Les célèbres sœurs Wilson en ont eu un peu marre d'être continuellement ensemble. Du moins, professionnellement. Liées au groupe Heart depuis 1975, affrontant ensemble les déceptions et les déconvenues, récoltant aussi de concert les lumières aveuglantes de la notoriété internationale. Bataillant ensemble contre un incompréhensible et injuste déclin de leur groupe, alors que les trois albums de leur retour sont parmi leurs meilleurs- "Beautiful Broken", qui est majoritairement un disque présentant des réinterprétations d'anciennes chansons, est hors concours -. Il y a de quoi rager et créer des tensions. Cependant, tout est relatif, car dans leur Canada d'adoption, elles ont gardé leur couronne, dont le rayonnement s'étale jusque chez leurs voisins Etats-Uniens. Mais le vieux monde les a totalement oubliées. Et puis, si les ventes gardaient encore des chiffres bien honorables, pour l'affluence des concerts, ce n'était plus vraiment ça.
Bref, il fallait impérativement faire une nouvelle pause. S'arrêter temporairement - ce qu'elles ont déjà fait - ou passer à autre chose, ne serait-ce qu'un temps. Nancy Wilson n'avait que 19 ans lorsqu'elle a quitté les USA en 1973 pour rejoindre sa sœur et jouer dans le groupe qui va devenir Heart.
Ce nouveau projet auxiliaire est né de la rencontre de Nancy Wilson et de Liv Warfield. Précisément quand Heart est invité à effectuer deux soirées pour le Hollywood Bowl de Los Angeles. Nancy, qui avait été enthousiasmée par une prestation de Warfield au Tonight Show de Jimmy Fallon, a l'idée de l'invitée, elle et son guitariste Ryan Waters - Tout deux des vétérans du Prince's New Power Generation -, à la rejoindre sur scène.
Les deux femmes lient rapidement connaissance et se confient mutuellement leurs regrets en matière de musique. Liv clame qu'elle veut faire du Rock, qu'elle a toujours voulu faire des choses plus Rock. Ce à quoi Nancy lui répond qu'elle a toujours eu l'obligation d'en faire, et qu'elle aurait aussi adoré faire du Rhythm'n'Blues. Alors pourquoi ne pas créer une entité où elles fusionneraient leurs styles respectifs ?
Evidemment le lourd et riche passé de Nancy Wilson obligent une sur-exposition par rapport à ses nouveaux partenaires. Cependant, elle ne cesse d'insister sur le fait que ce nouveau projet est collégial. Qu'il s'agit bien d'une réalisation communautaire, d'une démocratie où les six membres contribuent tous à la tonalité et à la direction générale de la musique. Ce qui n'empêchera pas d'inclure non pas une mais carrément deux reprises de Heart. Et non des moindres. Est-ce un choix collectif - sachant que pour Liv, chanter "These Dreams" est comme un rêve éveillé - ou une pression du management pour tenter de s'assurer d'un minimum de retombées financières ?
Cependant, même si Nancy se prélasse sur un fauteuil lourdement ouvragé, que l'on pourrait voir comme un trône, et qu'on l'affuble d'une imposante couronne, le titre "Royale" est une référence aux deux anciens lieutenants de feu-Prince que sont Liv Warfield et Ryan Waters.
Les trois protagonistes n'ont guère pris de risque dans le choix des musiciens invités à les rejoindre. En effet, ils ont tout simplement repêché la dernière mouture de Heart.
Soit Dan Rothchild à la basse - co-producteur du dernier album "Beautiful Brokens" - qui avait auparavant travaillé pour Sheryl Crow, Stevie Nicks, Fiona Apple, Melissa Etheridge, Beck, et Sha... sha...shakira. Ben Smith, fidèle batteur depuis le retour sur la scène de Heart, ayant bossé pour Ernestine Anderson, Cyndi Lauper, Taj Mahal, Peter Frampton, - et aussi employé par Mr Cameron Crowe, ex-époux de Nancy, pour quelques B.O. - en plus d'une quantité de sessions diverses.
Et Chris Joyner, qui s’efforce avec ses claviers d'apporter une légère nuance Soul depuis 2014 à Heart, un musicien réputé et recherché, employé par Ben Harper, Sheryl Crow, Ray LaMontagne,
La troupe oeuvre pour fusionner un Heavy-rock racé - portant forcément quelques réminiscences de Heart - à une Soul mesurée mais ferme. La teneur en Rock est majoritaire, tandis que la Soul, plus discrète, est intégrée avec parcimonie. Un saupoudrage plus ou moins prononcé suivant les morceaux, principalement engendré par la voix forte, chaude et imposante de Liv.
Roadcase Royale c'est un "Heavy-rock cocktail", qui respire, jamais surjoué ou surchargé. C'est un tissage raffiné, une dentelle de fils d'un alliage spécial mêlant de solides propriétés de Heavy-rock millésimé et de Hard-bluesy enchâssant quelques pierrettes précieuses scintillantes de Soul.
Point de Rock FM. Radiophonique dans le sens où quelques mélodies peuvent aisément séduire des amateurs vaguement mélomanes, mais absolument rien d'ampoulé ou de sirupeux. Ni même de production aseptisante ou castratrice. L'écoute attentive au casque révèle bien dans le détail que l'orchestration est plutôt roots. Les guitares alternent entre un crunch épineux, une overdrive chaleureuse et même une fuzz, certes modérée mais un brin souffreteuse. Evidemment, comme à son habitude, Nancy dégaine aussi de temps à autre une acoustique. Notamment sur la reprise de "Even It Up" - issue de "Bébé Le Strange" (1980) qui parle de l'égalisation des sexes, en particulier dans un couple - où, au passage, on remarque qu'en dépit de son âge (que la bienséance ne nous autorise pas à dévoiler), la voix de Nancy a gardé sa charmante tonalité mutine. Tonalité qui se marie étonnamment bien avec celle plus puissance et autoritaire de Liv.
Question claviers, c'est avant tout le piano qui est à l'honneur, parfois secondé par un orgue discret. Les sons synthétiques, eux, sont quasiment proscrits (quelques uns se sont échappés pour mourir sur un court passage).
Quant à la basse, elle résonne presque de façon subliminale, telle un mantra sourd et guttural, hypnotique et invitant à la sérénité.
Même "These Dreams" - le premier number one de Heart aux USA, composition de Bernie Taupin et de Martin Page refusée par Stevie Nicks (1) - s'est démuni de ses oripeaux "F.Misant", gagnant alors en force et en crédibilité.
Et pour bien prouver que rien n'est factice dans cet album, qu'il s'agit du fruit d'un groupe et non d'expériences de laboratoire, la formation a incorporé un titre live, "Mind Your Business", qui, à l'exception d'une petite résonance de club, ne dénote en rien dans l'album.
On flirte même avec le grunge avec certains mouvements de "The Dragon". Non sans raison puisqu'il avait à l'origine été composé pour Layne Staley, le chanteur d'Alice In Chains (avant d'être finalisé par Dan Rothchild). Tandis que "Not Giving Up" n'hésite pas à se frotter à du Rock lourd.
Nancy, qui est une enfant des années 60, porte désormais un regard pessimiste et désolé sur le monde politique actuel. Un sombre sentiment qui est retranscrit dans la nature des chansons. Un sentiment qui a déjà commencé à teinter les albums du nouveau Heart, dès "Jupiter Darling". L'album s'ouvre d'ailleurs sur le très bon "Get Loud", au discours plutôt féministe, enjoignant les femmes à se faire entendre pour faire respecter leurs droits.
Ce serait une gageure de croire que "First Things First", qui paraît aussi frais et savoureux qu'à ses premiers jours, ne s'adresse qu'aux fans de Heart.
La formation continue de se produire à l'envie, sans pression, intégrant à leur set des reprises de Heart, évidemment, mais aussi simplement de divers artistes et groupes dont Tom Petty, Pink Floyd (où Ryan prend alors le micro et un long solo) et Foo Fighters (où Dan prend alors le micro mais pas de solo).
(1) Les paroles relatant les aventures oniriques dans un monde fantastique permettant à une femme d'avoir une nouvelle vie, de se cacher de la douleur. Des paroles qui prennent un sens particulier pour Nancy Wilson dont une amie, Sharon Heiss, est alors en train de perdre son long combat contre sa leucémie.
🎶♩♕♡♛
Article lié (donc lien) ⇰ HEART "Red Velvet Car" (2010)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire