mercredi 19 septembre 2018

DATURA4 "Hairy Mountain" (2016), by Bruno


       C'est sans aucun avertissement préalable, qu'un étrange premier opus voit le jour en 2014. Une entité sulfureuse créée pour assouvir la soif de quelques étranges semi-divinités. 
   En peine depuis des lustres, cachées dans les tréfonds des terres de la ferme de Sunbury depuis, elles désespéraient de pouvoir un jour à nouveau se délecter de ces étranges vibrations générées par quelques bardes électriques illuminés, telles qu'elles les avaient découvertes pour la première fois un 29 janvier de l'an 1972 (en termes humains).
Un soir de lune rousse, après de longues et âpres palabres, elles tombèrent d'accord : elles n'avaient d'autre choix que de devenir elles-mêmes des actrices, bien qu'indirectes, pour créer une résurgence. Il suffisait qu'elles trouvent un hôte adéquat.


 Leur choix se porta sur un certain Domenic Desio Mariani qui était venu en pèlerinage, se ressourcer dans ce haut lieu historique de la musique Australienne des années 70. Alors que le pénitent était plongé dans un mura-mura (temps du rêve) à l'ombre d'un arbre de gomme fantôme - en songeant à sa famille qui lui contait les souvenirs d'Abruzzo, leur région d'origine, et de son jeune oncle, Vanno, qui lui racontait l'étonnante histoire de Red dog Pilbara -, les entités fouillèrent sa psyché et sa mémoire. C'était un musicien hautement expérimenté dont la carrière remonte à l'aube des années 80. (premier groupe à 14 balais, Impact, 1973 ou 74). Ce Dom Mariani est même un musicien, auteur-compositeur-interprète et producteur, reconnu dans sa terre australe. Un vétéran. Ex-leader de The Stems, un bon combo de Pop-rock garage obsédé par les sixties qui eut son heure de gloire dans les années 80 (reformé en 2003 pour six années, et qui de temps à autre refait surface pour quelques concerts), de DM3, autre groupe de Power-Pop qui réussi à convaincre quelques journalistes américains, mais aussi membre actif de The Someloves, de The Stoneage Hearts et de son propre gang. Cet humain est un authentique passionné qui a voué sa vie à la musique. Et peu lui importent les conséquences de ce sacerdoce.


     Un sylphe du champ vint alors déposer à ses côtés un bol de terre cuite plein d'une concoction à base de quelques champignons (mushrooms [a]) hallucinogènes et d'herbes du diable, communément appelé "datura", pendant qu'une autre créature inséminait dans son esprit une soif intense et irrépressible . Ainsi, lorsque Mariani se réveilla, au crépuscule, un soir de la dernière semaine d'un mois de janvier, se croyant totalement déshydraté, il avala d'un trait la boisson aux étranges propriétés.
   Après une nuit des plus folles, entre cauchemars, hallucinations, béatitude, vomissements, actes sexuels rêvés ou réels avec des succubes, danse épileptique sur des sons inter-dimensionnels, lointains échos traversant le temps et prenant leur source en janvier des années 1972 à 1975, bains dans la mare et la boue, corroboree solitaire [b], Mariani se retrouve à l'aube, nu et hagard. Après avoir rassemblé ses affaires, désormais plus proche des haillons, bravant le froid du petit matin, il retourne chez lui, à plus de trois mille kilomètres, à Fremantle (cité portuaire et banlieue de Perth), avec une obsession ; retrouver l'essence de la musique du début des années 70 et la ressusciter.

     Il convoque Stu Loasby, le bassiste qui l'avait accompagné lors de ses aventures en solitaire. Puis, pour le seconder tant à la guitare qu'au chant, Greg Hitchcock, un autre vieux de la vieille - qui a également passé son enfance à Fremantle - qu'il avait connu lors de son premier groupe sérieux, The Go-StartsHitchcock a fait ses armes et s'est affuté au sein de divers combos amateurs de Country-rock et de Rock garage en "The" - The StonefishThe BamboosThe NeptunesThe Cracked JaffersThe Deadhunters, "You And I" (dont l'unique disque avait irradié au-delà du Pacifique), The Monarch -, et il devrait faire l'affaire.

Et pour compléter le tableau, Warren Hall, un gamin en comparaison de ses nouveaux collègues (pas de disque avant 2000), fondateur de The Drones, et batteur chez Rosemary Beads.

     Repartant alors de zéro, ils leur fallut quelques années pour constituer et travailler un répertoire,  puis finaliser un premier disque. Mais c'est avec fierté et assurance qu'en 2015, Dom Mariani foule à nouveau la terre de Sunbury avec un objet sacré. Avec l'aide de ses acolytes, il a réussi à retrouver l'essence d'une musique millésimée seventies, exempte de corruption commerciale, se voulant être un vecteur de perceptions extra-sensorielles. En hommage à Daramulum, à Bahloo, à Wuluwaid, à Anjea, aux Inapterwa [c], loin du vacarme des villes, sur un autel improvisé, Dom et son gang déposent une imposante chaîne hi-fi débitant sans flancher des watts à faire décamper tous les crocodiles et serpents les plus teigneux à dix kilomètres à la ronde (les kangourous et koalas, eux, rappliquent), et passent en boucle le fruit de leur labeur. En mémoire de cette fameuse nuit mémorable, le disque a été baptisé "Demon Blues".
 

 Les esprits du lieu approuvent : les animaux s'agglutinent sur les cimes des collines et les oiseaux font ployer les branches sous leur nombre. Une fois le disque terminé, une pluie fine rafraîchissante et régénératrice tombe et des fleurs colorées fleurissent de part et d'autre. Les esprits de Sunbury sont satisfaits. De "Demon Blues" émanent des effluves colorées d'ocre et de mauve, des vapeurs de Hard-blues psychédélique et de Heavy-rock spongieux ; à la fois chaud comme le désert Victoria et moite comme un billabong.

Un esprit qui pourrait donc légitimement paraître nostalgique, notamment parce qu'il refuse les tonalités artificiellement agressives, parce qu'il garde un aspect purement Rock'n'Roll et groovy.
En général, les paroles traitent autant de problèmes politiques que sociaux. Plus précisément de corruption, de la tournure malsaine, décadente, que prend le monde. Parfois aussi de dépression, ce qui peut être directement lié. Cela sans tomber dans la vindicte brutale et conspuante. Il y a même une certaine douceur, un espoir sous-jacent qui contourne un défaitisme oppressant.

     Cependant, si les entités sont pleinement satisfaites de la qualité vibratoire du fruit des quatre aussies, il leur en faut encore plus. Des années d'abstinence ont généré une faim insondable que ne parvient pas à assouvir les 45 minutes de ce premier travail. Il faut remettre le couvert. Et vite.

       Ce second essai n'offre pas vraiment de nouvelles surprises. Si ce n'est qu'il est un peu plus âpre, un peu plus marqué par le Hard-rock ; il suit le même chemin que celui tracé par son prédécesseur. La fuzz est toujours de mise - assez douce et chantante plutôt que baveuse et azimutée - avec surtout cette atmosphère particulière de Rock garage halluciné, de Blues radioactif, de boogie toxique et de Heavy-rock planant porté par un nuage pourpre auréolé de circonvolutions énergétiques bordeaux et indigo.
Toujours cette connivence entre les deux guitares qui s'échangent l'attirail (à toi la fuzz Tone Bender à moi la Big Muff, à moi la wah-wah à toi l'tremolo, etc, etc, ...) afin d'avoir une palette de couleurs relativement riche, toujours cette basse fluide en héritage direct de Steve Currie, de Trevor Bolder ère Bowie, et de ... Stu Cook.
 

     "Hairy Mountain" brouille parfois un peu les pistes en mélangeant sans vergogne des réminiscences psychédéliques sixties au Hard-blues de l'orée des seventies avec quelques pointes de Pop anglaise. Comme avec "Fools Gold Rush" qui intronise l'album par un gros riff gras bien chargé en fuzz, avant que le chant édulcore brusquement l'orchestration lavique en inoculant une Pop acidulée, sous LSD - Swinging London de 1967 -. Et lorsque Dom Mariani enclenche la wah-wah, ça renvoie illico l'auditeur dans un champ miné de plomb fondu. "Trolls" est un pont entre un Stoner et le Hard-blues 70's. Et "Uphill Climb" pourrait être la découverte inespérée d'une session oubliée réalisée entre "The Stooges" (l'album) et "Fun House". 

"Confide Me" et "Mary Carroll Park" s'immergent même dans un boogie poisseux à la Coloured Balls (1), avec en sus pour le second, des coups d'estoc au bottleneck évoquant feu-Pete Wells. Et que dire de la pièce éponyme alternant entre riff pachydermique aurait fait le bonheur d'un Gene Simmons d'antan, et instants légers à l'atmosphère Pop psychédélique, et se clôturant par un pur instant boogie-rock échevelé à la Foghat.
Tandis que c'est un riff Fenderien à la Ritchie Blackmore qui s'invite sur "Greedy World" (un anathème au consumérisme).
L'album se termine par un "retour au calme", sur un "Broken Path" à l'atmosphère éthérée, faussement acoustique, qui se détourne du Heavy-blues psychédélique pour se diriger vers une galaxie plus apaisée, marquée par Pink Floyd.

   Alors qu'une simple écoute - discrète ou à travers un support trop basique - donne une sensation de conglomérat bouillonnant de guitares, une approche plus attentive - donc grâce à une écoute sur une bonne chaîne Hi-Fi et/ou au casque - dévoile un travail chiadé. Il y a véritablement partenariat, complémentarité des deux guitaristes qui, si ils sont généralement dans une tonalité assez similaire, font en sorte de se distinguer par le grain. Ainsi, lorsque l'une des six-cordes crachote à travers une bonne fuzz des familles (du style Big Muff, Tone Bender ou Fuzzface), la seconde se contente d'un léger crunch, ou d'une overdrive transparente (Klon Centaur, Soulfood, Fulltone). Parfois, ce sont des habillages de phaser ou de tremolo qui s'immiscent modestement ou en tapinois.
Même lorsque une gratte prend un solo, elle ne s'extirpe jamais totalement afin de ne pas briser la cohésion. Il en est de même avec la wah-wah qui préfère se fondre dans l'ensemble plutôt que de se distinguer. Une alliance formant un tout, une nouvelle entité bicéphale. La lead ne paraît d'ailleurs pas avoir plus d'importance que la rythmique ; elle est même parfois mixée en retrait.

   Certes, inévitablement, chacun pourrait relever quelques traits deci-delà évoquant Blue Cheer, Master ApprenticesColoured Balls, Buffalo, Stooges, Pink Fairies, The Aztecs (⏪ lien), Frost, voire, pour ceux nés de la dernière pluie (il n'y a pas de honte), Bad Touch, Pristine (← lien), Blues Pills (⇐ lien), Born Healer (⇠ lien), Radio Moscow, Tame Impala, Bigelf (⇤ lien), toutefois, DATURA4 a su se construire son propre caractère qui lui permet de se distinguer des groupes "revival" qui fleurissent depuis quelques années sur toute la surface du globe. Et surtout, ça ne sent pas la naphtaline, c'est même très frais. Au point où, à l'écoute, on a l'impression que les musiciens sont de vigoureux jeunots.


     Les illustrations - des deux disques - sont de Joshua Marc Levy, qui a signé celles de "Black Ice", de "Ohio Killers" de Bufflalo Killers, "Devil's Got a New Disguise" un "best of" d'Aerosmith, "Black Rain" d'Ozzy, "White Horse" de Dirty Streets, "Warpaint" de Black Crowes, "Ultimate Santana", "Skin Deep" de Buddy Guy.


(1) Célèbre groupe Australien, parfois considéré comme un précurseur de Rose Tattoo ou du Punk Rock, avec Lobby Loyde pour leader.
[a] Référence au célèbre label australien : Mushrooms Records
[b] Corroboree ou "Caribberie" en langage aborigène (il y en a près d'une dizaine sur tout le continent) est une danse sacrée de groupe interagissant avec le "temps du rêve".
[c] Diverses entités de la mythologie aborigène.




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