lundi 17 avril 2023

Jan Ladislav DUSSEK – Concertos pour piano Op. 22/49 (1793/1801) - Andreas STAIER (2011) – par Claude Toon


- Oh oh Claude, un autre Dussek, un frère, un fils, un cousin, un clone ? Vers 1763, un autre copain de Haydn, Mozart, Beethoven ?

- Un clone Sonia ? Jan Ladislav n'a aucun lien de famille avec Xaver-Františekn, même si les deux musiciens étaient originaires de Bohème. Xaver-Františekn a eu l'honneur de ce noble blog en 2022 pour un carré de symphonies classiques. Un clone… Tu confonds avec Dolly la brebis… Cela dit même période tous les deux comme les compositeurs cités…

- C'est par association patronimique que tu as eu l'idée de ce billet ?

- Waouh, drôlement chic la formulation ! Oui, mais pas uniquement… Il y a peu, dans la chronique consacrée aux sonates de Muzio Clementi l'italo-anglais, je recommandais un album du pianiste et maestro Andreas Staier… Deux idées en une…

- Le concerto Köln est un célèbre orchestre baroque… Nous l'avons entendu dans des symphonies de Anton Eberl et Johann Baptist Vanhal, deux petits maîtres de l'époque classique… Un orchestre qui joue sur instruments d'époque…

- Exact Sonia, tout comme Andreas Staier qui recourt à un piano Hammerflügel de 1806.


Jan Ladislav Dussek
XXX

Jan Ladislav Dussek n'est pas le premier musicien à avoir parcouru l'Europe de long en large en cette fin du siècle des lumières et pendant les premières années du romantisme.

Mais là, on atteint des prouesses en termes d'allers et venues dignes d'une épreuve Ironman, en moins physique certes. D'autant que, né en 1760 en Bohème Dussek s'éteindra en 1812 (52 ans seulement) à Saint-Germain en Laye, victime d'obésité morbide comme le violoniste Ignaz Schuppanzigh évoqué dans la chronique présentant le 8ème quatuor de Beethoven (Clic). Ajoutons la goutte au tableau clinique douloureux de ce musicien un peu oublié, il faut l'avouer. À juste titre ? Non, comme souvent.

Jan Ladislav nait en 1760, soit quatre ans après Mozart et près d'une génération le sépare de son homonyme Xaver-Františekn né en 1731. Le baroque tardif se termine à la mort de Bach en 1750. Lui succède la période dite classique qui à son tour laissera la place au romantisme, prolongement musical des courants littéraires et philosophiques du siècle des lumières. La pierre fondatrice de ce courant du XIXème siècle est posée lors de la création de la fougueuse symphonie héroïque de Beethoven en 1805. Ce qui n'empêchera en rien le style classique nourri de musique pure de perdurer plusieurs décennies. En art, les styles ne changent jamais à une date et à une heure précise contrairement à l'application des taxes en tout genre 😊.

La jeunesse de Jan Ladislav rappelle en termes d'éducation et de précocité celle de Muzio Clementi, dont un billet récent proposait des sonates pour clavier par Horowitz (Clic). Issu d'une famille de musiciens dont le père est un organiste réputé, le gamin joue du piano à cinq ans, de l'orgue à neuf et compose une messe à treize !

En 1778, l'adolescent assure déjà son métier de concertiste à La Haye où il publie ses premières partitions. Il file à Hambourg suivre les cours de C.P.E. Bach pendant une saison. On le retrouve en 1783 séjournant à Saint-Pétersbourg à la cour de la Tsarine Catherine. Il doit fuir, accusé d'avoir comploter pour faire assassiner Catherine… (Une histoire pour le moins étrange de bague qui n'étant pas la sienne mais celle d'un comploteur… bref, un imbroglio qui aurait plu à Alexandre DumasVolume I


Harmonica de Verre de Franklin

Plutôt qu'aller visiter les geôles de Sibérie, Jan Ladislav s'installe un an en Lituanie au service du prince Antoni Radziwiłł. Il brille comme pianiste mais aussi comme virtuose de l'Harmonica de verre, une invention aux timbres éthérées de Benjamin Franklin qui amusait les musiciens professionnels ou non de l'époque, Marie-Antoinette par exemple. Ô juste un an car Jan Ladislav semble avoir séduit avec fougue la princesse de Thurn und Taxis, l'épouse de son protecteur… (Dumas, volume II)

Il se réfugie en 1786 à Paris après des passages par Berlin, Mayence, Cassel, Francfort ! Arrivé dans la Capitale, il rencontre le critique Hyppolite Toon* qui lui propose de devenir le professeur de la pianiste et compositrice Hélène de Montgeroult. Le compositeur pianiste avait mis à profit son périple germanique pour soigner sa célébrité. Il devient intime de la reine Marie-Antoinette. (Dumas, volume III ? Je ne sais pas). Malgré l'opposition de la reine, Jan Ladislav part en 1788 effectuer une tournée en Italie où il fait un tabac, notamment à MilanDussek souhaitait revoir son frère Franz. On peut lire que pendant cette période parisienne, Dussek aurait accompagné Napoléon Bonaparte, violoniste amateur à ses heures, et composé trois sonates pour violon dédiée à Eugénie de Beaumarchais, fille de l'auteur de Le Barbier de Séville.

Retour à Paris début 1789… La date officielle du début de la Révolution est le 5 mai, ça craint. Jan Ladislav plie bagage pour Londres… Par tous ces départs précipités, le bonhomme prête le flanc à maints ragots, Image point de vue du siècle des lumières.


Piano Hammerflügel de 1801

A-t-il traversé la Manche pour échapper aux violences révolutionnaires ou un contrat avait-il déjà été signé pour venir travailler à Londres ? Autre conjecture rocambolesque : notre compositeur atteint de donjuanisme entraina-t-il dans son sillage Anne-Marie Krumpholtz, harpiste de profession et épouse de Jean-Baptiste Krumpholtz, compositeur et harpiste (1742-1790) qui se jeta dans la Seine, ravagé de chagrin… (Dumas, Volume IV) ; la noyade a été confirmée, l'adultère comme cause du suicide un peu moins ; la demoiselle, plus jeune de quinze ans que son professeur-mari, étant présente à Londres dès 1788 semble-t-il, mais seule ou avec qui ? Rockin' est aux anges, il raffole de ces récits libertins !

Il s'installe à Londres jusqu'en 1799. Sagement ? Non ! Jan Ladislav devient la coqueluche pédagogique londonienne en concurrence avec John Cramer. Les élèves se bousculent, l'argent rentre à flot. En 1791, il épouse Sophia Corri, chanteuse et harpiste. Une gamine naîtra, Olivia, mais les deux époux ayant chacun une vie sexuelle débridée en parallèle, le couple est fragile. Pour clore sur ce sujet, le mariage battra de l'aile fréquemment. Entre ces péripéties, il donne des concerts, notamment avec Joseph Haydn lors du passage de celui-ci en 1791-1792. Evidemment il participe au Concerts Solomon (Clic) en compagnie de Viotti, Clementi, Cramer et Dragonetti.

Le virtuose se lance dans les affaires, inaugure les pianos modernes de John Broadwood. Il fonde une maison d'édition avec son beau-père mais fait faillite ! Il fuit ses créanciers et la prison vers Hambourg en 1799, abandonnant Sophia et la petite Olivia. Corri et le librettiste de Mozart da Ponte, qui avait financé le projet, finissent ruinés derrière les barreaux (Dumas, Volume V.) Pas très moral tout ça 😠.

En Allemagne, il bourlingue comme virtuose, fascinant le public. Il fut le premier à positionner le piano de côté pour que le public voit "Son beau profil" 😄. Il se lie d'amitié un temps avec le Prince Ferdinand de Prusse qui hélas ne survit pas à la bataille de Saalfeld de 1806 face aux armées napoléoniennes commandées par le Maréchal Lannes. En 1807, la France a pansé ses plaies révolutionnaires et Napoléon règne comme Empereur. Son amitié avec Marie-Antoinette est oubliée et Jan Ladislav peut revenir à Paris au service de Talleyrand. Il découvre les pianos modernes Erard. Devenu obèse, peu séduisant et poivrot, il meurt à Saint-Germain-en-Laye en 1812. (Dumas, Volume VI, à paraître.)


Sophia Corri

- Tu vois Sonia, ça serait un super sujet pour une mini-série historique et musicale à la TV. Une saga dans cette Europe qui connait ses plus grands bouleversements politiques et artistiques…

- Pas bête… avec toi dans le rôle (*) d'Hyppolite Toon… La seule blague de toute cette incroyable destinée… Dis donc, il avait le temps de composer l'épicurien chaud-lapin ?

Pour répondre à Sonia, oui la production de Jan Ladislav Dussek est imposante. Il existe deux catalogues dont un de type Opus, disons… foutraque. Les compositions ont été publiées par nombre d'éditeurs différents au gré de son parcours tumultueux de ville en ville. Dans ce fouillis inextricable, le musicologue Howard Craw (1917-2003), natif du Nebraska, a établi en 1964 un index qui porte son nom et comporte 287 références. (Ainsi le concerto opus 22 est étiquetée C. 97 ou Craw 97.) Il a recensé des partitions perdues et d'autres d'authenticité douteuse.

L'œuvre de Jan Ladislav comprend treize concertos d'origine certaine, 6 concertos pour harpe, des dizaines de sonates pour clavier et autres pièces diverses pour cet instrument et onze cahiers de leçons progressives. L'art Lyrique et la musique symphonique n'ont a priori jamais passionné le compositeur à l'âge adulte.

~~~~~~~~~~~~~~~~~

 

Le claveciniste et pianiste allemand Andreas Staeir né en 1955 est l'une des figures marquantes des artistes de la génération suivant celle de Gustav Leonhardt et autres claviéristes nous ayant fait redécouvrir le clavecin et le piano forte, non pas comme un ancêtre du piano moderne, mais comme un instrument bien spécifique par ses sonorités étincelantes, et surtout, bénéficiant d'un répertoire propre à son époque, répertoire dont l'interprétation sur un piano de concert ne se révèle pas toujours adaptée… sauf par des artistes inspirés. (Scarlatti par Scott Ross vs Horowitz, etc.).


Andreas Staier (1955 -)
XX

Andreas Staeir après une solide formation sur tout type d'instrument à clavier, a connu une carrière d'exception, soit comme soliste et accompagnateur, soit comme membre d'ensembles baroques prestigieux que sont le Concerto Köln, le Freiburg Barockorchester, l'Akademie für Alte Musik Berlin et l'Orchestre des Champs-Elysées de Paris.

Son répertoire s'étend du XVIIème au XIXéme siècles. La particularité de l'artiste est de chercher la meilleure adéquation sonore possible entre l'instrument qu'il utilise et la musique qu'il joue. Les clavecins et, même si utilisés pendant la courte période classique, le piano forte, ont tous une personnalité et une palette de timbres beaucoup plus marquées que les pianos modernes à la conception très normalisée.

À cette fin perfectionniste (sa discographie témoigne du bien fondé de la démarche), Andreas Staeir possède plusieurs instruments mythiques : un piano Walter contemporain de Mozart, un piano original de Conrad Graf de 1827, un Broadwood de 1804 (que nous allons entendre dans les concertos de Dussek), et enfin il utilise parfois l'un des premiers pianos modernes, un Érard de 1837.

Du baroque primitif de William Byrd au néo-classicisme de Brahms en passant par Bach et Schumann, sans compter une pléthore de compositeurs moins célèbres, Andreas Staeir a proposé au fil du temps une discographie d'une centaine d'albums ou coffrets.

~~~~~~~~~~~~~~~~~


Domenico Corri

Concerto N°5 Opus 22 – C. 97 en si bémol majeur (1793)

1793, la période londonienne de Dussek, deux ans après la disparition de Mozart qui avait donné ses lettres de noblesse au concerto pour piano, leur ampleur et leur profondeur psychologique, et cela avec le cycle des N° 14 à 27 composé entre 1784 et 1791. Sur le plan formel, on remarque que l'orchestration, tant celle de Dussek que celle de Mozart reste de facture classique donc modeste. (La petite harmonie avec clarinettes parmi huit instruments 2/2/2/2 apparaîtra avec les douze dernières symphonies de Haydn et les concertos et symphonies de Beethoven.). Pour l'opus 22 : 2 flutes, 2 hautbois, 2 cors, les cordes et le piano forte soliste. L'ouvrage comprend trois mouvements :

1 - Allegro non troppo : Dussek supprime l'introduction adagio chère au style du temps. L'introduction flirte avec le style divertimento. Une mélodie légère très colorée, même peu nombreux, les vents sont joyeusement sollicités. [1:49] Après quelques accords syncopés agrestes qui marquent son entrée, le piano enchaîne sur une thématique héritée de l'introduction. Aucune métaphysique mais une galanterie fort plaisante. Andreas Staier et le Concerto Köln accentuent l'élégance du propos.

2 - Larghetto non tanto : Le mouvement lent contraste par sa mélancolie avec l'allegro. Cordes et piano entonnent une complainte à la tonalité indécise. Un violoncelle interviendra avec discrétion pour ne pas rompre le songe. On ne peut pas nier une certaine facilité d'écriture, mais la poésie s'impose. [4:30] Une cadence élégiaque, évoluant vers un développement tempétueux, rompt la monotonie du mouvement… Très curieusement cette cadence se prolongera jusqu'à l'enchaînement avec le rondo, sans reprise orchestrale.

3 - [Rondo.] Allegro non tanto : La conclusion joue la carte de la fantaisie, avec quelques traits ludiques opposés à des phrases plus sereines.


Prince Ferdinand de Prusse

Concerto N°12 Opus 49 – C. 187 en sol mineur (1801)

La composition de ce concerto après sa fuite en Allemagne de 1799 pour banqueroute est contemporaine de la publication chez Hoffmeister des deux premiers concertos de Beethoven, composés dans les années 1794-95, presque simultanément, quoique leur numérotation soit inversée.

Il est par ses dimensions et sa puissance nettement plus ambitieux que le N°5 de 1793. Son orchestration est celle de l'orchestre romantique à ses débuts : 2 flutes, 2 clarinettes, 2 bassons, 2 cors, 2 trompettes, timbales et cordes… (Pas de hautbois ?!) Le concerto fut dédicacé à Monsieur et Madame Louis Vidal de Hambourg, édité chez Erard dès 1801, par Clementi à Londres et Breitkopf & Härtel à Leipzig en 1803. Il comporte trois mouvements.

 

1 - Allegro ma espressivo : si l'appartenance au classicisme du 5ème concerto de 1793 ne fait guère de doute, il n'est pas de même pour le N°12 dès l'écoute de l'imposant allegro de seize minutes. Terminé l'introduction méditative et mozartienne classique, à l'opposé de Beethoven pour ses deux premiers concertos, Dussek joue sur deux tableaux expressifs en présentant 25 mesures de motifs sereins esquissés p par les cordes rejointes par flûtes et bassons ; une poétique et ondoyante mélopée dont la mesure ¾ fera penser à un pas de valse. [0:37] Inattendue, une exposition tumultueuse ff succède au calme. Des introductions au ton aussi symphonique et à plusieurs thèmes contrastés sont une nouveauté pour l'époque par leur puissance, style qui préfigure le romantisme et ses excès enfiévrés. L'écriture concertante montre un talent d'orchestrateur que certains comparent à la grandeur olympienne de l'Empereur de Beethoven de 1809.

Andreas Staier en 2010 (cool le pull)
XXX

XXX

[2:44] Le piano fait son entrée ff suite à ces tumultes par deux groupes de puissants accords staccatos encadrant un vertigineux et rageur arpège. Cette première cellule thématique est reprise in extenso. Le second groupe thématique se veut plus bonhomme. Le développement alterne climat galant et solennité. Seul Beethoven a déjà atteint de tels déferlements. Rien de surprenant que Andreas Staeir ait voulu interpréter cet opus sur un robuste instrument Broadwood. L'écriture est complexe. Nombre de commentateurs s'interrogent, et moi le premier, à propos des obscures raisons qui ne permettent pas l'entrée de ce concerto "héroïque" dans le grand répertoire à côté de ceux de Ludwig van. La coda assagit le propos de manière folklorique et malicieuse, avec une pincée de virilité grâce aux traits saillants des cordes, puis l'allegro se conclut par une citation de la poétique introduction ponctuée enfin par un… coup de timbale en guise de point d'orgue…

2 - Adagio : L'introduction de l'adagio est réservée à l'orchestre : quelques mesures de cordes en sourdine puis un premier motif aux bois et cors, tout ce groupe thématique est exposé cantabile pp, en adoptant un rythme légèrement processionnaire. [1:07] Le piano déroule une mélodie nocturne émaillée de trilles (La sonorité métallique du piano forte est perceptible). L'orchestre l'encadre d'un chant spiritualisant. [1:26] le propos s'anime avec alacrité, un air de marche s'imposant. Cette animation inattendue contrastant avec les premières mesures se prolonge plutôt guilleret jusqu'à un passage farouche. [5:02] Le jeu du piano se dramatise par des accords plaqués avec véhémence. [5:54] La conclusion bondissante avec allégresse mais sans brutalité surprend par son originalité. La forme tripartite peu usuel du mouvement lent est nettement marquée dans cet émouvant et voluptueux adagio qui s'achève avec des appels de cors insolites.

3 - Rondo. Allegro non troppo : Une petite marche de soldats de plomb va parcourir le vaillant rondo. La composition adopte un style fantasque et vigoureux, encore une trouvaille dans un final, souvent le parent un peu pauvre des concertos de l'époque classique.

Nota : on ne le remarque pas forcément dès la première écoute, mais Dussek n'a prévu aucune cadence dans les trois mouvements. Encore une curiosité qui pourrait frustrer les virtuoses improvisateurs… (Partition)


Concerto N°5 Opus 22 – C. 97

Concerto N°12 Opus 49 – C. 187

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire