mercredi 30 avril 2025

DEWOLFF " Muscle Shoals " (2024), by Bruno



     Et voilà ! Voilà comment on se fait une fausse idée. Ou du moins une idée biaisée en écoutant un disque sur un support tant vanté, le Mp3. Ou 4. Sur une clef USB ! Et dans la voiture - avec un système qui semble avant tout fait pour la parlote et pour une musique simpliste, de préférence aux sons synthético-électroniques. Un système machiste, faisant injure aux voix féminines. Même Aretha Franklin passe difficilement 🙄 

     Bref, voilà-t-y pas qu'un disque fut ainsi maladroitement relégué dans les "pas mal", les "un peu décevant en comparaison des précédents" et les "Y'a du bon et du moins bon". Jusqu'à ce que, finalement, justice lui soit rendu en passant sur un système hi-fi (paraîtrait qu'on parle maintenant de hi-Res - encore un coup de marketing). Et là, comme par magie, le mixage ne semble plus être le même. Nettement plus équilibré, laissant s'épanouir un grain chaleureux et un florilège de petits détails, il entre désormais dans une autre catégorie.

     Toutefois, il reste tout de même en-deçà de ses proches prédécesseurs. En particulier du superbe "Love, Death & In The Between". Mais il en est généralement ainsi quand on sort un disque côtoyant l'excellence. La suite, même si elle demeure d'un certain niveau, paraît en comparaison plus terne. Voire décevant. Pourtant, ce skeud a son lot de petites pépites. 


   Ce dixième album est la réalisation d'un vieux rêve que les frangins Van De Poel et le claviériste Robin Piso auraient cru, quelques années en arrière encore, irréalisable. A savoir traverser l'océan Atlantique pour aller enregistrer en Alabama, dans les fameux studios historiques "Fame" et "Muscle Shoals". Lieu quasi mythique où sont passés Aretha Franklin, Etta James, Little Richard, Otis Redding, les Staples Singers, Waylon Jennings, Lynyrd Skynyrd, Wilson Pickett, Cher, Willie Nelson, John Hiatt, Bobby Womack, Betty Lavette, les Rolling Stones, Leon Russell, Duane Allman, Lowell Fulson, Wet Willie, Minelli, et bien d'autres. Pas mal de grands succès sont sortis de ces deux studios, partie intégrante de la légende de la musique populaire des USA. 

     Ainsi, le trio était là-bas comme des gamins dans l'usine à jouets du père Noël. Ravis de retrouver là le piano à queue utilisé jadis par Leon Russell, ou encore le Wurlitzer qu'on peut entendre sur "I Never Loved a Man" d'Aretha. Ce little Band from Holland n'a pas caché qu'enregistrer là, dans ces espaces chargés de tant d'histoire musicale, et non des moindres, a lourdement pesé sur leur inspiration. Ainsi, plus encore que précédemment, la soul imprègne la musique de DeWolff.

     La production elle-même semble avoir subi l'influence des lieux, avec cette patine qui renvoie directement à la première moitié des années soixante-dix, avec notamment la particularité de résonner comme un pur et total enregistrement analogique ; avec cette sensation propre aux enregistrements sur bandes (serait-ce effectivement le cas ?). Ainsi, les fréquences aigues sont poussiéreuses, relativement compressées, perdant en définition ce qu'elles gagnent en confort, tandis que les basses sont rondes et chaleureuses ; ce qui pourrait être rédhibitoire pour les amateurs de gros son, de chromes et de clinquant.

     Dans les grandes lignes donc, c'est de la Soul (rock) millésimée. Toutefois, dès le premier mouvement, les premières notes, la patte de DeWolff est aisément identifiable. Pour être critique, on pourrait reprocher que tout ne soit pas du même tonneau, que certains morceaux auraient probablement gagné à être mis de côté - à la cave pour affinage. Car parfois, on a la sensation que les gars, selon toute vraisemblance, sont sur un nuage, dans une euphorie engendrée par les lieux et leur histoire. Perdant alors tout esprit critique. Ce qui est évidemment bien relatif, car le talent évident de ces Bataves fait que chez eux, il n'y a pas de mauvaises pièces - au moins depuis "Rou-Ga-Roux" ? -, juste quelques unes souffrant de la comparaison avec les meilleures.

     Alors oui, "Hard to Male a Buck" est balourd et ennuyeux, et le lick simpliste d'orgue sur "Ophelia" pourrait presque faire passer la chanson pour une comptine pop - même si la troupe ne décidait pas d'envoyer soudainement du jus - . Oui, les premières dizaines de secondes de "Book of Life" peuvent inciter à zapper - avant que Piso ne fasse finalement changer de trajectoire à son piano, l'amenant en terrain boogie, avant de changer de monture pour donner des couleurs de pourpre profond, puis de finir en ballade Soul-bluesy. Et oui, de prime abord, la cohabitation d'une fuzz braillarde et nasillarde avec un orgue réservé et (trop ?) distingué de "In Love" peut laisser perplexe.


   Mais alors on passerait à côté, pour commencer, du petit sauvageon "Natural Woman", entre garage rock et rhythm'n'blues de fripouille, carburant au riff primaire et à la basse bondissante et nerveuse. Ha, yes, la basse. Bien qu'au recto, le groupe s'affiche encore en trio, au verso c'est en quatuor, avec le bassiste et choriste Levi Vis. L'apport de ce dernier est déterminant dans cet album. C'est du sérieux. Véritable valeur ajoutée, Vis semble connaître sur le bout des doigts l'intégralité du vocabulaire de la basse des années soixante et soixante-dix. De la Motown à Stax, de Chess à Atlantic, d'Electric Lady à East West, d'Abbey Road à Rockfield - et d'Hérouville. D'ailleurs, nombre de titres portent la signature des quatre musiciens.

   Entre le Wurlitzer mélancolique et la basse langoureuse, "Let's Stay Together" ose les violons pour une ballade Soul désabusée où pointent les regrets et les non-dits "il y avait de la beauté et du désir. Il y avait une âme, il y avait une chanson. Dis-moi, que sommes nous devenus ces derniers temps ? Dis-moi ce qui se passe ? Qu'est-ce qui a mal tourné maintenant ? Aurais-tu le pouvoir de me sauver ?". Dans le genre ballade "Snowbird" s'impose également, avec plus de retenue, ... mais c'est un leurre. C'est d'ailleurs probablement le morceau le plus proche d'albums comme "Truth", avec ses différentes humeurs, frôlant la jam, le dérapage heavy-blues-jazzy sous psychotropes. Long morceau de plus de huit minutes, où on ne peut que constater la parfaite maîtrise aux fûts, doublée de swing de Luka. Le délicat "Ships in the Night" se frotte carrément au slow langoureux, proche du mielleux sans jamais y tomber. Passé un couplet ou deux, on s'attend à entendre Mavis Staples prendre le relais.

     Plus enjoué et musclé, "Truce" mélange habilement - et sournoisement ? - Ten Years After aux Beatles et à Elton John (première phase). Le popotin entre deux chaises, "Out on the Town", sans jamais monter dans les tours, retrouve l'(h)ardeur des groupes de proto-heavy à claviers, agrémentant généreusement leur rock de soul.

     "Winner (when it comes to losing)"... magnifique ! Joyau de Soul féline et envoûtante, embaumé de parfums de The Doors exacerbés par cette tonalité de Fender Rhodes. Dans le couchant, une wah-wah brise la sérénité, ou la résignation, et se révolte. "... Si aimer c'est perdre, je recommencerais... Les mendiants et les perdants ne peuvent pas choisir, mais je suis un gagnant quand il s'agit de perdre"


   Au fil des écoutes, et même si on pourrait regretter un certain retrait de l'essence Heavy-rock des albums précédents, "Muscle Shoals" des DeWolff finit par s'imposer comme une réussite - encore une -, confirmant le statut du groupe de ces Hollandais (volants) : celui d'un des groupes européens parmi les plus intéressants. Il demeure portant ignoré des médias traditionnels. Fait d'autant plus affligeant que la troupe ne déçoit pas sur scène. Au contraire. Ses quatre enregistrements en public - chaudement recommandés - en font foi. 



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1 commentaire:

  1. Pas mal, et c'est (encore?) disponible, contrairement à beaucoup d'autres groupes. J'ai bien noté l'appel du pied, mais le Wet Willie revival peine à prendre.

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