mercredi 9 juillet 2025

The INSPECTOR CLUZO " Less Is More " (2025), by Inspector Bruno

 



- "Cot ? cot-cot ? Prrââtt-cot ?" - "Grouïnk... phouffrr...Ouîîîrrre !!! Grouïnk" - "Et craque-crac, fait la girafe. Clac-clac ses sabots" - "et [ censuré ]-[ censuré ], le lion. Et clac-clac ses bonbons" Ha !?! Non, nan, c'est pas ça !!!- "Bêêêêê..." - "Couin-couin" - "miaouw ??" Ha, là, c'est mieux... - 

      Là-bas, perdu au milieu de nulle-part, dans un sud-ouest pas encore totalement contaminé par la folie et l'agitation urbaines, gît un corps de ferme. Petit lot de vieilles bâtisses, cerné de doux pâturages et d'une belle forêt verdoyante. Entre cacardements, grognements, caquètements, gloussements et autres bruits de basse-cour, résonne le vrombissement du moteur d'un vieux tracteur labourant les sols fertiles. Et puis, parfois, après une journée de labeur bien remplie, s'échappent de la grange des sons de sauvages. On n'a jamais su si c'était un esprit mélomane ou bien la frayeur qui plongeaient alors les animaux environnants dans un profond silence. 

     Quelles peuvent bien être à ces moments-là, les pensées d'Edmond le cochon ? De Clarabelle, la vachette ? De Sidonie, l'oie ? Du cat-farmer ? De Dame Gertrude, la poule ? De Romuald, le chien de berger ? Penseraient-ils que le vacarme émanant de la grange serait le fruit de divinités au langage incompréhensible pour le profane ? Un tumulte effroyable créé par "dieu" sait quelle activité divine ? P't-être ben qu'oui, p't-être ben qu'non... 

     Charlie, le coq, s'empresse de mettre en garde ses compagnons contre les pensées néfastes colportées par des esprits chagrins - "Méfiez-vous. J'ai ouï dire que certains esprits troublés racontent que les disparitions mystérieuses de vieux compagnons seraient le fait des Maîtres. Pour se nourrir !?! N'importe quoi ! Eux, si attentionnés, si prévenants. Méfiez-vous des absurdités lâchées par les cérébralités malades de ces complotistes"


     Pour ces pauvres bêtes, le mystère perdurera éternellement, car elles n'ont pas leur place dans cette fameuse grange de Lou Casse, transformée en studio de répétition.  Pour nous, - "êtres supérieurs" ?? -, cela fait maintenant quelques années que Laurent Lacrouts et Mathieu Jourdain nous transmettent régulièrement le fruit d'une partie de leurs jams. Après l'excellent "Horizon" de 2023, le duo Landais revient dans l'actualité discographique avec un dixième opus : "Less Is More". Soit onze morceaux balèzes, dont une reprise de choix, et rien à jeter. Accaparés par le travail quotidien de leur exploitation fermière, ils ont été à deux doigts de mettre leurs pérégrinations musicales en sommeil. Cependant, bien qu'incessamment tiraillés entre leurs deux passions, l'une étant toujours au détriment de l'autre, la soif de se produire devant un public réceptif et communicatif, et, évidemment, de graver pour la postérité leurs chansons, ne s'est pas tarie. Le producteur, Vance Powell, célèbre pour ses diverses collaborations avec Jack White, les aurait également fortement encouragés pour qu'ils gravent leurs chansons et, dans la foulée, reprennent la route.

     Dans l'ensemble, la Gibson SG de Laurent est nettement plus boueuse, avec une tonalité coincée entre un proto-stoner 70's et un Desert-rock/power-pop. D'épaisses fuzz dégoulinantes, mélasse d'humbuckers moites et crasseux, partis en croisade contre les fréquences aigües. Parfois, c'est carrément la "Old Black" de Neil Young qui paraît faire une petite incursion. Tandis que Mathieu ne s'est jamais autant dévoilé alerte et volubile, au point qu'à certains passages enlevés, c'est carrément Keith Moon qui est invoqué. Vrai ! De toute façon, c'est le "little band from Landes", "dans son intégralité", qui fait preuve d'une séduisante maturité. Ainsi, si avec les albums précédents, TIC est déjà parti à la conquête du monde, traversant mers et océans, avec celui-ci, il peut partir à la conquête de l'espace.


     En dépit de ses dix-sept années, TIC est toujours aussi vénère et fougueux. En colère contre un système qu'il juge restrictif et aliénant, déversant dans ses chansons, non pas sa haine, mais son incompréhension et ses interrogations. En se gardant bien d'en faire des caisses, se contentant d'un succinct condensé pour nourrir ses morceaux, sans jamais tomber dans la prêche. D'ailleurs, en aparté, malgré ce qui a pu se dire à leur égard, ils n'ont rien de fanatiques, d'illuminés avec des œillères. Leurs discours sont généralement nuancés et explicatifs, - bien plus que ceux de la plupart des politiciens -. 

     Le duo n'écarte pas pour autant un humour simple et rafraîchissant. Humour souvent pince-sans-rire, parfois décalé, présent depuis leurs débuts, ponctuant leurs albums, allégeant des propos pouvant parfois être jugés (trop) politiques. Comme avec leur surprenant reggae halluciné, "Catfarm", en hommage à ces félidés, pas stressés pour un sou, errant à leur gré dans les fermes, en faisant du lieu et des êtres y séjournant leur possession. Ou le marécageux "The Greenwashers", dénonçant au passage les incohérences de certains discours "écologiques" qui omettent (sciemment ?) la durée de vie des biens de consommation et de "l'empreinte carbone affolante de fabrication" de biens dits "propres".

     Mais l'album est avant tout un lot de pièces brûlantes, en mid-tempo, précédemment rodées sur scène et enregistrées en condition live. Ce qui n'empêche pas l'adjonction de quelques pistes de guitares pour donner encore plus d'épaisseur. Plus brut que le précédent, "Less Is More" est un torrent tumultueux brassant dans ses redoutables remous blues terreux, proto-stoner, heavy-rock abrasif et grunge - qui pourrait de temps à autre tout aussi bien évoquer le travail de Jack White

     De l'énergie à revendre dès la première salve, avec un "We Win Together, I'm Losing Alone" en montagnes russes, alternant entre mouvements agités, quasi-punks, et d'autres ouvrageant dans un néo-psychédélisme de stoner travaillé au phaser noyé de fuzz. Avec l'hypnotique "Rules", appel à une certaine désobéissance devant le poids de "règles" toujours plus nombreuses et restrictives "Rules... fu..ing rules !! Rules are made to be broken ! Rules... f.ck..g rules !! Give me a rule and I break it". 


   Avec 
"Thoreau", où après une intro dépouillée, Laurent écrase une disto maousse costaud et Mathieu fracasse ses fûts dans un déluge de cymbales. L'alternation des climats n'est qu'une feinte pour balancer des uppercuts. Une chanson en hommage au philosophe transcendentaliste américain du XIXème siècle, Henry David Thoreau, un précurseur dans sa vision de respect de la nature (souvent considéré comme l'un des initiateurs des mouvements écologiques), mais aussi dans l'appel à la désobéissance civile pour lutter contre les lois qu'il considérait comme foncièrement injustes. A ce titre, c'était un farouche opposant à l'économie se reposant sur toute forme d'esclavage. Il a d'ailleurs été impliqué dans le mouvement abolitionniste. Longtemps honni par l'administration américaine, et certains écrivains (nettement plus nuancés), qualifié de "non-américain", ses œuvres ont tout de même réussi à traverser les ans, et les frontières, étalant son influence sur la politique (Tolstoï, Gandhi) et la culture (Jean Giono, Clifford Simak, Proust, John Burroughs, Sean Penn). Il est cité dans l'excellent "Cercle des Poètes disparus" de Peter Weir.   

     Plus vif, un poil rapide, la pièce éponyme, "Less is More", est une guimbarde au moteur emballé, aux freins fatigués, frôlant la correctionnelle à chaque tournant. Son impression de brièveté est abolie par l'enchaînement avec "Mr. Fameless" qui est du même acabit. "Workers" calme le jeu. Silences, douces notes vêtues d'une discrète "reverb de chapelle", chant abîmé et voilé... jusqu'à ce que les Gascons - harassés par leur combats permanents pour faire musique, élevage et cultures, en toute autonomie, comme si l'éhonté désir de relative indépendance devrait chèrement payé - laisse libre cours à leur rage. Du lourd. Mais... une basse ne se serait-elle pas, ici, sournoisement immiscée ? 

     "Almost Cut My Hair" est probablement le point culminant de l'album. TIC se réapproprie cette chanson du Crosby, Stills, Nash & Young (sur l'album "Déjà Vu" de 1970 - écrit par David Crosby), en lui donnant plus de force, d'intensité. Une version qui prend aux tripes "J'ai failli me couper les cheveux, c'est arrivé l'autre jour... j'ai envie de laisser flotter mon drapeau bizarre... ". Neil Young himself a dû apprécier, puisqu'il a invité le duo à faire la première partie de sa prochaine tournée européenne. 

Final sur un sombre et acoustique "Journey Men", dépouillé, hypnotique, aux parfums de Hill-country blues, où les gars s'interrogent sur eux-mêmes, leurs rencontres et les avis qui diffèrent suivant les lieux.


🎶🐑🌽

Autre article (lien) 👉 The Inspector Cluzo " Horizon " (2023)

13 commentaires:

  1. Shuffle Master.9/7/25 08:08

    La ferme est à 15 bornes d'ici et on peut voir les deux loustics au marché de Mont-de-Marsan le samedi matin , où ils ont un étal. Démarche éminemment sympathique et "responsable", mais je n'ai jamais accroché ni à la musique, ni au côté ostensiblement "terroir" qui laisse de côté certains sujets, comme la chasse où la maïsiculture. Il y a quelques années, on était concurrents avec le batteur pour une vieille Ludwig que vendait une connaissance. Comme elle était un poil fatiguée et que je suis maniaque, c'est Mathieu Jourdain qui est parti avec. Et honnêtement, la version de Cut my hair....

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    1. Tu profites de la retraite dans les Landes ? Heureux homme 😉
      J'aurais bien aimé serrer la paluche à ses bonhommes qui essayent, avec difficulté, à vivre comme ils l'entendent.

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    2. Sinon, au sujet de "leurs sujets", je ne m'y suis pas particulièrement penché dessus. J'ai lu et écouter quelques trucs, mais pas la totalité. Il me semble qu'il y a un bouquin ou deux sur les lascars.
      Cependant, je me souviens bien qu'ils disaient expérimenter par eux-mêmes, apprendre de leurs erreurs, étudier encore sur tout ce qui tourne autour d'une ferme et de son écosystème.
      Après, ils ne sont pas particulièrement militants (il se moque d'ailleurs un peu du militantisme aveugle avec "Greenwashing"), si ce n'est qu'ils tentent de démontrer qu'une autre agriculture est possible et qu'on peut en vivre. Ils étaient d'ailleurs prêts à plonger dans un long sommeil leur carrière musicale pour assurer la pérennité de leur ferme.
      C'est rafraîchissant de voir des musiciens qui ne sont pas obnubilés par la notoriété, une quelconque gloire, ou le flouze. Encore moins pas la compétition. Remettre un vieux tracteur en route suffit à leur bonheur.
      Evidemment, ce genre de comportement n'intéresse guère les médias qui semblent avoir tendance à privilégier les amateurs de bling-bling.

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  2. Shuffle Master.9/7/25 08:15

    Et les chats, ça suffit. Il y en a trop. J'ai un voisin qui en a trois (trois!) et je n'ai quasiment plus de piafs dans le jardin. Je suis obligé de faire des rondes régulières, armé d'une sarbacane. Ça me rappelle mes dix ans ("je sais que c'est pas vrai, mais...etc"). Je m'y suis bien remis à la sarbacane, c'est redoutable, je pense me poster avec, plus une bonne provision de flèches (papier glacé avec un tour de main que je suis désormais le seul à maîtriser) à un endroit stratégique pour les fêtes de la Madeleine, afin de donner une nouvelle dimension à la psychose des piqûres sauvages.

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    1. Tu dézingues les chats à la sarbacane ?!!! Envoie-leur les croquettes empoisonnées de laxatif, ce sera plus rigolo. Je me souviens avoir été assez bon aussi dans la fabrication de flèches en papier, avec le coup de langue pour fermer le cône à la salive. Ce qui m’a perdu, c’est que les profs ont vu que j’avais beaucoup plus de pages de cahier (petit format) arrachées que mes camarades de classe…

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    2. Shuffle Master.9/7/25 10:11

      Je vois que j'ai affaire à un connaisseur. Pour les chats, je me contente de leur faire peur. Pour Cluzo, ils semblent être aux USA. Donc, pour dimanche....

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    3. C'est bon, j'ai les noms. J'vous dénonce !!! Y'a trop d'chats !??! 😡 Et d'humains non ?
      Devinette : quel est l'être organique le plus destructeur de cette vieille planète ? Le seul être qui, quand y'a plus rien à décimer, s'empresse de se foutre sur la gueule. Avec en sus, cadeau du chef, des dommages collatéraux monstrueux.
      Non mais.
      Et à plus petite échelle, j'connais quelques chasseurs se vantant d'être des "massacreurs". Là où il passe, le gibier trépasse. Et qu'importe si la chaleur ambiante faisande les bestiaux avant le soir, où qu'il ne consomme pas leur butin.

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    4. Bon... je dois aussi admettre faire la guerre à mon chat qui rapplique avec des proies dans la maison. Y'a de tout, rat, souri, lézard, tarente, oiseaux et gros insectes divers, et de préférence vivant.
      Une serial killer. Une minette qui ne pèse pourtant pas lourd mais qui s'attaque même aux chats errants faisant presque deux fois son poids 🙄😯
      Celui de ma compagne se contente des insectes s'aventurant dans la maison. Pratique.

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    5. Sinon, cela me rappelle ce gars, en Lozère, qui se vantait avoir éradiquer - pendant ses vacances avec ses potes - je ne sais plus combien de nuisibles (des renards), sur une distance, à compter du village, d'à peu près une demi-douzaine de kilomètres.
      Après, il s'étonnait de l'importante prolifération de taupes, de rats et autres rongeurs... Un soudain et gros problème que les agriculteurs et les habitants (ceux qui y restaient à l'année) ne parvenaient pas à endiguer...

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    6. Je tiens à préciser avant que la lettre de dénonciation ne soit postée, que j'adore les chats. N'en n'ayant pas moi même, je m'occupe de ceux des voisins, qui pullulent (les chats, pas les voisins) j'ai quinze trousseaux de clés pour aller les nourrir, ou je les prends chez moi quelques jours. Il y a notamment une chatte qui a passé les deux tiers de sa vie chez nous, un véritable caractère de merde, pas sympa voire agressive, qui pissait partout où il ne fallait pas - y compris sur ma batterie, la garce - elle s'était trouvée un second foyer. Elle a été nourrie, soignée, câlinée pendant 15 ans, et... enterrée.

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    7. Tu te débrouillera avec les excités qui devraient manifester devant chez toi, avec moults banderoles, klaxons et fumigènes, d'ici une quinzaine 😁
      Pisser sur la batterie !!! Pas bien ! Pas bien du tout !! La minette ne devait pas avoir l'oreille musicale 😂

      Cela m'évoque les souvenirs d'un compagnon défunt qui avait pour habitude de se caler dans mon flight-case, dès que je grattais ma six-cordes.
      Un adorable Norvégien qui s'y endormait à moitié, même quand mon petit Fender crachait des harmoniques sifflées. C'était p't-être un amateur de Heavy-power-metôl-norwegian-delamorquitu !! 😵

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  3. "Neil Young himself a dû apprécier, puisqu'il a invité le duo à faire la première partie de sa prochaine tournée européenne" : je vérifierai l'information sur place, je vais le voir dimanche...

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    1. De mémoire, leur première date avec le Loner est en Allemagne, à Berlin. Une date qui a peut-être déjà été effectuée.
      Sauf erreur, se serait sur neuf dates européennes que les Gascons devaient ouvrir pour Young.

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