- Voyons Claude… Humm, une seule symphonie de Rachmaninov en quinze ans de blog, la deuxième ! Il est vrai que vu de ma fenêtre, le compositeur russe me fait songer plutôt à un pianiste virtuose qu'à un orchestrateur, notamment les concertos ou le piano s'impose somptueusement. Quoique tu as présenté des ouvrages symphoniques aussi, et…
- Stop Sonia ! Stooop ! Je n'ai encore jamais proposé l'écoute de pièces pour piano seul. Ça viendra. Les Concertos 2 et 3, les plus célèbres, Pat ayant présenté le 1. Côté symphonique, un poème symphonique, l'ile des morts et les danses symphoniques et surtout la deuxième symphonie, œuvre majeure du postromantisme russe. Enfin, les suites pour deux pianos…
- Ah oui, en fait, 9 chroniques… Elle a eu du succès cette symphonie ?
- Ah mon dieu ! Jamais l'expression œuvre maudite n'a pris autant son sens. La création fut un désastre, les critiques ignobles. Serge déchira la partition et déprima grave pendant quatre ans…
- Waouh… mais alors comment peut-on l'écouter de nos jours ?
- Ah ah, je vais expliquer cela…
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Yuja Wang |
Pour une biographie résumée de Rachmaninov, je renvoie mes chers lecteurs à la chronique consacrée au 3ème concerto pour piano (Clic). Cette œuvre terriblement complexe et virtuose, sans doute le plus grand défi pour les pianistes, date de 1909. Elle réunit tout ce qu'il est techniquement possible de jouer avec le clavier, elle dure 35 minutes et les artistes admettent qu'ils terminent l'exécution épuisés… Pour ceux qui douteraient de cette unanimité, je vous invite à regarder notre chère Yuja Wang dans son interprétation à Verbier. Pourtant infatigable et athlétique, Yuja se lève groggy après la folie du final pour gagner les coulisses et sans doute boire 1 litre d'eau… (Non Pat, pas du saké !) En général Yuja salut généreusement, rigolarde 😊. Elle a dû néanmoins revenir pour plusieurs bis…
Tout comme Liszt, Rachmaninov atteint du syndrome de Marfan (1,98 m sous la toise et des mains permettant des écarts de 13ème) soumettait ses futures victimes du clavier à rude épreuve ; de nos jours Lang Lang détient la palme avec des accords de 12ème. Yuja, 1m55, compense par une élasticité tactile exceptionnelle, fréquente chez les jeunes femmes asiatiques, et surtout une vélocité et une précision diabolique de son jeu… Son illustre aînée portugaise, Maria João Pires, elle aussi de petite taille, n'a jamais pu jouer officiellement ces deux compositeurs… à son grand regret a-t-elle avoué en interview. Oui, mais n'est-elle pas divine dans Mozart et Chopin ?
- heu dis Claude, on ne doit pas parler symphonie ? Tu as le démon de midi pour la jolie pékinoise ? hihi…
- Oui et non, j'y viens… Cette intro souligne que Rachmaninov n'est en rien un romantique tardif composant pour un clan de pianistes acrobates. L'exaltation mélodique et la fougue du touché nourrissent l'originalité de son art, tout comme son attachement à la culture slave. Dans ce sens, il cultivera tôt son propre modernisme et cela lui coutera cher lors de la création de sa première symphonie…
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Rachmaninov en 1897 |
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Petit guide sur
Rachmaninov
depuis sa naissance en 1873 et le désastre immérité de sa
1ère symphonie
en 1897 ! Le pays est "évidemment entre deux guerres", notamment
dans les Balkans. Bismarck, pour priver toute alliance de la France
vaincue de 1870 propose "L'Entente des trois empereurs" de
1872, soit une alliance militaire entre
Guillaume 1er, roi de Prusse et Empereur allemand,
François-Joseph 1er, Empereur Austro-Hongrois et Alexandre II, Tsar de Russie.
Concorde fragile suivie de nouvelles donnes en 1875, 1879, 1881, 1882,
1887, accords à géométrie variable incluant parfois le concours de la
Reine Victoria…
Cette partie d'échec chronique entre monarques absolutistes, bedonnants
et sur-emmédaillés conduira à l'hécatombe de 1914… Et tu vois
Sonia, pendant ce temps l'occident développe la révolution industrielle et
l'exploitation de la main d'œuvre, tandis que la Russie sort timidement du
moyen-âge. Il n'y a que 600 000 ouvriers vers 1860 pour 60
millions de russes. La paysannerie ne verra le servage disparaitre qu'en
1862. Les jacqueries sont nombreuses malgré quelques efforts de
modernisation des institutions à mettre au crédit
d'Alexandre II.
Ce Tsar assassiné en 1881 laisse le trône à
Alexandre III nettement plus réactionnaire. Ah c'est peu dire…
abolition de l'éducation et du système judiciaire réel hérités de son
père, etc. La suite : la révolution de 1905 lancée par les 97
millions de paysans rejoints par les ouvriers, l'armée écrasant la révolte
dans un bain de sang pour sauver le trône de Nicolas II. Une
défaite populaire qui déroule graduellement le tapis rouge (sans jeu de
mot) pour la révolution bolchévique de 1917. Voilà dans quel climat
socio-politique chaotique le jeune
Serge
grandira et débutera sa carrière…
Il n'y a pas que dans son organisation sociale que la Russie du XIXème
siècle apparait arriérée face à l'occident qui a connu le siècle des
lumières et des révolutions. Comme expliqué dans la chronique dédiée aux
suites pour deux pianos, hormis en littérature dont les spécialistes parlent de l'âge d'or
(Pouchkine, Dostoïevski, Gogol, Tolstoï…), la
culture artistique accuse un retard notable. Il faut attendre le milieu du
siècle et l'énergie d'un
Glinka
suivi du génial
Tchaïkovski
pour voir naitre une école musicale nationale russe. Si
Tchaïkovski
adopte les modes de l'art romantique allemand,
le groupe des cinq
sous la houlette de
Rimski-Korsakov
(Clic)
composent en suivant l'influence de la tradition orthodoxe et slave. (Borodine
et Moussorgski
en sont des membres éminents, les autres… heu on va voir.)
De petite noblesse la famille Rachmaninov vit son crépuscule. Son père, joueur invétéré, irascible et dépensier, dilapide le patrimoine familial et son épouse Lioubov est certes une mégère mais repère les talents de son fils et lui offre quelques leçons données à domicile par Anna Ornazkaïa, une proche du virtuose Anton Rubinstein. En 1883 sa sœur aînée Yelena meurt, une épreuve terrible pour l'émotif Serge. Ses parents se séparent en 1885. Le jeune Serge surmontera ces drames grâce à Sofia Boutakova, sa grand-mère, venue soutenir son petit-fils et surtout, lui faire découvrir la musique orthodoxe.
Anna Ornazkaïa
jouera de son influence pour que l'adolescent intègre de 1885 à
1889 le conservatoire de Moscou. Après une année de conflit
idéologique avec son professeur très exigeant
Nikolaï Zverev, il retourne au conservatoire jusqu'en 1892. (Le maître estimait
que pianiste professionnel et compositeur sont des métiers incompatibles !
😳).
En janvier, j'avais déjà évoqué plus en détails ces années
d'apprentissage…
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César Cui (1835-1918) - Cuicui 🐦🐦 |
Dans tout récit il y a "le méchant". À gauche, vautré dans son fauteuil,
sapé en militaire (spécialiste en fortification), "imbu de lui-même à l'évidence" d'après Nema qui, de passage, est venue faire la bise, voici
César Cui. Né en 1835, petit compositeur d'œuvrettes de chambre et d'opéras
oubliés et critique féroce et prolixe, il sera le bourreau de
Rachmaninov.
Ô chaque pays doit subir un temps un personnage de ce genre, sans talent
mais à la langue fourchue. Rappelons-nous le sinistre
Eduard Hanslick qui, hormis lécher les bottes à
Brahms, traîner dans la boue
Wagner
et
Bruckner, ne composa rien, pas une note…
César Cui n'aime pas tout ce qui a été composé avant Beethoven : soit le baroque, Mozart, Haydn et les autres… Brièvement, il n'a d'estime que pour la musique de ses potes du groupe des cinq (pourtant, il faut le dire, leurs œuvres présentent des faiblesses formelles bien pardonnables chez ces hommes qui sont tous des pionniers passionnés et autodidactes reconvertis… Borodine était chimiste 💣 Rimski-Korsakov marin ⚓). Il dénigrera Boris Godounov de Moussorgski, chef-d'œuvre lyrique incontesté ! Il vilipende Tchaïkovski et d'autres qui ne sont pas du sérail… Exception : Liszt et Berlioz (ouf !). Quant à Wagner, oui, il apprécie le sens du drame, mais il prétend qu'il faudrait tout réécrire sans les leitmotivs… On n'ose y croire. Il ne composera aucune symphonie…
Je me calme… dans son œuvre, tout n'est pas à jeter, je vais réfléchir à une possible chronique… "Là est le rôle du musicologue et du critique scrupuleux" ajoute Nema…
Avant d'affronter l'incontournable épreuve de la composition d'une
symphonie,
Rachmaninov
a déjà intensément composé depuis la fin de ses études. Citons les plus
remarquables réussites : le
1er concerto
de 1890 créé en 1892 par lui-même au piano et accompagné par
Vassili Safonov, musicien et politicien de renom. Le succès sera modeste mais vers
1917, le compositeur apportera des retouches, ce qu'il fera souvent
dans ses œuvres… Ajoutons quelques
poèmes symphoniques
hélas perdus sauf "le Rocher", un
quatuor à cordes
en 1888, le
1er trio élégiaque
en 1892 et diverses pièces pour piano. Un petit détail, en
1890, encore étudiant,
Rachmaninov
avait couché sur le papier un premier mouvement de symphonie, une dizaine
de minutes gravées par
Leonard Slatkin
(toujours lui.) Contrairement au romantisme allemand et malgré l'apport
imposant du
cycle des six symphonies
et de
Manfred
de
Tchaïkovski, les russes n'ont pas une grande expérience dans l'écriture de
symphonies, exercice difficile dans la recherche du fil conducteur et de
la cohérence stylistique.
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Alexander Glazounov (1865-1936) 🍷🍷🍷 |
Le projet de mettre en chantier sa symphonie date de fin 1894.
Rachmaninov
la composera entre janvier et octobre 1895. Sa correspondance
montre qu'il en a bavé des ronds de chapeau si je puis me permettre cette
locution argotique. Pourtant compositeur rapide, c'est long et il en
souffre, travaillant dix heures chaque jour.
Tchaïkovski
mort depuis deux ans ne peut pas le conseiller si tant est qu'il aurait pu
le faire. Vieillissant,
Rimski-Korsakov
à qui "le Rocher" était dédicacé, ne peut l'aider à finaliser l'orchestration. Pourtant
l'auteur de
Schéhérazade, suite symphonique féérique qui s'appuie sur la forme symphonique en
quatre mouvements aurait été le mentor idéal.
Le richissime mécène Mitrofan Belyayev accepte de programmer la
création en 1897. Son professeur
Serguei Taneïev
et
Glazounov
préparent cet évènement en lui proposant des modifications acceptées.
Taneïev
est dubitatif après une écoute au piano…
Les répétitions commencent. Rimski-Korsakov, homme des générations précédentes n'apprécie guère mais laisse son élève chouchou Glazounov diriger alors que ce musicien est un mauvais chef semble-t-il et de plus se permet d'imposer des coupures. Nous voilà face à la pire condition pour une création d'autant qu'au soir du 15 mars Glazounov éméché ne contrôle pas l'orchestre mal préparé. On a douté de cet état d'ébriété, mais l'un de ses illustres élèves et peu suspect de médisance, Chostakovitch, dira : Glazounov gardait une bouteille d'alcool cachée derrière son bureau, et sirotait à travers un tube pendant les cours !
Musicalement la soirée est un désastre ! Une seconde exécution par un bon
chef aurait pu sauver la partition après quelques corrections, mais la
critique s'en mêle avec la sauvagerie de ceux qui alignent les méchancetés
pour prouver qu'ils savent lire et écrire ; donc de César Cui : "S'il y avait un conservatoire aux enfers, et si l'on avait demandé à
l'un de ses meilleurs élèves d'écrire une symphonie à programme sur
Les Sept Plaies d'Égypte, et si le résultat ressemblait à la symphonie
de M. Rachmaninov, alors il se serait brillamment acquitté de sa tâche
et aurait ravi les habitants des enfers". (Sonia : "du blabla en effet").
Humilié,
Rachmaninov
ne composera rien ou presque pendant plus de trois ans et quittera
Saint-Pétersbourg. Atteint d'une forte dépression, il sera soigné par
hypnothérapie... Il perdra la partition maléfique lors de son départ aux
USA en
1917.
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Alexander Gauk (1893-1963) |
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En 1944, émergent les partitions d'orchestre des archives
poussiéreuses de Belyayev du Conservatoire de Leningrad. Le
talentueux maestro
Alexander Gauk recompose la partition intégrale et la dirige le 17 octobre
1945 avec succès à Moscou.
Eugene Ormandy, ami américain de
Rachmaninov
impose sept répétitions à son
Orchestre de Philadelphie
pour une première en mars 1948. La
1ère symphonie
est resuscitée et entre au grand catalogue ;
Rachmaninov
mort depuis cinq ans ne pourra pas entendre les ovations. On se rend
compte alors qu'en 1897 l'œuvre était simplement… trop moderniste
pour l'époque !
Influencé par Rimski-Korsakov, chantre des orchestrations rutilantes, l'effectif de la 1ère symphonie est riche surtout pour les pupitres de percussion : 3 flûtes (+ piccolo), 2 hautbois, 2 clarinettes en si bémol, 2 bassons, 4 cors en fa, 3 trompettes en si bémol, 3 trombones, tuba, timbales, cymbales, grosse caisse (mouvements 1, 2 et 4), triangle (mouvements 2 et 4), caisse claire, tambourin, tam-tam (mouvement 4) et cordes. (Partition : 243 pages).
Après une absence des labels pendant un demi-siècle, la discographie est
désormais éclectique. Bien que moins enregistrée de manière isolée que la
2ème symphonie, on peut l'écouter sur nombre d'intégrales. Mon choix s'est porté sur
une capation récente et fougueuse du chef canadien
Yannick Nézet-Séguin
déjà à la une de deux articles du blog dans des répertoires originaux. En
2017, il accompagne
Renaud Capuçon
dans le
concerto pour violon
de
Erich Korngold
(Clic), puis en 2022, il dirige
deux symphonies
de la compositrice afro-américaine
Florence Price
(Clic), une révélation pour la planète classique. On découvre cette musicienne
bien peu connue grâce à une gravure haut de gamme pour DG avec l'Orchestre de Philadelphie dont, comme je le présageais, il est devenu le directeur depuis
2023. Par ailleurs, il est depuis 2020 le directeur Métropolitan Opera de New-York… Il dirige "à vie" l'Orchestre Metropolitain
de Québec depuis 2000.
Il a été sollicité par la
Philharmonie de Vienne
pour diriger le concert du nouvel an 2026 !
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Yannick Nézét-Seguin |
La symphonie comporte quatre mouvements. A priori Rachmaninov ne cherche pas, en cette fin du siècle romantique, à déroger à cette organisation traditionnelle. Le "scherzo" est placé en seconde position, choix justifié par un premier mouvement imposant. Comme souvent chez les jeunes compositeurs, Rachmaninov a vu grand, trois quarts d'heure, établissant une similitude de durée avec les deux symphonies les plus abouties du temps : la 5ème et la 6ème "pathétique" de Tchaïkovski. Il prend ainsi le risque du débutant d'essoufler le développement mélodique faute d'une thématique plus inventive. Mais Rachmaninov contourne avec malice ce risque même si ses contemporains n'ont pas su reconnaître les qualités de l'œuvre… Comme Liszt, il recourt au leitmotiv pour assurer une unité narrative à sa partition, musicalement parlant.
Une remarque s'impose à ce stade. Un manque de nuance et de fougue, des
tempi lambinards de la part du chef et une surenchère trop appuyée dans les
répétitions et variations des développements risquent d'ennuyer. Cela est
particulièrement vrai dans le mouvement introductif.
1 - Grave—Allegro non troppo (ré mineur) : Un prélude lent et sépulcral précède la première section* thématique de l'allegro… Est-ce un petit hommage aux formes chères à Haydn dans ses symphonies telles les "Londoniennes" pour fixer l'attention du public ? Un motif puissant répété trois fois ouvre la symphonie. Se succèdent : anacrouse sur trois temps et sur le 4ème temps : irruption d'un grupetto rageur de quatre doubles croches jouées fff en tutti aux bois doublés des cuivres, puis énoncé d'un motif de six mesures aux cordes seules mais gaillardes pour présenter le motif du dies irae, martial, dramatique ! Ça jette ! La grosse caisse clôt cette suite obsédante des trois motifs funèbres.
* Pourquoi le mot section demande Sonia ? Voici un petit précis de composition... 😊
Rachmaninov
se libère à sa manière, mais finement, de la forme sonate académique qui
symétrise de manière cyclique les mouvements introductifs : section initiale
à deux thèmes avec reprise, développement central à partir de thèmes
secondaires, reprise et conclusion à partir du matériel mélodique de la
première section. (Schéma abrégé, juste pour mémoire.) Notre compositeur
prend de nombreuses libertés par rapport à ce plan et un thème dominant
utilisé tel un leitmotiv animera l'allegro et même la symphonie dans sa
globalité, principe de résurgence appliqué au dies irae déjà entendu.
[0:28] L'allegro s'élance moins sévèrement que l'intro. Une mélodie en
notes pointées et pizzicati aux cordes accompagne l'énoncé du
thème principal par la clarinette. Un
staccato des flûtes prend le relai. Le style de
Rachmaninov
se manifeste par cette fantaisie concertante de l'instrumentation qui gagne
sans cesse en couleur et en alacrité sans négliger une pointe de nostalgie.
Le thème voltige de pupitre en pupitre. L'orchestre de Philadelphie capté avec limpidité est dirigé avec un entrain de bon aloi.
Dans l'hommage rendu à Roger Norrington lundi, je partageais cette citation : "Nous voulions montrer que Berlioz et Tchaïkovski ne sont ni épais, ni dégoulinants, ni tapageurs, mais romantiques. C'est-à-dire sincères et enflammés". Yannick Nézet-Séguin fait sien ce concept.
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Village russe - illustration de Ivan Bilibine |
Analyser en profondeur la succession des sections mélodiques variées
n'aurait qu'un intérêt scolaire rébarbatif.
Rachmaninov
les enchaîne sans rupture nette, il en ressort un lyrisme slave enflammé et
une tendre poésie, options nullement incompatibles. [2:39] Une nouvelle
section exalte un air voluptueux agrémenté de nombreux solos des bois aigus
(hautbois, flûtes). Ce passage noté moderato orchestré par une dominante de
cordes joue à [4:24] la carte de la mélopée élégiaque.
[5:08]. Pas surprenant que le public et les rivaux de
Serge
soient déroutés lors de la création par l'exposé de la seconde idée,
affichant un style fugué et trépidant, transition (reprise qui ne dit pas
son nom ?) confiée aux cordes puis martelée par les cuivres et les
percussions. [5:52] Le développement central à la manière
Rachmaninov
est innovant. L'univers sonore gagne en vivacité et fantaisie, le triangle
s'amuse, le leitmotiv fait son retour… Un héritage de Tchaïkovski
et une influence future pour son ami
Scriabine…
[8:04] une transition nous amène à la reprise fougueuse de la section 1 (la forme sonate n'est pas tout à fait délaissée). [9:14] L'allegro ralentit et chante sur un tempo rêveur une mélodie lascive. Après plusieurs écoutes, on découvre que l'art du jeune Serge d'organiser tel un puzzle, pour ne pas dire une forme de poème symphonique, est très mature et en avance sur son temps. Il agence toutes ses idées musicales à la manière d'un conteur… [12:09] le thème à la clarinette ressurgit, consolidant l'architecture de l'allegro avant une coda simpliste, disons… fonctionnelle, ne soyons pas exigeant.
2 : Allegro animato (en ré mineur) : Cet intermède aurait pu s'intituler Scherzo par sa symétrie qui rappelle celle imposée dans ce type de mouvement. Mais là encore Rachmaninov se plaît à s'écarter de la tradition formelle que s'imposa sans relâche, c'est notoire, un Anton Bruckner : scherzo – Trio – Scherzo (Thématique : ABABCDCDABAB{coda}). L'allegro débute par une citation aux altos du grupetto du Grave du premier mouvement, mais justement… sans gravité. Se déploie une longue section mêlant une mélodie délicate et des rappels facétieux de motifs de l'allegro.
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Ivan Bilibine - Le cavalier |
Rachmaninov
confirme son style : limiter les tuttis instrumentaux aux timbres
complexes, si agréables et surprenants à l'oreille soient-ils. Méthode qui
bénéfice aux petits solos parsemés ici et là dans le discours.
Rachmaninov
aime confier conclusions et introductions à la clarinette, son instrument
fétiche… C'est le cas lors de la transition entre la section 1 et ce que
l'on pourrait appeler "abusivement" le trio [2:47 -2 :59]. Et toujours ce
thème renouvelé qui, après l'alto, est entonné par la clarinette. Ne
détaillons pas. Cette partie centrale plus vivante me fait penser à un
ballet, du romantisme pur : chants d'oiseaux et pensées plus sombres
s'entrecroisent… [7:16] Troisième reprise, tout en douceur, aux cordes
aigus… Donc non, pas un scherzo didactique pour conclure, avec tendresse.
Pas de tutti énergique, tout au contraire, une ultime mélopée à la
clarinette et un point d'orgue qui se résume à une syncope pppp (!)
d'une note aux cordes, une discrète noire en pizzicati. Tendez bien les
oreilles. 👂👂
3 : Larghetto (si bémol majeur)
: Sans surprise, les altos débutent cette rêverie qu'est le larghetto en
jouant le motif rageur de l'allegro, mais ici assagi et mélancolique. Et
sans surprise, la clarinette énonce le thème, fil conducteur de ce
poignant mouvement lent. Plusieurs idées, notamment le passage rythmé et
oscillant aux violons qui structure le premier développement [2:31]
prolonge l'expression d'un désir éperdu de quiétude qui échappera trop
souvent au compositeur hypersensible. [3:45] Désir compréhensif à l'écoute
du passage anxieux suivant dans lequel dominent le grondement des cuivres
graves et les appels acérés des trompettes ; reflets musicaux de cette
civilisation tsariste en voie de désintégration. [2:31] Merci aux flûtes
en duo avec la clarinette de nous réconforter, puis en laissant des
violons féériques conclurent l'un des plus lyriques et émouvants
mouvements de
Rachmaninov. Une musique qui se veut naturelle et sans fioritures solfégiques. La
coda prend la forme une mélopée onirique chantée par la clarinette solo
soutenue par de discrets pizzicati pp des cordes…
4 - Allegro con fuoco (ré majeur)
: Il n'y a guère de règle académique pour conclure une symphonie. En
général le rondo et sa forêt de thèmes est de mise. Ici, difficile à
affirmer si c'est le cas et à commenter tant les sections sont nombreuses
et contrastées. L'ambiance générale est sauvage, assurant une rupture
marquée avec le larghetto. Les premières mesures évoquent le dies irae de
l'allegro et seront suivies par une marche militaire cadencée par la
caisse claire, [2:17] marche prolongée par une élégie aux cordes appuyée
par les cors. Ce mouvement martelé (grosse caisse, timbales, tambourin…)
présente une partie centrale plus élégiaque. On l'aura compris, le final
exploite une grande variété dans l'orchestration, je parlerais même de
virilité et de joyeuseté (pizzicati cocasses à [6:30]).
Après moult épisodes que je ne détaille pas, la conclusion débute vers
[10:06], là où rien ne semble s'opposer à la course héroïque du final.
Grosse-caisse et Tamtam fracassent l'espace sonore et de manière
pathétique et angoissante les fanfares de cuivres se déchaînent.
Le musicologue Robert Simpson (1921-1997 - Aucun lien de parenté avec Omer) considérait la première Symphonie de Rachmaninov plus aboutie que les deux suivantes, estimant, je cite, "qu'elle avait été créée naturellement et sans effort". Mouais, pourquoi pas. "Sans effort" ? Il semble que Rachmaninov ait travaillé durement pendant près d'un an. Je me limiterai à penser qu'elle ne méritait surtout pas d'être sacrifiée sur l'autel des critiques bornés et qu'il est dommage que les générations du début du XXème siècle n'aient pas pu l'entendre ! Cinq ans après des soins par hypnothérapie, Rachmaninov préparera son 2ème Concerto pour piano, son oeuvre la plus célèbre.
Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée. Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…
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INFO : Pour les vidéos ci-dessous, sous réserve d'une écoute directement sur la page web de la chronique… la lecture a lieu en continu sans publicité 😃 Cool. |
Dans une discographie pléthorique, les pionniers des intégrales font
encore bonne figure :
Eugène Ormandy
à
Philadelphie
en 1966 malgré un petit manque de folie juvénile,
Vladimir Ashkenazy
à la tête du
Concertgebouw d'Amsterdam
en 1982 d'une puissance un peu froide (mais quelle prise de son !).
Deux valeurs sûres…
Je suggère l'écoute de trois captations moins connues et disponibles sur
le web :
Walter Weller
qui nous avait offert une intégrale géniale et moderniste des
symphonies
de
Prokofiev
récidive avec l'Orchestre de la Suisse Romande avec une lecture ciselée de celles de
Rachmaninov
(Decca - 1975).
Avec
Evgeny Svetlanov
dernière manière (Orchestre Symphonique D'Etat De La Federation De Russie),
Rachmaninov
prend des allures shakespeariennes, volcaniques et acérées. L'introduction
file la trouille ! (Warner-music - 1995). Rare mais existe
en album simple… (Deezer) Prise de son décevante hélas…
Une bonne surprise ? Pas pour moi ; il y quelques semaines nous écoutions
les
sérénades de
Brahms
dirigées avec exaltation par le chef Yankee
Leonard Slatkin. Le maestro chasse ici toute emphase donc distille une poésie raffinée
rare dans les gravures dédiées à
Rachmaninov. Les instrumentistes de l'orchestre de Saint-Louis font irruption dans votre séjour. (Vox - 2010). Ce chef a
également produit une intégrale avec l'Orchestre de Détroit
éditée chez Naxos. (Deezer) ou YouTube ci-dessus.
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