jeudi 2 novembre 2023

ELVIS de Baz Luhrmann (2022) par Benjamin

 

Les lumières s’éteignent enfin, un Tom Hanks vieilli nous conte son histoire d’une voix solennelle. Il fallait que je voie ce film, même si je suis dégoûté du cinéma de Baz Luhrmann depuis qu’une professeur de français m’infligea son stupide « Romeo+Juliette ». Tout sonnait faux dans ce film, Di Caprio ressemblait plus à un adolescent pré pubère qu’a un héros romantique, sans oublier cette production tapageuse digne d’une publicité pour parfum. « Romeo+Juliette » est le film d’un moderniste fanatique, le navet d’un réalisateur voulant tout adapter aux paysages et mœurs des temps modernes. J’eus donc peur que Luhrmann ne modernise la figure intemporelle du King, qu’il mutile son œuvre et soumette son histoire au dogme woke. Le film me rassura vite, son récit étant assez fidèle à ce que représenta Elvis, c’est-à-dire un blanc jouant une musique noire.

La scène où le jeune Presley découvre sa vocation est particulièrement  réussie. Regardant par un trou creusé dans une maison vétuste, le futur King assiste à son premier concert de blues. Le musicien est seul avec sa guitare, son riff sensuel rythme la danse provocante d’un couple passionné.

L’admiration du jeune homme est interrompue par l’écho de chants mystiques déployés par une chorale gospel. Comme aspiré par cette fièvre dévote, Elvis entre dans cette assemblée exclusivement noire. Nous sommes alors en pleine ségrégation et quelques communiants semblent prêts à expulser le jeune imprudent.

Le révérend ordonne alors « Laissez le ! Le dieu est en lui ! » Oui, le dieu est en lui, le dieu mojo et son apôtre swing, ce messie va bientôt les diffuser dans toute la fédération américaine. Toute la grandeur d’Elvis est déjà dans cette scène, elle montre l’importance d’un homme dont la musique fit sauter les barrières séparant la culture dite noire de la culture dite blanche.

Dans la peau du colonel Parker, Tom Hanks nous explique alors «  Je ne l’ai emmené nulle part, il fonçait depuis qu’il était né ». Elvis n’était qu’un homme simple doté d’un don extraordinaire. Ce don, c’était ce déhanché qui rendait les femmes hystériques, c’était ce swing monstrueux et cette voix irrésistible. « Je regardais cette femme et comprenais qu’elle ressentait un plaisir auquel elle n’était pas sûre d’avoir droit ».

Le colonel Parker comprit vite qu’Elvis donnait à ces femmes la libération qu’elles attendaient sans oser l’exprimer. Il est surtout persuadé que cette libération peut lui rapporter beaucoup d’argent. L’escroc qu’il est n’a alors aucun mal à s’emparer d’Elvis, il lui suffit de lui promettre des Cadillac roses pour sa mère et un travail de gérant pour son père. C’est là que Luhrmann montre une autre facette d’Elvis, celle de l’éternel enfant dépassé par les événements. Sa seule rébellion contre les ordres parfois absurdes du colonel Parker viendra lorsque celui-ci tentera d’en faire un chanteur de variété.

Parker pouvait prendre plus de la moitié de ses bénéfices, ruiner sa santé et son moral pour payer ses dettes de jeu, mais il ne pourra jamais défigurer son art. Elvis voulait « jouer la musique qui le rendait heureux », il vivait pour diffuser le swing sacré du rock et pour ressentir l’amour d’un public reconnaissant. La reproduction du concert de Las Vegas est si réussie qu’on la confond avec les documents d’époque.

Vegas sera la prison dorée du King, le lieu où il fut enfermé pour éponger les dettes astronomiques de son funeste manager. Lorsqu’Elvis se révolte enfin, le colonel Parker lui envoie cette phrase cruellement vraie «  Oui, j’ai profité de toi, mais sans moi tu ne serais rien ». La profondeur du drame d’Elvis est dans cette phrase terrible, son sauveur est aussi son bourreau et son don est également une malédiction. Alors il absorbe des pilules qui, si elles lui permettent de supporter le rythme infernal des tournées, le font gonfler à vue d’œil. Lors de son dernier concert, le King tient à peine debout et s’installe difficilement derrière son piano. Pourtant, quand la mélodie démarre et qu’il sent la ferveur du public, sa voix se fait plus profonde et poignante que jamais.

C’est qu’Elvis fut le dernier représentant d’une race de musiciens qui disparaîtra progressivement après lui, d’une génération d’artistes qui restera à jamais inégalée. Cette génération, c’est celle qui voyait sa musique comme une force sacrée. Elvis a dédié sa vie au rock, au blues et au gospel. C’est pour cette sainte trinité qu’il a vécu et c’est aussi pour elle qu’il est mort.

Avec « Elvis » Baz Luhrmann réalise un film magnifiquement anti moderne, il renie toute une part du dogme qu’il semblait jusque-là défendre. A une époque qui affirme que tout se vaut, il présente un héros ne vivant que pour son art. Son Elvis est aussi un pied de nez à ces wokes fustigeant ce qu’ils nomment "réappropriation culturelle".

En reprenant le mojo des grands bluesmen, Elvis faisait sauter les digues séparant la culture des blancs de celle des noirs. De cette façon, il a donné un grand coup à la bêtise ségrégationniste. Dans ce cadre, penser qu’un blanc ne peut jouer une musique noire revient à avouer son envie de rétablir des barrières honteuses entre les races, ce qui est globalement le seul projet de l’obscurantisme woke et des partisans de la théorie de l’appropriation culturelle.

La seule erreur du film se situe dans cette scène où, alors qu’Elvis écoute chanter Big Mama Thornton, le réalisateur se permet de nous imposer un fond sonore fait de R’n’B des années 90 ou 2000. Cette poussée de modernisme absurde (pléonasme) empêche son film globalement réussi d’être considéré comme un classique. Il serait toutefois dommage de passer à côté d’une œuvre célébrant aussi bien l’énergie immortelle du rock’n’roll.

 

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Pour relire la critique de Luc "The King" B. :  clic ici


3 commentaires:

  1. Cet Elvis fût lui aussi "moderne", en son temps... On est tous des "modernes" d'une époque, à moins de vouloir rester au temps de la bougie...

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    1. Il possible d être moderne sans accepter les bêtises de son temps

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    2. Certes mais qui décide de ce qui est "bête" ou pas ? Elvis a dû être vilipendé lui aussi à l'époque par ceux qui le considéraient ainsi... Débat sans fin...

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