mercredi 29 novembre 2023

Ann WILSON and the TRIPSITTER " Another Door " (2023), by Bruno



   En dehors du Canada, et probablement de pas mal de coins aux USA, on oublie un peu trop vite les talents composant le quintet de Vancouver : Heart. En particulier celui des sœurs Wilson, Nancy et Ann, qui sont principalement responsables des premiers grands succès du groupe. On aurait pu croire qu'après des années à tourner, et un certain confort assuré grâce au succès commercial quasi pérenne (plus de 21 millions d'albums vendus rien qu'aux USA - plus des disques d'or et de platine au Canada, en Europe, en Australie ou au Japon), elles auraient aspiré à une juste retraite, ne sortant de leur foyer qu'en de très occasions pour un concert ressassant leurs anciens hits, mais non... Les deux sœurs, profondément habitées par la musique, ne tiennent pas à raccrocher.   

     Il y a bien eu quelques pauses, notamment au premier arrêt de leur groupe, Heart (1), courant 1998, après presque trente ans de carrière (2), et puis d'autres pour charges de famille, mais les studios et la scène ne sont jamais restés trop longtemps éloignés de cette sororité. Et à soixante-dix balais, elles ne sont pas prêtes à raccrocher. Et au contraire de bon nombre de leurs confrères, elles ne souhaitent pas s'installer dans le confort d'une carrière nostalgique en se contentant de faire des albums de reprises et des concerts reprenant inlassablement leurs vieux hits. Que nenni. Même si elles ne résistent pas au plaisir de faire des concerts commémoratifs, répondant à un public demandeur, ces dames se plaisent à prendre encore des risques avec de nouvelles compositions.


    En l'occurrence, pour Nancy - avec la chanteuse Liv Warfield et le guitariste Ryan Waters, tous deux ex-Prince's New Power Generation - a réalisé en 2017, un excellent album, "First Things First", assorti d'une série de concert où les protagonistes - réunis sous le patronyme de Roadcase Royal - se faisaient plaisir. Et pour donc l'aînée des Wilson, Ann, qui s'est fendue en 2022 d'un intéressant album solo (avec la dernière pochette à ce jour signée Roger Dean), "Fierce Bliss", qui - s'il ne rivalise pas avec les dernières productions de Heart -, tient tout de même la dragée haute aux louveteaux qui sont (malgré tout) des sujets récurrents dans les journaux spécialisés.

     Cette année, Ann, avec ses soixante-treize ans bien portés, revient avec un groupe, The Tripsitter, et (encore) un nouvel album (plus de vingt albums studio en comptant bien sûr la discographie de Heart). 

     Cet album parfaitement produit, doté d'un agréable confort d'écoute avec une définition exemplaire, parvenant à mettre en valeur tous les instruments, rend justice à la puissante voix de soprano d'Ann. Il y a longtemps qu'elle ne s'était pas autant impliquée dans un projet, et le résultat s'en fait sentir. C'est du bon, du très bon. Ann et ses Tripsitters réussissent un véritable tour de force en conférant au disque une belle modernité sans se défaire d'une certaine fibre organique, et sans tourner le dos à un précieux héritage. En l'occurrence, celui de Led Zeppelin, qui a toujours un sérieux poids sur les sœurs Wilson. 

     La chanson d'ouverture, "Tripsitter", vogue sur des ondulations éthérées de smooth jazz et de world-rock à tendance progressive. Débutant lentement, pour un voyage onirique et introspectif, nous emportant malgré nous à travers d'étranges contrées  "Je suis née dans un ouragan. Le foudre, le tonnerre, le vent et la pluie. Comme une enfant, je ne connaissais pas d'autre moyen. Secouée et déchirée, je suis venue. Le temps a passé ; j'ai voyagé, cherchant à travers le monde entier, alors que tous mes rêves se déroulaient ... Là, j'y ai trouvé une autre porte". "This is Now" suit la même direction, toujours avec nonchalance, mais cette fois-ci avec un peu d'ingrédients (hard-)rock. Le dernier mouvement, comme un envol vers les cieux, vers un but tant cherché, s'étoffe avec un lit de guitares cossues. "Laisser passer les choses difficiles, laisser partir les ténèbres". Deux morceaux qui offrent une réelle évasion musicale. Et brusquement, avec "Rain of Hell", le groupe plonge dans un heavy sombre, pris dans un souffle torride annonciateur d'apocalypse - presque une fusion de Coverdale-Page avec l'Aerosmith de "Pump". Un régal. Alors que l'album paraissait progresser crescendo vers de denses vibrations électriques, "Stranger in a Strange Land" fait un retour vers le Rock FM ; celui des années 80, à peu près du même tonneau que celui embrassé à l'époque par Heart. Pour le coup, l'orchestration paraît quelque peu désuète et lénifiante. Au contraire de l'enlevé "Waiting for Magic", historiette d'un amour sauvage, entraîné dans une course éperdue, une fuite en avant, pour éviter d'être rattrapé par la morosité du réel. Ainsi s'achève la première face, dans un élan de Rock mi alternatif mi hard, parcouru d'une belle énergie, d'une nouvelle jeunesse.


  La seconde face débute un peu comme la première. "Ruler of the Night" prend son temps, cultivant les silences et laissant résonner librement les cordes. Toutefois, c'est nettement plus heavy, notamment avec des réminiscences du "Mia" de l'éphémère HSAS (3). Ann profite d'un break un brin psychédélique pour ressortir sa vielle flute traversière. Instant hélas fugace. "Still" est une douce ballade, quasi acoustique, assez épurée, avec le sobre renfort d'un violoncelle. Terrain idéal pour rappeler quelle grande chanteuse est encore Ann. Incroyable, mais, à part peut-être un petit et charmant souffle granuleux sur les notes les plus basses, ni le timbre ni la puissance ne semblent avoir souffert du poids des ans. Cependant, elle semble soigneusement éviter de monter trop dans les aigues, et peut-être que certains vieux morceaux de Heart lui seraient désormais plus difficilement accessibles ; mais ici, rien ne laisse présager son âge. "Rusty Robots" ose taquiner le metal-indus. Certes, de par l'absence d'effets martiaux et synthétiques, c'est fort loin de Raimmstein, mais la guitare - un riff primaire écrasé au Floyd-rose - aurait pu être tenue par John 5 ou Daisy Berkowitz. Plus conventionnel, 
"What If" manque de peps, et son petit break Zeppelien qui laisse en vain présager une envolée, ne parvient pas à retirer cette sensation d'inachevé. Au contraire de la tendre ballade "The Little Things", où, sur de simples notes de piano et une basse souple, Ann dévoile les pensées d'une personne qui, percutée par une voiture, a failli rencontrer la faucheuse (c'est gai). Accident qui permet à la victime de reconsidérer son existence. "Ce sont les petites choses qui font la différence, les petites choses que tu dois faire. Les petites choses qui te permettent de montrer ton visage et t'aident à vivre ta vie dans la grâce. Ce sont les petites choses qui te permettent de t'en sortir". L'album s'achève dans une profonde mélancolie avec "Miss One & Only" qui porte des aspects de dernier acte ; une dernière manifestation, maussade et amère, avant de raccrocher. Un voile épais que quelques rares mouvements plus lumineux ne parviennent pas à percer "Au loin les étoiles scintillent, mettant fin à mon âme... j'écoute toujours tes murmures dans le vent". 

     En espérant que cela ne soit pas testamentaire car avec cet album inattendu, Ann et ses Tripsitters semblent avoir bien des choses à offrir. Une réussite qui ne cherche pas à s'appuyer sur tout ce qui a fait le succès (les succès) de Heart, encore moins à coller à ce qui est rabâché par les médias. Un disque honnête et sincère qui trouve son chemin entre des élans fusionnant pop-rock musclé et rock progressif saupoudré de sonorités heavy.


     Ann aime bien se reposer sur des valeurs sûres. Ainsi, si son disque précédent a bénéficié des talents de Roger Dean, cette fois-ci elle s'est tournée vers Storm Studio -entreprise fondée par Storm Thungerson, le même qui avait auparavant participé à la création d'Hipgnosis. Société célèbre pour les pochettes emblématiques des disques des Pink Floyd, Wishbone Ash, et Led Zeppelin, entre autres...  


(1) Bien que considérées comme l'épine dorsale du groupe, elles n'en sont les fondatrices. Néanmoins, elles sont largement les compositrices les plus prolixes.

(2) On estime la transformation du patronyme de groupe Hocus Pocus en White Heart en 1970. Mais ce n'est qu'à l'arrivée d'Ann Wilson, en 1974, que le nom est tronqué pour ne garder que "Heart".

(3) Quatuor comprenant Sammy Hagar, Neal Schon, Kenny Aaronson et Michael Shievre.

🎶💗

2 commentaires:

  1. Bel album qui a déjà pas mal tourné à la maison. Et, inespéré, on a appris hier que Heart seraient présents à l'édition 2024 du Hellfest !
    JP

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    1. Heart au Hellfest ?? 😲 Ha, effectivement. Le dernier jour, avant Royal Blood... Le monde à l'envers

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