samedi 7 septembre 2019

MENDELSSOHN – Symphonie N° 1 (1824) – Christoph von DOHNÁNYI (1977) – par Claude Toon




- M'sieur Claude ? Je me suis laissée dire que seules les symphonies 3 et 4 "écossaise" et "italienne" étaient des œuvres importantes… La 1ère vaut le coup ?
- La réponse est oui même si il est vrai Sonia que vous citez les hits du répertoire symphonique de ce compositeur…
- Mendelssohn a composé dès l'enfance ou presque, il avait quel âge en 1824 ?
- 15 ans, l'âge du Brevet des collèges… N'oublions pas qu'en réalité, il s'agit de sa 13ème symphonie, une œuvre pimpante qui suit les douze premières écrites pour cordes…
- Vraiment un surdoué le petit Felix… Quant à Christoph von Dohnányi, nous l'avions déjà écouté dans le concerto pour violon de Philip Glass je crois…
- Oui – dites-donc, vous suivez ça de près, je vais en parler à M'sieur Luc – Ce très grand chef vient de fêter ses 89 ans… Et puis la Philharmonie de Vienne, le top !

Christoph von Dohnányi
Interrogation légitime de votre déblonoteur : Beethoven, tout le monde connaît au moins de nom, enfin j'espère… Mozart et Schubert également, non ? Mendelssohn, j'en suis moins sûr, hormis par la marche nuptiale du Songe d'une nuit d'été, musique phare des sorties de mariages sous les poignées de riz. En outre, chez les plus mélomanes, on citera les deux symphonies connues de Sonia, l'octuor, le concerto pour violon, et après… Quant aux oratorios Paulus et Hélias, les merveilleuses romances sans paroles pour piano, la musique de chambre, on pourrait parler d'intérêt réservé aux fans du compositeur allemand mort si jeune à 38 ans. La revue Diapason titrait en janvier "le prodige".
Il est vrai que né juif, même converti au protestantisme, Mendelssohn a souffert de l'antisémitisme germanique, très actif outre Rhin depuis la nuit des temps. Wagner écrivit deux pamphlets éreintant l'art de son confrère à qui il devait pourtant beaucoup. Pendant les douze années terrifiantes du nazisme, Mendelssohn fut banni de la culture allemande, interdiction de l'interpréter, disparition des plaques et statues commémoratives, réécriture par Carl Orff de la marche nuptiale à la demande de Goebbels… Et cela malgré les protestations de Furtwängler grand interprète de son œuvre. Donc cet homme génial ou au moins talentueux a pris du retard dans sa reconnaissance par le public par rapport à un Schubert
Génie ou talent ? Bonne question. J'attribue à titre perso la médaille de Génie aux compositeurs dont la musique, indépendamment de considération de technique d'écriture, d'ingéniosité solfégique ou de la richesse d'inspiration, comporte des thèmes et mélodies qui vous émeuvent d'emblée, se mémorisent immédiatement, bref des airs entraînants que l'on se surprendra à siffloter en bricolant😉. Et cette première symphonie avec orchestre complet de la plume d'un ado répond plutôt bien à ces critères. Ô pas d'une originalité folle, certes, mais à connaître voire à chantonner
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1824-1825 : deux années charnières pendant lesquelles le jeune compositeur atteint la maturité dans deux domaines : la maîtrise de l'écriture, en particulier de l'art du contrepoint, et la nature pour le moins romantique de son inspiration. La 1ère symphonie est diablement joyeuse, la musique d'un adolescent à qui tout sourit, mais on entendra par instant des trouvailles thématiques et orchestrales qui préfigurent deux de ses premiers chefs-d'œuvre : l'ouverture du songe d'une nuit d'été composée en 1826 et le tourbillonnant octuor de la même année. Lors de la création à Londres en 1829 par ses soins, Mendelssohn insatisfait de son menuet qu'il trouve banal et ennuyeux écrit pour ce concert londonien lors duquel il dirige dos au public (une innovation qui a fait école) une transcription de celui de l'octuor. Une idée amusante qui sera rarement rejouée par la suite. Les premières avait eu lieu à Leipzig et à Berlin en 1827, l'accueil étant assez réservé…
L'orchestration est celle typique de la transition entre les âges classique et romantique :
2/2/2/2, 2 cors, 2 trompettes, timbales et cordes (Haydn dans les londoniennes, ou encore les symphonies de jeunesse de Schubert et de Beethoven).
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Nous avions pu découvrir le maestro Christoph von Dohnányi accompagnant Gidon Kremer dans l'enregistrement de référence (pour une fois je peux le dire) du concerto pour violon de Philip Glass. Ce chef de formation classique a beaucoup œuvré en faveur de la reconnaissance de la musique contemporaine de qualité. Par ailleurs, il conduisait pour cet album la philharmonie de Vienne, l'une des phalanges les plus exceptionnelles de la planète, mais de nature conservatrice…
En préparant ce papier je me suis aperçu que cet artiste affiche les 89 ans ! Je m'interrogeais si l'homme affrontait encore à son âge les podiums ? Christoph von Dohnányi est le petit-fils du compositeur Ernő Dohnányi et son père Hans a été assassiné dans le camp nazi de Sachsenhausen, (un résistant de la première heure). Eh bien oui ! Car en cherchant un concert sympa à la Philharmonie de Paris, hasard, je vous informe qu'avec Maggy, nous découvrirons son talent le 23 Octobre où il dirigera un programme Haydn, Ligeti et Brahms ; Ligeti : de la musique moderne… Brahms : l'un de ses compositeurs fétiches. Pour plus de détail sur ce chef (Clic).
Pendant sa longue carrière, Christoph von Dohnányi a dirigé de nombreux grands orchestres dont celui de Cleveland pendant une vingtaine d'années et, très souvent comme chef invité, la Philharmonie de Vienne avec laquelle il a gravé cette intégrale des symphonies de Mendelssohn qui n'a jamais quitté le catalogue.
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Georg Emanuel Opiz
Au jardin Großbosischen de Leipzig (1825)
1 - Allegro di molto : L'introduction pète le feu ! Pas de court adagio en amuse-bouche comme par exemple dans la symphonie N°103 de papa Haydn pour créer le suspens. Principe à la mode à l'époque, même parfois chez Beethoven. Rien de surprenant que de l'imagination mélodique de cet adolescent hyperactif jaillisse une furie jubilatoire. Un accord robuste précède l'exposé du premier groupe thématique très animé, principalement d'arpèges vaillants aux cordes. Le climat est rythmé, le phrasé staccato, le style Mendelssohn est définitivement né : une symbiose entre le lyrisme et le romanesque. [0:13] La forme sonate est encore rigoureuse comme le montre cette première reprise sans transition. [0:33] les bois sont peu mis en avant jusqu'à présent. Le second groupe thématique est énoncé par un dialogue de bois dont la tendresse s'oppose au ton à la fois dramatique et débonnaire du premier thème. Le compositeur adore ces contrastes virevoltants dans le récit musical. [1:34] Un féérique développement se fait jour presque timidement : frémissement des cordes, chant du hautbois et de la clarinette, passage énigmatique très vite chassé par une reprise du discours trépidant qui caractérise cet allegro. La verve dionysiaque de la composition masque la relative candeur mélodique et la multiplicité des reprises. Si le jeune Félix n'a pas encore acquis l'habileté fantasque d'un Haydn ni l'ardeur volontairement éprouvante d'un Beethoven, l'exaltation épique et fantasmagorique nourrie des lectures de Goethe se révèle déjà dans cet allegro en forme de bacchanale. Remarquons d'emblée la direction sabre au clair de Christoph von Dohnányi, une approche moderne démontrant que la musique de Mendelssohn se marie très mal avec un legato pour ne pas dire un pathos appuyé, trop longtemps de mode chez les tenants d'une certaine tradition germanique.

Georg Emanuel Opiz
Au jardin Rudolphschen de Leipzig (1825)
2 - Andante : [V2-0:00] Un thème sensuel et pastoral de sept mesures, délicatement sinueux, introduit aux cordes le mouvement lent. [V2-0:27] Suit un motif poétique enchaînant des accords joués aux clarinettes et aux bassons et exposé deux fois et qui amorce un esprit plus badin. [V2-0:59] Un second groupe thématique présenté aux bois et développé aux cordes associe charme et douceur à travers une mélopée des cordes troublée brièvement par une scansion des violoncelles. La Philharmonie de Vienne irradie une luminescence raffinée dans cette page émouvante semblant dédiée à un petit temple de l'amour de style corinthien dans un jardin ombragée, lieu de rencontre des courtisans… [V2-1:45] Mendelssohn insère un solo de flûte en guise de développement. [V2-3:42] Influencé par les formes sonates utilisées par ses aînés, sa musique adopte alors un ton plus ample et plus grave, mais sans un effet appuyé de climax qui romprait le charme. Ce très beau moment de grâce se conclut sereinement.

3 - Allegro molto à 6/8 (en guise de menuetto) : [V3-0:00] Très scrupuleux, Mendelssohn n'aimait pas son menuetto. Il est vrai que la thématique assez académique ne justifiait guère un mouvement aussi long après les délices de l'andante. D'esprit martial, cet allegro assez pauvre sur le plan mélodique ressasse une idée musicalement généreuse mais un peu vaine. [V3-2:14] On pourra faire la même remarque à propos du trio qui témoigne pourtant d'une orchestration plus colorée et comporte une conclusion étrange, inquiétante avec son accompagnement ténébreux quoique discret des timbales. Le menuet se termine da capo mais sans reprise, heureusement.

4 - Allegro con fuoco : [V4-0:00] Suivant un menuet un peu morne, le final renoue avec une imagination plus débridée. L'introduction dynamique et ses traits allants des cordes fait écho à la force tempétueuse de l'allegro initial. [V4-1:18] Le contraste de la seconde idée avec les mesures initiales est saisissant par son esprit guilleret et léger, ce motif aux pizzicati teintés d'ironie s’achève [V4-1:42] sur quelques notes pimpantes des bois. [V4-2:08] Si la reprise apparaît tout à fait classique, le jeune homme ose tout ! [V4-3:09] Une fugue de belle facture, pleine d'allant constitue le développement central. Héritage évident d'une admiration pour le final de la symphonie "Jupiter" de Mozart. [V4-4:18] Une reprise va nous guider vers la fin de l'œuvre. Adoptant scrupuleusement la structure sonate, Mendelssohn, pour cette première production symphonique innove peu sur la forme mais nous prend avec bonhomie, empathie et faconde à la manière d'un Beethoven et cela jusqu'à une coda réjouissante.
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La diction transparente mais non dénuée de fougue de Christoph von Dohnányi redonne à cet ouvrage initiatique la place qu'elle mérite dans l'histoire de la symphonie romantique. Certes les gravures sont plutôt accessibles dans les intégrales. Je ne les cite plus : Abbado, Masur, Askenazy, Karajan… Les réussites ne manquent pas.
En album isolé permettant de compléter le duo des symphonies 3 et 4 "écossaise" et "italienne", voici deux suggestions :
Apex a eu la bonne idée d'éditer sur un album simple les enregistrements de Kurt Masur et à prix imbattable des symphonies 1 et 5 "réformation", une réalisation de grande classe avec le Gewandhaus de Leipzig (Apex – 5/6).
Thomas Hengelbrock a gravé cette symphonie en ajoutant le scherzo orchestré depuis celui de l'octuor et en ajoutant une vision enflammée de la quatrième de Schumann. Grand spécialiste du baroque, ce chef apporte une clarté à Mendelssohn digne de l'âge classique. Pétillant, prise de son fabuleuse, harmonie bien captée, cuivres éclatants, un régal. Mon choix prioritaire… Original (Sony – 6/6). (Deezer)

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L'interprétation de la symphonie par Christoph von Dohnányi suivie du Scherzo transcrit de celui de l'octuor interprété par Claudio Abbado.



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