LES RÈGLES DE L’ART de Dominique Baumard (2025) par Luc B.
Dominique Baumard, bien que ce soit
là son premier long métrage de fiction à lui tout seul, a déjà
un long CV. Scénariste prolixe, notamment pour ses séries télé (LE BUREAU
DES LÉGENDES), réalisateur de courts, de documentaires,
co-réalisateur de LES MÉCHANTS, le voici qui prend seul la barre de
cette comédie policière.
Et on est frappé dès le premier plan par
l’élégance des images, le souci de l’éclairage, des
mouvements de caméra. Une nuit, dans Paris, un cambrioleur escalade
un immeuble chic, les plans sont d’abord serrés,
énigmatiques, puis une fois le monte-en-l’air sur le toit, filmé
d’encore plus haut, la caméra embrasse toute la capitale endormie.
Baumard filme en scope, et utilise intelligemment ce format large,
les rues de Paris éclairées la nuit ressemblent parfois à celle de
New York filmées par Scorsese dans TAXI DRVER, ses jeux de lumières
franches, les enseignes, couleurs saturées, reflets du pavé humide. En intérieur, beaux jeux de transparence, lumière ocre, or, ce plan dans un restau devant une vitrine embuée, c'est très travaillé. Un bel
enrobage visuel qui fait plaisir à voir, pas si fréquent dans la french comédie, qui lorgne vers le
Steven Soderbergh d’OCEAN’S ELEVEN, voire une pointe de Woody Allen dans ses comédies sophistiquées éclairées par Darius Khondji.
A l’oeuvre sur les toits parisiens, donc, c’est Jo, un gros
nounours bâti comme un chêne, calme, pro, précis, mutique. Il
refourgue sa marchandise à Eric Moreno, un receleur filou, qui va
croiser par hasard Yonathan, un expert en montre de luxe.
Moreno sent
le bon filon : ce Yonathan, gentil, malléable, bref un peu con, pourrait se
révéler un allié de choix, et il l’embarque dans une première
arnaque : déclarer une montre perdue, pour ensuite la revendre avec un bon bénéfice. On pensait
palper 10 000 euros, Yonathan en obtient le double ! Il n’en
est pas peu fier, lui qui avait la trouille, se met à ressentir des
frissons face aux billets si facilement empochés. Si ça vous change un
homme, ça vous change surtout une vie. Pour le coup suivant, on
change de braquet. Il n’est plus question de toquantes, mais de
Modigliani…
Si cette histoire vous rappelle quelque chose, c’est
normal, elle s’inspire de l'incroyable casse perpétré au musée
d’art moderne de Paris, en 2010. Cinq tableaux de Braque, Picasso,
Léger, Modigliani et Matisse, excusez du peu, avaient été dérobés. Les auteurs
ont été arrêtés, jugés, incarcérés, mais les tableaux jamais
retrouvés.
La scène telle que la reproduit Dominique Baumard est
assez savoureuse. Jo, qui avait vu un papier traîner chez Moreno
avec écrit Fernand Léger, pense lui faire plaisir en lui apportant
un tableau du maître. Au départ, on ne sait pas qu’on est au
musée, le réalisateur filme serré, une vitrine, un rideau de fer. Scène surréaliste, avec ce promeneur nocturne, intrigué, qui observe
Jo en train de chignoler le chambranle, sans que ce dernier ne s’en inquiète. Jo
est zen. Il rentre dans le musée comme dans du beurre, décroche le
Léger, puis prend son temps, regarde, admire, d’autres tableaux
lui tapent dans l’oeil, alors naturellement il les prend comme on
se saisit d’un paquet de nouilles au rayon du supermarché. Plus tard dans la
rue, il déballe les tableaux comme on retire l’emballage d’une
barre chocolatée.
Jo est joué par Steve Tientcheu, et c’est un
bonheur. Car l’autre point fort du film, avec son esthétique, ce
sont les personnages et leurs interprètes. Moreno le brocanteur-receleur c’est Sofiane Zermani (un rappeur qu’on voit de plus en
plus au cinéma) le roi de la tchatche, escroc de petite envergure qui donne le change avec ses montures de lunettes plaquées or.
Impossible d’en placer une quand il commence à déblatérer. Il
embobine ce pauvre Yonathan, le harcèle, le poursuit jusqu’à son
petit atelier étriqué, espace qui correspond si bien à sa personnalité.
C’est Melvin Poupaud, l’oeil inquiet, fébrile, un gars gentil
qui s’encanaille, fasciné par le milieu qu’il découvre, et par ce Modigliani, il en
frissonne de joie avant d’en trembler de peur. Sa femme, jouée
par Julia Platon (qu’on voit de plus en plus souvent, tant mieux)
voit bien qu’un truc tracasse son homme. Yonathan lui avouera
(presque) tout de ses nouvelles activités lucratives, mais pas au
point d’avouer que, planqué derrière une armoire, il y a cent
millions d’euros en tableaux volés.
LES RÈGLES DE L’ART c’est
à la fois le récit d’un casse commis par un trio de bras cassés,
plus attachants et vulnérables que méchants, et des portraits
croisés de types totalement dépassés par les évènements
qu’ils ont eux mêmes générés. C’est la grenouille qui veut se
faire plus grosse que Franck Lebœuf. Faut voir la tête de Poupaud,
éternel ahuri, quand les flics débarquent dans son appartement,
et plus tard ce travelling avant qui l’accompagne vers sa femme qu’on découvre encerclée de
policiers.
Le scénario aurait pu être développé par quelques rebondissements supplémentaires, le rôle de Julia Platon plus étoffé, le dénouement tombe d'un coup, on aurait aimé les voir s'empêtrer dans les angoisses et les emmerdes un peu plus, ou injecter pourquoi pas de la noirceur, sans pour autant perdre cet esprit pieds nickelés.
Mais on passe franchement un bon moment,
c’est un divertissement rythmé, habile, soigné dans la
réalisation, une petite sucrerie à déguster.
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