Il y a deux ans, on avait laissé ce bon vieux Leslie West avec un album ravageur et, fort malheureusement, avec une jambe en moins. En effet, atteint d'un sérieux diabète (guère étonnant si l'on se réfère à l'affreuse pochette de « Whatever Turns You On », second essai de West, Bruce & Laing) Leslie faillit partir retrouver son vieil acolyte, Félix Pappalardi peu de temps avant la sortie de « Unusual suspects ».
C'est lors d'un atterrissage en avion, à cause de son diabète, qu'un caillot de sang se forme dans sa jambe droite. Leslie tombe alors dans le coma. Les médecins, n'arrivant pas à résorber le caillot, doivent alors procéder en urgence à l'amputation de sa jambe droite. L'opération est effectuée le 20 juin 2011. Toutefois, à la surprise de tous, le 13 août de la même année, « The King of Tone » remonte sur scène, impatient de prouver qu'il est toujours là, prêt à mordre et a balancer des riffs furibonds.
Désormais, Leslie Weinstein a une prothèse et reste souvent assis. En conséquence, il a repris du poids, mais cela semble être le cadet de ses soucis. Lui aussi fait partie de ces miraculés, de ces types chanceux doublés d'une bonne consistance physique, ou de ceux qui avaient le bon médecin (pas celui de Bambi). Car avec ses « régimes » - organiques et chimiques -, Leslie aurait largement mérité de faire le grand saut, ou de finir très diminué avec le cerveau grillé.
Cette année, pour son 68ème anniversaire (il est né le 22 octobre 1945) il sort son treizième disque solo (ou douzième, si l'on inclut ou pas son opus de 1969, « Mountain »). Un disque dont le nom rend hommage à Mountain. Grand et gros groupe (tout comme alors son leader) qui remplissait les stades avec son Hard-Blues lourd et gras (comme son...) et qui faisait déjà trembler la terre à Woodstock. Le premier opus de ce groupe monté à l'initiative de Félix Pappalardi, ancien producteur de Cream, se nomme sobrement « Climbing ! ». L'artwork s'inspire aussi de la pochette de ce disque de 1970. Toutefois rien à voir avec la poésie de Gail Collins qui mélangeait allègrement et naïvement les influences des estampes japonaises à un pseudo mysticisme hérité des années hippies. La présentation graphique de ce « Still Climbing » ne brille pas ni par son élégance ni par son originalité.
Voilà donc en 2013 ce « Still Climbing » arrivant avec un titre référence, qui évoque le mental de Leslie. Je suis toujours là, toujours d'attaque, toujours mordant et prêt à rugir comme il y a quarante-trois ans ! Et même plus, car déjà avec son premier groupe, les Vagrants, où officiait aussi son frère, Leslie faisait parler la poudre dès qu'il se retrouvait sur scène.
Son opération, le fait d'avoir frôlé la correctionnelle, de devoir désormais jouer assis, plus le poids des ans, faisait que l'on pouvait légitimement s'attendre à un album de Blues. Non pas dans celui foncièrement alourdi et pesant de Mountain, ni même dans celui stéroïdé de « Blues Me » (son opus solo de 2006), mais plutôt quelque chose de plus proche de Muddy Waters et d'Howlin' Wolf, avec un son penchant plus vers Joe Bonamassa et ZZ-Top.
Et bien non, même pas. À soixante-huit balais et en dépit de ses déboires, l'ogre a gardé tout sa morgue et sa fougue. Décidément, ce bonhomme a de l'énergie à revendre.
On le sentait déjà à l'étroit, bouillonnant, prêt à laisser éclater sa rage, sur ses premiers sillons gravés en compagnie de son frère. En 1969, il surprit par un album de Hard-blues primitif et pré-stoner. Avec Mountain, puis avec West, Bruce & Laing, tel une bombe à retardement, ou un réacteur nucléaire privé de son circuit de refroidissement, il put enfin libérer toute sa rage, son trop plein d'énergie. Comme un besoin viscéral, un exutoire lui permettant de lâcher un trop plein pour revenir au calme. Une folie libératrice exorcisant ses démons lui permettant de retrouver une sérénité... passagère. Fait largement démontré et développé dans ses improvisations de l'époque où il alternait soli névrosés, rythmiques furibondes avec des arpèges mélancoliques et des chorus mélodiques. Des improvisations bi-polaires, alternant le chaud et le froid. Avec le temps, on aurait pu croire que ce paladin de la guitare Heavy, ce Gargantua du Hard-Blues ait épuisé toute son énergie, et bien non.
La musique, et la scène, sont son exutoire, sa médecine, et c'est certainement aussi à travers ça qu'il se ressource.
Ainsi, si la présente galette, contrairement à ce qui a parfois été dit, est certes moins agressive que les précédents « Unusual suspects » (l'album qui lui permit de retrouver les charts, du moins au Royaume-Uni, et au fond du peloton) et « Guitarded », on reste en mode cossu, riffs en béton armé et bends vertigineux à l'appui.
Et comme pour prouver qu'il a toujours sa place parmi les adeptes du riff lourd, et qui tue, Leslie ouvre son disque par un « Dyin' Since the Day I was born » vindicatif à souhait ; un véritable bélier renforcé d'acier trempé défonçant tout sur son passage. Mark Tremonti y dépose deux soli incendiaires avec dérapages contrôlés dans une veine plus Metôôôl. La voix d'ogre, d'ours mal-léché, est toujours là, intacte malgré les ans.
Suit un Blues comme Leslie les affectionne : brut, primaire, terre-à-terre et robuste. Sur ce « Busted, Disgusted or Dead », Johnny Winter a été convié pour quelques traits de slide gras bienvenues, bien dans le ton. Ce Heavy-Blues a été nominé pour les chansons de l'année des Classic-Rocks Awards 2013.
« Fade into You » débute comme une ballade des Beatles, avec deux guitares acoustiques tempérées, mais au bout d'une minute seulement, Leslie ouvre les vannes et libère à la fois grosse guitare, batterie lourde, basse pesante et... pour faire bonne mesure, violons. Toutefois, cela reste miraculeusement dans le ton (ou presque) ; malgré tout l'arsenal déployé cela reste une ballade, presque un slow – du genre passablement velu -.
« Not Over You at All » a un sens particulier pour Leslie. Co-écrit avec son épouse, il est dédié à Ava Hecht, la fille récemment disparue de son ami Arnold Hecht (The Uptown Horns). Ce dernier lâche un solo de saxophone chargé de souffrance et de larmes, qui finit pratiquement en free-jazz douloureux et libérateur. Plutôt qu'un apitoiement, ce serait plus un cri, un appel désespéré et interrogatif sur l'injustice de voir partir une personne plus jeune que soi et chère à son cœur.
Alors que « Tales of Woe » rappelle que Leslie sait aussi faire preuve de sensibilité : seul, juste accompagné d'une sèche, Leslie cultive la mélancolie. Et quand l'électrique refait surface, c'est pour déchirer l'espace de notes implorantes.
Avec « Feeling Good » c'est Dee Snider, l'ex-frappa-dingue des Twisted Sister. Le grand blond frisé qui s'était fait implanter deux incisives pointues (pour mieux mordre dans les sandwichs), et qui, à côté de ça, argumentant avec aisance et appoint, avait tenu fièrement tête aux mégères de la P.M.R.C qui avaient engendré une nouvelle chasse aux sorcières. Finalement, le chant de Snider est assez proche de celui de West. Un brin plus rocailleux, et forcé peut-être. Snider semble donner tout ce qu'il a pour rester au niveau du maître de conférence, alors que ce dernier paraît chanter tranquillement, naturellement. Quoi qu'il en soit, le duo se marie fort bien sur cette chanson tirée d'une comédie musicale et popularisée par Traffic et Nina Simone (repris aussi par Muse).
« Hatfield or McCoy » renoue avec le Hard-Blues ; ça sent le métal fondu, et l'humidité poisseuse sur l'asphalte des avenues encombrées de moteurs en surchauffe vrombissant.
Jusqu'ici, c'est un sans faute, et on croit bien là tenir entre ses mains un des meilleurs opus, toutes périodes confondues, de mister Leslie West. Ensuite, on a la sensation que Leslie ne s'est pas vraiment foulé.
En effet, retrouver une fois de plus « When a Man Loves a Woman », ce classique usé jusqu'à la corde, peut être lassant. Pourtant, aussi bien Johnny Lang (en invité) que Leslie, y font une prestation époustouflante, tant à la guitare qu'au chant ; toutefois, cela ne sort par des rails, c'est seulement plus charnu (remember la version de Jimmy Barnes sur Barnestorming ?). Leur choix aurait tout de même pu se porter sur quelque chose de nettement plus obscur - moins évident, moins commercial -, ce n'est ce qui manque.
On peut se demander aussi l'intérêt de reprendre « Long Red » qui figurait sur la première galette de Leslie, de 1969, et qui devint un classique du répertoire live de Mountain. Faire redécouvrir ce formidable titre Heavy-psyché-rock ? Ou tout simplement l'envie de faire découvrir l'original, car, étonnamment, on apprend que le titre a été samplé de nombreuses fois par des rappers (environ une vingtaine de fois depuis 1988, et même Lana Del Rey a samplé sa voix sur "Born to Die"). Mais, à moins de passer en radio, et c'est pas demain la veille, il est quasiment impossible que les fans de Jay Z se penchent sur le cas « Leslie West ».
« Don't Ever Let Me Go » fait dans le Hard-Rock inconsistant et l'intervention d'un certain et jeune Dylan Rose, totalement à côté de la plaque, n'apporte rien, au contraire. Il donne l'impression d'envoyer à la va-vite, sans se soucier du tempo, un solo à toute berzingue.
Quant au final, « Rev Jones Time (Over the Rainbow) », instrumental joué seul à la basse, par Rev Jones, et bien qu'impressionnant et remarquable, il semble incongru par rapport à l'ambiance générale du disque. Cela aurait pu être un prélude sympathique, mais placé en fin de disque, ça fait davantage "remplissage".
Résultat des courses ? On frôle le grand cru jusqu'à la sixième piste, soit « Feeling Good » ; « Hatfield or McCoy » est un en-deçà de ses prédécesseurs mais fait encore l'affaire. Avec les reprises, bien que restant d'un très bon niveau, on a la sensation d'un manque d'inspiration. Les deux derniers titres auraient très bien pu rester au placard.
L'album est dédié à son ami Alvin Lee, ainsi qu'à Ava Hecht.
Chronique sur : Leslie West : Unusual Suspect
O' fan de pute !
RépondreSupprimerQuel morceau !
tout à fait d'accord avec toi Bruno, un sacré bon disque qui accroche l'oreille d'emblée! D'accord aussi sur la reprise avec Lang, vaine et plus qu'ordinaire, faut dire que Johnny Lang, j'accroche plus depuis quelques années. Par contre j'aime bien la reprise de "Long Red"! Amicalement
RépondreSupprimertout à fait d'accord avec toi Bruno, un sacré bon disque qui accroche l'oreille d'emblée! D'accord aussi sur la reprise avec Lang, vaine et plus qu'ordinaire, faut dire que Johnny Lang, j'accroche plus depuis quelques années. Par contre j'aime bien la reprise de "Long Red"! Amicalement
RépondreSupprimerIdem pour Lang... j'ai décroché après "Wander This World".
SupprimerJ'ai tout de même pris le suivant, "Long Time Coming", mais je l'ai trouvé tellement creux qu'il a vite fini aux oubliettes (malgré quelques bons trucs).
Pourtant, ce ne sont pas les capacités qui manquent à ce gars là.
le titre en clip est monstrueux..
Supprimerquant à Johnny Lang vous pourrez lire bientôt la chronique de mézigue sur son tout dernier, faudra être courageux et vous accrocher....