mercredi 24 juin 2020

WISHBONE ASH " Bonafide " (2002), by Bruno



               Fleuron de la twin guitar dans les années 70, avec Thin Lizzy qui lui-même s'était inspiré de l'approche novatrice du quatuor de Torquay, Wishbone Ash s'était fait brûler les ailes par une horde de jeunes chevelus, qui, tels des chiens affamés, s'étaient jetés sur leurs biens, leur patrimoine. Ils en récoltèrent les fruits, tandis que le géniteur, Wishbone, tombait dans l'oubli. Depuis, la formation a survécu au travers de multiples moutures. Celle du nouveau siècle avait tout pour être l'une des meilleures.

     "Bona Fide", le meilleur album de Wishbone Ash de la décade ? Peut-être même le meilleur depuis les années 70. Pourquoi ? Probablement parce qu'ici, il y a l'apport de Ben Edward Granfelt qui insuffle une nouvelle vitalité. Parce qu'il a redonné du mordant à un Ash qui cherchait un nouveau souffle. Parce que Granfelt est visiblement un amoureux de la musique Rock des 70's ; un esthète du son de guitare cultivé lors de cette décennie. Et pour ça, il est certainement ce qui arrivé de mieux au Ash depuis... belle lurette.
De plus, sa guitare - quelque part entre Pat Travers, Gary Moore, Billy Gibbons et ... Andy Powell - est en totale osmose avec le caractère et la tonalité de Wishbone Ash. Tout comme sa voix. Du coup, on a l'impression d'avoir retrouvé l'atmosphère des débuts du Ash - de 1969 jusqu'en 1974 - enrichi d'un son un peu plus opulent, d'une grosse production, et bien sûr d'une expérience inhérente aux années passées sur les planches.

   L'arrivée de Granfelt semble avoir galvanisé le groupe, autant dans l'interprétation que dans la composition, où les trouvailles et l'inspiration se bousculent aux plans éculés mais magnifiés. Indéniablement, ce Finlandais a contribué à un certain retour aux sources. D'ailleurs, son rôle de compositeur est quasiment égal à celui du leader - et dernier membre original du groupe - Andy Powell.

     Premier album studio depuis six ans, depuis l'intéressant "Illuminations". Les parutions suivant l'album de 1996 n'étant que des enregistrements en public et un "Bare Bones" qui n'est qu'un ensemble d'une relecture de classique du groupe. On pouvait croire le groupe, ou plutôt Andy Powell en semi-retraite. Ce vieux loup de mer, fort d'une carrière riche de dix-sept albums et de multiples campagnes de par le monde, pouvait prétendre à une fin de carrière en dilettante, se contentant de monter à l'envie sur les planches et de sortir occasionnellement un album live pour renflouer le porte-monnaie.

Ainsi, la sortie de cet album est une surprise. D'autant que c'est du bon. Du très bon.

     Et comme fort d'une nouvelle énergie et d'un appétit lui donnant l'irrésistible envie de croquer la vie à pleine dent, Wishbone Ash ouvre cet album par un morceau énergique, voire épique, débordant d'une sève foncièrement boogie-rock, faisant le lien avec les premiers succès du groupe. En particulier avec "Jail Bait", morceau indéfectible du répertoire scénique. "Almighty Blues" devient à son tour un classique. Dans le même genre, bien qu'un peu plus massif, et aussi fuzzy et boogie que peut l'être ZZ-Top, il y a "Changing Tracks" ; avec des paroles déballant un tas de références liées au Blues.


   Ces deux excellents morceaux ne font pas de ce "millésime 2002" une cuvée essentiellement portée sur le Heavy-boogie-blues sauce ZZ. Même si Granfelt dévoile un jeu plus bluesy que Powell, ce Wishbone Ash se distingue par son singulier Heavy-rock progressif, nuancé de fragrances gothiques, parfois épique. Pourvu d'une indéfectible fibre mélodique hérité du Folk. Comme en atteste d'une belle manière "Difference Time", tout en évoquant parallèlement les premiers Rush (deux groupes à avoir abordé le kimono ...). 
Ou encore "Come Rain, Come Shine", où c'est l'occasion pour Skeat de sortir sa flûte (en fait des samples), renforçant alors considérablement les émanations Folk-rock, jusqu'à réveiller le souvenir de Fairport Convention. Un bien beau morceau qui aurait trouvé sa place au sein du fameux "Argus". Du moins à l'exception du break qui lui, trempe dans un Heavy-metal sombre, plantant le décor d'une vision pessimiste de l'avenir. "Rabbis and popes, mullahs and cloakes, in the end, they're all the same. The past, the futur and the time between in the name of Peace. Re-writing the scene... Ready the armies and try as we must. Under the banner "In God we trust" "
   Pour ne pas finir sur des notes sombres, le groupe referme le chapitre sur l'instrumental "Peace". Un retour au calme, presque une mélopée pour un retour calme, à la détente, approcher pudiquement une saine sérénité. Exercice vibratoire pour assainir l'esprit de pensées néfastes. Un instrumental où Granfelt déploie des phrasés où le feeling, l'émotion prévalent sur la tentation d'être démonstratif, de flatter l'ego. C'est à la limite confondant de simplicité et de sobriété. Les instruments respirent, s'expriment avec retenu et tact.   

   Mais auparavant, le duo Granfelt-Powell a enfanté d'un autre bijou avec "Faith, Hope and Love".  Un morceau habilement bricolé de climats Floydiens et de guitares hendrixiennes. Doux instant timidement autobiographique "... tout ceux que je connaissais m'ont dit "mon garçon, tu ne dureras pas". J'ai vu une annonce pour jouer dans un groupe. J'ai pris un train, un étui de guitare à la main. Comme un rêve, une douce musique dans mes oreilles. Il est vrai que je me suis installé avec ma famille, mais j'ai gardé la foi dans la musique ... "

   "Enigma" et "Ancient Remedy" sont typiques des compostions d'Andy Powell, et s'inscrivent ainsi plus dans la continuité du précédent "Illuminations".

   Au milieu de tout ça, "Shoulda, Woulda, Coulda" (1) se distingue en tentant de marier le Reggae aux tempérament "heavy" du Ash. Et c'est plutôt réussi et original. Loin d'un épigone prêtant à sourire, il ne lui manquerait que la wah-wah de Donald Kinsey  (2).

      Dire d'un album de Wishbone Ash que les guitares sont à la fête, relève de l'euphémisme. Cependant, ici, entre les entrelacs d'orfèvre, les soli majestueux, jamais pompeux, les rythmiques travaillées à l'unisson ou « à quatre mains », en juxtaposition,
Powell et Granfelt forment un duo fusionnel, de l'ordre des meilleurs moments du groupe. Jamais un semblant de lutte, ni de compétition entre ces deux maîtres-artisans du manche, ne pointe le bout de son nez. Car ces guitaristes savent maîtriser leur ego pour rester avant tout au service de la musique. Il en est de même sur l'instrumental qui a donné son nom à l'album, qui est d'une pondération rare ; d'autant plus pour un groupe de Rock, de Heavy-rock même, généralement synonyme d'emportement et d'exubérance dès que le chanteur décide de la mettre en veilleuse. C'est peut-être ce qui a paru justifier au groupe de baptiser ce morceau d'authentique. Parce qu'il va à l'essentiel, qu'il ne ressent pas le besoin d'en faire des tonnes pour épater la galerie. Cela ne fait pas parti des priorités de Granfelt ; encore moins de Powell.


   Les grattes à la saturation grasse (façon ZZ - j'l'ai déjà dit ? J'le redis -) alternent avec des sons « crunch » ou à la saturation plus modérée. En général, ça sent assez le humbucker, bien que Granfelt soit friand de Fender Stratocaster et consorts. Il ne semble pas y avoir d'effet de spatialisation, les guitaristes préférant jouer sur le volume, la saturation, et aussi apparemment le changement de guitare pour alterner avec différents frains. Probablement un travail pour préserver une expressivité qui pourrait être étouffée par un excès d'effets. 

A l'occasion, en faisant appel aux talents de multi-instrumentiste du bassiste Bob Skeat, quelques lignes d'orgue Hammond se glissent subrepticement, juste pour donner ou approfondir une couleur. Et même de piano sur "Come Rain, Come Shine".
Les plus exigeants n'auront que le chant pour donner matière à la critique, en lui reprochant de ne jamais parvenir à rivaliser avec celui du duo formé par les Turner, Martin et Ted. C'est bien le seul reproche sérieux que l'on pourrait faire à ce disque remarquable.

     Même si, après son départ, Granfelt a été remplacé par un compatriote Finlandais et ancien comparse, Muddy Manninen, et que les albums suivants demeurent de bonnes réalisations (en particulier "Clan Destiny")
, le Ash ne retrouve pas la superbe qui auréole "Bonafide". Un album essentiel de la riche discographie de ce groupe cumulant aujourd'hui plus de cinquante ans (!) de carrière. 

     Ce n'est pas un hasard si à ce jour, "Bonafide" est, à ce jour, le seul album du Ash avec "Argus", à avoir bénéficié d'une réédition luxueuse double CD. 



  1. "Almighty Blues"   (Ben Granflet)    –    5:24
  2. "Enigma"   (Andy Powell)    –    4:10
  3. "Faith, Hope and Love"   (Granfelt, Powell)    –    5:55
  4. "Ancient Remedy"   (Powell, Schwartz)    –    4:48
  5. "Changing Tracks"   (Granfelt, Harris, Powell)    –    4:18
  6. "Shoulda, Coulda, Woulda"   (A. Powell)    –    4:00
  7. "Bona Fide"   (Granfelt)    –    3:08
  8. "Difference in Time"   (Granfelt, Powell)    –    4:30
  9. "Come Rain, Come Shine"   (Granfelt, Powell)    –    6:09
  10. "Peace"   (Granfelt)    –    3:49


(1)  Absolument rien à voir avec la sympathique chanson pop de Beverly Knight sortie la même année.
(2) Donald Kinsey - né le 12 mai 1953 à Gary (Indiana) - après avoir accompagné Albert King, a fait parti des Wailers de Bob Marley. Les soli de Wah-wah bluesy, c'état lui. Il a aussi joué pour Peter Tosh, Burning Spear et Roy Buchanan à la fin de sa carrière (ses deux derniers, et excellents, albums). Par la suite, il a rejoint son paternel, Bid Daddy Kinsey, vieille figure du Chicago Blues, et parallèlement monte un groupe, une fratrie, The Kinsey Report, pour un Blues plus moderne. 



🎶♩♕♚
Autre article / Wishbone Ash (lien) : "Argus" (1972)
Articles / Ben Granfelt : "The Sum of Memories" (2006)  🎲  "Kaleidoscope" (2009)

3 commentaires:

  1. Oh la vache! de sacrés "clients" ces mecs! Excellent!! J'avais jamais pris la "peine" de m'y intéresser...
    Je connais le groupe Bonafide, des Suédois, m'étonnerais pas qu'ils aient biberonné au Ash, pas aussi techniques, plus AC/DC, j'aime beaucoup Bombo de 2013, je te recommande...
    Salut Bruno!

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    1. Ha, ben tiens, tu éveilles ma curiosité. Je n'avais jusqu'alors jamais entendu parlé de ce combo. On va partir en exploration ("Bombo" + "Something's Dripping")

      Scandinavie, terre d'accueil du Métôl de toutes sortes.

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  2. Tiens en farfouillant j'ai retrouvé Something's Dripping des Bonafide aussi. Redoutable!

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