Il est bon le père West. Pendant bien dix années, il s'est contenté de sortir des albums uniquement constitués de reprises. Excepté pour le bon « Man's World » avec Mountain en 1996, il se contente de transformer des standards du Blues en puissant Heavy-rock ; parfois passablement lourds avec "Got Blooze", qui frise parfois l'indigestion, ou plutôt tournés vers un Hard typé 70's sur le sympathique "Guitarded". Parfois, il ressort même une énième version d'un classique de Mountain. Dans ce dernier cas, on pourrait l'excuser, dans le sens où ce serait un moyen de redonner vie à une musique qui est injustement oubliée par la majorité. Il est vrai qu'il doit être rageant de voir tant de gens s'extasier devant quelques padawan gratteux, arborant des mines patibulaires de rigueur ou d'haltérophiles en plein effort, qui alignent des riffs gras et lourds, alors que Mountain faisait déjà ça il y a des lustres, sans une tonne de matériel et de rack d'effets, et bien mieux, avec nettement plus de classe. Et d'une façon plus authentique. Vouaille !
Pour le présent CD, il ne déroge pas à la règle si ce n'est qu'il est uniquement consacré à Bob Dylan. Oui mais du Dylan revisité à la sauce Hard-blues de Mountain, ou plutôt la sauce West & Laing, les deux seuls rescapés de la formation originale.
Question cruciale : Est-ce que mister Leslie West serait un bourrin ? Pour l'addict des émissions de télé-crochets, l'amateur de chansons de variétés pour qui Bruel est un rocker, le mélomane ne jurant que par l'opéra (quoi que ... ça cri aussi pas mal chez eux 😁), ou encore les victimes croyant que le r'n'bi actuel c'est du Rhythm'n'blues ou que Miki Minaj est une chanteuse, c'est certain. D'un autre côté, vu le traitement qu'il a accordé à la chanson emblématique "Masters of War" - tirée du non moins célèbre album "The Freewheelin' Bob Dylan"- il y a de quoi se poser la question. Avec sa voix d'ogre courroucé, faisant trembler arbres et collines de sa sombre vallée, soutenu par sa guitare titanesque, il en a fait un pamphlet si rageur et brûlant, qu'en comparaison la voix d'Ozzy - venu apporter sa contribution - est une mélopée apaisante et rafraîchissante.
Et si "Serve Somebody" qui suit, est par contre à l'origine déjà électrisé, West, tout en accentuant la couleur Blues, l'envoie flirter avec le Desert-rock. Warren Haynes, invité à battre le fer, s'efforce d'adopter le mode "Godzilla" de son hôte.
Cependant, derrière ces aspects de brutasse, d'ours mal léché, Leslie West est un esthète, un prophète de la grosse disto, un docteur ès du riff, qui a le don d'occuper l'espace sans jamais avoir recours à un excès de notes. Il laisse respirer ses accords (sans masques), résonner ses notes, retentir ses chorus, prenant à l'occasion le temps de se délecter des vibrations des cordes. Il crée une forme de spatialisation plombée.
Par ailleurs, le moindre interstice, la plus petite faille de sa carapace dévoile une réelle sensibilité à fleur de peau. Celle inhérente aux âmes en peine, assoiffées de justice, d'amour et de tolérance. Des sentiments qu'une physionomie atypique, qui ne rentrait pas dans les canons imposés par une société castratrice, a suffisamment repoussés pour en rester meurtri.
Pour s'en convaincre, il suffit d'écouter "This Heart of Mine", et surtout "This Times They Are A-changin' " où il chante pratiquement a capella, avec juste le piano de Brian Mitchell (qui a d'ailleurs accompagné Bob) et la slide de Warren Haynes (ici plutôt sobre). Où même ses rugissements semblent être l'action d'un cœur saturé d'émotions fortes, de sentiments trop longtemps confinés, et qui doit expulser cette surcharge avant de défaillir sous son poids. Certains pourraient y voir le râle d'une bête blessée, alors que c'est une simple expression authentique, sans fard ni manière, d'un chanteur puissant chantant le Blues.
Sinon certes, ce n'est absolument pas un disque de référence de Mountain ; aucun des disques sans Félix Pappalardi ne peut d'ailleurs prétendre au titre. D'autant que ce disque n'est pas exempt de défaut, et puis album hommage ou pas, il y a une certaine facilité à n'effectuer que des reprises, surtout du même auteur. Il aurait été plus juste de déclarer cette réalisation comme le fruit de West & Laing.
Et puis on pourrait à juste titre lui reprocher qu'il se contente d'habiller des chansons renommées de divers alliages et de lave en fusion. Oui, oui, mais ... ça n'empêche pas que cela sonne du tonnerre de Zeus ⚡
La voix rauque, éraillée et non moins puissante, remplaçant avec bonheur le timbre nasillard et faiblard du Grand Bob. Moins bourrin et plus canalisé que sur le précédent « Mystic Fire », Mountain (ou plutôt le binôme West - Laing) nous offre des interprétations personnelles de qualité, en évitant soigneusement les solos à rallonge. Son approche résolument Hard offusquera les puristes, contrariés devant l'outrage fait à ces chansons emblématiques, brutalisées par la guitare rageuse de Leslie et la frappe vindicative de Corky Laing. Surtout que certaines sont presque méconnaissables. Comme « Like a Rolling Stone » où seul Corky psalmodie plus qu'il ne chante, et ce, uniquement accompagné de sa batterie ! Ou « Highway 61 Revisited », où sur un pattern de batterie incisif, se greffe un riff simple, lourd, répétitif et espacé, appuyé par une basse aussi pesante, ponctué de chorus très courts, le tout survolé par un chant déclamatoire, dérapant parfois vers le rap. Et puis il y a donc « Master of War » (titre hélas toujours d'actualité) avec Ozzy Osbourne qui partage les couplets avec Leslie dans un contraste de timbres vocaux, sur un tempo lent et lourd, créant une dimension menaçante, synthèse parfaite du meilleur Black Sabbath & Mountain.
A savoir que cette dernière version, copieusement lestée, doit beaucoup à celle de Roger Taylor (1), gravée sur l'album "Strange Frontier" de 1984.
A noter également que Warren Haynes vient prêter main forte sur deux titres, et que Kenny Aaronson (Dust, Rick Derringer, H.S.A.S., Richie Scarlett) remplace sur certaines chansons le bassiste en titre Richie Starlett (initialement guitariste et producteur qui, parallèlement à sa carrière solo, a joué et produit Ace Frehley, Sebastian Bach, Neal Smith, The Scared Stiffs).
Malgré tout, ce "Masters of War" est un réel plaisir à l'écoute et c'est déjà beaucoup.
(1) A titre d'information, pour ceux nés au XXI ème siècle, Roger Taylor était le batteur de Queen ; également compositeur et écrivain, occasionnellement chanteur. Il est aussi l'auteur de plusieurs disques en solo où il joue des claviers, de la basse et de la guitare. Et pour finir, il a été le leader du groupe The Cross (avec Spike Edney, le musicien de l'ombre qui a accompagné Queen sur scène) qui réalisa trois disques.
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Autres articles liés parus précédemment (liens/clic) :
avec MOUNTAIN ➤ "Climbing !" (1970)
avec WEST, BRUCE & LAING ➤ "Why Dontcha" (1972)
Leslie WEST ➤ "Unusual Suspect" (2011) ➤ "Still Climbing" (2013)
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