mercredi 5 avril 2023

DeWolff " Love, Death & In Between " (2023), by Bruno



Houla ! houlahoula ! houlala 

(z'aime bien ce genre de commentaire : c'est constructif et pertinent)

     Où et comment un petit groupe de seulement trois musiciens - ce qui en fait un trio, sauf erreur 😉 - originaire des Pays-Bas, a réussi à faire de son "little ol' band from Geleen", l'un des combos les plus intéressants d'Europe. Car ces loustics s'évertuent sans cesse à évoluer et explorer, à ne jamais se reposer sur leurs lauriers. Au risque de décevoir leur public. Et là, en effet, la marge séparant "Orchads/ Lupine" au dernier "Love, Death & In Between" est plus profonde que la fosse des Mariannes.


   Ce petit groupe s'est formé en 2007 autour des frérots Pablo et Luka Van de Poel et du poto Robin Piso. Fait rare : la formation n'a pas changé d'un iota. Fait étonnant : le trio remporte dès l'année suivante un concours national faisant l'unanimité du jury. Ce qui leur permet d'obtenir un contrat dans la même année. Dès lors, les Bataves vont suivre tranquillement leur épineux petit chemin, à l'écart des modes, des "vu à la télé". Sans se soucier des diktats et des indices de vente. Même si au bout de quelques années, après quatre albums, les tentacules noires et visqueuses du doute tentent de s'emparer insidieusement de leur âme. Par bonheur, ces "Hollandais volants" - occasionnellement perchés dans leurs errements psychédéliques - ne sont pas là "for the money" mais bien pour l'amour de la musique. Ainsi, contre vents et marées, ils poursuivent leur chemin dans un univers de 
circonvolutions de vapeurs parfumées, où les tons et coloris sont en perpétuelle révolution. Couleurs échappées des earlys seventies, fruits des apprentis sorciers des Iron Butterfly, Uriah Heep, Black Sabbath, It's A Beautiful Day, Free, Nice, Small Faces, Atomic Rooster, Jefferson Airplane, Deep Purple, Pink Floyd,  Procol Harum, Pavlov Dog's, Ten Years After, King Crimson, Spooky Tooth, Lucifer's Friends, (ça en fait des apprentis...). Et même s'ils gardent une certaine curiosité, n'hésitant pas à vanter les mérites d'un groupe ou d'un autre, on ne s'étonnera pas qu'ils aient déclaré à plusieurs reprises ne pas aimer le rock diffusé actuellement à la radio.


     Cependant, plutôt qu'être de simples disciples, de stupides éponges s'imprégnant des préceptes de leurs maîtres, ils vont au-delà. Certes, ils le reconnaissent eux-mêmes sans ambages, à force d'avoir écouté en boucle certains disques, jusqu'à parfois les jouer presqu'intégralement, il est tout à fait logique que cela ressorte dans leur musique. Ainsi, à leurs dires, le monumental "Made In Japan" aurait été un sujet d'étude qu'ils maîtrisaient... (on demande tout de même à voir... et entendre). Cependant, loin de se reposer sur des recettes éculées, ils préfèrent se laisser entraîner par leur inspiration, sans se soucier le moins du monde de savoir si c'est dans les clous ; quels qu'ils soient. Evidemment le Blues est un élément fort dont l'empreinte marque couramment leur musique. Mais il y a aussi le Southern-rock, plus particulièrement celui des Allman Brothers (sauf si l'on se souvient que le sextet de Macon avait déjà marqué les groupes anglais qui s'étaient aventurés sur la côte Est). Le groupe a d'ailleurs été qualifié de Raw Psychedelic Southern Rock. Et effectivement, il y a de ça, mais que. Peut-être plus étonnant encore, mais ce qui va marquer ce talentueux trio, c'est son goût et surtout sa maîtrise de la Soul. D'autant plus surprenant que la somme de la voix des deux frangins épousent aussi bien le heavy-rock que la Soul. 

     Un élément qui va lentement, mais sûrement, prendre une importance capitale. Peut-être plus prononcée à partir de la signature chez Mascott Records. Ce qui alors l'amène à se rapprocher de groupes tels que Rare Earth, le Grease Band de Joe Cocker, mais avec parfois un petit quelque chose en plus : l'excitation, l'engouement de fervents adeptes du heavy-rock. Ouaip ! 

     Après un "Roux-Ga-Roux" enivrant, après un fiévreux "Thrust", après un "Tascam Tapes" alternant entre l'excellence et le passable, après un superbe "Wolffpack", DeWolff, infatigable, revient avec un brillant " Love, Death & In Between " gorgé de Soul. Les ronchonneurs avanceront que ces loustics ne font que puiser dans leur discothèque (apparemment bien fournie), ce qui est une probabilité à ne pas écarter. Que finalement ils ne proposent, cette fois-ci, rien de nouveau. C'est bien possible, mais qu'importe, puisque ce disque est riche, formidable, enthousiasmant, exaltant. Bien suffisamment pour redonner une certaine joie de vivre après un visionnage des actualités. Peut-être pas pour un fan intégriste de Beyoncé ou de n'importe qu'elle autre bimbo du même acabit - quoique...


   Avec cet album, le trio semble dispenser un cours sur les différentes manières d'aborder et d'agrémenter la soul. Toujours dans une optique organique, étrangère à tout bidouillage, à toute arnaque synthétique. Pour se faire, en plus du copain Levi Vis à la basse (déjà présent sur "Thrust" et "Wolffpack"), le groupe s'est adjoint les services d'une section de cuivres et de choristes pour donner du corps et de la présence à sa musique. Condition sine qua non, sachant que le groupe aurait enregistré cet album intégralement en condition "live", en à peine plus d'une semaine. Et pour effectuer leurs enregistrements intégralement en analogique, ils ont trouvé leur bonheur dans un trou perdu - mais cossu - au fin fond de la Bretagne (1). Une réaction aussi aux conditions particulières d'enregistrement de "Wolffpack" imposées par les diverses restrictions de 2020. 

     Ainsi "Night Train" ouvre le bal dans une fièvre mauve, un mariage improbable entre le Mark II et Mark III, fort d'une section de cuivres explosive, auquel aurait été convié un jeune Ray Charles galvanisé. On y retrouve autant le jeu distinctif de Jon Lord que celui de Paice (Luc appréciera). C'est une invitation. DeWolff nous enjoint à prendre ce train de nuit, avec la promesse d'un lieu où l'âme est assainie.  "Peux-tu l'entendre siffler et hurler ? C'est un endroit sans souci, jugement, chagrin ou douleur. C'est la plus grande congrégations des inadaptés, justes et légèrement fous"

"Heart Stopping Kinda Show", bien soutenu par les cuivres, ravive la ferveur des grosses formations (blanches) du style de Delaney & Bonnie et celles menées par Leon Russell. "Will O'The Wisp" paraît pencher vers le Fleetwood Mac de Peter Green, en mode cool, toutefois les parties illuminées de chœurs dévient vers un rhythm'n'blues lustré typé Motown - voire celui de Duffy ? 


 "Jack Go To Sleep" effectue un petit détour vers le Santana de Gregg Rolie, pour une douce ballade bluesy, saupoudrée de consonances veloutées et jazzy, avec un chant plus tourné vers Al Green.

Arrive le gros morceau : "Rosita". Une belle pièce de plus de quinze minutes où le Southern-rock des Allman Brothers (avec une slide à l'avenant) se combine à la Soul des 70's. Véritable performance où le trio joue négligemment avec les références, les clins d'œil, jusqu'à reprendre quelques célèbres mouvements du Grease band du plombier de Sheffield en passant par le J. Geils Band. Euphorisant.

"Mr Garbage Man" et son histoire d'amour perdu et désespéré, ont un pied dans un slow-Blues cru à la Buddy Guy et un autre dans la Soul chère au disciple Eli "Paperboy" Reed ; la chorale, ici plus virile, apporte une once de Doo-wop.

"Counterfeit Love" s'envole vers des cieux plus pop, mâtinés de Glam... Heavy-soul avec un excitant "Message for my Baby" évoluant dans le giron des Eddie Floyd, Wilson Pickett et Rare Earth. Le morceau se laisse emporter par son enthousiasme et dérive vers des terres plus heavy où l'orgue Hammond et la guitare dévalent ensemble dans un roulé-boulé, en se rendant coup pour coup, comme une bataille de chats sauvages où volent poils et griffes. Sur le dernier mouvement (hélas écourté), un trompettiste exalté s'échappe dans un solo jazzy.

Moments plus softs, (mielleux ?), avec le gracieux diptyque de ballades avec un langoureux "Gilded (Ruin of Love)", dans un style proche de Donny Hathaway, avec piano électrique idoine (un Wurlitzer), et "Pure Love", plus léger, évoquant les Neville Brothers.

 "Wontcha Wontcha" (petite attaque sur l'attachement aux portables)  trouve la voie d'un rhythm'n'blues millésimé début 70's, un peu appuyé et un rien grand public, jusqu'à... "... je pense qu'il est temps de redevenir un homme. Je vais tourner la roue sur cette mauvaise époque. S'il te plait prends-moi, emmène-moi en 69". Et sur ces mots, DeWolff ravive le lointain souvenir du Keef Hartley Band, lorsque, encouragé par une batterie endiablée, il lâchait les cuivres. Seul le final "Queen of Space & Time" fait grise mine, un brin léthargique, comme sous l'emprise de quelques éléments opiacés.

     Incontestablement, depuis "Roux-Ga-Roux", DeWolff se place sans forcer dans le peloton de tête des groupes européens les plus intéressants. Ce que confirme "Love, Death & In Between". 


(1) Le studio Kerwax dans les Côtes d'Armor. Une magnifique demeure, ancien pensionnat transformé en studio voué à l'enregistrement analogique. Par ailleurs, Kerwax est également un concepteur de micros et de préamplis, et travaille actuellement pour mettre à profit ses espaces libres pour en faire un musée dédié à la musique. On retrouve dans l'équipe, Klaus Blasquiz, ancien chanteur du mythique Magma



🎶🚙
Autre article (lien) / DeWolff : 👉  " Les loups des Pays-Bas "

6 commentaires:

  1. Oh pinaise, ça envoie, qu'est ce que c'est bon ça !! C'est vrai que les inspirations se bousculent, comme les genres musicaux abordés, parfois au sein d'un même titre. On se dit, tiens, les Allman's sont de retour, puis le couplet suivant c'est Marvin Gaye (ou Steely Dan, pourtant à l'opposé du spectre !) qui déboule, avant que les Mad Dog de Joe Cocker débarquent en trombe. Ca donne parfois l'impression d'avoir été enregistré live, le mixage de tous ces instruments est superbe. J'ai jeté une oreille sur les albums live, apparemment la configuration est plus resserrée en concert ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est donc un disque qu'on a déjà... :-)

      Supprimer
    2. Oui, mais en mieux, car plus économique : y'a tout ça en en seul disque !

      Supprimer
    3. En fait, visiblement, ils ne s'appliquent pas de règles. Initialement, que la même façon qu'avec les Doors, les lignes de basse étaient jouées à l'orgue, et se contentaient de tourner en trio. Ce qu'ils font encore parfois. Sinon, au gré de leurs envies, pour leurs tournées ils prennent "dans leurs bagages", un bassiste et même parfois un second guitariste (Allman Bros ?). Ils ont aussi fait une tournée avec un percussionniste. Les choristes semblent être de mise depuis quelques années. Là, pour défendre cet album, c'est une véritable bande à la Delaney & Bonnie / Grease Band, avec choristes et section de cuivre.
      Ils ont aussi goûté à la prestation soutenue par un solide orchestre. Ce qui a fait l'objet d'un très bon album live, sur lequel on retrouve... un solo de batterie qui, à mon sens, évoque pas mal celui de mister Ian Paice version "Made in Japan". D'ailleurs, à la fin de ce solo, un des chanteurs pousse une gueulante façon Gillan. Ce serait presque à s'y méprendre.

      Supprimer
    4. Oui, cela a bien été enregistré en condition live. D'où aussi le déplacement en Bretagne, dans ce beau studio conçu et spécialisé pour ce type d'enregistrement.

      Supprimer
  2. Nan, on n'a pas déjà ce disque 😁
    Comme le résume très bien Luc, les inspirations et les genres se bousculent, mais, à l'exception de "Rosita" où c'est trop flagrant pour que cela ne soit pas des hommages, il ne s'agit pas de piratage de divers plans, piqués à droite ou à gauche. Rien à voir avec une majorité de "tubes" de ces vingt dernières années.
    Toutefois, les musiciens avouent qu'en ayant appris des morceaux par cœur et de les avoir jouer, il en ressortait forcément des bribes, voire plus, dans leur musique.

    RépondreSupprimer