mercredi 16 octobre 2024

The DETROIT COBRAS " Baby " (2004 - 2005), by Bruno



     The Detroit Cobras n'évoquera certainement pas grand chose aujourd'hui, pourtant, Jack White, qui les prit sous son aile au sein de sa société Third Man Records, considère que la formation a été le facteur déclencheur d'un revival du "rock garage". Celui-là même qui permit à son White Stripes d'exister, de se lancer. Mais si ce duo gagna une notoriété internationale - dont l'importance cache encore aujourd'hui la suite de la riche carrière du musicien de Detroit -, The Detroit Cobras, en dépit d'une solide fan base et d'une presse généralement encline à l'encenser, resta à jamais confidentiel. Même les prestations d'outre-Atlantique - généralement dans des salles modestes - ne parvinrent pas à extirper la formation d'un relatif anonymat.
 La réédition des deux premiers albums, "Mink, Rat or Rabbit" et "Life, Love and Leaving", par Third Man Records, n'y changea rien. 

     Ainsi, pour ce groupe originaire de... Detroit (of course), le parcours fut chaotique et parfois douloureux. Seule la foi permit aux acteurs de continuer la route. Une route jonchée de chausse-trappes, de douleurs et de larmes.

     Le groupe a pris forme en 1994, sous l'égide de la chanteuse, Rachel Nagy et de la guitariste, Maribel "Mary" Ramirez. Les premiers appelés sont Steve Shaw à la guitare, le bassiste Jeff Meier et le batteur Vic Hill. Mais dès les premiers soubresauts, les postes ont été de véritables chaises tournantes. Seule Rachel Nagy, inébranlable, pilier central du groupe et de son caractère, resta sur le pont jusqu'aux derniers jours ; solidement soutenue par la fidèle copine Mary. 


   Il faudra quatre années d'existence à la troupe, avec ce qu'il faut de galères, d'incertitude, d'épuisement, de déception, mais aussi de joies et d'espoir en des jours meilleurs, avant qu'un label daigne enfin lui accorder son attention. U
n petit label indépendant (à l'étonnant logo), Sympathy for the Record Industry, le signe et lui offre l'opportunité de réaliser un premier album : "Mink, Rat or Rabbit". Le groupe est alors assez stable, seul le poste de batteur est des plus fragiles. 

     Le credo des Reptiliens de la Motor City, c'est le rhythm'n'blues et le Rock des années cinquante et soixante. Avec une nette préférence pour les chansons obscures, ou au succès des plus discrets. Rien au-delà de cette période. Même pas un petit truc rock'n'roll d'un des illustres acteurs issus de la scène de Detroit - et de ses proches horizons -. Rien des Bob Seger, Amboy Dukes, Grand Funk Railroad, Brownsville Station ou autre Frijid Pink. Ce qui fait ainsi l'impasse sur toute forme de grosses guitares et de basses adipeuses. Au contraire, l'orchestration est crue, tranchante et abrasive. Et si la formation pioche à l'envie dans les archives de la Motown, elle ne s'embarrasse jamais d'arrangements cuivrés. Et elle n'a aucun scrupule à éplucher les oripeaux funks, pour ne garder que l'os - pour une saveur franchement plus rock (pub-rock), jusqu'à s'approcher d'une fibre au goût évident d'un garage-rock (qui aurait pu figurer sur la compilation Nuggets) frisant parfois avec le punk. Du Rhythm'n'blues punky ? 

     Sur le disque suivant, "Life, Love and Leaving", sorti trois années plus tard, en 2001, Rachel et Mary, avec une nouvelle équipe, ont un peu arrondi les angles, tout en ayant clairement gagné en intensité et maitrise. Les années à tourner ont forcément forgé les damoiselles. Il y a quelques discrètes touches de piano et d'orgue (souvent écrasées par les grattes et la batterie) qui accentuent cette sensation d'un relatif peaufinage. C'est le bassiste qui s'atèle aux claviers. Un certain Eddie Hawrsh qui n'est autre qu'Eddie Harsch, celui des Black Crowes, qui va s'installer un temps dans la ville industrielle (où il jouera avec d'autres groupes). Moins corrosif donc que le précédent, il n'en est pas moins captivant et addictif. Au contraire. S'il y avait un parallèle à faire, ce serait probablement avec les Flamin' Groovies, si ce n'est que l'approche est moins rock'n'roll que celle de ces derniers. Voire avec les regrettés Inmates - ceux des premiers albums -, même si en comparaison ces gentils rockers pourraient paraître timorés. Avec le Dr Feelgood ? La sensualité en plus et les odeurs âcres de sueur et de binouzes en moins 😄. 


   Le vieux label anglais indépendant Rough Trade s'entiche du groupe et publie les deux premiers albums sur le vieux continent. Diffusion qu'il fait rapidement suivre d'un Ep un poil plus rock'n'roll, "Seven Easy Pieces". Toujours avec Eddie Harsch. Cet Ep a la particularité d'avoir la seule chanson du groupe où Rachel partage le chant avec quelqu'un d'autre. Ce qui d'ailleurs n'est pas une franche réussite - heureusement que Rachel reprend le micro...

     En 2004, c'est avec une formation encore révisée que Rachel & Mary entrent en studio. L'album qui en sort, "Baby", dix ans après les balbutiements, est probablement ce qu'elles ont fait de mieux. De l'avis même d'une majorité, bien que certains reprocheront à cet album de faire des concessions, de pencher volontairement vers des sonorités plus mainstream. Il est vrai que la production (autoproduction aidée par le vétéran Greg Cartwright - - qui va devenir aussi un membre du groupe) est plus propre. Toutefois, il s'inscrit dans une continuité, le second album étant déjà moins rustique que le premier. Et le dernier, "Tied & Trues", plus ancré dans la Soul.

     Pour la première fois, la formation grave une composition personnelle : "Hot Dog (Watch Me Eat)". Une pièce enlevée, pleine de sels, résonnant comme un pur classique d'un garage-rock millésimé 60's, qui aurait fait forcément un carton en ce temps là. Pour la première fois aussi, le disque dépasse allégrement les trente minutes, mais grâce à l'intégration d'une nouvelle version de "Cha Cha Twist" qui ouvrait déjà le premier essai. Chanson repêchée pour clôturer l'album et surtout parce qu'elle a été récupérée pour la bande son de la publicité d'une célèbre marque de boisson gazeuse américaine corrosive. Seule chanson du groupe qui aura bénéficié d'un clip... du moins jusqu'en 2020, année où le quintet de Detroit réapparaît pour un second et dernier clip. Celui de la chanson "Stay Dowm", composé par leur nouveau batteur Kenny Tudrick. Multi-instrumentiste, auteur, compositeur, interprète et producteur, œuvrant auparavant au sein de la formation Bulldog (très portée sur un style proche du Neil Young des 70's), avec Eddie Harsch aux claviers.

     Il est vrai que l'insertion de quelques morceaux au tempérament plus modéré peut donner la vague impression d'un album plus posé, moins abrupt. Le velours ténébreux de "Weak Spot" (de Ruby Johnson), la complainte soul de "It's Raining" (d'Irma Thomas), voire le twist moite et morose de "Now You're Gone" (de Bobbie Smith and te Dream Girls, obscur groupe de filles de Detroit qui eut un relatif succès au début des années 60) et le gentil "Baby Help Me" (de Percy Sledge) pourraient décevoir tous ceux regrettant amèrement l'engagement fruste  du premier. Ce qui ne représente pourtant qu'une mince minorité coincée au milieu de rhythm'n'blues enlevés à la sauce "garage rock". La version américaine, diffusée plus tard, en 2005, par Bloodshot records, a la bonne idée de reprendre l'intégralité du Ep précédent, pour une œuvre plus conséquente avec au total vingt petites pépites. Et ça passe sans forcer.


   Le groupe a le vent en poupe, cependant, le seul fait qu'il se cantonne à reprendre d' "antiques" chansons est un frein l'empêchant de prendre de la vitesse. Un reproche qui lui revient fréquemment à la face, certains accusant le groupe d'opportunisme, voire de forme d'escroquerie en se contentant de reprises. Pourtant, sans en faire des caisses, leurs relectures, plus crues, plus près de l'os, les préservent de la simple et pâle copie. D'autant que la formation joue également un intéressant rôle de défricheur. Elle a cette honnêteté et ce respect - rare dans le milieu -de déclarer sans détour ses sources, les auteurs des chansons, quand tant d'autres n'auraient aucun complexe à se les attribuer (les procès sont encore courants). Et puis il y a la voix féline (de chatte de gouttière), habitée et expressive de Rachel Nagy (qui peut parfois évoquer celle de Chrissie Hynde), véritable incarnation du rock'n'roll et du rhythm'n'blues faits femme ; avec ce qu'il faut de morgue et d'autorité, avec un soupçon d'innocence juvénile perçant à travers quelques rares fêlures. Effectivement, si la troupe avait fait l'effort d'au moins deux ou trois morceaux personnels par disque, il en aurait peut-être été tout autrement.  

     Après un dernier effort en 2007, avec "Tied & True", c'est le mutisme discographique à l'exception d'une compilation (sortie par un label espagnol) regroupant des enregistrements réalisés de 1994 à 1997, par la formation d'origine, et jamais édités jusqu'alors. Des versions brutes, corrosives, limites hasardeuses et aux soli gavés de pains. La voix de Rachel y est parfois faillible quand elle n'est pas piétinée par les guitares rêches et brailleuses. On y retrouve aussi des pièces, alors dans une version brute, présentes sur les trois premiers disques. Néanmoins, la formation continue de se produire, traversant encore à l'occasion l'océan, mais sans faire de vagues.


     Rachel Nagy, qui a voué sa vie au Rhythm'n'blues et au Rock'n'roll, est décédée en janvier 2022, à l'âge de 48 ans. Son entourage restant pudique, se garde de toute indiscrétion sur la cause du décès. Le groupe devait reprendre sérieusement du service, avec des dates européennes déjà bouclées, et même réaliser un inespéré nouvel album. Plus de dix ans après le dernier, "Tied and True". Reste cette flopée de disques, gorgés de vieux morceaux de soul, de blues, de rhythm'n'blues et de "garage-rock", auxquels le groupe tentaient de donner une seconde chance, une seconde vie, avec une aisance et une classe rare. Hélas, souvent en vain. 




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2 commentaires:

  1. Shuffle Master.17/10/24 08:32

    Ça fait des années que je procrastine pour en acheter un ... Dans le deuxième extrait, le parallèle avec Chrissie Hynde est frappant. Dans la famille Detroit, ne pas oublier Mitch Ryder.

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    1. Oui, bien sûr, Mitch Ryder - et aussi ses Detroit Wheels.
      Mais non mentionné car il me semblait que le groupe, Ze Detroit Cobras, avait repris une ou deux de ses chansons (mais pas vérifié... et comme lui même faisait aussi pas mal de reprises...)
      Sinon, ce ne serait pas exagéré de dire qu'il y a du Mitch Ryder, et/ou du Detroit Wheels, dans ces Cobras 😊

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