lundi 7 février 2022

La pianiste Kate LIU interprète "Gaspard de la nuit" de RAVEL et la "sonate 31" de BEETHOVEN – par Claude Toon


- Mais Claude, ce n'est pas Yuja Wang, certes une jeune pianiste asiatique en mini-jupe de nouveau… Tu deviens fétichiste ? collectionneur de lycéennes ? Ou la demoiselle est-elle encore une vraie musicienne avant l'heure ?
- Mouais, tu te rattrapes au dernier moment Sonia… Je suis surpris que tu ne te rappelles pas que Kate Liu était l'un des deux interprètes que j'avais retenus pour la chronique sur le premier concerto de Chopin exécuté au Concours éponyme de Varsovie en 2015…
- Heu, maintenant que tu le dis… Mais c'est la robe plus courte sur la photo que lors du concours guindé qui…
- On s'en FICHE de ses fringues Sonia, quoique cette jeune fille ait tout pour elle je l'admets, surtout un talent précoce et diabolique irritant pour un pianiste raté… En dehors des deux chefs-d'œuvre interprétés, je veux revenir sur la notion de prodige évoquée en fin d'année et qui suscitait débat… Sur cette photo, elle vient de fêter ses 17 ans…  


Revenons en fin d'année 2021 (Clic). Comme chaque année avant les fêtes, la TV publique nous proposait une émission de télécrochet, Prodiges, sur deux soirées pendant lesquelles des apprentis danseurs(ses), instrumentistes, et chanteurs(ses) se confrontaient pour remporter la première place et un pécule financier pour les aider à suivre une formation musicale plus solide. Car il faut bien le dire, l'émission, Prodiges, ne tenait pas réellement les promesses sous-entendues par son titre aguicheur. Coup d'œil au dictionnaire :

Prodige nom masculin. : "Personne exceptionnellement douée : Cet enfant est un petit prodige.". Or, le syntagme adverbial exceptionnellement douée n'était pas du tout respecté. Aucune méchanceté ou crânerie… une réalité indubitable.1

Le jeune clarinettiste lauréat en fin de session 2021 pouvait prétendre à ce qualificatif, et de plus, étant d'un milieu modeste, le prix avait des chances d'être bien utilisé ! Une jeune fille avait chanté "Casta Diva", un air d'opéra hyper difficile extrait de Norma de Bellini, plutôt une spécialité de la Callas que d'une adolescente. Cependant, malgré des hauteurs de notes hasardeuses, il y avait une âme dans sa performance sympathique qui me suggéra la rédaction d'un billet dans le blog à propos de l'émission et de Norma.

1 – Donc prodige nom masculin : Victor Hugo, Paul Langevin, Louis Pasteur, Claude Debussy, mais en aucun cas Marie Curie, Marguerite Yourcenar, Barbara, George Sand, désolé mesdames. J'en appelle à Mme Hélène Carrère d'Encausse, secrétaire perpétuel de l'Académie française pour faire évoluer le dictionnaire comme elle a euthanasié à juste titre l'idéologie féministe mais irréaliste sur le plan linguistique d'imposer l'écriture inclusive (Clic). Je crée dans cet article un néologisme, je transgresse la grammaire, à savoir, j'écrirai : Une prodige !

Pardon Sonia ? Ah… Prodige ? toi ? on réfléchira avec les autres gars et Nema…

Je ne remets pas tout le couvert à propos de Prodiges, ayant développé mon point de vue dubitatif sur l'intérêt culturel de cette succession de gosses dont certains pouvaient espérer progresser dans un métier artistique, assurément, et d'autres, après m'avoir agressé les tympans, devaient à mon sens ressortir leurs consoles de jeu, ou continuer leur pratique artistique sans prétention pour leur simple plaisir, ce qui est déjà "prodigieux" en soi. (Sont-ils manipulés par des adultes pas forcément bien intentionnés et France Télévision qui fait son beurre ?)

Concours 2011 à Cleveland ; prix 500 $ (6ème)

Détail important : Gautier Capuçon, éminent violoncelliste, membre du jury, encourageait au mieux et par altruisme les candidats, même après des prestations parfois, disons… "éprouvantes" 😳. Inversement, son frère Renaud, violoniste ayant décliné l'invitation, avait exprimé sur France Inter son désaccord de diffuser de telles émissions ayant l'objectif (non atteint) de passionner le public pour la musique classique. Je cite de mémoire "la qualité n'étant pas du tout au rendez-vous et les soi-disant prodiges encore moins". Une opinion tranchée qui avait choqué l'univers des bien-pensants militants présupposant que tout marmot est un Mozart qui s'ignore. Gautier et Renaud ne sont pas frères ennemis, d'autant que chacun à sa manière soutient de jeunes artistes dans diverses associations ou initiatives dans des quartiers défavorisés.

 

Après écoute sélective sur les sessions depuis 2014, mon avis oscillait entre chèvre et chou : un miroir aux alouettes pour ces jeunes (pas d'avis pour la danse, je n'y connais que dalle), tromperie d'un public sensé adhérer ainsi de façon bon enfant à l'univers classique, etc. le vrai faux débat ! Quand on aime la forme dite classique on en écoute spontanément, cette "inter-ville" musicale sur  France 2 ne changera rien… Les goûts et les couleurs n'évoluent pas radicalement ou rarement, ils sont dans nos gènes. Je ne raffole pas du jazz ou du rock malgré la fréquentation assidue d'experts mondiaux comme Pat Slade ou Bruno. Pourquoi ? Mystère absolu… Je suis certain que le programme du jour ennuierait à mourir nombre de leurs lecteurs, ça n'en fait pas des ignares pour autant, que je sache !!!!

Ok, je radote, et j'ai donc cherché un ou une prodige pour me convaincre de ce jugement très réservé et de nouveau brocarder une certaine programmation démagogique sur le service public. Ô pas difficile, mais encore fallait-il disposer de la bonne personne et de la démonstration musicale pertinente justifiant l'adjectif ou la dénomination "prodige". Un mot toujours masculin, débile !

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Ravel en 1910

La prodige du jour sans ambiguïté est la jeune pianiste américaine Kate Liu originaire de Singapour et 3ème Lauréate du concours Chopin de Varsovie en 2015 à l'âge de 21 ans. 21 ans ? Sonia retorquera que ce n'était plus vraiment une gamine… Exact, mais la première vidéo qui suit date de 2010, Kate Liu étant née en 1994, mademoiselle joue sans difficulté Gaspard de la nuit de Maurice Ravel à 16 ans, l'âge des vedettes de Prodiges. (Pour rappeler un bon souvenir aux copains, la violoniste Hilary Hahn jouait en complicité avec Lorin Maazel le concerto de Sibelius à 15 ans à Munich. Ah les filles…) Gaspard de la nuit, le chef-d'œuvre d'une difficulté inouïe qui terrorise des pianistes même confirmés. Ravel lui-même ne le jouait pas en public, faisant appel à son ami virtuose espagnol Ricardo Viñes. En dehors de la célèbre voire insensée virtuosité exigée, les trois pièces (Ondine, Le Gibet et Scarbo) se réfèrent aux courants stylistiques suivants : impressionnisme, romanticisme, néoclassicisme et expressionnisme, etc. La jeune fille a déjà intégré la pensée de Ravel !!!

Stop, écoutez l'adolescente dans sa jolie robe soyeuse, et pour tout apprendre à propos de Gaspard de la nuit, un petit détour par la chronique concernant le disque de Ivo Pogorelich s'impose (Clic). Observer le jeu acrobatique des mains dès le début de Ondine.

 

En 2019, Kate a 25 ans. Quand on maîtrise Gaspard de la nuit à 16 ans, Beethoven ne fait plus peur, même son étrange sonate n° 31 Opus 110 qui de sonate ne porte que le nom. Beethoven la compose en 1822 après avoir traversé deux années de souffrances atroces et de maladie. Il ne compose pas pour la postérité (personne ne peut jouer cette partition à l'époque), mais pour lui-même, pour exister, survivre. Elle ne porte pas de dédicace, Beethoven compose une pièce mélancolique et rageuse, ce n'est pas antinomique, un testament artistique. Trois mouvements seulement avec de nombreuses sections.

1 – Moderato cantabile molto espressivo
2 – Allegro molto
3 – Adagio, ma non troppo – Fuga ; Allegro, ma non troppo

Pas de commentaire sur cette sonate, une chronique verra le jour plus tard… Kate s'approche du piano vêtue de son éternelle robe longue élégante mais discrète, s'assoie. Comme souvent, la pianiste rigolote en privée se concentre, s'échappe dans un monde sans décor ni public, comme en hypnose, attendant la venue de Beethoven comme l'affirmerait Pat, notre medium attitré. Lentement les mains se posent sur le clavier et la musique se développe dans toutes les dimensions…

Voilà une prodige, une vraie. Inutile d'être jaloux ou envieux, le devrais-je ? Bien sûr que non ! À quoi bon, la pianiste m'apporte le bonheur que mes mains, et sans doute ma tête m'ont refusé, mon statut social dans les années 50 aussi (trop facile à affirmer)… Des fâcheux pourraient dire que je pratique l'élitisme. Non, j'adore écouter des jeunes combattre les notes, chercher un sens avec plus ou moins de talent aux portées. Ce sont des ados lors d'un concours en jouant avec une habileté variable une valse de Chopin au choix qui m'ont enfin fait aimer ce compositeur… La clé : leur plaisir, leur effort, la passion. Et basta les critiques verbeuses et humiliantes de la présidente du jury, une pianiste française clone de la Castafiore dont je tairai le nom par charité chrétienne.  


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