- Tiens
M'sieur Claude, après des concertos de Saint-Saëns interprétés par les frères
Capuçon l'an passé, vous remettez le couvert avec cette symphonie ?
- Oui, ma
petite Sonia, un œuvre inégale mais populaire et qui me permet de faire plaisir
à M'sieur Pat Slade en parlant de Jean Martinon…
- Un nom qui
ne me dit rien, je l'avoue mais je ne suis pas experte…
- Un très
grand chef et compositeur français un peu trop oublié à mon goût, un monsieur
qui dans son CV pouvait marquer : Successeur de Fritz Reiner et prédécesseur de
Georg Solti comme directeur de
l'orchestre symphonique de Chicago…
- Ah oui,
quand même ! Quand vous dites "inégale" je crains que vous pensiez
médiocre à propos de cette symphonie avec orgue…
- Non pas du tout, mais le
meilleur, comme l'adagio si poétique, côtoie le boursouflé, comme le final fanfaronnant
avec l'orgue à fond la caisse ! Voyons cela de plus près….
Jean Martinon (1910-1976) XXXXXX |
Quand on évoque Pierre Monteux
ou Charles Munch, tout mélomane un peu averti
situe historiquement parlant ses deux grands chefs dans la génération des
maestro né vers la fin du XIXème siècle. Même réaction si je parle
de Pierre Boulez ou Michel
Plasson nos maestro octogénaire adolescents pendant la seconde
guerre mondiale. Mais si je parle de Louis Frémaux,
Louis de Froment ou Jean
Martinon, donc de la génération des artistes nés au début du
XXème siècle, bof… à part mon ami Pat Slade, je vois des yeux interrogatifs.
- Mais M'sieur
Claude, ils n'ont peut-être pas dirigé des orchestres de grand renom…
- Jean
Martinon a dirigé, entre autres, l'orchestre symphonique de Chicago et
l'Orchestre National de France pendant de longues années. Louis Frémaux (93
ans) a conduit la destinée de l'Orchestre symphonique de Birmingham pendant 10
ans avant Simon Rattle, l'actuel patron de la philharmonie de Berlin…
- Vous
expliquez comment cet oubli relatif…
Des hommes discrets et qui n'ont peut-être pas souhaité
faire la une des tabloïds "classique" en enregistrant à tour de bras
chez Deutsch Gramophon… Bon encore un mystère et un travail de réhabilitation pour
le Toon. Donc Jean Martinon.
Bleu et rouge comme Maestro/compositeur…
Jean Martinon est né à
Lyon en 1910 et suit une voie
classique qui va le conduire au Conservatoire de Paris dans les classes de Vincent d'Indy et Albert
Roussel. Il commence sa carrière comme violon solo. Prisonnier
de guerre pendant 2 ans, il profité à l'instar de Messiaen de l'ennui du stalag
pour composer quelques pièces avec les moyens du bord… Un chant
des captifs, d'autres œuvres chorales
et des sonatines. Un travail de
composition déjà commencé avant le conflit mondial.
Poursuite de sa carrière après sa libération entre l'Irlande
et la France. Il compose sa 3ème
symphonie et dirige les orchestres français réputés de l'époque
: Concerts Colonne, Lamoureux
et Pasdeloup et surtout l'orchestre
du conservatoire, futur Orchestre de
Paris où il est l'assistant de Charles
Munch.
Applaudi lors d'une tournée aux USA, l'Orchestre Symphonique de Chicago (l'un des
10 meilleurs du monde) lui ouvre ses portes en 1963 et lui commande sa 4ème
symphonie créée en 1965.
En 1968, il va devenir directeur de l'Orchestre national de France qui va
atteindre un niveau de qualité de rang mondial. Dans ces deux postes, et bien avant,
Martinon se fait ambassadeur de la musique
française. J'en profite pour suggérer l'écoute de son intégrale Ravel en 3 CD chez EMI, une référence. Jean Martinon dirigea très tôt et avec brio Mahler, un chef précurseur en un temps où le
compositeur autrichien était encore maudit en France. Il n'existe plus de disque
de ses propres symphonies. Sa 3ème
symphonie "irlandaise", âpre et venteuse, d'une
écriture tout à fait accessible, doit être rééditée. (Je complète cet article avec
une vidéo Youtube de l'interprétation de P.M. Leconte avec
l'orchestre de l'ORTF. D'autres sont disponibles sur ce site.)
En 1976, un
cancer qui l'avait déjà éloigné de la scène l'emporte à 66 ans.
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Camille Saint-Saëns |
Nous étions allés à la rencontre de Camille Saint-Saëns lors d'une chronique consacrée
à deux concertos pour violon et violoncelle interprétés par les frères Capuçon. Je n'y reviens pas (Clic).
Saint-Saëns a
composé 5 symphonies. Deux des trois
premières sont des œuvres de jeunesse et ne portent pas de numéros de
catalogue. La première dite en la majeur date de 1850 (Saint-Saëns a 15 ans) et la seconde en fa majeur de 1856 (21 ans). Une autre date de 1855 et porte le n°1,
enfin la N° 2 sera composée en 1859 (23 ans). C'est fouillis ce
classement et guère chronologique et cela met en évidence l'apparent manque
d'intérêt du compositeur français pour le genre. Franchement, ce ne sont pas
des pages immortelles, mais dans l'album de Jean
Martinon (seule intégrale disponible), le
chef sauve du naufrage nombre de passages et nous entraînent vers une musique
souvent agréable, même si la qualité mélodique n'est ni constante ni exempte
d'épaisseur d'influence germanique.
Ainsi, dans la seconde
symphonie, on passe de la douceur d'un bel adagio aux
fanfaronnades d'un final qui pourrait faire les choux gras de l'orchestre de la
Garde Républicaine. C'est tout Saint-Saëns
ce contraste entre une inspiration évidente pour écrire divers passages, tandis
que d'autres libèrent certaines pesanteurs typiques de la musique française du
second empire et des débuts de la troisième république.
La symphonie avec
"orgue" porte le N° 3 et date de 1886. 27 années se sont donc écoulées depuis la publication de la seconde symphonie. Bien entendu, la
maîtrise de l'écriture à fait son chemin et sur la forme, la composition est
excellente, mais sur le fond, on va retrouver à la fois des instants de musique
charmante et allègre et des réminiscences du style pompier pour lesquelles mon
ami Pat Slade préfère utiliser l'adjectif "flamboyant"… Très positif
ce garçon, comme à l'accoutumée…
L'œuvre est dédié à Franz
Liszt, ami de Saint-Saëns
mort peu de temps avant la création à Paris en 1887. La vraie première avait eu lieu en 1886 à Londres puisque l'œuvre était une commande de la Royal Philharmonic Society. Saint-Saëns la dirigea à Londres mais ne
joua que la partie d'orgue à Paris. Pour éviter en 1975 les tripatouillages de la postsynchronisation, Jean Martinon a choisi d'enregistrer dans
la chapelle Saint-Louis-des-Invalides
avec Bernard Gavotty
à l'orgue. (Organiste élève de Marcel Dupré
et Louis Vierne et fondateurs des jeunesses musicales de France.)
L'œuvre a souvent été jouée dans la salle du Trocadéro, une salle de plusieurs
milliers de places et disposant d'un orgue. L'acoustique étant abominable, la
salle disparaîtra lors de la construction du Palais de Chaillot. Pour ce temple du monumentalisme, la riche
orchestration est de rigueur : 3 flutes (+ 1 piccolo), 2 hautbois, 1 cor
anglais, 2 clarinettes, clarinette basse, 2 bassons et contrebasson, 4 cors, 3 trompettes,
3 trombones, tuba, timbales, triangle, cymbales, grosse caisse, piano (à deux
ou quatre mains), un orgue et les cordes. La symphonie comprend 2 mouvements
subdivisés en 2 parties. Donc, la symphonie conserve de toute façon une forme
classique, Saint-Saëns est un farceur…
Salle du Trocadéro vers 1880 |
1 – (a)
Adagio – Allegro maestoso – (b) Adagio : Un adagio énoncé aux cordes
et par un chant triste du hautbois introduit la symphonie. Très rapidement un
thème intense et rythmé se déploie : staccato des cordes, jeux concertants des
bois, solos du cor anglais. Cette orchestration est jouissive. Et cela est dû
en grande partie à la direction incisive et nerveuse de Martinon,
à la clarté du discours, la frappe scandée sur les timbales. On perçoit une
influence de Mendelssohn donc curieusement un esprit pathétique presque métaphysique,
une violence, l'opposition du bien contre le mal chère aux romantiques. C'est
surprenant de la part d'un Saint-Saëns
agnostique pour ne pas dire athée, en tout cas non pratiquant. Saint-Saëns ne nie pas les concepts de
transcendance voire de surhomme cher à Nietzsche… Jean
Martinon nous plonge dans un combat tellurique entre cordes,
harmonies et timbales. Le chef français gomme tout pathos, redore
l'orchestration de Saint-Saëns. Bravo aux ingénieurs du son, les captations
dans les églises sont des galères, mais là, nous bénéficions d'un espace et
d'une transparence mettant en valeur tous les instruments.
L'adagio commence directement par un accord de l'orgue,
grave mais presque tendre, priant si on continue de prêter des intentions spirituelles
à Saint-Saëns dans ce premier mouvement. Une
seconde partie méditative aux longs thrènes des cordes, avec la sonorité sidérale
et sans fioriture de l'orgue, juste un petit solo discret de quelques notes avant
un développement plus agité. Le tempo de Martinon
reste soutenu pour éviter tout climat trop élégiaque dans cette musique qui
retrouve ici une vitalité pratiquement sensuelle. Un premier mouvement
d'anthologie…
xxxx
2 – (a) Allegro
moderato – (b) Presto – Maestoso – Più allagro : A
un scherzo classique, Saint-Saëns préfère une
danse drolatique aux accents étranges et sarcastiques de do mineur, et au
déroulement un peu fou où s'affrontent les groupes instrumentaux. L'orgue
n'intervient plus au bénéfice du piano joué à quatre mains. Un passage
trépidant dans l'esprit goguenard de la danse macabre. A une vision insolite du
purgatoire et de l'enfer si tant est qu'il nous entraîne dans ses lieux pour
lui imaginaire. Je ne répète pas que la direction de Martinon
maintient sous contrôle absolu cette débauche de facéties instrumentales.
Un accord titanesque de l'orgue introduit avec une grandeur
céleste le final, en do majeur. Saint-Saëns
n'a que faire d'un jugement dernier apocalyptique. De vous à moi, ce final tonitruant
est un chouia grandiloquent, mais là encore l'art du chef tire le maximum de
l'écriture fantasmagorique, des bonds de pupitre en pupitre. Bien entendu, le
phrasé reste martial (la partition reste ce qu'elle est), mais le tempo
frénétique et la précision de l'orchestre
National de l'ORTF (de France désormais) permet d'obtenir (oui
Pat) une marche flamboyante vers l'apothéose de la coda où s'imposent les
rugissements de l'orgue (avec élégance, merci Bernard
Gavotty), les timbales et les cymbales. Un panache qui ne fait
pas dans la dentelle, mais interprétée avec une telle fougue, oui ça jette !!!
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Cette symphonie a été fréquemment enregistrée et,
hélas, son pompiérisme latent dans la seconde partie a permis l'éclosion
d'enregistrement tonitruant jusqu'au ridicule. Je ne cite personne, il y a des
grands noms, et mes lecteurs savent que je n'aime pas tirer sur les ambulances,
mais plutôt parler de disques sympas et diversifiés…
Comme je l'ai écris, les 4 symphonies qui complètent
cette intégrale présentent des points faibles qui les relèguent au cabinet des
curiosités de la musique classique pour mélomanes collectionneurs. Il est donc
utile de parcourir la discographie des albums ne proposant que la symphonie et
des compléments divers.
Fin des années 50, à la grande époque de la stéréo
made RCA, Charles Munch a enregistré
avec son orchestre symphonique de Boston une version musclée mais carrée bien
dans le style du chef. On trouve également une belle lecture de "La Mer"
de Debussy bienvenue malgré une concurrence
discographique sans limite pour ses esquisses
symphoniques, et aussi Escales
de Jacques Ibert, une suite colorée dont les
enregistrements ne sont pas légions (si par Martinon…
le monde est petit). (RCA - 4/6).
J'adore la finesse (un adagio quasi sensuelle) de Daniel Barenboïm dirigeant l'orchestre de Chicago en 1976. En
complément un florilège de courts ouvrages pittoresques de Saint-Saëns
: la danse macabre, la bacchanale
de Samson et Dalila (pour apprendre la danse du vente,
hilarant), et le déluge. Belle prise de
son et Gaston Litaize à l'orgue de
N.D. de Paris (en post synchronisation bien entendu, mais c'est très bien fait,
pour une fois). (DGG - 4/6)
Enfin, Herbert von Karajan
ne pouvait pas passer l'occasion de faire mugir à l'aide des techniques
numériques la philharmonie de Berlin dans
ce torrent musical. Le maestro autrichien ne voulant que la perfection, nous
trouvons le grand Pierre Cochereau à la
console de N.D. de Paris, de nouveau en Post synchronisation. Par contre aucun
complément, c'est le star system en 38' !!! (DGG – 3,5/6)
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Merci Claude pour cette chronique sur Jean Martinon et la Symphonie n°3 de Saint Saëns. Tu sais très bien que j'aimes cette oeuvre avec son orgue, ainsi que toute les oeuvres ou l'orgue apparait avec un orchestre comme dans le "Te Deum" de Berlioz. Pour Jean Martinon, rien à rajouter, tu as tous dit. Louis de Froment, j'ai découvert ce chef avec une (belle) version de "L'oiseau de feu" de Stravinsky, encore une chronique a faire d'une oeuvre très connu
RépondreSupprimerPassionnant, merci !
RépondreSupprimerMerci Claude pour cet enregistrement de la 3e symphonie dirigée par J. Martinon; il est enfin possible d'entendre et l'orchestre et l'orgue, sans que l'un couvre l'autre et réciproquement; et sans ces arrangements (pour être gentil) electro-acoustiques dont on est saturé dans les enregistrements récents.
RépondreSupprimerMerci encore beaucoup, cette symphonie est tellement belle!