Sonia se croit le 1er mars comme la moitié de nos compatriotes. J'avoue que les années bissextiles, je me fais souvent avoir… Du coup, y aura-t-il un article de plus cette année ? À vérifier… avec les RIP nous avons une bien triste variable d'ajustement pour le nombre de chroniques publiées ! (Pas de très bon goût cette remarque). Tout ça pour dire qu'en 1826, Beethoven n'a plus que quelques mois à vivre… mais ne le sait pas… Tiens, Mlle Sonia fait son entrée…
- 16ème et dernier quatuor de Beethoven, Claude… Bizarre,
il est en quatre mouvements et assez bref alors que les derniers
quatuors sont longs et de forme peu académique.
- En effet Sonia, quatre mouvements, un retour vers le style de sa
jeunesse, à comparer aux œuvres similaires de Mozart et de Haydn.
- Alors, alors, voyons voir… tu as déjà chroniqué les N°8, 10, 14 et 15. Une raison précise pour ce choix ?
- Oui et non, j'aime bien les quatuors de la dernière période, des symphonies pour quatre instrumentistes, et puis comme tu le dis il est court… Le billet sur la 3ème symphonie de Mahler m'a laissé sur les rotules, je fais une petite pause…
- Heu, si ma mémoire est bonne, tu parles de ce quatuor dans le billet de 8 000 mots sur Mahler…
- Exact, une citation du mouvement lent, un rapprochement possible… Sonia la nouvelle experte !!
Beethoven - Caricature de 1826
|
1826 : depuis une dizaine d'années,
Beethoven
est devenu l'un des dieux musicaux vivants à Vienne. Sa santé n'est guère
florissante, loin de là. De nos jours, des examens légistes lui attribuent
un nombre de pathologies qui expliquent tout et rien, de la surdité qu'il
endure depuis près de trente ans à son irritabilité émaillée de périodes
dépressives. Bref, le génie était un poivrot pratiquant, mais ça ce n'est
pas un scoop scientifique. À 56 ans, un bel âge pour l'époque, Ludwig van a
largement dépassé les durées des trop courtes vies de
Mozart,
Schubert,
Mendelssohn
et
Burgmüller
dont nous avons parlé il y a peu, ce dernier étant emporté à 26 ans, lui
aussi un alcoolique invétéré
(Clic). Rien ne laisse présager que c'est une pneumonie contractée en décembre
1826 qui précipitera la fin de l'auteur de l'Ode à la joie
en mars 1827. Ok, la cirrhose ne fait pas des centenaires, mais
d'autres compositeurs portés sur le flacon atteindront un âge canonique 😊
(Je cite
Haendel
– 74 ans,
Liszt
– 75 ans malgré une bouteille de cognac par jour, et les
records :
Stravinsky
– 89 ans bien qu'un rude concurrent de Bogart côté
Whisky,
Sibelius - 92 ans !).
- Ehhhhhhhhhhh Paaaaaaaaat, tu viens… Je fais m'en j'ter un coup derrière la chravate avec mon pote Brahms gui en dient déchà une ponne…
- Oh là là les mecs, c'est Sonia ! Ce n'est pas utile que les lecteurs sachent qu'on picole au Deblocnot, même après le départ de Philou…
Plusieurs milliers de viennois assistent aux obsèques de Beethoven en 1827 |
Sonia s'étonne à juste titre que le
16ème quatuor,
dernière partition du genre, apparaisse comme un retour en arrière sur le
plan formel par rapport à la production pour le moins innovante qui
caractérise le travail de composition de
Beethoven
depuis 1817.
En 1812, les fondations solides et définitives du romantisme sont
acquises comme doctrine officielle pour l'art musical. Les musiciens
étaient, pour la plupart d'entre eux auteurs de divertissements. Ils
deviennent désormais porteurs de messages, qu'ils soient introspectifs et
même sensuels, voire révolutionnaires et militants. Lors de la période
Sturm und Drang,
Haydn
et
Mozart
avaient posé la première pierre de cette révolution. Chopin,
Liszt,
Schumann,
Mendelssohn
commencent à marcher et à gazouiller, ils assureront la succession de cette
culture initiée par les philosophes allemands du XVIIIème
siècle.
Les cinq années suivantes, malgré la création triomphale de la
7ème symphonie
- on bisse son célèbre allegretto – le
public viennois raffole encore du classicisme de la période
Mozart. Ô, les divertimentos plutôt que les abstraits concertos pour pianos ou,
les opéras-bouffe de compositeurs doués pour divertir comme
Rossini. Le moral de
Beethoven
reste en berne, sa mauvaise santé n'arrange rien. Les compositions majeures
sont rares. Quant au public, il voit dans la courte et virevoltante
8ème symphonie
comme un retour au classicisme élégant mais frivole d'un
Haydn… Le compositeur a des relations glaciales avec le très conservateur
monarchiste Metternich qui hait le démocrate
Ludwig van, son humanisme et sa nostalgie de la Révolution française. Il le fait
surveiller par la police. Personne ne le soutient… Côté cœur, c'est aussi la
galère…
Beethoven
est-il fini ? Non ! En 1817, il se sent plus gaillard. Il réagit et
sa musique se radicalise.
Nannette Streicher (1769-1833) |
Le public viennois boude Beethoven. Il préfère les bonnes vieilles recettes de composition classique,
celles d'avant le choc de la
symphonie
"héroïque" en 1805. Le prince Metternich traditionaliste et ses
courtisans ne veulent pas se compromettre avec le "gauchiste" opiniâtre.
Même vieillissant, le compositeur n'en a cure. Son train de vie s'en
ressent… peu importe. Il préfèrera franchir une nouvelle étape vers la
modernité, torpiller les règles de l'académisme encore de mise. S'amender ?
surement pas ! Sa production nous apportera ses plus grands
chefs-d'œuvre.
Captif de sa surdité, il se devait d'abandonner le piano qu'il n'entend
plus que grâce à une baguette placée entre ses dents et l'instrument, de
même qu'il noircit des cahiers de conversation pour communiquer. Son esprit
compense son ouïe déficiente et, en complicité avec la pianiste et factrice
de piano-forte Nannette Streicher, il compose en 1818 la monumentale
sonate N°18
"HammerKlavier" d'une difficulté technique et expressive inouïe, même de nos jours
(Clic).
Beethoven
sera traité en substance de "fou gâteux" et rétorquera "Voilà une sonate qui donnera du fil à retordre aux pianistes, quand on
la jouera… dans cinquante ans !". Il n'a pas tort, car hormis
Liszt
qui relèvera le défi en 1837… Quant aux ultimes partitions du genre,
les
N°30
à
N°32
de 1820-1822, plus courtes et a priori moins virtuoses, techniquement
parlant, elles se caractérisent par un souffle psychologique complexe,
oscillant entre passion et angoisse. La forme échappe également à tout
académisme, 2 ou 3 mouvements et recours assidu à la fugue et aux
variations, bref, que de l'innovation. Ecoutez la bouleversante
Sonate N°31
sous les doigts de la jeune
Kate Liu (Clic).
Beethoven
avait la foi, celle du christianisme mais, comme moults érudits de son
époque, son catholicisme était fort tiède. Cela peut expliquer la liberté
prise avec l'orthodoxie liturgique et donc la spiritualité flamboyante de la
Missa Solemnis
composée sur une période longue entre 1818-1823. Créée en
1827 l'œuvre sera la favorite de
Beethoven
!
(Clic)
Peu motivé par la musique religieuse,
Beethoven
offrait l'une des rares œuvres religieuses du répertoire d'une hauteur de
vue surhumaine … Sa
messe en Ut
de 1807 demeure anecdotique. Quant aux symphonies, un style qu'il
semblait avoir délaissé depuis 1813, il composera en 1824 la
9ème symphonie
"Ode à la joie", ouvrage novateur, aussi génial qu'universel ; je ne m'étends pas
(Clic).
Sonates,
messe,
symphonie,
Beethoven
réformera radicalement encore un autre genre :
le quatuor à cordes.
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Hinterbrühl Josef Brunner (1826-1893) |
Les rapports de
Beethoven
avec les quatuors sont pittoresques dans le sens où, globalement, ils sont
composés par groupes : les 6 de l'opus 8
en 1799, les 3 dits "Razoumovski"
opus 59
de 1806, les deux en 1810 sous-titrés "Les harpes"
opus 74
et "Serioso"
opus 95
et enfin, à partir de 1824, l'ensemble des six derniers quatuors au
formalisme atypique, c'est peu de le dire. Les dates de création ne sont pas
toujours contemporaines de celles de la période restreinte de composition
pour un groupe donné. L'opus 95
ne sera créé qu'n 1814…
Ont été chroniqués
: l'opus 59 N°2¸ l'opus 74
et
deux des plus riches et célèbres : les
N°14
opus 131 et
N°15 opus 132 (Index)
Les points communs de ces partitions sont nombreux. Sur la forme, l'opus 131
comporte 7 mouvements 😳. Quant à l'opus 132 en 5 mouvements, son adagio s'étire sur un grand quart d'heure, une
élégiaque mélopée qui n'est pas sans rappeler l'atmosphère pathétique de la
marche funèbre de la
symphonie
"héroïque". Sur le fond, on comprend que si les neufs premiers quatuors sont les
enfants de
Mozart
et de
Haydn, courts, clairs, souvent optimistes,
Beethoven
plonge ici dans l'introspection, le récit d'une vie de combats et de
tourments par portées interposées.
Avec ses quatre mouvements traditionnels, sa durée réduite à 25 minutes,
l'ultime
quatuor N°16
est-il une régression vers l'ancien temps classique, une partition répondant
dans l'urgence à une commande ? Rien n'est moins sûr !
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Quatuor Hagen |
L'index
fait foi, la discographie des quatuors de Beethoven est infinie… J'aime changer d'interprète à chaque chronique pour faire
découvrir, chers lecteurs, les ensembles qui se sont distingués dans le
genre. Jusqu'à présent :
Quatuor de Cleveland,
Quatuor Takács,
Quartetto Italiano
et
Quatuor Pražák, sans compter leurs brillants confrères cités dans les discographies
alternatives… Que du beau monde dirait Sonia 😊 … Et n'oublions pas les
autres quatuors en vedette dans d'autres billets dédiés à divers
compositeurs de musique de chambre, une dizaine…
Aujourd'hui, entrée dans le blog du
Quatuor Hagen
fondé en 1981 par quatre frères et sœurs de la famille Hagen !
La violoniste
Angelika Hagen ne restera qu'un an pour se tourner vers une carrière d'ethnologue.
Quarante plus tard et seulement deux changements pour le violon II,
l'ensemble se compose de
Lukas Hagen (violon I),
Rainer Schmidt
(violon II) depuis 1987,
Veronika Hagen
(alto),
Clemens Hagen
(violoncelle). Leur répertoire est plutôt classique mais avec des incursions
vers l'époque moderne :
Chostakovitch,
Lutosławski,
Ligeti,
Schnittke…
J'avais découvert ce quatuor en 1993 lors de l'obtention d'un
diapason d'or pour une vibrante interprétation du
quintette avec piano
de
Brahms
(Paul Gulda
au piano – le fils du légendaire classico-jazzman
Friedrich Gulda) avec, en complément, la trop rarement gravée transcription pour quintette
de la
Symphonie de chambre opus 9
de
Schoenberg
par
Anton Webern. (DG)
On doit au
Quatuor Hagen
de beaux disques : une intégrale de référence des quatuors de
Mozart
(DG 7CDs), une autre des quatuors de
Bartók, et plusieurs albums isolés dédiés à
Beethoven…
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Schwarzspannierstrasse - dernière demeure de Beethoven |
Pour rédiger le guide d'écoute destiné à aider les novices attirés par la
musique classique, la méthode est immuable : écouter plusieurs fois le
disque choisi et quelques autres parutions. L'une des écoutes a lieu en
suivant la partition quand elle est disponible sur le site IMSLP et
qu'elle ne présente pas des difficultés de solfège migraineuses… Je ne suis
pas un pro ! Et voilà comment j'affirme que le
16ème quatuor
de
Beethoven
sous un air de retour aux grandes heures du classicisme ne l'est pas du
tout. Si sa structure en quatre mouvements et sa durée de 25 minutes le
laissent croire, sur le plan de l'écriture c'est tout le contraire. Après
son travail sur des grandes œuvres au ton métaphysique,
Beethoven
invente encore et encore, certains commentateurs prétendent avec raison que
cette musique anticipe
Bartók
et
Stravinski.
La dernière année de vie de
Beethoven
vire au cauchemar, pas au niveau de sa santé qui est stable mais dans le
domaine affectif et du fait d'embrouilles avec son entourage ; je ne
détaille pas. Il attaque résolument en juin l'écriture de l'œuvre, trois
mouvements (1, 4, et 3). Le délirant pseudo scherzo (2) sera
ajouté plus tard, en décembre 1826.
Ce quatuor est la dernière œuvre complète composée par Beethoven. Il ne sera créé qu'en 1828. Avant de rendre l'âme Beethoven ébauchera la 10ème symphonie et un quintette…
Le promeneur par Josef Brunner (1826-1893)
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1 - Allegretto [fa majeur]
: Le mot sonate et son double sens : d'une part, un morceau en trois ou
quatre mouvements pour un soliste instrumental (piano, violon,
violoncelle, clarinette…) parfois en complicité avec un piano ; et
d'autre part, une forme structurant un mouvement de ladite sonate ou par
extension d'une symphonie à partir de thèmes, architecture plus ou moins
rigoureuse, organisation facilitant l'écoute par des reprises, des
développements et des variations dérivés des thèmes. On écrit parfois
cette succession : ABA'B'CA"B", ou toute autre séquence plus simple
ou plus complexe…
À partir de ces définitions académiques, il est logique que l'on puisse
penser que le
16ème quatuor fête le retour tardif des perles du genres composées à l'époque
classique par
Mozart
ou
Haydn, les deux hommes ayant perfectionné le style quatuor en grande
complicité. Certes Beethoven
semble respecter ce programme imposé, mais le traitement de
l'orchestration se révèle d'une stupéfiante inventivité. Pour rompre un
flot musical trop scolaire,
Beethoven
s'amuse à distribuer de pupitre en pupitre les motifs thématiques
attribués a priori à l'un des quatre protagonistes. Voilà pourquoi, une
analyse trop détaillée ne peut être que fastidieuse.
Les quatre premières mesures confirment à elles seules le principe.
L'alto énonce un motif alerte auquel répond le violon I, relance de
l'alto et seconde réponse mais accentuée sf avec renforcement de
l'effet par l'entrée du violon II. Le maître signe à nouveau sa
fascination d'un début qui prend l'auditeur à bras le corps, qui le
frappe d'emblée commentait-il à propos du motif "du destin" de la
5ème symphonie. Difficile d'identifier un ou deux thèmes "officiels" dans la
succession de cinq motifs : celui interrogatif introductif cité avant,
[0:10] le second motif à l'air pastoral, [0:25] le troisième joué
p avec une gravité un rien affectée, [0:36] le quatrième
élégiaque chanté par le violon I en crescendo et enfin [0:46] un
cinquième au ton martial… [1:01] Et là, on peut s'aventurer à considérer
que le quatuor commence enfin en développant une longue phrase allègre
dérivée… du premier motif qui acquiert ainsi le statut de Leitmotiv…
Beethoven maladif ? certainement ! En manque de génie ? Avec six idées musicales aussi diversifiées dans la première minute, on en doute. Beethoven réduit les dimensions de son mouvement pour densifier l'écriture d'une façon inconnue jusqu'alors… Je n'ajoute rien, le mouvement durant [7:31]. Après une série de quatuors imposants au ton austère, Beethoven souhaitait-il nous distraire ?
Stravinski : extrait cor anglais en polyrythmie
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2 - Vivace [fa majeur] :
Beethoven
ayant écrit trois mouvements en
majeur dans ce quatuor d'ambiance
optimiste, il croit devoir insérer un passage en mode
mineur, tonalité a priori plus
nostalgique. Encore une tradition non écrite, souvent le mouvement lent
recourt à une telle tonalité. Le maître poursuit ces initiatives en
composant un court "scherzo" en
fa mineur. Mais pas question de noircir
le climat… Il nous entraîne dans une folle cavalcade en utilisant une
polyrythmie "maison".
(Paragraphe technique facultatif) Les puristes taxeront d'abus sémantique l'usage du mot polyrythmie. Parcourir la partition du final (le sacrifice) du Sacre du printemps montre la technique "officielle" employée par Stravinski pour obtenir l'hystérie démoniaque de son orchestre, chaos musical barbare entraînant la démantibulation des corps dans la chorégraphie de Vaslav Nijinski. Stravinski impose les cassures de rythme via le solfège un peu dingue. Il attribue à chaque mesure un rythme différent, une itération des séquences de rythmes veille à stabiliser une régularité : 3/16 – 5/16 - 2/8 (exemple ci-contre pour le cor anglais I dans "Danse sacrale") … Hormis dans certaines polyphonies du Moyen-Âge et certaines musiques orientales, ce procédé n'est pas à la mode au XIXème siècle.
Beethoven : Début du Vivace du quatuor N°16 |
Beethoven fait toujours preuve d'imagination. Il joue sur la durée des notes pour obtenir cet effet de dislocation. En suivant l'exemple, se superposent : Violon I : noire + blanche + legato ; violon II : l'inverse, soit blanche + noire et legato ; alto : blanche pointée + staccato ; violoncelle : noire + soupir + noire ! Aucun tutti possible…
[Playlist 2] Les instrumentistes ne lui disent pas merci 😊 ! Le non-respect rigoureux du métronome donnerait l'impression d'artistes en train de s'accorder, un brumeux brouhaha. Avec un quatuor expérimenté, voilà une savoureuse cavalcade de cordes qui se chamaillent gaiement, un pépiement de gallinacées… ou tout autre métaphore à votre goût.
Le morceau est bref, trois bonnes minutes… Facétieuse, l'introduction adopte ce style au climat polyrythmique, mais dès l'énoncé d'une seconde idée, Beethoven oppose inversement au quatuor une cadence énergiquement rythmée, que des noires ! L'effet obtenu suggère le staccato d'un seul instrument aux timbres riches et à la tessiture étendue, une force symphonique. Et puis nous aurons le jeu sur double cordes, des crescendos decrescendos inattendus… Beethoven humoristique…
Forêt viennoise (Waldmüller)
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3 - Lento assai, cantante e tranquillo
[ré bémol majeur] : Il est licite d'attendre, après cet audacieux et ludique
galop, un grand adagio métaphysique comparable à ceux des opus 127 (N°12),
131 (N°14) 132 (N°15), des litanies empreintes de douleur, de peurs, de
spiritualité, des prières et des chants de reconnaissance mêlés. Chacun
étant une œuvre dans l'œuvre d'une durée dépassant la quinzaine de minutes.
L'opus 133 (N°13) est une imposante fugue isolée d'un quart d'heure pouvant
achever l'interprétation de l'opus 130 (N°12).
Beethoven
prévoit-il un tel adagio aux accents mélancoliques pour l'opus 135 ? Il n'en
sera rien.
[Playlist 3] Pour ce dernier quatuor, ultime création,
Beethoven
écrit le lento en dernier et, le
retour à un mode majeur l'atteste,
Beethoven
ne souhaite plus, à l'évidence, partager ses angoisses mais s'apaiser et
nous avec… Il sous-titrera ces simples sept minutes "Süsser Ruhegesang, Friedensgesang", soit "Doux chant de repos ou chant de paix". On ne peut être plus clair et l'écoute inscrit ce mouvement parmi les
mélodies où le tempétueux compositeur semble touché par la grâce. Une
introduction suivie de trois variations composent le mouvement. Des
variations ? assurément, mais pour ses dernières pages, l'habilité du
maître assure une continuité stylistique hallucinante.
Dès les deux premières mesures à 6/8 s'invitent un à un : l'alto, le violon
I, le violon II et en dernier le violoncelle. Un motif en forme d'élévation
mystique. Le violon I entonne par deux fois dans son registre grave un thème
montant descendant. Gravité ou secret intime ? La sémantique atteint ses
limites pour commenter une telle musique, un voyage astral, poésie infinie
tout simplement.
[02:32] La variation I se joue plus lentement, en douceur. La tonalité
bascule en ut # mineur et la nuance en pp. L'écriture syncopée
est la clé de cette cantilène haletante élégiaque.
[04:17] La variation II périphrase le thème introductif et retrouve la
tonalité sereine de si bémol majeur ainsi que son tempo.
[05:29] La variation III notée simplice prolonge le récit subtilement processionnaire. On retrouve le style syncopé de la variation II. Le violon I déroule une mélodie articulée, oscillante et charmeuse tandis que le violon II reprend à l'infini des arpèges montants que seul un chromatisme raffiné diversifie.
4 - "Der schwer gefaßte Entschluß" : Grave, Allegro, Grave ma non troppo tratto [fa mineur] – Allegro fa majeur : Décidément pour son adieu au monde et, le subodore-t-il, à la vie, Beethoven dit aussi adieu à tout l'académisme qui l'a précédé. D'ailleurs il laissera nombre de ses successeurs dans l'embarras, chacun craignant de n'être jamais à la hauteur du grand Ludwig ; ainsi Brahms attendra la maturité pour tenter d'écrire une première symphonie digne de concurrencer celles de son mentor posthume. Schumann s'érigera en défenseur assidu de sa musique, à mon sens ses quatre symphonies sont les rares à atteindre une qualité que l'on peut qualifier de beethovénienne…
L'humour pictural de Waldmüller aurait-il plu à Beethoven ? |
[Playlist 4] : Le compositeur attribue un pseudo sous-titre à son final "La décision difficile" !? On s'interroge encore sur le pourquoi du comment de l'expression.
Passons, je n'ai aucune théorie nouvelle à proposer. Sur la partition, une
portée unique que se partagent le violoncelle pour un motif "grave" puis le violon I en mode "allegro".
Une mesure pour l'un soulignée du commentaire "Muss es sein", deux mesures pour le second avec deux fois le commentaire "Es muss sein !". Soit : "Le faut-il ?" & "Il le faut !" x 2.
Beethoven
plonge-t-il dans l'ésotérisme et la devinette ? Déjà que débuter un final
avec disons… un "oxymore" musical n'est
pas courant mais de plus, ajouter des énigmes… et bien vous savez quoi, je
vous laisse à vos conjectures sur le message caché… Sur le web, elles
fleurissent 😊.
Cet "oxymore" se poursuit de manière
presque terrifiante par deux motifs aux styles opposés : une sombre mélodie
puis des traits syncopés et vindicatifs de trois notes (ils me font penser
une fois de plus au thème du destin de la
5ème) … Phrases ésotériques "Grave ma non troppo tratto" qui nous entraînent vers un pétulant "allegro". La forme se libère de toute entrave.
Beethoven
a-t-il atteint la sérénité qu'il l'a abandonnée depuis des décennies ?
[04:35] Attention, que signifie ce soudain emportement, un ultime accès de
rage ou un retour de la vitalité qu'il espère encore ? [06:57] La réponse
vient-elle de la facétieuse et brève coda commencée en pizzicati et achevée
staccato ?
Un final extravagant et hors du commun qui nous renvoie au même commentaire
de
Beethoven
concernant la sonate "Hammerklavier", "J'écris pour dans cinquante ans"…
- Dis donc Claude… t'appelles ça une pause, une brève, un pt'i billet ?
tu te payes ma tête ! Je ne serai jamais prête pour jeudi…
- En effet Sonia, je me suis fait avoir. Je n'avais pas écouté cette œuvre depuis des lustres. L'idée m'est venue pendant la rédaction du Mahler… Je me suis focalisé sur 25 minutes… Il y a plus de fantaisie et de génie dans cette partition que dans bien des opéras de trois heures, je ne cafte pas… Désolé, mais on sera prêts… T'inquiètes !
Et pour finir, dans les années 70, Leonard Bernstein et les si réputées cordes de la Philharmonie de Vienne ont enregistré une transcription pour orchestre du quatuor… On aime ou pas, il y a comme un air d'hédonisme qui ne surprendra personne… Je préfère l'original et sa concision étonnante ! Je vous propose cette version en complément. J'avais déjà mentionné cet album dans les vidéos supplémentaires de la chronique du 14ème quatuor avec les mêmes réserves.
Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée. Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…
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INFO : Pour les vidéos ci-dessous, sous réserve d'une écoute directement sur la page web de la chronique… la lecture a lieu en continu sans publicité 😃 Cool. |
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La discographie alternative d'un cinquième billet consacré à l'univers du
quatuor de
Beethoven
risque forcément d'être répétitive. Le nombre d'intégrales ou d'albums
isolés est tel depuis l'invention du microsillon que le goût des mélomanes
se charge de réguler qualitativement le catalogue disponible.
J'aime beaucoup le ton léger du
quatuor Hagen
souvent bien placé dans les confrontations. Il aborde le
Beethoven
devenu poète et moderniste avec des timbres subtils. Cela dit, une prise de
son un poil plus dynamique et une spatialisation plus aérée des quatre
pupitres auraient été les bienvenues (Myrios - 2013).
Le
Quatuor Pražák
fut mon choix pour chroniquer le
Quatuor N° 8
("Rasumovsky"
opus 59 N°2). J'avoue que l'association des
quatuors N° 15
&
16
en un album simple est une aubaine, d'où cette banalité "s'il ne fallait en avoir qu'un". Sens du délié, d'une articulation vivante… la perfection y compris pour
la prise de son… (Praga – 1999 – 6+/6)
Autre interprétation pleine de vie et d'émotion, celle du
Quatuor Mosaïques
extraite d'un coffret consacré aux quatuors dernière manière (N°12 à 16). Un quatuor mixte avec parité 😊 (Christophe Coin
au violoncelle) qui joue sur des instruments d'époque, la sonorité un peu
râpeuse convient bien à l'ami
Beethoven
au tempérament ombrageux (Naïve – 2014 - 6/6).
Côté intégrale mentionnée dans les articles antérieurs, citons le Quatuor Talich, celle en mono du Quator Végh, etc.
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