mercredi 20 septembre 2017

PRISTINE "Ninja" (juin 2017), by Bruno



     Depuis des années maintenant, cela a été dit et maintes fois répété : la Scandinavie est non seulement une terre d'accueil pour le Rock, et plus particulièrement pour le Heavy-rock sous toutes ses formes, du plus extrême au plus sage, mais également un riche terreau d'où émergent une quantité notable d'intéressants Rock band.
Parfois, c'est à se demander si ce ne serait pas une terre privilégiée, un lieu moins exposé que d'autres à la pollution émise par les ondes et cultivée par les imposants et puissants labels avides de profits. Un oasis, une terre d'Avalon.

     Pristine n'est pas né de la dernière pluie, ou plutôt de la dernière tempête de neige givrante, car le combo est originaire de Tromso. Une ville située sur l'île de Tromsoya, proche du cercle polaire arctique, où les températures négatives sont bien plus fréquentes que les positives qui ne parviennent qu'exceptionnellement et timidement à dépasser les 15° Celsius. Un lieu où les nuits et les jours peuvent durer plusieurs mois. Les autochtones ne doivent pas souvent prendre des bains de mer.


     Le collectif se recentre autour d'Heidi Solheim. Leader, chanteuse, auteur et compositrice de la totalité des morceaux (à l'exception de quelques rares reprises), depuis le premier essai, "Detoxing" de 2011. Un noyau dur de fidèles, rompus aux arts du Classic-rock 70's, du Rock psychédélique et du British Blues, entoure la grande rousse depuis ses débuts. Dont Espen Elverum Jakobsen à la guitare, Anders Oskal aux Clavinet et Hammond (B3, C3 et A100) et Asmund Wilter Eriksson Ericsson à la basse.  Certains même l'accompagnent pour ses incartades en solo. (deux disques, un en 2012 et le second en 2014). Ses hommes de mains ont apparemment leur petit mot à dire sur les compositions puisqu'ils sont crédités pour les arrangements (et puis, Heidi ne doit pas composer elle-même les interventions solistes).  

Heidi est pour ainsi dire dans la musique depuis son enfance. En effet, elle prend ses premiers cours de musique à 7 ans, et depuis elle n'a eu de cesse d'apprendre, incluant une formation musicale au lycée et la concluant par un cursus universitaire. 
Aujourd'hui, son chant pourrait être décrit comme un mélange de Grace Slick, de Beth Hart, de Lydia Pense (Coldblood), de Björk et d'Adele.  
En fait, Pristine est l'entité qui représente la personnalité Rock d'Heidi, avant d'être le patronyme d'un collectif.  

     Certains pourraient légitimement croire que Pristine a pris le train en marche, suivant l’étincelant exemple de Blues Pills. Or cette bande de Norvégiens s'est formée dans le courant de l'année 2006 et son premier enregistrement date donc de 2011. Le dernier, "Ninja", est leur quatrième. Par contre, en solo, la chanteuse Heidi Solheim, serait plutôt dans la lignée d'une Beth Hart, ou d'une Jo Harman. L'atmosphère y est alors largement plus intimiste et introspective. Toujours le Blues mais en filigrane. Une carrière qu'elle aborde à l'occasion, parallèlement (sans se défaire de l'aide précieuse du guitariste Espen Elverum Jakobsen et du bassiste Asmund Wilt Kildal Eriksson). Une route plus discrete, du moins qui ne déborde pas des frontières de son pays natal, au contraire de Pristine. Elle a aussi réalisé un disque bien Rock'n'Roll, "Dinosaus", à l'attention des bambins.

     La musique de Pristine ne laisse pas indifférent. Même aux USA, lorsqu'en 2012, le collectif décide de traverser l'Atlantique afin d'aller se frotter aux groupes et musiciens en liste à l'International Blues Challenge de Memphis, il parvient à séduire. Ce public pourtant blasé et généralement chauvin. finit par le surnommé  affectueusement "The Artic Blues Band". Et le jury le soutient jusqu'en demi-finaliste. Une première pour un groupe norvégien.


     A ses débuts, le groupe était nettement ancré dans un Blues puisant copieusement dans un British-blues teinté de psychédélisme, avec, côté guitare, quelques emprunts à Stevie Ray Vaughan (flagrant sur "Breaking Bad" du 1er opus). Ce dont témoigne le premier essai, "Detoxing". Puis progressivement, le son et l'interprétation ont été durcis. Jakobsen a investi dans un stock de fuzz et de phaser, et Anders Oskal a appris à lâcher de temps à autre les rênes de son Hammond. Le Blues se fait plus timide pour s'effacer devant le Rock et un Heavy-psychédélisme. Malgré tout, Pristine garde une étiquette de Blues-rock imposée par la presse et les blogs. Or, aujourd'hui, il n'en reste plus que quelques réminiscences. Parfois, indubitablement, il a servi de terreau, mais cela s'arrête là. Certes, à quelques rares occasions, il jaillit, tel le réveil d'un volcan. Cependant, il est alors profané, halluciné. Le son et l'atmosphère de "Detoxing" sont bien loin. Comme un lointain souvenir.


     Avec ce dernier et récent essai, dès les premières mesures de "You Are the One", on a la conviction d'être invité à entrer dans une dimension particulière. Celle née de chutes corrosives des déflagrations issues d'un proto-hard-rock d’antan. Celles correspondantes aux années 68 à 1973, nimbées de vapeurs mauves d'orgues Hammond et flirtant copieusement avec le British-blues. Ça sent les fleurs dans les cheveux longs et libres, le rejet d'une société aliénante. "Sophia", enfant de Deep Purple, conforte cette impression, avec cette basse "chewing-gum" épaulée par cet orgue grave, au même ton. Le long break fait un retour dans le temps en se muant en Purple Mark I avec patterns à la Paice et surtout le Hammond ressuscitant le Jon Lord de l'an 69.

     Cette troupe de Norvégiens affectionne les changements de climats et d'atmosphères. Ainsi, il peut être regrettable de jauger - encore moins de juger - un morceau sans l'écouter en entier.
Comme  "The Paradise" avec son long break doucereux au goût de Rock progressif naïf mais sincère (qui possède un petit parfum de "Our Lady" de Deep Purple), perdu au milieu d'une effusion de British-blues puisant son énergie dans les entrailles laviques de la Terre. Ou encore "Ghost Chase", d'abord country-blues lancinant jusqu'à ce qu'une explosion de chœurs et d'orgues orageux, telle une forte exposition aux radiations le mue en une sorte de Jazz-funeral bastringue ; une nouvelle dimension où farfadets et autres feu-follets accourent et s'agitent en tous sens. Une indiscipline règne, mais une trompette surgit pour essayer de discipliner tout ce petit monde ; mais il est trop tard, c'est un adieu dans la nuit sombre. Dommage, l'instant est fugace. C'est une nouvelle fenêtre qui s'ouvrait sur une autre dimension, mais on n'y est pas invité ; on ne nous autorise qu'à l'apercevoir avant que le rideau ne retombe.


     Pristine
, c'est aussi des instants épurés, dépouillés même, laissant s'épanouir la voix d'Heidi qui devient plus claire, plus sûre et saisissante. Exercice difficile, car il est aisé de se planter lamentablement par un excès de conformisme ou d'autosatisfaction. En effet, si le tempo et les partitions semblent faciles d'accès, cela se révèle être un piège où ceux qui n'ont pas le feeling nécessaire - voire une sincérité de l'âme - ne peuvent sans sortir sans dommages. Or, Pristine en sort victorieux, avec les honneurs. Heidi y dévoile une profondeur qui transporte l'auditeur. Sa voix alors limpide et fraîche comme les sources d'Asgard, nous transit. Elle force l'attention et rayonne de saines émotions. Tous ses albums comportent des morceaux de ce genre où elle excelle, où elle impose le respect. Ici dès "The Perfect Crime", troisième pièce de la galette, prétexte à renouer avec le Blues ; enfin, plutôt avec un Gospel, dans la couleur et la structure, non dans le thème. De sa voix forte, elle nous submerge d'intensité et d'émotion.

Egalement avec le sobre "Forget" qui incite au recueillement. Sur un mince filet d'arpège et un tiède brouillard d'orgue, la voix cristalline d'Heidi chante alors d'une voix fragile et émotive. Comme une rosée printanière, en équilibre sur les feuilles pleine de sève, aux premières lueurs de l'aube. "Can I forget the madness in the world ... and remember only the grace ...".  A peine soutenue par des notes graves de basse résonnant profondément, tel le cœur du Magohamoth, ou d'un quelconque léviathan paisiblement endormi. "Forget" est un nemeton nimbé d'une lumière réconfortante, un lieu préservé de la folle activité bruyante, chaotique et destructrice urbaine. Un interlude féerique, un havre de paix régénérateur, que l'on aurait souhaité voir s'éterniser. Le sujet porte d'ailleurs sur l'espoir - ou le rêve - d'un avenir sans peur, sans douleur, sans violence, sans obscurantisme.
Ambiance dépouillée maintenue avec le titre en bonus - absent de l'édition vinyle -, "Ocean". Sur une touche dramatique où Rival Sons rencontre Jeff Buckley. Sur une orchestration minimaliste, Heidi chante pratiquement a capella. L'aspect est quasi religieux, exacerbé par un orgue à l'avenant en toile de fond.
"...  and still you want me to believe in God, but I'm not a warrior. I can't hold on ... Baby, I'm falling from my own, take all you want now, take my faith, cause I lost my God along this way"

Au sujet de l'affiliation "Rival Sons", il y a aussi sur l'album précédent un bien bel exemple avec "The Lemon Waltz" qui évoque les instant les plus doux du quatuor Angelin.

Par contre, "Ninja", une love-song qui a pourtant donné son nom à l'album est loin d'en représenter son pinacle. Un ersatz d'un Deep-Purple Mark II épique mélangé à du Uriah-Heep, entrecoupé de breaks noisy et aux paroles trop simplistes.

     Heidi garde les yeux ouverts sur la société, sur son évolution ou son involution. A ce sujet, depuis quelques années le droit des femmes semblent faire marche arrière. Une dangereuse et triste régression a été amorcée. La lâcheté et la bêtise des hommes n'ont pas fini de sévir. "The Rebel Song" est une chanson pour les femmes, et le combat qu'elles doivent encore renouveler.
 
photo Frank Wesp

   La version CD offre aussi deux titres captés live dont l'intérêt principal réside dans le fait que les chansons présentées sur disque ne sont pas le fruit de divers bidouillages techniques et artificiels en studio mais bien l'oeuvre d'un groupe maître de sa musique. D'ailleurs, depuis le premier essai, Pristine met un point d'honneur à stipuler dans ses notes que sa musique est enregistrée "live". Force est de la croire car il n'y a effectivement que bien peu de différence entre l'interprétation et le son  du studio et ceux du live. Pas de mauvaise surprise, ni de déception. Il semblerait même que le combo y gagne en consistance. Notamment avec la guitare qui fait baver sa fuzz et la basse qui enfile le costume de la SG EB3 de Felix Pappalardi. "No Regret" s'étire un chouia et flotte, porté par un épais nuage floydien.

Une belle carte de visite pour d'éventuelles tournées hors Scandinavie.

     Avec "Ninja", les couleurs Blues-rock ne sont plus qu'un ingrédient que l'on utilise parcimonieusement pour épicer quelques parties. Le précédent et très bon "Reboot" avait déjà bien entamé cette évolution. Là, plus que jamais, Pristine recycle et ressuscite le Heavy-rock aux émanations psyché des années 1968 à 1973. A croire que le quatuor considère que les productions des années suivantes étaient superfétatoires, ampoulées et désuètes. Et qu'il avait commencé à perdre sa probité, à être corrompu.

     A rapprocher des Rival Sons, Blues Pills (avec qui ils font une tournée cette année), Born Healer, Dirty Street, Datura 4, Vidunder,  Bad Touch, Fuzzy Duck, Mama Lion, Siena Root, Willow Child.




 
🎼🎶

2 commentaires:

  1. Avec une chanteuse ? C'est un peu Pristine and the queen, alors...

    J'ai l’impression qu'il en va du rock scandinave comme du roman policier. Depuis la série Millénium de Stig Larsson (les Mankel ou Idridason c'était la génération d'avant, avant la mode) tous les deux mois, sort un polar qualifié de "le nouveau roi du polar suédois...". Quand on lit trois pages, on voit qu'il n'y a rien de nouveau, ni de royal... mais ça fait vendre !

    Mais c'est intéressant comme phénomène. De tout temps il y a eu des "scènes", celle de San Francisco, de Brixton, Manchester, Rouen, Lyon... Et depuis peu, les pays nordiques.

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    1. Pas de prétention particulière pour Pristine. Ce collectif n'est nullement érigé en tant que "nouvelle sensation" ou de "truc-chose miraculeux". Pas de campagne publicitaire dithyrambique. Il fait son truc, joue sa musique. Point.
      Rien de vraiment "royal" non plus (sauf peut-être "The Perfect Crime", "Forget" et "Ocean") mais du Heavy-rock psyché - ou proto-hard - de bon aloi et sincère.

      La scène de Rouen ??? A l'exception des Dogs, il y aurait quoi, à Rouen ?

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