vendredi 3 novembre 2023

KILLERS OF THE FLOWER MOON de Martin Scorsese (2023) par Luc B.

On pourrait rapprocher ce dernier Martin Scorsese du film de Cimino LA PORTE DU PARADIS*. Par sa longueur, un film fleuve de près de 3h30, et par son sujet, déterrer un fait historique pudiquement occulté qui met à mal la bonne conscience américaine.

Michael Cimino évoquait la guerre du comté de Johnson, où des immigrants venus d’Europe, installés au Wyoming, ont été purement et simplement génocidés par les propriétaires terriens, avec la complicité des autorités. KILLERS OF THE FLOWER MOON raconte comment les indiens Osages, chassés de leurs terres et recasés dans l’Oklahoma sur le comté d'Osage (d'où le nom), une réserve dont ils avaient acheté les droits de propriété, ont découvert que leur sol était gorgé de pétrole. Un des premiers plans du film est une danse de la pluie, mais une pluie d’or noir qui jaillit en geyser.

Les Osages deviennent riches, ce qui fait naître les convoitises. Il n’est pas rare d’en trouver au petit matin quelques-uns, morts une balle dans la nuque, sur une concession. Aucune enquête de police n’est menée. Et pour cause, le shérif, les notables du coin, les représentants du KKK, sous l’emprise du riche éleveur William Hall ont un projet commun : déposséder physiquement et juridiquement les indiens de leur terre. Le plan consiste notamment à marier des hommes américains aux femmes indiennes, faire en sorte qu’elles disparaissent pour que le défunt hérite. On touche là à l'épuration ethnique.

C’est la proposition que William Hall, surnommé King, fait à son neveu Ernest Burkhart lorsque celui-ci revient d’Europe, démobilisé, en 1920. Le début du film, superbe, montre Burkhart descendre du train, découvrir l'effervescence de la ville, où de riches femmes indiennes sortent de magasins chargées de paquets, qu’un chauffeur - blanc - transporte jusqu’à leurs voitures de luxe. Scorsese se fait plaisir avec de larges mouvements de caméra sur grue, train à vapeur, figurants par centaine, et ce plan impressionnant d’une terre où poussent les derricks jusqu’à l’infini. Ernest trouve un travail de chauffeur, pour Molly, héritière d'une riche concession, et sur les conseils de tonton Hall, l’épousera bientôt.

La première partie du film s’attache à ce couple et à la famille de Molly (l’actrice Lily Gladstone absolument prodigieuse) gracieuse, maline, un port de reine. Mariage de raison, certes, mais il semble y avoir un réel attachement, surtout à la naissance des enfants. Ernest est très présent d’autant que Molly souffre de diabète. Ernest Burkhart est un être frustre, pas fondamentalement mauvais, mais influençable. Son oncle William (Robert de Niro onctueux et diabolique) commence très tôt son travail de sape. Il enseigne à Ernest la culture Osage, il en parle couramment la langue, participe à chaque cérémonie, il est incontournable dans la vie des indiens. Mais le spectateur n'est pas dupe : la seule présence de Robert de Niro, dont on connaît le pedigree chez Scorsese, ne laisse pas beaucoup de suspense quant à la moralité du personnage qu’il incarne…   

Entre temps les meurtres se multiplient, sommaires, odieux (Anna, la sœur de Molly). Les tueurs peuvent être de braves fermiers à qui on promet quelques dollars (on reconnaitra le bluesman Charlie Musselwhite dans le rôle d’Alvin Reynolds) ou des manieurs de nitroglycérine chevronnés. Un climat de terreur s’installe, des familles indiennes déménagent en ville, Molly et Ernest Burkhart engagent un détective privé.

Le film bascule dans la seconde partie avec l’arrivée du FBI, qui vient fouiner, interroger toute la communauté,  et s'intéresse de près à Ernest et William Hall. On pense alors à MISSISSIPPI BURNING (1988) d'Alan Parker. Au départ, Di Caprio devait jouer l’inspecteur du FBI, et le film était centré sur l'enquête policière. Mais le comédien-producteur a préféré le rôle plus ambigu d'Ernest. Le scénario a été réécrit en conséquence, pour développer son personnage, ce qui expliquerait la durée inhabituelle du film. L'enquête redonne du rythme, rehausse la tension (enquête, procès, revirements…) mais  les scènes dialoguées entre Ernest et son oncle ressassent les mêmes enjeux. Oubliez les mises en scènes dopés à la benzédrine de LES AFFRANCHIS ou CASINO, Scorsese opte pour un style plus classique, proche de John Ford, Eastwood ou James Gray.

La fidèle Thelma Schoonmaker est encore au montage, on voit le savoir-faire dès les premières scènes, montage court qui résument en quelques images la situation, fausses bandes d’actualité. Dans la seconde partie des flash-back judicieusement placés viennent éclairer les actions d’un nouveau jour, préciser le rôle exact de Ernest Burkhart (et son frère) dans ce vaste complot. [pour ceux qui ont vu le film : quid de l'insuline, y savait ou pas ?]  

Contrairement à ce que la bande annonce laisse à penser, KILLERS OF THE FLOWER MOON n’est pas un film d’action à la musique tonitruante. Le regretté Robbie Robertson a concocté une bande-son au contraire minimaliste, le film est assez silencieux, traversé d’éclairs de violence. Il y a un épilogue formidable, dont je laisse la surprise. On ne peut pas évoquer ce film sans parler du sujet qui fâche : sa longueur. Scorsese, énervé par cette critique, rétorquait qu'il y avait un public pour se taper 4 heures d'opéra, ou 5 heures non-stop d'une série en streaming... C'est pas faux ! 

Mais contrairement au Cimino, ou à IL ÉTAIT UNE FOIS EN AMÉRIQUE** de Sergio Leone, deux productions à l'ampleur cinématographique et historique, le film de Scorsese reste à mon sens trop long. J'y sens un déséquilibre entre le récit fictionnel et le récit historique, qu'on aurait aimé plus présent. La séquence de l’incendie, visuellement superbe, n'apporte rien, la quête du dynamiteur Acie Kirby prend trop de place. Et au contraire, des aspects sont trop vite expédiés, la visite des indiens à Washington, le contrat qui lie Hall et son "frère" indien Harry Roan.

On ne s’ennuie pas car Scorsese sait raconter une histoire. Mais il n’a, soit, pas suffisamment de matière (d'intrigue) ou trop (de plans tournés). Ce que je vous en ai résumé est l’entièreté du film. L'acteur Di Caprio improvisait énormément, trop, épuisait tout le monde, surtout De Niro, dans d'interminables joutes dialoguées. Le producteur Di Caprio n’allait certainement pas couper une heure de ses propres scènes ! CASINO, qui dure 3 heures, raconte dix fois plus de choses, et le récit y est speedé comme jamais. Le film est toujours intéressant, mais on sent le poids de la durée, comme s'il fallait insister encore et encore pour que l'on saisisse l'ampleur dramatique du sujet.

Ca faisait des années que Martin Scorsese voulait raconter cette histoire, qui est effectivement formidable. Le financement vient de la plateforme Apple TV dont les moyens sont illimités. Scorsese avait carte-blanche, sans contre-pouvoir pour lui dire : super, mais tu nous fais le même avec une heure de moins ! C’est indéniablement un grand sujet et un grand film, mais qui n'atteint pas les sommets émotionnels du Cimino ou du Leone

* Pour relire l'article consacré au chef d'oeuvre de Cimino, c'est clic ici : LA PORTE DU PARADIS
 
** Et pour le chef d'oeuvre de Sergio Leone, c'est clic par là : IL ETAIT UNE FOIS EN AMERIQUE 


couleur  - 3h26  - scope 1:2.39

 

12 commentaires:

  1. Ecœuré par la longueur et le déferlement de violence (réaliste) des Affranchis et de Casino, j'ai fait ensuite l'impasse sur ses films (ah non, j'avais vu celui avec Nicholson... même topo)... Au final, je n'ai que "Taxi Driver" dans ma DVDthèque (la fin n'est pas piquée des hannetons non plus mais ça passe encore...), cela me suffit.

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  2. Shuffle Master3/11/23 14:09

    3 heures, ça reste un maximum. Il était une fois en Amérique, ça se traîne lamentablement: je ne sais même pas si j'ai pu aller en une fois jusqu'au bout. Pareil pour le Cimino. En revanche, Casino, qui est juste dans le créneau, passe très vite, du moins pour moi. Mais je soupçonne que l'époque (les années 70, époque de notre folle jeunesse) y est pour beaucoup. Celui-là a l'air quand même pas mal, même s'il arrive parfois à Scorcese de rater un film.

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  3. La violence chez Scorsese... Heureusement que tu n'as pas vu "Gangs of New York" ! Mais Scorsese ne décrit des anges, je me souviens de cette scène où Joe Pesci se fait tabasser et enterrer vivant (Casino ?), c'est insoutenable, mais éluder cet aspect des moeurs de la mafia n'aurait pas été honnête. Et puis Scorsese, c'est un gars nourri de religion, de péché, de rédemption, la violence et le Mal font parti de son cinéma. Mais je peux comprendre que ça rebute, tu es loin d'être le seul. Tu peux essayer "Le temps de l'innocence", très beau film non violent, ou "La valse des pantins", ou "Hugo Cabret" qui est quasi un film pour enfant (les miens avaient adoré, très jeunes).

    Un Scorsese raté (vraiment raté) je ne vois pas... Je n'ai pas une passion pour "Les nerfs à vif", limite grotesque, je lui préfère l'original de Jack Lee Thompson, qui était pourtant un habitué des daubes. "La couleur de l'argent" n'est pas souvent cité dans son top 10... Mais je n'ai pas tout vu, "La tentation du christ" ou "Silence" manquent à mon tableau de chasse.

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    1. "Les nerfs à vif", un peu "too much" il est vrai mais c'était un film "de commande", je crois... Merci pour les pistes mais le problème avec "Le temps de l'innocence", c'est que... je n'aime pas les films à costumes (comme les films de guerre). C'est pourquoi je n'ai jamais vu "Barry Lindon", "Apocalypse Now", "Full Metal Jacket", "La Reine Margot", "Il faut sauver le soldat Ryan", etc ("Cyrano" étant l'exception mais aucun souvenir mis à part la tirade de Depardieu)... Ah la la, la vie n'est pas simple... En non-violent, il y a aussi "After Hours", qui n'a rien d'extraordinaire, au demeurant.

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    2. P.S : oui, c'est bien "Casino".

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    3. Pas de films en costumes ? Merde alors. Sans costume aucun, je ne vois que les films pornos. Pas de péplum, de western, de cape et d'épée ? Oh mon dieu, pourquoi s’affliger tant de souffrance ? Ne pas avoir vu "Barry Lyndon" à cause d'une allergie aux costumes est une excuse minable. Trouve autre chose.

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    4. Shuffle Master.3/11/23 21:48

      Barry Lyndon, c'est quelque chose, "a must see" comme dirait l'autre. Et le bouquin de Thackeray aussi, pour ceux qui n'aiment pas les films en costume. Et Marisa Berenson, rhââ lovely.....

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    5. La souffrance serait justement de m'infliger des péplums, des westerns (ouest terne ?) ou des films de cape et d'épée (vous n'avez rien de plus ancien en magasin ?)... :-)

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    6. Shuffle Master.4/11/23 20:00

      Ouest terne....pas mal.

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  4. J'ai l'impression que Scorsese et De Niro tournent leurs films comme si c'était leur dernier, un machin testamentaire, on veut tout y mettre, et donc finalement, on y en met trop ... The Irishman était déraisonnablement long (en plus y'avait Pacino) et là aussi produit hors milieu "classique" du cinéma (Netflix) pour que personne vienne dire "ouais, génial, extraordinaire, mais tu refais le montage avec une heure de moins". Je pense que ces deux (et même le Pacino) savent aussi qu'ils ont le meilleur de leur carrière derrière eux et qu'ils ne retrouveront jamais leur niveau d'il y a quelques décennies ...
    Tu n'as pas vu "la dernière tentation ... " et "silence" ... bof, ils peuvent se zapper. Ils font partie avec "kundun" de la trilogie (il m'en vient pas d'autre à l'esprit) "mystico-chréti(e)nne" du retour vers la foi après les décennies d'abus de produits colombiens, une sorte de rédemption où l'éducation chez les cathos revient te hanter ... pour la dernière tentation, le bouquin du grec au nom imprononçable est mieux que le film ...

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    1. Shuffle Master4/11/23 20:12

      Je suis assez d'accord, pour ne pas dire entièrement d'accord avec Lester sur le côté insupportable de types qui viennent à résipiscence mystico-chrétienne sur le tard après avoir largement profité de tout (et de toutes) pendant des années. Scorcese, grand réalisateur, est objectivement un sale con avec sa culture italo-sicilienne du péché et de la rédemption. On peut apprécier ses films sans rentrer là-dedans.

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  5. La résipiscence mystico-chrétienne chez Scorsese, ça ne date pas depuis qu'il a arrêté la coke. Pas certain du rapport dope/rédemption, le type a tout simplement été éduqué là dedans, on l'a plongé dans le bénitier, il n'en est jamais ressorti. Je me souviens que Springsteen, dont la famille est aussi d'origine italienne, écrivait que c'était épouvantable d'être élevé dans ce sentiment de religiosité, même quand on ne "croit" pas, ça vous imprègne, et tôt ou tard ça vous revient à la gueule, même inconsciemment. Chez Scorsese, c'est là dès le début, déjà dans Mean Streets voire avant dans Boxcar Bertha, avec le mec à la fin carrément crucifié au wagon !

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