Je travaille seul cette semaine… face au Mont-Blanc visible par la fenêtre. D’où un article court en l’absence de mon assistante émérite. Sonia est partie en voyage avec Nema et le boy-friend de celle-ci, un certain Charles-Henri (dont le papa est "comte", waouh, c'est lui qui paie).
Sonia a dégoté une croisière et trekking en promo au Spitzberg, avec rencontre des ours blancs… Des paysages superbes mais un froid de canard. Sonia rattrape sa bévue de 2021 quand, distraite, elle avait réservé en Croatie une quinzaine dans un hôtel nudiste… Très pudique, Nema avait tellement hurlé que Sonia s’était du coup retrouvée habillée pour l’hiver, situation paradoxale dans un camp naturiste 😃.
OK, une vanne un peu foireuse en forme d'oxymore ne nuit pas… Au deblocnot, on part en guerre contre la morosité universelle lors de l’écoute des infos, citons : l’assassinat d’adolescents comme nouveau sport tragique, les taxes douanières du gros dingue, les controverses à caractères sexuelles qui défilent à la queue-leu-leu… (Heuu Non, là je ne l’ai pas fait exprès). Donc de la douce musique pour piano pour égayer notre psychisme ! Et la talentueuse, ravissante et virtuose Alice Sara Ott fait son entrée au Blog 😊.
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John Field (1782-1837) |
Première chronique officielle consacrée au compositeur irlandais John Field, un contemporain de Beethoven.
Il y a quelques semaines, en février, je profitais d’un article dédié aux impromptus de Schubert pour faire un état des lieux des diverses formes de pièces pour piano solo : des préludes aux ballades en passant par les polonaises, etc. Je dénombrais une liste sans doute non exhaustive de huit types de pièce. Et dans cette liste je précisais que nous devions la naissance du Nocturne à un compositeur mal connu, John Field. Ledit Nocturne ayant inspiré principalement Chopin et Gabriel Fauré par la suite.
Commençons par quelques éléments biographiques. John Field voit le jour à Dublin en 1782. Son père violoniste de métier dans les théâtres veille à son éducation générale et musicale, aidé en cela par Tommaso Giordani, un compositeur italien actif en Angleterre et en Irlande (1730-1806). Compositeur prolixe, Giordani n'est pas oublié, on peut écouter des gravures de sa musique de chambre et d'opéras.
En 1793, la famille Field s'installe à Londres où le petit John se perfectionne auprès d'une célébrité de l'époque, Muzio Clementi, compositeur dont des sonates ont pu être écoutées sous les doigts de Horowitz (Clic). En 1795, l'adolescent de 13 ans, interprète un concerto de Jan Ladislav Dussek devant un Joseph Haydn admiratif 😲 !
En dehors de ses propres activités musicales et pédagogiques, Clementi, assisté de son jeune élève, fait profession d'éditeur ; les partitions de Beethoven notamment, une édition imparfaite donc plus en usage, puis dès 1801 celles de John. Pour ses seize ans, John Field crée son concerto N°1 H27 en 1799.
Clementi, toujours en association avec John Field acquiert en 1798 une fabrique de pianos : la société Longman et Broderip. En 1802, la vie des deux acolytes prend un tournant…
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Muzio Clementi (1752-1832) |
L'été 1802 Clémenti et Field partent de concert (non comme pianistes mais comme VRP 😊) pour Paris pour promouvoir et vendre leurs pianos forte. L'instrument a définitivement supplanté le clavecin depuis Mozart. (Le piano moderne lui succédera grâce à Pleyel et Erard à partir de 1820). Les affaires conclues, isl se rendent à Vienne. Field revoit Haydn et rencontre Beethoven qui le félicite pour son talent. Il profite de ce séjour pour perfectionner sa maîtrise du contrepoint auprès du théoricien et compositeur Johann Georg Albrechtsberger. (Auteur de concertos pour guimbarde - appelée aussi harpe juive et mandora, une espèce de mandoline – curiosités à vous faire écouter, car très amusantes.) Les deux homme prennent le chemin de Saint-Pétersbourg début 1803. Clémenti part en juin pour Londres mais Field s'est vu proposé un poste de professeur et s'installe en Russie de manière presque définitive. Il bourlingue pour donner des concerts entre les états baltes, Moscou, etc.
En 1810, il convole en justes noces avec une de ses élèves pianistes, Adélaïde Percheron. Hasard sémantique poilant digne de Pierre Dac, Field a la réputation d'être un cavaleur 😊. Il aura même un fils illégitime : Léon Charpentier qui deviendra un chanteur réputé ; l'honneur est sauf grâce à la naissance d'Adrien, légitime celui-là, et futur pianiste. Adélaïde et John ne se sépareront qu'en 1821, il semble que l'homme menait une vie extravagante, il faut dire… D'ailleurs à partir de cette rupture, devenu riche, il espace ses prestations et, pendant la décennie 1820, sa santé se dégrade minée par ses excès. Un cancer se déclare en 1831, mais des chirurgiens de Londres freinent la maladie !
La fin de la vie de Field, maladie ou pas est à l'image de sa vie : un éternel voyage : Londres, Paris, Naples (où il continue de combattre la maladie) et enfin Moscou où il sera emporté par une pneumonie en 1837 ; son dernier concert datait de 1836. Amateur de bon mot, un témoin fiable lui prête un ultime jeu de mot "Je ne suis pas calviniste, mais claveciniste".
Ces pérégrinations lui permettront de collaborer avec l'élite du clavier de l'époque : Carl Czerny, Mendelssohn, Hummel, Moscheles. Il était l'un des porteurs du cercueil de Clémenti lors des funérailles de son mentor en 1832…
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Cecil Hopkinson |
La production de John Field semble modeste, ce qui n'est aucunement surprenant à la lecture de la biographie de cet artiste aux activités éclectiques et au comportement intrépide. En ce début du XIXème siècle, les voyages sont encore longs.
Le catalogue établi en 1961 par le musicologue Cecil Hopkinson (1898-1977) répertorie 47 compositions, dont quelques-unes posthumes… Chaque référence notée H peut comprendre une œuvre et ses variantes ou un cycle de pièces. Exemple, H 8 (ex opus 1) réunit les 3 premières sonates pour piano de 1801. La datation des publications et créations est incertaine.
John Field innove. En ces débuts du romantisme, il cherche d'autres voies pour ordonnancer ses compositions. Les sonates et leur organisation par thèmes itératifs, ou encore l'inspiration mélodique puisée dans les thèmes et rythmes de danses galantes ou populaires, tout cet académisme ne l'attire guère malgré sa variété. Le formalisme rigoureux du classicisme serait-il un frein à l'éclosion du romantisme en musique ? Schubert et Beethoven n'ont pas encore constitué leur répertoire d'œuvres inspirées de la littérature, des poèmes comme ceux de Goethe ou de Schiller. À cette problématique, Schubert répondra par l'art lyrique et ses centaines de Lieder poignants.
Dans cet état d'esprit John imagine un modèle qui prendra le non de nocturne. Nocturne évoque le rêve, la magie… La mélodie, en pratique jouée par la main droite, suivra une ligne fluctuante mais cohérente sur le plan du solfège. La main gauche imposera le rythme du récit par une cadence de motifs arpégés d'une tendre légèreté. Un arpège simple dont la tessiture trouve ses limites dans l'accord qui l’inspire. Ainsi, la nuance implicitement resserrée n'engendre aucune rudesse dans l'accompagnement. La pièce, ainsi libérée des contraintes des reprises et développements, se déploie tel un poème sans paroles ; à chaque mélomane d'imaginer les émotions ou images qui pourront se succéder dans sa psyché. Par sa construction, le nocturne est l'antithèse du menuet et du scherzo de forme ABABCDABAB, pour les plus simples 😊.
On pourra distinguer néanmoins une architecture ternaire ABA dans le sens où, même si l'écriture de l'introduction et de la conclusion échappe à une répétition de type da capo, la partie centrale B adopte une durée courte et un tempo plus volontaire . Un contraste sans excès mais qui égaille la pièce ; un nocturne doit émouvoir et n'être en rien soporifique.
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Alice Sara Ott (1988 -) |
Les enregistrements de ce cycle de nocturnes sont légion et semblent l'apanage de pianistes en début de carrière ; sans doute pour s'évader de l'univers de Chopin, Schubert et d'autres pour lesquels le catalogue est saturé des gravures des virtuoses historiques. Mon choix s'est porté sur le disque de Alice Sara Ott lors d'une écoute sélective des vidéos YouTube ou Deezer, la légèreté du touché, l'espièglerie du jeu, une prise de son cristalline…
Alice Sara Ott naît à Munich en 1988 d'une mère pianiste d'origine japonaise et d'un père ingénieur allemand. Dès ses trois ans, la fillette sait qu'elle deviendra pianiste et remporte un premier prix à cinq. À douze ans, elle suit les cours de Karl-Heinz Kämmerling, professeur de renom au Mozarteum de Salzbourg. Elle engrange de nombreux prix lors de participations à des concours internationaux : Vittoria Caffa Rhigetti, Karl Lang à Munich en 2001, Hamamatsu en 2002 et la Pianello Val Tidone Competition en 2004. À seize ans, c'est la plus jeune lauréate de l'histoire de ce concours…
L'année de ses 19 ans, Alice Sara Ott remplace au pied levé la virtuose russe Elena Bashkirova dans un récital comprenant les terriblement difficiles Études d'exécution transcendante de Liszt. Son interprétation remarquable est immédiatement publiée par le label de prestige Deutsch Gramophon avec lequel elle est depuis en contrat et a déjà publié huit albums dont celui de ce jour…
En 2019, la jeune femme annonce être atteinte de sclérose en plaque. La même malédiction que la légendaire violoncelliste Jacqueline du Pré vient de frapper 😥 ! Certes les traitements ont sans doute progressé et les formes de cette affection sont variées… Souhaitons à Alice Sara de poursuivre le plus longtemps possible sa si belle carrière internationale. Il semble que cela soit le cas à consulter les programmes prévus pour les saisons 2025 et 2026... Field au TCE en Janvier 2026.
Petit nota sur sa personnalité enjouée. La pianiste allie le talent à la séduction vestimentaire comme sa consœur Yuja Wang, mais, différence insolite, elle joue pieds nus ! Inversement, Yuja et ses 1,55 m a dû adopter des chaussures à très hauts talons aiguilles pour atteindre les pédales, la pointe des talons servant de pivot… Elle joue en faisant les pointes ! (vérifié.)
- Non Pat, on ne va pas scier les pieds du piano de Yuja comme Gould faisait avec sa chaise, les prix d'une chaise ou d'un Steinway ne sont pas les mêmes…
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Virtuose, eurasienne et tenue relaxe |
Je n'analyse pas ces jolies pièces qui invitent à la rêverie, la sensualité, la nostalgie, la malice…
Juste un exemple : le Nocturne N°4 (Partition). Comme ses camarades, il dure un peu plus de quatre minutes. Field ne joue pas sur des thèmes qui n'existent pas mais des changements de climat. L'introduction suggère une ballade, plusieurs trilles apportent l'humour attendu à la lecture de la biographie de l'excentrique compositeur. Alice Sara magnifie cette poésie par une habile rivalité main gauche - main droite, un jeu mélodiquement très détaillé… [1:09] L'atmosphère se veut plus rythmée. [1:51] La partie centrale, comme l'imaginait Field est notée crescendo et adopte un tempo plus allant voire épique. [2:34] La pièce prendra un ton quasi tragique avant de conclure dans une intime douceur….
1. No. 1 en mi bémol Majeur, H. 24 2. No. 2 en Ut Mineur, H. 25 3. No. 3 en la bémol Majeur, H. 26 4. No. 4 en la Majeur, H. 36 5. No. 5 en si bémol Majeur, H. 37 6. No. 6 en fa Majeur, H. 40 "Berceuse" 7. No. 7 en la Majeur, H. 14 8. No. 8 en mi bémol Majeur, H. 30 9. No. 9 en mi Mineur, H. 46 10. No. 10 en mi Majeur, H. 54 "Nocturne Pastorale" 11. No. 11 en mi bémol Majeur, H. 56 12. No. 12 en mi Majeur, H. 13 "Nocturne de midi" 13. No. 13 en Ut Majeur, H. 45 "Rêverie-Nocturne" 14. No. 14 en sol Majeur, H. 58 15. No. 15 en Ré Mineur, H. 59 "Mélodie sans parole" 16. No. 16 en Ut Majeur, H. 60 17. No. 17 en Ut Majeur, H. 61 18. No. 18 en fa Majeur, H. 62
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Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée. Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…
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INFO : Pour les vidéos ci-dessous, sous réserve d'une écoute directement sur la page web de la chronique… la lecture a lieu en continu sans publicité 😃 Cool. |
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