avec les chant des bois et très logiquement du basson en dernier, une extinction notée pppppp. (La limite quasi impossible pour des vents ; on frise l'inaudible en fond de salle et les instrumentistes et ingénieurs du son doivent tricher au disque.)    
Silence, Dubovsky. 1890.
[9:52] Un allegro vivo va marquer de développement central par sa violence, sa hargne, une symbiose entre la colère, la rage et le désespoir. Un accord en tutti (sur une croche note ff) déchire l'espace. L'orchestre se lance dans une danse démoniaque et frénétique : phrases déchirantes aux cordes, fanfares sataniques, sarcasmes des bois. Une violence exacerbée rarement rencontrée chez Tchaïkovski dans une œuvre de musique pure au programme et à l'interprétation laissés libres à l'auditeur. Après un passage qui semble vouloir assagir le propos, la folie infernale resurgit pour évoluer vers un thrène puissant et affligé. [14:43] Après un ultime et sombre accord des cuivres, presque un ultime soupir, arrive le temps de ce j'ai nommé "réconciliation". La conclusion se dirige vers une sérénité retrouvée, une petite marche à pas feutrés dans les neiges sur lesquelles un rayon de soleil a enfin percé les brumes. La direction de Markevitch sert à merveille par ses contrastes dynamiques sans concession, la perfection de l'équilibre entre les pupitres de l'orchestre londoniens. Au chant plaintif, le chef russe préfère la vigueur, la tragédie dans ses diverses ambigüités énumérées en préface. Son style d'interprétation et bien entendu la vaillance de cette partition de tous les excès justifient pleinement dès le premier mouvement le surnom de "pathétique".

"Fêtes rurales" Hilarion Pryanichnikov
2 - Allegro con grazia [18:45] Tchaïkovski ne se plie pas à la règle du mouvement lent en seconde position dans son œuvre. Celui-ci conclura la symphonie. Déjà une première innovation. Puis, seconde fantaisie : cet allegro "gracieux" est écrit sur une mesure à cinq temps 5/4. Bien que cette mesure soit d'un usage très courant dans les pays slaves, tant dans les chansons que dans les danses populaires, la musique classique occidentale ne l'a presque jamais utilisée jusqu'alors. Le groupe des cinq va la réhabiliter. La forme générale sera celle d'un scherzo mais avec un tempo modéré. Dès les premières mesures, le compositeur nous invite à écouter une mélodie proche de la valse. À noter qu'il existe des valses à cinq temps, la terreur des danseurs de salon 😖. La chorégraphie symphonique à laquelle nous invite Tchaïkovski privilégie les cordes qui virevoltent gaiement. Danse de paysans ou de grande fête chez le tsar ? Peu importe, Tchaïkovski chante sa passion pour les rythmes de sa patrie. [21:18] Trio et seconde idée plus élégiaque, moins dansante, qui semble établir un pont avec l'amertume du premier mouvement. Joli contraste que ce trio après la rupture de ton assurée par la frivolité du premier thème pivot du "scherzo". [23:02] Retour du thème introductif mais pas da capo, loin de là… La musique prend son envol après une reprise classique. [25:00] Une étrange coda se dessine avec des motifs nouveaux (encore une excentricité), des tenues de cors et une conclusion nostalgique. On s'interroge sur l'apparente gaité de cet allegro. N'est-elle pas feinte ?

Retour du printemps de Vladimir Jdanov
3 - Allegro molto vivace [26:24] Le scherzo apparaît très pétillant dès les mesures primesautières introductives. Climat plutôt insolite après les tourments et doutes qui parcourent les deux premiers mouvements. Une joute entre le groupe des bois et celui des vents invite le hautbois [26:38]  à entonner le premier thème sautillant. La musique étincelle par petites touches de flûtes, de trompettes, traits de cors, quelques pizzicati tandis que les cordes dépeignent un décor mélodique dansant, affirmé et obstiné. [27:34] Le flot musicale gagne en hardiesse en poursuivant sur sa rythmique incisive, une forme de perpetuum mobile. [28:14] Une reprise soutenue par la clarinette solo relance le facétieux mouvement et peut être considérée comme l'amorce du trio. Tchaïkovski abandonne le très traditionnel scherzo et sa symétrie : rapide – lent – rapide, découpage souvent très arithmétique comme chez Bruckner, avec des matériaux thématiques nettement différenciés. Aucune de rupture de tempo ou de nouveaux motifs vont émerger du scherzo pour annoncer ce trio. Néanmoins, les cuivres ont la part belle dans ce passage central. [29:26] Retour du thème initial et début d'un crescendo sans limite pour la reprise et la coda complètement apocalyptique. À quoi pense le compositeur en écrivant cette page surprenante de paroxysme orchestral dans cette symphonie si austère ? Une danse débridée qui lui rappelle le succès de ses ballets ? Une course effrénée et goguenarde pour fustiger la haine à son encontre ? Le morceau se termine par une marche diabolique impulsée par des coups de cymbales. Direction d'une détermination quasi barbaresque de Markevitch… La partition est tellement dense pour cette dizaine de minutes, les changements de tonalités si nombreux, qu'elle devient quasi indéchiffrable pour le non expert que je suis 😖. (Partition)

Steppes brumeuses (branislav marković umbra)
4 - Adagio lamentoso [35:51] Terminer une symphonie par un adagio glaçant est une nouveauté totale à l'époque. Dans la symphonie "Les adieux" de Haydn, il s'agissait d'un gag du débonnaire autrichien (les musiciens sortant un à un). Commencée dans la tristesse, l'œuvre se termine dans le désespoir, une marche funèbre qui marquera sans doute Mahler qui adoptera le concept dans son ultime symphonie achevée au siècle suivant, la n°9. Difficile d'échapper à l'emprise "pathétique" de ce final à l'écoute duquel tout mélomane qui a un cœur ne sort pas indemne. Et pourtant, cet adagio ne couvre que les 19 dernières pages d'une partition qui en comporte 158.
La répétition de deux longues phrases désenchantées aux cordes nous plonge dans un univers de mélancolie aux teintes funèbres. Chaque phrase se conclut par un bref motif des flûtes et des bassons. Le ton est donné, celui qui traduit les illusions perdues, le spectre d'un lacrymosa d'un requiem, les pleurs face à une existence aux lendemains menaçants. La mélodie se prolonge en crescendo, hésitante, dramatique, avec, une fois de plus, le chant lugubre du basson. Tchaïkovski avait imaginé écrire une marche mais après réflexion, il estima qu'après le très rythmé scherzo, l'architecture aurait été déséquilibrée. On sent cependant dans ces premières mesures comme un pas traînant, l'épuisement d'un marcheur dans les neiges et la glaise des immenses steppes au crépuscule ; le crépuscule d'une vie ? [37:47] Cette idée bien illustrée par le solo du basson montre la prédilection du compositeur qui a toujours su utiliser avec habileté cet instrument à la présence trop souvent masquée. Seul le cor avec une mélopée nostalgique très discrète l'accompagne. [38:22] Quelques mornes accords martiaux des cors puis les cordes énoncent une seconde thématique notée andante. [40:02] Suit un crescendo éperdu qui prend aux tripes et aboutit à un climax affirmant la force du drame inconsolable qui se joue. Un discours aux accents déchirants, les cris des cuivres, les plaintes affligées des cordes. [41:39] Forme rondo oblige, le thème initial fait son retour mais gorgé de détresse et de fureur, une reprise qui va se développer en un nouveau passage douloureux à l'extrême et qui s'achève sur un coup de tamtam. Tchaïkovski utilisait le même trait d'orchestration dans sa seconde symphonie, mais pour laisser libre cours à une coda échevelée et folklorique. Là non, tout au contraire, nous écoutons une marche vers le néant (oui, une marche dans tous les sens du terme). [42:50] Une déploration aux cors à la détermination wagnérienne ouvre la coda dominée par le chant lugubre des cordes, coda qui retrouve l'indication adagio, les contrebasses assurant une scansion funeste soulignant la chute vers le néant. Comme chez Mahler quelques années plus tard, l'orchestre se désertifie de mesure en mesure pour laisser place à un silence définitif et sépulcral.
Markevitch manie ses troupes de façon prométhéenne, sans langueur romanesque ni affectation malgré la gravité du propos. Le chef slave sait qu'en Russie, même si l'on n'est pas avare pour exprimer son chagrin, on ne pleurniche pas. Une gravure culte.
Pour l'anecdote, ce mouvement se joue usuellement comme ici en une dizaine de minutes. À New-York, dans les années 60, l'excentrique Leonard Bernstein l'étire sur près du double. L'adagio devient largo estatico. Extatique ou maniéré ? C'est iconoclaste, mais ça jette… [Vidéo Youtube]
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

La discographie est inépuisable. Aux références par Mravinsky et Gergiev citées dans mon premier article, on peut ajouter celle de Markevitch (vendue dans le cadre d'une intégrale) mais aussi quelques disques marquants. De nombreux grands chefs comme Karajan (au moins quatre fois pour les trois dernières symphonies) ont marqué l'histoire de ce chef-d'œuvre au disque. J'ai sélectionné des disques moins connus.
En 1938, à Berlin, et malgré le son précaire de l'époque, Wilhelm Furtwängler obtient un miracle de ses musiciens trop souvent rompus au style romantique germanique. Le tempo est régulier et pas trop lent (le chef adorait pourtant jouer du rubato), le trait est incisif et on entend absolument tout. L'osmose parfaite entre les préoccupations métaphysiques de Furtwängler et l'âpreté rigoureuse de Tchaïkovski. Quelle sensibilité ! (Naxos – 6/6 – mono 78t).
Limpidité, vivacité, dynamique et tension à fleur de peau, ainsi peut-on définir l'interprétation sans compromis de 2010 réalisée par Andris Nelsons dirigeant l'orchestre de Birmingham. (Orféo – 6/6).
Enfin, pour le label de l'orchestre Philharmonique de Londres, citons un couplage haut de gamme des symphonies 1 et 6 gravé par Vladimir Jurowski en 2009. Autre approche moderne d'une musique dégraissée de tout sentimentalisme que l'on a trop souvent entendu par le passé. Le scherzo est bondissant. (LPO – 6/6).
Et si Tchaïkovski était le chouchou des orchestres anglais ?
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~



2 commentaires:

  1. La sixième de Tchaikovsky est une des premières oeuvres classiques que j'ai écouté tout gamin ne fouillant dans les disques de ma grand-mère, la version de Karajan de 1956 chez Columbia. Igor Markevitch reste le chef qui a enregistré la première version de "La damnation de Faust" que j'ai pu entendre et plus tard chroniqué (celle de 1961, il y a aussi une version de 1959 avec Régine Crespin). Mais plus jeune, qu'est ce que j'ai pus pleurer sur la sixième "pathétique" ! Ben oui...on a sa sensibilité !!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il m'arrive d'écouter cet adagio final en boucle, 2, 3 fois... Toujours le frisson après la découverte de l’œuvre sous la baguette aussi de Karajan mais dans la version pour DG fin des années 60... Il y a 50 ans...

      Supprimer