Souvenirs ... tout le monde connaissait Angel City. Pour un peu qu'on soit amateur de musique électrique, de rock au sens large, on connaissait Angel City. Presqu'autant que leurs potes de Sydney, menés par un gamin en culotte courte. C'était un groupe incontournable. Et si, par hasard, un gus se ramenait en avouant, penaud, ne pas connaître, il était aussitôt relégué au rang de pauvre gus ignare, qui avait dû faire son éducation musicale à travers les shows télévisés de Guy Lux et les revues chamarrées pour midinettes. Et dans la guerre des clochers pour savoir lequel des groupes australiens était le meilleur, le quintet d'Adelaïde était alors un très sérieux concurrent. Alors, quand, sans aucune annonce préalable, la pochette de ce "Two Minutes Warning" a fait irruption dans les vitrines des disquaires, cela avait été une vraie bombe. La nouvelle, circulant, s'enflamma comme une traînée de poudre.
Souvenirs ... Une fois passée la caisse, mon esprit s'était refermé, focalisé sur l'irrépressible envie de poser la galette sur le tourne-disque, de déposer délicatement la cellule phonocaptrice sur le bord du vinyle et se laisser envoûter par la musique. Le trajet fut ardu, devant lutter contre un hiver précoce et mordant (à l'époque, les cimes des montagnes exposaient déjà avec une certaine majesté un premier et beau manteau neigeux), des zombies, fauves, et rustres des transports en commun, tout en protégeant le précieux chargement sous mon bras. "Mon précieux". Enfin, après avoir gravi montées et escaliers comme si le diable était à mes trousses, et refermé à double tour la porte de l'appart des parents, vint la délectation. Le plaisir simple de libérer la pochette du film de protection, libérant des odeurs particulières, de sortir avec précaution le "33 tours" de sa pochette, et de le déposer délicatement sur la platine. Et pour ne rien perdre d'un mets auditif dont je ne doutais pas de l'exquis, un casque à me caler sur les esgourdes. Objet plutôt rare à l'époque, du moins dans le quartier, celui-ci, confortable mais lourd, avait été détourné de son usage initial. En effet, lors de son service militaire, un parent (qu'on découvrit plus tard pas si respectable que ça - déception) avait récupéré quelques objets délaissés par l'armée. Dont ce casque d'aviation customisé pour le besoin de sa nouvelle vocation. Calé dans une position allongée des plus confortables, il n'y avait plus qu'à lancer la bête.
Le ravissement fut d'autant plus immédiat, qu'il ne désenfla pas avec les morceaux suivants. Une belle et bonne surprise qui frôla tant l'éblouissement que c'en était à peine croyable. À tel point que l'expérience fut renouvelée avant la fin de la première face, afin de vérifier illico qu'il ne s'agissait pas d'un rêve auditif. D'autant plus que lorsque ce septième album est sorti, la galaxie Hard-rock / Heavy-métôl, subitement envahie d'une multitude de productions pauvres, douteuses ou bâclées, commençait à perdre de son lustre. Il devenait alors difficile de tomber sur des productions (aux pochettes criardes) où les bons morceaux étaient majoritaires. Le passable, le convenu, ou l'exercice sportif, parfois même le ridicule, avait tendance à rivaliser avec les moments intéressants, sinon à l'emporter. À ce titre, la scène metal US tant vantée n'était pas si folichonne que ça - et ce ne sont pas forcément les meilleurs qui ont été promus à leur juste valeur -, et bon nombre de ces disques tant vantés étaient finalement gâchés par trop de morceaux creux, pollués de dérapages incontrôlés et foireux. Comme si le solo du "maître" guitariste-soliste était une fin en soi. (1984, c'est aussi l'année de "Spinal Tap"...). Ainsi, au milieu de quelques menues déceptions, ce "Two Minutes Warning" s'est révélé être une véritable oasis. L'espoir factuel que le déclin de l'empire américain - ou "the decline of Western civilization ; the metal years" - n'était pas encore entamé.
L'album s'ouvre sur une atmosphère sombre et féline, dans laquelle rugit, - outre Doc Bernard Neeson -, tel un prédateur à l'affût, une wah-wah envoûtante à la fois onctueuse et cinglante. Sauvage, mais pas débridée pour autant. Tandis que la basse, sobre mais néanmoins volumineuse et percutante, résonne comme un palpitant en état de stress. "Underground" est un classique un peu oublié du quintet. Le morceau sera d'ailleurs longtemps un incontournable scénique d'un groupe qui n'a que l'embarras du choix - ce qu'atteste leur fameux double-live de 1987, avec pas moins de 24 titres et aucun remplissage (1). La suite est un tantinet moins intense, mais compense par une belle énergie, qui ferait le lien entre un heavy-rock nerveux et tranchant et un punk-rock classieux (quelque part entre The Damned et The Ruts). "Look the Other Way" défouraille et crache à la gueule de tout ce système (et effectivement, ce morceau aurait convenu au groupe de Nono - avec lequel d'ailleurs les Australiens ont aussi tourné) avec la vigueur de celui qui n'a plus rien à perdre. "quand le loyer est trop élevé et les salaires bas, prendre un risque avec le diable, tu connais. Donner un gras, une jambe, une partie de ton âme ! Secouer la poussière du corps que tu as vendu !". "Between the Eyes" suit ce même chemin balisé de rancœur et de révolte, couvant dans des bourrasques de heavy-rock brûlant
"Réveillez-vous chez vous, rejoignez les hommes de Mensa... enfants affamés avec une vision limitée". Parle t-on bien de l'institution (d'origine australo-britannique ) cherchant à réunir des personnes (pas nécessairement diplômées mais fortes d'un QI élevé (< 130), dans l'espoir (initial) de rendre la société meilleure, plus juste ?
Plus carré, "Front Page News" ferait presque dans le conventionnel, - un poil terni en raison d'une batterie ici métronomique -, si l'aîné des Brewster ne sortait pas la slide comme d'autres le surin, pour trancher dans le lard. Quoiqu'ici, y'en a pas beaucoup, de lard. Car Angel City / The Angels, c'est du sans fioritures, sans substituts de saveurs rajoutées, dans la tradition du Rock dur aussie, celui pérennisé depuis The Aztecs jusqu'à aujourd'hui The Lazys, The Casanovas et autres Southern River Band. Pour faire redescendre la température, The Angels clôt cette première face par "Be with You", une gentille ballade assez classique.
Seconde face. D'la balle ! "Small Price" plante le même décor que "Underground", un peu crépusculaire, avec un nouveau riff majestueux - power chords basiques brisés par un chorus venimeux - qui s'imprime dans les synapses. Même si, là encore, la batterie du nouvel arrivant, Brent Eccles, s'avère en l'occurrence un peu raide ici, ce morceau fait néanmoins mouche (nouveau classique scénique).
Après un court poème scandé par (of course) Neeson, "Walking to Babylon" déboule dans une lourde atmosphère d'urgence, de pré-révolution. "Enveloppé dans un drap ensanglanté, un gamin braillard a été porté au balcon et, au tintement des cloches, montré au peuple. Et c'était la guerre et elle avait mille pères. Maintenant, le sang est de nouveau dans les rues" Certains passages fleurent le méchant hard-blues des copains d'AC/DC.
Avec "Sticky Little Bitch", The Angels changent de costumes pour emprunter ceux des Rolling Stones plein de mordant - avec un son qui préfigure presque celui du prochain siècle -, renforcé par une wah-wah espiègle et bondissante, et appuyé par une basse toujours bien présente, bondissante, et n'ayant aucun complexe à se mettre en avant.
Après une telle série de mitraille mortelle, soit huit chansons imparables, il serait presque légitime que le quintet envoie pour clore le chapitre quelques pièces d'envergure moyenne. Mais que nenni ! "Razor's Edge" surgit et saisit à la gorge, soumettant définitivement les auditeurs les plus récalcitrants et obtus (de mauvaise foi). Difficile de rester insensible à cette rythmique de scie circulaire et surtout, surtout à ce bref mais ô combien savoureux solo de wah-wah !! Personnellement, depuis des lustres, il m'étreint le palpitant, me hérisse l'épiderme et me projette dans une dimension parallèle (depuis le début de l'écoute consciencieuse de l'album, le potentiomètre de volume ne cesse d'être trituré pour envoyer des watts - quand c'est bon, on ne compte pas ! 😁) "Living on the edge !!". Est-ce que, en 1984, The Angels - Angel City n'était pas, tout simplement, l'un des meilleurs groupes de heavy-rock du monde ? C'était ce que croyait les Angelins de Great-White, qui ne manquèrent pas à maintes reprises de citer le groupe dans leurs interviews, arguant même que les groupes de la côte ouest lui devaient beaucoup - et repris aussi deux de leurs chansons.
"Gonna Leave You" est plus quelconque... pour du Angel City... sur d'autres skeuds - plus connus -, du Sunset Trip, certains n'auraient pas manqué de crier au génie...
"Two Minutes Warning" ne fut pas toujours bien accueilli par la presse, qui accusa le groupe d'avoir fait des concessions (?) pour plaire au marché américain. Il est vrai que la production d'Ashley Howe, producteur et ingénieur du son - plutôt connu pour son travail pour les groupes tels que Babe Ruth, Uriah Heep et Osibisa -, a un peu modifié l'aspect de la tonalité de la musique du groupe. Le son, dans l'ensemble, semble avoir pris de l'ampleur, du volume. La batterie - d'apparence plus raide qu'auparavant - a gagné du terrain, tandis que la basse de Jim Hilbun est judicieusement mise en valeur. Et puis, il y a l'omniprésence de la wah-wah, que Rick Brewster ne lâche quasiment plus. Il la dompte, comme l'aurait fait un Amérindien avec un mustang sauvage, la maîtrisant mais lui lâchant parfois les rênes pour quelques sauvages ruades. En tout cas, c'est bien loin des groupes de Hard-FM et de glam-métôl-cosplay coiffés au pétard qui pullulent aux USA, et d'ailleurs l'album n'y fit pas d'étincelles. La faute peut-être à une maison de disque apathique, MCA (chargé de la distribution extra-Australie), qui n'était pas particulièrement connue pour se bouger et promouvoir les groupes entassés dans son étroit compartiment réservé au "heavy-rock" et consorts. Malgré quelques critiques infondées et acerbes, le public est généralement conquis, et aujourd'hui encore, pour bon nombre ce disque fait partie des meilleurs albums des Australiens.
- Side one
- "Underground" (R. Brewster, Neeson, J.Brewster) – 5:30
- "Look the Other Way" (R.Brewster, Doc Neeson, J. Brewster, Eccles) – 4:29
- "Between the Eyes" (R. Brewster, Eccles) – 3:56
- "Front Page News" (R. Brewster, Eccles) – 3:32
- "Be With You"
- Side two
- "Small Price" (Richard Brewster, Brent Eccles, John Brewster) – 5:24
- "Walking to Babylon" (J. Brewster, Neeson, Eccles) – 5:18
- "Sticky Little Bitch" (R. Brewster, Neeson, J.Brewster) – 2:55
- "Razor's Edge" (R.Brewster, Neeson, J. Brewster, Eccles) – 4:30
- "Gonna Leave You" (R. Brewster, Neeson, J.Brewster) – 3:07
🎶😇🐨
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