La blague est
facile. En passant de VOYAGE AU BOUT DE L’ENFER (1978) à LA PORTE DU PARADIS
(1980), Michael Cimino est passé du... Paradis aux Enfers. Deux ans plus tôt, il
récoltait 5 oscars pour son VOYAGE. Et fut traité de fasciste. Trois plus tard,
il est passé marxiste, et on l’accuse d’être à lui seul responsable de la
faillite de United Artists. LA PORTE DU PARADIS, un des plus profonds gouffres
financiers d’Hollywood, marque la fin du Nouvel Hollywood, de la politique des
auteurs, le retour des producteurs de studios aux commandes.
Scorsese s’est
planté avec NEW YORK NEW YORK, Friedkin avec son remake du SALAIRE DE LA PEUR, Coppola
est au bord de la ruine, hypothèque la demeure familiale pour sauver APOCALYPSE NOW. Par contre, George Lucas et ses GUERRE DES ETOILES, Spielberg
et son E.T. ou son Indy, remplissent les caisses. C’est ça qu’on veut !
Des films qui rapportent du fric, et pas ces délires grandioses d’artistes
mégalomanes, où seul le metteur en scène déciderait de la direction à prendre.
Après le succès
critique de VOYAGE AU BOUT DE L’ENFER, Michael Cimino a cru qu’il aurait les
mains libres. Tournage pharaonique, reconstitution d’une ville en plein désert,
budget explosé (20 millions de plus!), 50 ou 60 prises par plan pour capter les heureux hasards de l'interprétation, tous les soirs des stages de danse, patin à roulette, équitation, tir au fusil... et un montage de 3h40 qui a fait s’étrangler les directeurs de United Artists, qui ont immédiatement charcuté les bandes pour en tirer une version
raccourcie de 80 minutes, avec une voix-off, qui évidemment a fait un flop. Déjà
que Peckinpah avait fait le coup avec son PAT GARRETT de 4 heures…
Cette version
éditée chez Carlotta est le montage agrée par Michael Cimino, le plus proche de
ce qu’il avait imaginé, il a fallu 10 ans pour tout remettre bout à bout,
nettoyer, astiquer, et le résultat est tout simplement : somptueux.
Petit avertissement, on ne se lance pas dans cette fresque comme on s’envoie un épisode de Plus belle la Vie, hop, entre la poire et l'fromage ! C’est du robuste. On s'y prépare. Mais ça vaut le détour.
Petit avertissement, on ne se lance pas dans cette fresque comme on s’envoie un épisode de Plus belle la Vie, hop, entre la poire et l'fromage ! C’est du robuste. On s'y prépare. Mais ça vaut le détour.
Le film s’inspire
d’un fait historique, controversé. Une association de riches éleveurs qui ont
fomenté le massacre de petits fermiers du comté de Johnson, dans le Wyoming, en
1892. Une liste noire de 125 personnes à éliminer physiquement, avec la
complicité des autorités et de l’armée. Ces gens étaient des émigrés, venus d’Europe,
de l’Est, qui ont acheté un petit lopin de terre, empiétant sur des territoires
d’éleveurs.
Le film commence
à Harvard, lors de la remise des diplômes. Grandeur du cérémonial, travelling
majestueux, figuration en liesse, joutes intellectuelles, discours du révérend,
et dans la foule des étudiants, on remarque des coups d’œil entre garçons et
filles. Dès la première scène, Michael Cimino mêle la fresque et l’intime. On
fait la connaissance de William Irvine (John Hurt) et James Averill (Kris
Kristofferson).
Pour cette
séquence, le travail sur la musique est intéressant. Une fanfare qui joue, en
son direct, que l’on entend plus ou moins selon qu’on est dans l’action, ou
éloigné. Ensuite, Cimino orchestre une valse aux multiples figurants, dans les
jardins d’Harvard. Mais là, la bande musicale est au premier plan, Le Beau Danube
Bleu. On pense à la scène d’ouverture du PARRAIN. Ou au GUÉPARD de Visconti. Et
on remarque l’omniprésence de la figure du cercle, dans l’amphi, la valse, la
ronde autour de l’arbre, figure que l’on reverra lors du massacre final.
20 ans plus tard,
James Averill est devenu shérif du comté de Johnson. La transition est sublime,
cet homme endormi, le visage sous son chapeau, dans le train qui le ramène au
pays. Finis les ors des universités, les discours pompeux, le cognac et les
cigares. C’est la ville, boueuse, violente, grouillante. Et cette rumeur qui
circule. Une milice dézingue de l’émigré. Un certain Novak se fait descendre,
la scène est superbe, le tueur arrivant du fond de l’écran, la silhouette en
ombre projetée sur des draps tendus, le coup de feu au travers. James Averill
est un homme instruit, un homme de conviction, d’idéaux, qui va s’opposer à ce
pogrom, au gouverneur, tenter d’enrayer la tragédie qui se profile.
C’est aussi un
homme amoureux, et on le découvre avec Ella Watson (Isabelle Huppert). Elle
tient un bordel… ça ne fait pas terrible sur un CV, mais Averill essaie de se
détacher de sa classe sociale, pour apparaitre près du peuple. Michael Cimino
filme là aussi l’intime, des ballades, des baignades, des moments de bonheurs,
un sursis avant la sauvagerie. Averill essaie de convaincre Ella de partir avec
lui, quitter ce pays qui s’embourbe dans le fascisme. Mais Ella hésite, car
elle est aimée d’un deuxième homme, Nathan Champion (Christopher Walken). Champion
est un des tueurs embauché par le syndicat des éleveurs, personnage maléfique, le
visage creusé. Michael Cimino oppose donc le conflit politique et le dilemme sentimental
entre les trois personnages
Alors que la
tension monte, que les émigrés s’inquiètent, que la rumeur d’un massacre se
profile, Cimino filme aussi la vie, la fête, l’euphorie, avec la célèbre
séquence de danse en patins à roulettes, dans la ball-room qui s’appelle la
Porte du Paradis (il y avait déjà une grande scène de danse dans VOYAGE AU BOUT
DE L’ENFER). Le contraste avec les valses d’Harvard est saisissant. Le violoniste
qui ouvre le bal, en patin, est David Mansfield, le compositeur de la musique
du film. Il jouait avant avec Bob Dylan. Les musiciens de cette séquence jouaient en live pour le tournage. Il y a aussi T Bone Burnett à la batterie, et Sean Hopper à la basse, venu de chez Huey Lewis. Cette ball-room sert aussi de lieu de réunion. C’est là qu’on
discute, en russe, polonais, allemand, anglais, qu’on s’insurge contre la
corruption des élites, du traitement infamant réservé aux émigrés. Un orateur à
la petite barbichette nous rappelle Lénine. Le discours est clairement un appel
à la révolution, à la lutte des classes. Il n’est pas question d’américains et
d’étrangers, mais de riches et de pauvres, de démocratie confisquée.
C’est en cela que
le film n’a pas plu. Les spectateurs de l’ère Reagan n’ont pas apprécié qu’on
leur rappelle que leur démocratie était aussi fondée sur des massacres. Cimino
a été accusé de révisionnisme. Les éleveurs ont donné carte blanche au cynique Franck
Canton (Sam Waterson, absolument ignoble) pour recruter des tueurs, payer pour
chaque fermier abattu. On ne peut pas s’empêcher de penser aux années 30, aux
notables qui voyaient d’un bon œil l’arrivée des nazis, bons pour les affaires.
On pense donc encore à Visconti (LES DAMNES, 1969). La scène finale est
grandiose, on retrouve le cercle dans la manière de mener l’attaque. Averill
prend en main l’organisation de la défense, il a étudié les tactiques
militaires. Et tendez l’oreille. Après la bataille, on ré entend Le Beau Danube
Bleu joué à la guitare, sur fond de poussière et de cadavres.
LA PORTE DU
PARADIS est un film d’une beauté absolue. Le directeur photo Vilmos Zsigmond
(Scorsese, de Palma, Woody Allen, Boorman…) fait des merveilles, dans des plans
d’ensemble sur les paysages du Wyoming, le bleu profond des ciels, le vert
étincelant des prairies, les ocres, captation de la lumière. Le film regorge de
scènes à tomber raide dingue ! De longs plans, des mouvements de caméra, John
Hurt, en plein massacre, saoul comme un cochon, hurlant « I love Paris »,
totalement déconnecté de la réalité, le meurtre du chef de gare, et ce panoramique
qui part du visage de son cadavre pour englober la moitié de l’Etat ! La fusillade
contre Nathan Champion. Et la danse d'Ella et James, dans la ball-room vidée de ses spectateurs, belle à pleurer.
Alors on peut
chipoter sur certains détails de scénario, comme : comment et pourquoi
Averill est devenu shérif ? Sa rencontre avec Ella ? Sa rivalité avec
Nathan Champion ? Que fait William Irvine, là, 20 ans plus tard ? Il y
a des « trous » dans le récit, auxquels on songe à posteriori. Les
acteurs sont époustouflants, Kris Kristofferson (un habitué de Peckinpah, qui a remplacé Steve McQueen, déjà malade), John
Hurt, Jeff Bridges et Geoffrey Lewis (qui étaient dans LE CANARDEUR*), Mickey
Rourke (qui sera dans L’ANNEE DU DRAGON) Christopher Walken (qui était du
VOYAGE), Joseph Cotten (CITIZEN KANE, LE TROISIÈME HOMME) et bien sûr Isabelle Huppert, d’une justesse et d’une
fraicheur incroyable, débutante repérée dans le film LA DENTELIÈRE (qui joue une émigrée française, d'où certains dialogues en français), et sujet de conflit entre le réalisateur et les studios, qui aurait préféré une star américaine (Meryl Streep ?).
LA PORTE DU
PARADIS vous emporte, vous étreint ! AUTANT EN EMPORTE LE VENT, DOCTEUR JIVAGO, TITANIC font figures d'aimables bluettes à côté ! C’est un grand film mélancolique. L’épilogue
sur le bateau, montre un James Averill embourgeoisé, figé dans ses souvenirs. L'idéal en moins, les illusions perdues, comme la génération de 1970 à l'aube des années 1980 (ou comme la génération du Nouvel Hollywood avant le retour de bâton des studios...). C'est un
film qui mêle l'infiniment grand et l'infiniment intime. C'est un regard noir et désenchanté sur une société.
Le shérif Averill, impuissant à faire prévaloir ses idéaux et la loi, dit à un
moment : « il ne fait pas bon être pauvre dans ce pays ». Michael
Cimino, au summum de sa créativité, a accouché d’une œuvre immense, d’une
richesse et d'une beauté infinie, et pourtant, encore aujourd’hui, synonyme d’échec et de gabegie. Allez
comprendre…
*Autre film de Michael Cimino chroniqué ici : Le Canardeur
*Autre film de Michael Cimino chroniqué ici : Le Canardeur
HEAVEN'S GATE (1980) Couleur - 3h36 - format scope 2:35
La bande annonce après restauration :
ooo
C'est vrai, la porte du paradis est génial.
RépondreSupprimerAprès, faut avoir envie de se taper le "charisme" de Kristofferson qui n'a rien d'une tête d'affiche (Pat Garreth est envoutant parce qu'il y a Coburn et Dylan), cite moi un seul de ses films qui ait cartonné...
Faut avoir envie de se taper de la valse musette en patin à roulettes pendant une demi heure..
Y'avait pas moyen de trouver quelqu'un d'autre qu'Huppert aux States pour camper la pute de service?...
Pour la durée du film, dans le même temps tu pouvais mater l'Empire Contre Attaque et les Blues Brothers, tu crois que les américains avaient envie de voir les leurs dégommer des immigrés Polonais à la chevrotine sur fond de soleil couchant?...
Mais c'est vrai, ce film est sublime!
T'es vache pour Kristofferson, ok, ce n'est pas Coburn, mais tout de même... je l'aime beaucoup comme acteur, il a beaucoup tourné pour Peckinpah.
RépondreSupprimerPour Huppert... je pense qu'il fallait une actrice non américaine, pour jouer une émigrée. Cimino était très branché cinéma français, et il a sans doute vu en Huppert, le personnage qu'il imaginait. Elle apporte une touche assez originale, dans sa manière de jouer. Les américains ne regardent pas la nationalité des actrices, encore aujourd'hui, Binoche, Cotillard... Si l'actrice est talentueuse, on lui donne des cours d'anglais et elle tourne ! Et une actrice américaine n'aurait jamais accepté de tourner nue... Huppert était toute débutante, lui faire cette proposition ne pouvait que l'intéresser, elle raconte que le tournage était comme un grand camp de vacances en plain air, ce qui pour une actrice française est assez nouveau. Tiens, je me souviens que Nathalie Baye a joué pour Speilberg (une française, aussi), Deneuve pour Ridley Scott, et l'autre jour, j'ai revu Aviator de Scorsese, et il y a Dominique Lavanant ! (si si !!).
Ca peut être très beau un polack dézingué à la chevrotine sur fond de soleil couchant... de toutes façons, de ton commentaire, je ne retiens finalement que les 4 derniers mois, le reste, pffff...
Lavanant dans Aviator????
RépondreSupprimerLes Prédateurs, c'est de Tony Scott
Aïe, Tony, exact...
RépondreSupprimerAh, ça fait plaisir. Il n'y a pas que moi qui me plante sur les caisses claires.
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