vendredi 21 septembre 2018

ASCENSEUR POUR L'ECHAFAUD de Louis Malle (1958) par Luc B.


ASCENSEUR POUR L’ECHAFAUD cumule à lui seul un nombre impressionnant de qualités. Tourné en 1957, deux ans avant LES 400 COUPS de Truffaut, ou A BOUT DE SOUFFLE de Godard, c’est sans doute le premier film estampillé Nouvelle Vague (JP Melville avait déjà donné la direction à prendre). C’est aussi la première fiction de Louis Malle, qui avait été quatre ans plus tôt co-réalisateur avec Jacques "bonnet rouge" Cousteau de LE MONDE DU SILENCE (Palme d'Or et Oscar à la clé). C’est à la fois un superbe scénario criminel, à l’esthétique Film Noir, et un merveilleux film d’errance. 

C'est aussi quasi la première fois qu'une musique de film est composée par un musicien de jazz (idée piquée à Roger Vadim) : Miles Davis, accompagné par René Urtreger au piano, Pierre Michelot à la contrebasse et Kenny Clarke à la batterie. Le groupe n’a pas réellement improvisé sur le film, comme la légende le dit. Louis Malle avait organisé une projection pour Miles Davis - venu faire un concert à Paris - qui a découvert l'intrigue, l'ambiance, et a composé au piano quelques idées. C'est plus tard que les autres musiciens sont entrés en studio, et juste devant quelques extraits, ont enregistré à partir de ce que Davis avait écrit. 50 minutes de musique, qui sortiront en disque. 
Le film est tiré d’un roman de Noël Calef. L’histoire (dont on taira quelques détails, hein, c’est un polar…) ressemble à drame cornélien, qu’on pourrait résumer par : si je prends cette option, je l’ai dans l’os, et si j’en choisis une autre, je l'ai dans l'os itou. Julien Tavernier est un ancien parachutiste, qui a fait l’Indochine. Il travaille pour une entreprise dirigée par Simon Carala, dont la femme Florence est sa maîtresse. Les deux amants décident de supprimer le mari, le soir, dans son bureau. Le plan se déroule à merveille, Tavernier rejoint sa complice, mais s’aperçoit qu’il a oublié un indice sur place. Il remonte en ascenseur... et vlan : plus de jus !
Tavernier est coincé jusqu’au matin. Au même moment, il se fait voler sa caisse par Louis, un jeune voyou. Florence Carala, qui voit passer la voiture, en déduit avoir été trahie par son amant, et que son mari est donc toujours de ce monde…
Ce qui est superbe dans cette histoire, c’est le couple Julien / Florence. Promis à se retrouver et s’aimer, ils sont en fait tous les deux prisonniers, lui dans sa cabine d’ascenseur, elle, entourée par la foule des noctambules. Ce sont ces séquences qui ont fait la réputation du film, ce Paris filmé de nuit, les errances de Florence, à laquelle Jeanne Moreau prête sa silhouette élégante et sa moue boudeuse. Louis Malle filme l’actrice déambuler sur la musique de Miles Davis. Magnifique plan lorsqu’elle traverse un boulevard, approche de la caméra, alors que l’arrière-plan devient flou, isolant cette femme perdue, chamboulée, trahie. La photographie noir et blanc est signée par Henri Decaé, qui restera fidèle à Louis Malle, mais travaillera aussi pour Jean Pierre Melville, Claude Chabrol, René Clément ou Joseph Losey.
A ces plans presque oniriques s’opposent les scènes dans l’ascenseur, oppressantes, du pur suspens, Julien comprenant l’absurdité de la situation et cherchant à fuir sa boite métallique avant qu’on ne l’y retrouve : ce qui serait signer son crime.
Le vol de la voiture, la cavalcade des deux jeunes, détail anecdotique à priori, va au contraire peser de tout son poids. La voiture est au nom de Tavernier, c'est donc lui que la police recherche, qui fait le lien avec le couple Carala. Florence doit mener sa propre enquête pour innocenter Julien de crimes dont on l’accuse, son alibi étant justement d’en avoir commis un autre, de crime ! Cornélien, je vous dis !
On reconnait dans une courte scène Jean Claude Brialy, omniprésent acteur de la Nouvelle Vague, dans le rôle sans ambiguïté pour l’époque, d’un homosexuel. De même voit-on une bourgeoise accompagnée d’un gigolo pré-pubère, entend-on des propos sur la guerre d’Algérie, un procureur pathétique et donneur de leçons, la déification d'une femme doublement condamnable, car infidèle et complice de meurtre... Tous ces éléments confèrent au film ce ton nouveau, caractéristique de la Nouvelle Vague, ce regard neuf, libre, sur la société française des années 50. Des films qui sont loin de plaire au régime gaulliste, la plupart se retrouvant interdits au moins de 18 ans, pour immoralité et déviance politique !
Il y a des très grandes scènes, comme ce long plan séquence en clair-obscur où Tavernier est interrogé par deux flics. Louis Malle réunit donc Maurice Ronet, Charles Denner et Lino Ventura (excusez du peu), la présence de ce dernier renvoyant indubitablement au futur GARDE A VUE de Claude Miller. La fin est superbe, dans l’atelier d’un photographe, alors qu’un papier photo trempe dans son bain de réactif, laissant apparaitre l’ultime preuve qu’il manquait à la police…
ASCENSEUR POUR L’ECHAFAUD est un film passionnant, par son intrigue policière, une mécanique implacable qui rappelle les bouquins de James Hadley Chase. Mais aussi par cette ambiance urbaine, nocturne, bercée au son de Miles Davis, le regard d’un jeune cinéaste de 25 ans fou amoureux de son actrice. Jeanne Moreau y est juste sublime.


Noir et blanc  -  1h30  -  format 1:1.66   

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire