- Oh oh Claude, un autre Dussek, un frère, un fils, un cousin, un clone
? Vers 1763, un autre copain de Haydn, Mozart, Beethoven ?
- Un clone Sonia ? Jan Ladislav n'a aucun lien de famille avec Xaver-Františekn, même si les deux musiciens étaient originaires de Bohème. Xaver-Františekn a eu l'honneur de ce noble blog en 2022 pour un carré de symphonies classiques. Un clone… Tu confonds avec Dolly la brebis… Cela dit même période tous les deux comme les compositeurs cités…
- C'est par association patronimique que tu as eu l'idée de ce billet ?
- Waouh, drôlement chic la formulation ! Oui, mais pas uniquement… Il y a peu, dans la chronique consacrée aux sonates de Muzio Clementi l'italo-anglais, je recommandais un album du pianiste et maestro Andreas Staier… Deux idées en une…
- Le concerto Köln est un célèbre orchestre baroque… Nous l'avons entendu dans des symphonies de Anton Eberl et Johann Baptist Vanhal, deux petits maîtres de l'époque classique… Un orchestre qui joue sur instruments d'époque…
- Exact Sonia, tout comme Andreas Staier qui recourt à un piano Hammerflügel de 1806.
Jan Ladislav Dussek XXX |
Jan Ladislav Dussek
n'est pas le premier musicien à avoir parcouru l'Europe de long en large en
cette fin du siècle des lumières et pendant les premières années du
romantisme.
Mais là, on atteint des prouesses en termes d'allers et venues dignes d'une
épreuve Ironman, en moins physique certes. D'autant que, né en
1760 en Bohème
Dussek
s'éteindra en 1812 (52 ans seulement) à Saint-Germain en Laye,
victime d'obésité morbide comme le violoniste
Ignaz Schuppanzigh
évoqué dans la chronique présentant le
8ème quatuor
de
Beethoven
(Clic). Ajoutons la goutte au tableau clinique douloureux de ce musicien un peu
oublié, il faut l'avouer. À juste titre ? Non, comme souvent.
Jan Ladislav nait en 1760, soit quatre ans après Mozart et près d'une génération le sépare de son homonyme Xaver-Františekn né en 1731. Le baroque tardif se termine à la mort de Bach en 1750. Lui succède la période dite classique qui à son tour laissera la place au romantisme, prolongement musical des courants littéraires et philosophiques du siècle des lumières. La pierre fondatrice de ce courant du XIXème siècle est posée lors de la création de la fougueuse symphonie héroïque de Beethoven en 1805. Ce qui n'empêchera en rien le style classique nourri de musique pure de perdurer plusieurs décennies. En art, les styles ne changent jamais à une date et à une heure précise contrairement à l'application des taxes en tout genre 😊.
La jeunesse de Jan Ladislav rappelle en termes d'éducation et de précocité celle de Muzio Clementi, dont un billet récent proposait des sonates pour clavier par Horowitz (Clic). Issu d'une famille de musiciens dont le père est un organiste réputé, le gamin joue du piano à cinq ans, de l'orgue à neuf et compose une messe à treize !
En 1778, l'adolescent assure déjà son métier de concertiste à La Haye où il publie ses premières partitions. Il file à Hambourg suivre les cours de C.P.E. Bach pendant une saison. On le retrouve en 1783 séjournant à Saint-Pétersbourg à la cour de la Tsarine Catherine. Il doit fuir, accusé d'avoir comploter pour faire assassiner Catherine… (Une histoire pour le moins étrange de bague qui n'étant pas la sienne mais celle d'un comploteur… bref, un imbroglio qui aurait plu à Alexandre Dumas… Volume I)
Harmonica de Verre de Franklin |
Plutôt qu'aller visiter les geôles de Sibérie,
Jan Ladislav
s'installe un an en Lituanie au
service du prince Antoni Radziwiłł. Il brille comme pianiste mais
aussi comme virtuose de l'Harmonica de verre, une invention aux
timbres éthérées de Benjamin Franklin qui amusait les musiciens
professionnels ou non de l'époque, Marie-Antoinette par exemple. Ô
juste un an car
Jan Ladislav
semble avoir séduit avec fougue la princesse de Thurn und Taxis,
l'épouse de son protecteur… (Dumas,
volume II)
Il se réfugie en 1786 à Paris après des passages par Berlin, Mayence, Cassel, Francfort ! Arrivé dans la Capitale, il rencontre le critique Hyppolite Toon*
qui lui propose de devenir le professeur de la pianiste et compositrice Hélène de Montgeroult. Le compositeur pianiste avait mis à profit son périple germanique pour
soigner sa célébrité. Il devient intime de la reine Marie-Antoinette. (Dumas, volume III ? Je ne sais pas). Malgré l'opposition de la reine, Jan Ladislav part en 1788 effectuer une tournée en Italie où il fait un tabac, notamment à Milan où Dussek souhaitait revoir son frère Franz. On peut lire que pendant cette période parisienne, Dussek aurait accompagné Napoléon Bonaparte, violoniste amateur à ses heures, et composé trois sonates pour violon
dédiée à Eugénie de Beaumarchais, fille de l'auteur de Le Barbier de Séville.
Retour à Paris début 1789… La date officielle du début de la Révolution est le 5 mai, ça craint. Jan Ladislav plie bagage pour Londres… Par tous ces départs précipités, le bonhomme prête le flanc à maints ragots, Image point de vue du siècle des lumières.
Piano Hammerflügel de 1801 |
A-t-il traversé la Manche pour échapper aux violences révolutionnaires ou
un contrat avait-il déjà été signé pour venir travailler à Londres
? Autre conjecture rocambolesque : notre compositeur atteint de
donjuanisme entraina-t-il dans son sillage Anne-Marie Krumpholtz, harpiste de profession et épouse de Jean-Baptiste Krumpholtz, compositeur et harpiste (1742-1790) qui se jeta dans la Seine, ravagé de chagrin… (Dumas, Volume IV) ; la noyade a été confirmée, l'adultère comme cause du suicide un peu
moins ; la demoiselle, plus jeune de quinze ans que son professeur-mari,
étant présente à Londres dès 1788
semble-t-il, mais seule ou avec qui ? Rockin' est aux anges, il raffole de
ces récits libertins !
Il s'installe à
Londres jusqu'en 1799.
Sagement ? Non !
Jan Ladislav
devient la coqueluche pédagogique londonienne en concurrence avec
John Cramer. Les élèves se bousculent, l'argent rentre à flot. En 1791, il
épouse
Sophia Corri, chanteuse et harpiste. Une gamine naîtra, Olivia, mais les deux
époux ayant chacun une vie sexuelle débridée en parallèle, le couple est
fragile. Pour clore sur ce sujet, le mariage battra de l'aile fréquemment.
Entre ces péripéties, il donne des concerts, notamment avec
Joseph Haydn
lors du passage de celui-ci en 1791-1792. Evidemment il participe au
Concerts Solomon
(Clic) en compagnie de
Viotti,
Clementi,
Cramer
et
Dragonetti.
Le virtuose se lance dans les affaires, inaugure les pianos modernes de
John Broadwood. Il fonde une maison d'édition avec son beau-père mais
fait faillite ! Il fuit ses créanciers et la prison vers
Hambourg en 1799,
abandonnant
Sophia
et la petite Olivia. Corri et le librettiste de
Mozart
da Ponte, qui avait financé le projet, finissent ruinés derrière les
barreaux (Dumas, Volume V.) Pas
très moral tout ça 😠.
En Allemagne, il bourlingue comme virtuose, fascinant le public. Il fut le premier à positionner le piano de côté pour que le public voit "Son beau profil" 😄. Il se lie d'amitié un temps avec le Prince Ferdinand de Prusse qui hélas ne survit pas à la bataille de Saalfeld de 1806 face aux armées napoléoniennes commandées par le Maréchal Lannes. En 1807, la France a pansé ses plaies révolutionnaires et Napoléon règne comme Empereur. Son amitié avec Marie-Antoinette est oubliée et Jan Ladislav peut revenir à Paris au service de Talleyrand. Il découvre les pianos modernes Erard. Devenu obèse, peu séduisant et poivrot, il meurt à Saint-Germain-en-Laye en 1812. (Dumas, Volume VI, à paraître.)
Sophia Corri |
- Tu vois Sonia, ça serait un super sujet pour une mini-série
historique et musicale à la TV. Une saga dans cette Europe qui connait
ses plus grands bouleversements politiques et artistiques…
- Pas bête… avec toi dans le rôle (*) d'Hyppolite Toon… La seule blague de toute cette incroyable destinée… Dis donc, il avait le temps de composer l'épicurien chaud-lapin ?
Pour répondre à Sonia, oui la production de
Jan Ladislav Dussek
est imposante. Il existe deux catalogues dont un de type Opus, disons…
foutraque. Les compositions ont été publiées par nombre d'éditeurs
différents au gré de son parcours tumultueux de ville en ville. Dans ce
fouillis inextricable, le musicologue Howard Craw (1917-2003),
natif du Nebraska, a établi en 1964 un index qui porte son nom et
comporte 287 références. (Ainsi le
concerto opus 22
est étiquetée C. 97 ou Craw 97.) Il a recensé des partitions
perdues et d'autres d'authenticité douteuse.
L'œuvre de Jan Ladislav comprend treize concertos d'origine certaine, 6 concertos pour harpe, des dizaines de sonates pour clavier et autres pièces diverses pour cet instrument et onze cahiers de leçons progressives. L'art Lyrique et la musique symphonique n'ont a priori jamais passionné le compositeur à l'âge adulte.
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Le claveciniste et pianiste allemand
Andreas Staeir
né en 1955 est l'une des figures marquantes des artistes de la
génération suivant celle de
Gustav Leonhardt
et autres claviéristes nous ayant fait redécouvrir le clavecin et le piano
forte, non pas comme un ancêtre du piano moderne, mais comme un instrument
bien spécifique par ses sonorités étincelantes, et surtout, bénéficiant d'un
répertoire propre à son époque, répertoire dont l'interprétation sur un
piano de concert ne se révèle pas toujours adaptée… sauf par des artistes
inspirés. (Scarlatti
par
Scott Ross
vs
Horowitz, etc.).
Andreas Staier (1955 -) XX |
Andreas Staeir
après une solide formation sur tout type d'instrument à clavier, a connu une
carrière d'exception, soit comme soliste et accompagnateur, soit comme
membre d'ensembles baroques prestigieux que sont le
Concerto Köln, le
Freiburg Barockorchester,
l'Akademie für Alte Musik Berlin
et
l'Orchestre des Champs-Elysées
de Paris.
Son répertoire s'étend du XVIIème au XIXéme siècles.
La particularité de l'artiste est de chercher la meilleure adéquation sonore
possible entre l'instrument qu'il utilise et la musique qu'il joue. Les
clavecins et, même si utilisés pendant la courte période classique, le piano
forte, ont tous une personnalité et une palette de timbres beaucoup plus
marquées que les pianos modernes à la conception très normalisée.
À cette fin perfectionniste (sa discographie témoigne du bien fondé de la démarche), Andreas Staeir possède plusieurs instruments mythiques : un piano Walter contemporain de Mozart, un piano original de Conrad Graf de 1827, un Broadwood de 1804 (que nous allons entendre dans les concertos de Dussek), et enfin il utilise parfois l'un des premiers pianos modernes, un Érard de 1837.
Du baroque primitif de William Byrd au néo-classicisme de Brahms en passant par Bach et Schumann, sans compter une pléthore de compositeurs moins célèbres, Andreas Staeir a proposé au fil du temps une discographie d'une centaine d'albums ou coffrets.
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Domenico Corri |
Concerto N°5 Opus 22 – C. 97 en si bémol majeur (1793)
1793, la période londonienne de
Dussek, deux ans après la disparition de
Mozart
qui avait donné ses lettres de noblesse au concerto pour piano, leur ampleur
et leur profondeur psychologique, et cela avec le cycle des
N° 14 à 27
composé entre 1784 et 1791. Sur le plan formel, on remarque
que l'orchestration, tant celle de
Dussek
que celle de
Mozart
reste de facture classique donc modeste. (La petite harmonie avec
clarinettes parmi huit instruments 2/2/2/2 apparaîtra avec les
douze dernières symphonies
de
Haydn
et les
concertos
et
symphonies
de
Beethoven.). Pour l'opus 22
: 2 flutes, 2 hautbois, 2 cors, les cordes et le piano forte soliste.
L'ouvrage comprend trois mouvements :
1 - Allegro non troppo :
Dussek
supprime l'introduction adagio chère au style du temps. L'introduction
flirte avec le style divertimento. Une mélodie légère très colorée, même peu
nombreux, les vents sont joyeusement sollicités. [1:49] Après quelques
accords syncopés agrestes qui marquent son entrée, le piano enchaîne sur une
thématique héritée de l'introduction. Aucune métaphysique mais une
galanterie fort plaisante.
Andreas Staier
et le
Concerto Köln
accentuent l'élégance du propos.
2 - Larghetto non tanto : Le
mouvement lent contraste par sa mélancolie avec l'allegro. Cordes et piano
entonnent une complainte à la tonalité indécise. Un violoncelle interviendra
avec discrétion pour ne pas rompre le songe. On ne peut pas nier une
certaine facilité d'écriture, mais la poésie s'impose. [4:30] Une cadence
élégiaque, évoluant vers un développement tempétueux, rompt la monotonie du
mouvement… Très curieusement cette cadence se prolongera jusqu'à
l'enchaînement avec le rondo, sans reprise orchestrale.
3 - [Rondo.] Allegro non tanto : La conclusion joue la carte de la fantaisie, avec quelques traits ludiques opposés à des phrases plus sereines.
Prince Ferdinand de Prusse |
Concerto N°12 Opus 49 – C. 187 en sol mineur (1801)
La composition de ce concerto après sa fuite en Allemagne de
1799 pour banqueroute est contemporaine de la publication chez
Hoffmeister des deux premiers concertos de
Beethoven, composés dans les années 1794-95, presque simultanément, quoique
leur numérotation soit inversée.
Il est par ses dimensions et sa puissance nettement plus ambitieux que le
N°5
de 1793. Son orchestration est celle de l'orchestre romantique à ses
débuts : 2 flutes, 2 clarinettes, 2 bassons, 2 cors, 2 trompettes,
timbales et cordes… (Pas de hautbois ?!) Le concerto fut dédicacé à
Monsieur et Madame Louis Vidal de
Hambourg, édité chez Erard dès 1801, par
Clementi à Londres et
Breitkopf & Härtel à Leipzig en 1803. Il comporte trois
mouvements.
1 - Allegro ma espressivo : si l'appartenance au classicisme du 5ème concerto de 1793 ne fait guère de doute, il n'est pas de même pour le N°12 dès l'écoute de l'imposant allegro de seize minutes. Terminé l'introduction méditative et mozartienne classique, à l'opposé de Beethoven pour ses deux premiers concertos, Dussek joue sur deux tableaux expressifs en présentant 25 mesures de motifs sereins esquissés p par les cordes rejointes par flûtes et bassons ; une poétique et ondoyante mélopée dont la mesure ¾ fera penser à un pas de valse. [0:37] Inattendue, une exposition tumultueuse ff succède au calme. Des introductions au ton aussi symphonique et à plusieurs thèmes contrastés sont une nouveauté pour l'époque par leur puissance, style qui préfigure le romantisme et ses excès enfiévrés. L'écriture concertante montre un talent d'orchestrateur que certains comparent à la grandeur olympienne de l'Empereur de Beethoven de 1809.
Andreas Staier en 2010 (cool le pull) XXX XXX |
[2:44] Le piano fait son entrée ff suite à ces tumultes par deux
groupes de puissants accords staccatos encadrant un vertigineux et rageur
arpège. Cette première cellule thématique est reprise in extenso. Le
second groupe thématique se veut plus bonhomme. Le développement alterne
climat galant et solennité. Seul Beethoven
a déjà atteint de tels déferlements. Rien de surprenant que Andreas Staeir
ait voulu interpréter cet opus sur un robuste instrument Broadwood.
L'écriture est complexe. Nombre de commentateurs s'interrogent, et moi le
premier, à propos des obscures raisons qui ne permettent pas l'entrée de
ce concerto "héroïque" dans le grand répertoire à côté de ceux de Ludwig van. La coda assagit le propos de manière folklorique et malicieuse, avec
une pincée de virilité grâce aux traits saillants des cordes, puis
l'allegro se conclut par une citation de la poétique introduction ponctuée
enfin par un… coup de timbale en guise de point d'orgue…
2 - Adagio
: L'introduction de l'adagio est réservée à l'orchestre : quelques mesures
de cordes en sourdine puis un premier motif aux bois et cors, tout ce
groupe thématique est exposé cantabile pp, en adoptant un rythme
légèrement processionnaire. [1:07] Le piano déroule une mélodie nocturne
émaillée de trilles (La sonorité métallique du piano forte est
perceptible). L'orchestre l'encadre d'un chant spiritualisant. [1:26] le
propos s'anime avec alacrité, un air de marche s'imposant. Cette animation
inattendue contrastant avec les premières mesures se prolonge plutôt
guilleret jusqu'à un passage farouche. [5:02] Le jeu du piano se dramatise
par des accords plaqués avec véhémence. [5:54] La conclusion bondissante
avec allégresse mais sans brutalité surprend par son originalité. La forme
tripartite peu usuel du mouvement lent est nettement marquée dans cet
émouvant et voluptueux adagio qui s'achève avec des appels de cors
insolites.
3 - Rondo. Allegro non troppo
: Une petite marche de soldats de plomb va parcourir le vaillant rondo. La
composition adopte un style fantasque et vigoureux, encore une trouvaille
dans un final, souvent le parent un peu pauvre des concertos de l'époque
classique.
Nota
: on ne le remarque pas forcément dès la première écoute, mais
Dussek
n'a prévu aucune cadence dans les trois mouvements. Encore une curiosité
qui pourrait frustrer les virtuoses improvisateurs…
(Partition)
Concerto N°5 Opus 22 – C. 97 |
|
Concerto N°12 Opus 49 – C. 187 |
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