jeudi 23 mai 2024

BRAHMS – Quatuor pour piano n°1 op. 25 (1862) – Argerich / Kremer / Bashmet / Maisky (2002) - par Claude Toon


- Coucou Claude… Ah musique de chambre fougueuse ce matin… Brahms ?

- Oui Sonia, le premier quatuor avec piano de M'sieur Johannes qui est encore un jeunot de 28 ans, il en composera deux autres…

- Quatuor avec piano, piano n'est-il pas un pléonasme dans un ouvrage chambriste de ce compositeur ?

- Oui et non ma belle, Brahms a composé trois quatuors, un quintette et deux sextuors pour cordes seules. Sinon, il est vrai que dans sa musique de chambre, des sonates aux quintettes, le virtuose du clavier a presque toujours prévu une partie de piano qu'il jouait lui-même… ou qu'il confiait souvent à son amie Clara Schumann… 

- Il n'y a pas de quatuor professionnel avec pianiste donc avec un seul violoniste qui ait pignon sur rue de manière officielle je pense ?

- En effet, l'œuvre attire des quatuors d'instrumentistes talentueux et amis, ici autour de Martha Argerich, c'est le grand jeu… 


Brahms (carte de visite de 1862)

Brahms sera le premier compositeur d'envergure, mais n'oublions pas Schumann, à mettre fin à une étrange traversée du désert de la musique de chambre haut de gamme, période qui débute à la mort de Beethoven en 1827 suivie de peu de celle de Schubert en 1828. D'une certaine manière la symphonie connaîtra le même sort, et là encore, seuls Brahms et Schuman, et à sa manière Mendelssohn oseront enfin se persuader que Beethoven avait mis fin par son génie insurpassable à un âge d'or initié par Mozart à son arrivée à Vienne en 1780 et par Haydn pendant sa fin de carrière.

Il faut dire que les quatre compères ont placé la barre très haut, un euphémisme. Mozart arrive à Vienne en 1781 libéré du joug paternel et de l'autoritarisme d'un protecteur exigeant et méprisant. Il compose dans la dizaine d'années qui précède son trépas : 16 concertos pour piano qui marquent l'avancée vers le romantisme au détriment de l'exercice de virtuose, les six dernières symphonies dont l'ampleur thématique et orchestrale renverront dans le livre des souvenirs (beaux) les sérénades et autres divertimentos pour soirées chic, et enfin très vite le cycle des six quatuors dédiés à Haydn qui définissent un formalisme toujours en usage au XXème siècle et divers quintettes aux orchestrations plus fantasques. Mozart s'impose comme le maître de l'âge classique en compagnie de son mentor Haydn qui de son côté, bien qu'âgé, entre en compétition avec son ancien élève et livre pour la postérité une vingtaine de symphonies et pas moins de 18 quatuors dont la qualité rivalise avec celles des compositions de Wolfgang.

Une trentaine d'années se succèdent avant que Beethoven puis Schubert, dans les années 1805-1828, fassent basculer l'art classique vers le romantisme par l'écriture d'ouvrages aux vastes proportions et dont l'inspiration reflète les pensées philosophiques et épiques héritées des Lumières

Les mélomanes les plus au parfum devinent le corpus de chefs-d'œuvre auxquels je fais allusion : les symphonies de Beethoven, l'inachevée et la "grande" de Schubert, les derniers quatuors hors normes voire ésotériques de Ludwig van et les trois derniers quatuors (La jeune fille et la mort, etc.) monumentaux de Franz sans oublier ses deux quintettes (la truite) et celui avec violoncelle… Donc après une période parmi les plus riches et inventives de l'histoire de la musique, la possible surenchère pour les compositeurs des générations à venir se révèle plus qu'intimidante, carrément anxiogène pour ne pas dire désespérante 😞 !


Felix Mendelssohn

Clara et Robert Schumann

Il faut attendre une quinzaine d'années pour que Robert Schumann, auteur zélé de pièces pour piano et de lieder, entre dans l'histoire avec quatre symphonies passionnantes, lyriques et composées avec maîtrise. Des œuvres mettant en jeu des thèmes promptement mémorisables et attachants pour un public qui dorénavant paye sa place… Et oui, j'ai omis de préciser que Mozart et Haydn ont élargi le public de l'ancien régime limité à une minorité de nobles et de bourgeois qui financent les compositeurs.  

Place maintenant aux étudiants et érudits de petite fortune souvent plus ouverts à la modernité que l'élite ("qui n'existe pas" comme disait Gainsbourg, "il n'y a que des minorités"). Bref, le concert moderne était né ! Il serait injuste d'oublier Felix Mendelssohn, mort bien jeune en 1847, léguant cinq symphonies dont 2 (Ecossaise et Italienne) sont réputées. Certes la musique de chambre n'est pas oubliée par le musicien de Leipzig. Je la trouve plus ardue d'accès, d'ailleurs seules quelques partitions de la maturité se sont imposées. La discographie est maigre.

On aura compris, la production très abondante entre 1780 et 1828 s'est fortement ralentie, tant pour la musique de chambre que la symphonie. Très franchement, seul Anton Bruckner et ses symphonies composées entre 1870 et 1896 se distingue dans le genre. Hélas leur complexité contrapuntique est accueillie par un dédain radical du public (y compris Brahms). A l'époque, l'art lyrique est tellement à la mode qu'il en deviendra envahissant à cause d'une myriade de nanars ! Evidement, j'exclus Wagner, Verdi, Berlioz et quelques autres…

 

1853, Brahms rencontre Schumann. Fini de courir les routes en jouant dans des bastringues pour gagner son viatique (Clic). Trop inhibé face au génie de Beethoven, il a surtout composé pour le piano dont les trois uniques sonates qui ouvrent son catalogue, opus 1 à 3. À partir de 1853, soit un quart de siècle après la mort du duo Beethoven-Schubert, il se lance… si je puis me permettre cette banalité, dans les autres genres : la symphonie et la musique de chambre qu'il va faire renaître de manière magistrale. 

Je ne m'attarde pas sur la symphonie N°1 commentée dans le blog (Clic). Débutée vers 1862, terminée et créée en 1876 après 14 années de travail, sa puissance à la fois minérale et héroïque connaîtra d'emblée un triomphe. L'orchestration est renforcée, la durée atteint une cinquantaine de minutes. Ce chef-d'œuvre d'une puissance inconnue depuis la 9ème de Beethoven sera suivi de trois autres symphonies majeures du répertoire. ("dixième symphonie de Beethoven" disait le grand maestro Hans von Bülow. Une citation qui me rassure sur la pertinence de mon argumentation 😅😅)

En 1855, Brahms se montre enfin moins frileux bien qu'il ait juste dépassé la vingtaine et publie après trois années de retouche son premier Trio (encore amélioré en 1889). Le trio passionnait-il peu Beethoven et Schubert ? Du premier, seuls les trios "des esprits" et "de l'archiduc" se hissent au sommet ! De Schubert, deux partitions magnifiques seulement et composées quelques mois avant sa mort ; mais là aussi deux œuvres majeures du genre (l'andante du N°2 égrène sa rythmique syncopée, obsédante et pathétique dans Barry Lyndon de Kubrick ; heu… oui Sonia, un chouette anachronisme musical d'environ 70 ans en avance, mais peu importe 😊). 

Pour Brahms, un premier essai ambitieux et un coup de maître ! dès l'introduction les thèmes élégiaques s'opposent à des motifs d'une belle exubérance. Cette thématique rappelle une propriété fréquemment rencontrée chez Beethoven, elle nous prend d'emblée à bras le corpsBeethoven et Schubert auraient-ils enfin un successeur ? Exception dans le blog, deux articles ont été dédiés à ce trio N°1. (Clic) et (Clic).


Quatuor Hellmesberger

Enhardi par la réussite de cette épreuve chambriste initiatique, Brahms enchaîne la rédaction de nombreuses partitions. Parmi celles-ci, des lieder et des œuvres vocales à l'effectif original comme les quatre chants pour chœur de femmes avec deux cors et harpe. Si Brahms n'a jamais abordé l'opéra, domaine très prisé à l'époque, sa musique vocale est fort riche. Jusqu'en 1860, il compose deux sérénades pour orchestre, élégantes et un peu folk, puis son monumental concerto N°1 pour piano et son 1er sextuor pour cordes, une formation peu usuelle.

Toutes ces œuvres sont conçues de manière isolée jusqu'en l'an 1861 qui sera celui de la composition des deux premiers quatuors avec pianoBrahms a beaucoup souffert de voir son ami Schumann plonger dans la folie et en mourir en 1856. Il est resté très proche de Clara, peut-être même amoureux de la veuve virtuose, mais il ne se déclarera jamais… Une histoire bien connue… Ne pas trahir son ami ? La préférence pour le célibat ?

La genèse de ce 1er quatuor avec piano s'étend de 1856 à 1861. De tels délais ne doivent pas surprendre, Brahms étant un perfectionniste, peaufinant ses mesures à l'inverse d'un Mozart ou d'un Haydn composant sans hésitation et sans défaut à une vitesse folle… Cette méthode de travail a déjà été évoquée dans le paragraphe consacré à la 1ère symphonie… Multipliant plusieurs projets simultanément, Brahms n'accumulera que très peu d'ouvrages alimentaires.

- Alors, un quatuor pour piano est un quatuor pour cordes dont le piano a pris la place du second violon, c'est plus encombrant, cela dit…

- Oui, oui Sonia, les lecteurs ont capté, merci…

Il sera créé avec Clara Schumann au piano en 1861 à Hambourg. Une seconde interprétation aura lieu à Vienne en novembre 1862 avec le compositeur au clavier et des membres du quatuor Hellsmerberger. Historiquement, cet ensemble fondé en 1849 fut le premier quatuor permanent… On lui doit la renommée des œuvres majeurs de Beethoven, de Brahms et la création des quatuors posthumes de Schubert, entre autres…


Mischa Maisky et Martha Argerich
 

Brahms n'était pas le seul adepte du quatuor avec piano, mais avant lui, le genre est considéré comme mineur. La plupart des partitions, même celles du jeune Beethoven sont marginales et peu jouées. La qualité des pianos modernes enfin en usage stimulera l'intérêt pour cette formation. 

Deux types d'ensembles musicaux abordent les quatuors avec piano.

Formule 1 : un quatuor constitué et permanent invite un pianiste à le rejoindre pendant que le second violon regarde la télé. 

Formule 2 : un pianiste de renom fait appel à un trio de virtuoses sollicités parmi ses potes. C'est le cas pour le disque du jour. La discographie alternative présentera diverses associations… 

Présentement, nous retrouvons la pianiste Martha Argerich, déjà une légende vivante en 2002 et une habituée du blog (Clic)

Même statut pour le violoniste Gidon Kremer réputé notamment comme grand maître de la création d'œuvres de notre temps (Clic). Glass, Schnittke

L'altiste russe Yuri Bashmet, de la même génération que Gidon Kremer et tout aussi reconnu sur la scène internationale, aura sa propre chronique à propos d'un concerto pour alto, sans doute celui de Bartok en compagnie de Pierre Boulez. En attendant : Gidon Kremer et Yuri Bashmet en live à Vienne dans la Sinfonia Concertante K 364 de MozartRiccardo Mutti dirige… (YouTube)

La partie de violoncelle est confiée au violoncelliste israélien d'origine lettone Mischa Maisky, pas encore invité du blog, mais étant un partenaire fidèle des autres artistes mentionnés, notamment en musique de chambre, il aura un jour son billet. En attendant, en live : le si poétique Kol Nidrei de Max Bruch avec Martha Argerich(Youtube). Quand je parlais d'artistes hors normes et d'amitiés…


Gidon Kremer et Yuri Bashmet

Classiquement, le quatuor enchaîne quatre mouvements. Le premier mouvement assez développé a conduit Brahms à placer l'intermezzo en seconde position avant le mouvement lent.


1 - Allegro (sol mineur) : Le piano énonce le début du thème principal et, disons-le, unique du mouvement. Bien que noté allegro, nous écoutons une rêveuse kyrielle de noires, le phrasé est certes marqué legato, mais la pianiste doit chasser toute langueur par un rythme quasi pointé ! Et surtout Brahms a écrit espressivo. Une réponse mélancolique viendra du violoncelle dès la cinquième mesure. Il est rejoint par l'alto et enfin le violon. Une musique difficile à interpréter par ses ambiguïtés solfégiques. Elle justifie le recours à un tempo allegretto et pourtant nécessite une réelle éloquence. Ce mot me semble bien préciser l'opposition entre élégie et virilité qui signe l'ambivalence de la musique d'un homme qui, au romantisme livresque des Lumières de mise à l'époque, préfère exprimer des émotions et des sentiments plus naturels et personnels, ceux du cœur. Brahms compose-t-il une aubade poétique en pensant à Clara ?


Clara en 1862

[0:25] Aux reprises imposées de la forme sonate radicale, Brahms préfère alterner une suite de cinq motifs dérivés du long thème initial. Attention, nous ne parlons pas de variations au sens strict, mais de transitions nuancées dans l'atmosphère de cet allegro, tantôt bucolique, tantôt épique et versatile. Le chant se prolonge tel une longue ballade, le rythme évolue peu à l'inverse des nuances et des tonalités qui oscillent entre intimisme et passion. Inutile de chercher un élan romantique marqué, Brahms a toujours revendiqué son appartenance au postclassicisme, usant simplement à bon escient de la notation "espressivo".

Cinq motifs se succèderont à la manière de ceux d'un poème symphonique. Vais-je choquer les puristes de la musicologie ? Brahms néglige-t-il la reprise coutumière ? L'enchaînement des motifs constitue-t-il un développement en lui-même ou un prolongement empreint de lyrisme de l'introduction ? Principe qui serait une alternative de composition ingénieuse et audacieuse ? La réponse tardera à venir ? 

[5:37] Est-ce là, enfin, la reprise ? Oui et non ! le bloc thématique initial réexposé in extenso peut le faire croire mais il n'est suivi en rien des cinq motifs mélodiques entendus dans la première partie. Le facétieux Brahms utilise juste cette citation pour initialiser un développement original. Qu'ajouter sans lasser ? je maintiens le terme poème "chambriste", le flot musical concertant gagne en puissance, s'enrichit de solos des cordes, de coquetteries, de trilles et de pizzicati jusqu'à la coda rêveuse précédée d'un climax enfiévré.


2 - Intermezzo (allegro ma non troppo en ut mineur) : Autant l'allegro suivait une ligne mélodique sinueuse autant l'intermède suivant frétille d'impatience. L'allegro laissait le piano libre d'énoncer la base thématique ; là, le clavier se tait pour laisser les trois cordes dialoguer de manière trépidante : trémolos empressés du violoncelle (un prémisse du style répétitif), mélodies fébriles aux accents pourtant lyriques du violon et de l'alto qui jouent en tutti. La seconde idée plus chantante viendra du piano. Dans ce qui se rapproche bougrement d'un scherzo, Brahms combine ces deux idées initiales aux tons opposés : nostalgie et alacrité, en cohérence avec l'allegro.

[2:52] Le trio noté animato suggère une danse villageoise. Très concertant, le propos virevolte. [4:21] Le scherzo est repris mais le compositeur prend des libertés dans les reprises et le conclut par une coda introduite par de charmeurs arpèges du clavier.


Schoenberg aux USA vers 1940

3 - Andante con moto (en mi bémol majeur) : Après cette course un peu folle du scherzo, Brahms nous berce dans un exquis ondoiement, une mélopée populaire sans thématique rigide. Tels des paysans aux moissons, chaque instrument entonne sa mélodie, chacun répondant aux autres. Je pense à un lieder à trois voix accompagné au piano. [2:53] Scandée par un piano au staccato vigoureux une marche se détache de la quiétude. [3:41] Après une petite pause, se succéderont une autre procession fantasque, un rappel de la marche, le propos s'élançant dans un vigoureux choral. [4:40] L'andante s'élargit vers une dimension réellement symphonique. La richesse du mouvement défie l'analyse, une œuvre dans l'œuvre dit-on parfois. Le quatuor est rarement joué au concert ou au disque. Je ne pense pas que ce soit dû à un manque d'intérêt mais plutôt à une frilosité compréhensible face à sa complexité. Difficile d'oser trahir une telle beauté enivrante et sensuelle. Même avec seulement quatre instruments, Brahms côtoie l'orchestration orgiaque…

 

4 - Rondo alla zingareze (presto en sol mineur) : Plus d'hésitation entre la crainte du jeune compositeur en recherche de lui-même et d'un style, et les réjouissances naturelles à son âge. De plus, même les moins mélomanes connaissent ou ont entendu les danses hongroises de Brahms, notamment la N°5 (Merci Charlie Chaplin de raser votre client au son de cette danse – Clic).

La passion du compositeur pour la musique tzigane se manifeste avec ferveur dès ce quatuor. On retrouvera cet engouement dans le final du concerto pour piano, les vingt et une danses hongroises, etc. Il s'enthousiasma pour ce folk gorgé de vitalité pendant ses années hambourgeoises, notamment auprès du virtuose magyare Ede Reményi.

Comme tous les rondos, la forme est fantasque (ABACDBCADCBA semble-t-il 😂) et le commenter n'aurait aucun intérêt dans ce billet. Je vous laisse savourer l'évident plaisir ludique de l'interprétation.

 

L'orchestration de Schoenberg

Qui ne connaît pas le destin de la musique de Brahms dans les longues décennies qui suivent sa disparition. Brahms le passéiste, l'académique, le traditionaliste… Est-ce le respect du contrepoint de Bach le baroqueux, de la technique du développement thématique de papi Haydn, etc., en un mot sa fidélité aux grands précurseurs, qui laisseront le qualificatif péjoratif de conservateur lui coller à la peau ? Brahms était pourtant célèbre en un temps où Wagner explorait d'autres voies plus tournées vers le romantisme… Comme souvent, les critiques comme le pisse-vinaigre Hanslick, et même au XXème siècle les jugements d'esprits étriqués comme celui de Paule Druihle, autrice officielle après-guerre de manuels d'histoire et d'analyse musicale pour les collèges, firent bien du mal à Brahms. J'ai déjà raconté cela si souvent.


Otto Klemperer en 1938

Et si pour les vrais spécialistes, ce quatuor marquait un pas important vers la modernité ? Beethoven écrivait à propos de sa sonate Hammerklavier quasi injouable à l'époque (1819) "Voilà une sonate qui donnera de la besogne aux pianistes, lorsqu'on la jouera dans cinquante ans". Le quatuor avec piano opus 25 de Brahms futuriste ? Ben, à en croire Arnold Schoenberg, le père du dodécaphonisme et du sérialisme, on peut le penser à la lecture de son essai Brahms le progressiste !! Qui mieux que Schoenberg qui proposait des nouveaux modes d'écritures et d'exploitation des tonalités (sans renier les autres bien entendu) pouvait se permettre un avis aussi tranché et pertinent ? La raison de cette affirmation : la riche synergie expressive entre des motifs à l'abondance inconnue avant le hambourgeois, la complexité dans la rythmique et les transitions tonales (allegro et andante) qui semblaient pour Schoenberg préfigurer ses propres recherches…

En 1933, Schoenberg et le maestro Otto Klemperer arrivent aux USA et quelques temps plus tard à Los Angeles. Ils ont dû fuir la folie nazie et l'antisémitisme particulièrement virulent d'un Goebbels qui crache et invective l'inventeur d'un style de composition nouveau risquant de faire de l'ombre à la tradition musicale germanique (d'après lui) et sur un maestro qui met sa baguette au service de créations d'œuvres issues de cet "art dégénéré".

En 1937, Otto Klemperer suggère à Schoenberg de transcrire le quatuor opus 25 pour orchestre. Schoenberg accepte et cette transcription, créée par son ami en 1938, servira au chorégraphe George Balanchine de support pour un ballet. Seul le compositeur pouvait se jouer des facéties du solfège de Brahms, il ne changera pas une note. Et quand Schoenberg orchestre, il ne lésine pas sur l'effectif (désolé de cette trivialité) :

3 flûtes + 2 piccolos, 3 hautbois + cor anglais, clarinette piccolo, 2 clarinettes + clarinette basse, 2 bassons, 4 cors, 3 trompettes, 3 trombones, tuba basse, timbales, glockenspiel, xylophone, grosse caisse, cymbales, caisse claire, triangle, tambourin, les cordes….

Le résultat doit impérativement offrir des timbres modernes. Sinon à quoi bon un tel travail ? Le disque de Christoh von Dohnányi avec les instrumentistes de l'Orchestre de Cleveland m'a semblé répondre aux petits oignons à cette exigence 😊.

À noter à ce sujet que Ernst von Dohnányi (le grand-père de Christoph) a transcrit le quatrième mouvement pour piano solo, je ne l'ai jamais entendu, la virtuosité exigée semble défier le bons sens… Miss Yuja Wang… sans vouloir paraitre exigeant… ça ne vous tente pas 😊? Pas surprenant, Christoh von Dohnányi a dirigé l'une des plus attachantes intégrales des symphonies de Brahms à Cleveland, sa rigueur dans les phrasés devant faire merveille. Je l'ai entendu lors de sa 91ème année cravacher l'orchestre de Paris dans la 3ème symphonie. Waouh !!!


Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée.

Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…


INFO : Pour les vidéos ci-dessous, sous réserve d'une écoute directement sur la page web de la chronique… la lecture a lieu en continu sans publicité 😃 Cool. 


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La discographie est modeste mais de qualité en générale.

L'interprétation de grands virtuoses confirmés autour de Martha Argerich est complétée par une autre œuvre : un trio exécuté par Martha, Gidon Kremer et Mischa Maisky seuls. L'altiste prend congé… Il s'agit de la Phantasiestücke op. 88, une œuvre marquant les débuts de Robert Schumann dans l'univers chambriste en 1842. La comparaison avec la splendeur du quatuor est… comment dire… un peu rude 😊. C'est une musique animée, certes, mais un peu fouillis, donc sans plus…

Dans les organisations réunissant un pianiste illustre et trois membres d'un quatuor tout autant célèbre, la gravure de Arthur Rubinstein et du quatuor Guarneri reste une autre référence, de 1969, légère, viennoise (RCA – 6/6).

Le violoniste Isaac Stern savait s'entourer. On lui doit des intégrales de trios de Beethoven, Brahms, Mendelssohn et Schubert. Au piano : Eugene Istomin, au violoncelle : Leonard Rose. (7 CD indispensables). En 1990, changement de casting pour enregistrer un double album consacré aux trois quatuors avec piano. Trois artistes acceptent ce défi (le quatuor N°2 opus 26, très long, est moins souvent gravé), le pianiste Emanuel Ax, l'altiste Jaime Laredo et le violoncelliste YoYo Ma. Une publication reçue avec succès (Sony – 6/6).

Pour la version orchestrale, si celle de Christoh von Dohnányi me fascine, le chef anglais Simon Rattle dans un style plus souple, plus romanesque, l'a enregistrée deux fois : en 1985 avec l'orchestre de Birmingham et en 2011 à la Philharmonie de Berlin (EMI – 5/6)



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