Se lancer dans la lecture d’un James Ellroy nécessite de
prendre une grande respiration, et si possible d’avoir à portée de main une
bonbonne d’oxygène.
Rappel des faits. Après une jeunesse traumatique (le meurtre de sa mère jamais élucidé) et des années d’errance dans la dope, l’alcool, la délinquance, Ellroy s’inspire de son parcours chaotique pour écrire son premier roman BROWN’S REQUIEM, puis une première trilogie avec le personnage de Lloyd Hopkins, dont LUNE SANGLANTE qui sera adapté par James B Harris sous le titre COP (1988) avec James Woods.
La consécration arrive avec le fameux Quatuor de Los Angeles : LE DAHLIA NOIR, LE GRAND NULLE PART, L.A. CONFIDENTIAL et WHITE JAZZ qu'il vous sera peu pardonné de ne pas avoir lu. Les tomes 1 et 3 ont aussi été adaptés au cinéma, respectivement par Brian de Palma (mouais…) et Curtis Hanson (must de Film Noir des années 90). A travers des intrigues policières tortueuses et violentes, Ellroy y racontait l’envers du décor de Los Angeles, de l'Amérique, sur la décennie 50’s. Il écrit la suite dans la trilogie UNDERWORLD USA, même principe, couvrant les années 60, Kennedy, Vietnam... Honnêtement, je me suis arrêté au tome 2, la lecture de ces pavés devenait imbitable.
Et puis voilà qu’Ellroy décide de remonter le temps, repartir dans un quatuor, qui se situe avant le DAHLIA NOIR. Et dont PERFIDIA est le premier opus.
Question : faut-il avoir lu le premier Quatuor pour
lire le second ? Oui et non. Oui si a aimé le premier, et parce qu’on retrouve beaucoup des
personnages déjà bien givrés et corrompus, comme le flic Dudley Smith. Parce que l’auteur tend des passerelles entre cette histoire et celles qui vont
suivre. Ainsi est-il question d’une certaine Elisabeth Short, 17
ans, fille putative de Smith, personnage très secondaire, mais qui sera la future et célèbre victime du DALHIA NOIR. Et non, parce que justement c'est le début d'un cycle, idéal pour se lancer dans l’œuvre d'Ellroy.
Alors ça raconte quoi ce PERFIDIA (titre d'un succès jazz de Glenn Miller, souvent écouté dans le roman par les protagonistes) ? L’action se déroule du 6 au 29 décembre 1941. A la veille de l’attaque de Pearl Harbor. Et ça raconte… euh, impossible à résumer, pardon, Ellroy est un maître en matière d’intrigues retorses, il y a des dizaines de personnages, fictifs et réels. Un index de 6 pages liste les protagonistes et précise les liens avec les autres romans. En guest star cette fois on a les actrices Bette Davis et Joan Crawford, le producteur Harry Cohn, Joe Kennedy (le père de John), J. Edgar Hoover mais aussi tout un tas de flics, magistrats, hommes d’église, ayant vraiment existé.
Comme son lointain confrère Dumas, James Ellroy mêle (ou maltraite) l’Histoire et la fiction. L’histoire, aspect passionnant et salutaire, c’est l’attaque de Pearl Harbor, traumatisme pour les américains, et les conséquences politiques, judiciaires sur la communauté japonaise. Il y a un parallèle saisissant entre la condition des juifs de Munich dans les années 30, et les japonais de Los Angeles dans les années 40**. Ils sont virés de leur boulot dans l’administration, spoliés de leurs propriétés, enfermés dans des camps, subissent les pogroms.
La fiction c’est d'abord une enquête sur une série de hold-up, puis le quadruple suicide de la famille
Watanabe par seppuku. Dont on comprend très vite qu’il s’agit d’un meurtre
maquillé. Et en cette période d’instabilité politique, il est préférable de
créer de toutes pièces un coupable à livrer à l’opinion public, un bridé si possible. L’enquête est menée par le capitaine William H. Parker (surnommé Whisky
Bill pour ces penchants alcooliques, personnage réel du LAPD, en photo à gauche) et Hideo Ashida, petit
génie de la police scientifique, un japonais tiraillé entre ses origines, sa culture, sa fonction au sein de la police, alibi de sa hiérarchie, pion pour les mouvements d'oppositions.
Une autre intrigue qui s’imbrique à la première concerne l’infiltration de la jeune Kay Lake dans les mouvements politiques gauchistes, dont la grande figure est Claire de Haven, pasionaria entourée de courtisans. Il y a aussi Ace Kwan, parrain de la mafia chinoise qui associé au flic Dudley Smith (« mon frère irlandais, mon frère jaune ») trempe dans une sombre histoire de film pornos, fait chanter Harry Cohn le patron de la Columbia. Il y a le promoteur véreux Pierce Patchett, associé aux docteurs Lin Chung et Terry Lux, pour transformer des japonais en chinois (!) et des putes en star de cinéma (intrigue qui court dans L.A. CONFIDENTIAL). L’ultra droite américaine, l’ultra droite japonaise, l’espionnage, les réseaux, la pègre… J’en passe et des plus moches.
James Ellroy sonde les bas-fonds et la mauvaise conscience américaine, son univers est peuplé de dégénérés, de violeurs, sodomites, d’eugénistes, de racistes. Sa prose radicale n'est que bougnoules, négros, pédés, bridés, youdes… Chacun s'épie, se trahit, se flingue dans les pattes, y’en a pas un pour sauver l’autre. Noir c’est noir.
Le style d’Ellroy est toujours télégraphique (ce qui m’avait fait arrêter de le lire, mais j'y suis revenu), il s’est calmé un peu, il lui arrive d’aligner parfois douze mots dans une phrase, un record ! Son péché mignon, qui agace parfois car ça tient du procédé plus que du style, sont les répétitions. Exemple inventé pour l’occasion : « Bill regarde Kay. Kay regarde Bill. Bill reluque Kay. Kay voit Bill la reluquer. Kay comprend. Kay sourit. Bill comprend et sourit à Kay » etc... Au cinéma, Ellroy serait plus adepte du champ contre-champ épileptique que du plan séquence.
Avant de se lancer dans l'écriture, James Ellroy dresse un plan précis, comme un organigramme, qui fait presque 200 pages, avec toutes les connexions entre intrigues et personnages. Chaque chapitre est le point de vue d'un protagoniste. Ceux consacrés à Kay Lake sont issus de son journal intime. Il y a donc des croisements, des confrontations de points de vue qui enrichissent le suspens, et font travailler les méninges.
Car tout va très vite (trop
vite ?), les évènements se bousculent. Les premiers chapitres nous laissent
chancelant, c’est virtuose, on est immédiatement embarqué. Ca donne le tournis, on perd le fil, on est
submergé d’informations, on se frotte les mirettes, on revient trois pages en
arrière, ai-je bien compris ? Qu'est ce que j'ai raté ?
Ellroy, on adhère ou pas. On l'adore ou on le vomit. On l'abandonne mais on y revient. C'est agaçant mais addictif. On ira quand même jeter un œil sur le tome 2.
** voir sur le même thème le (superbe) film de John Sturges UN
HOMME EST PASSÉ dont on avait parlé ici : CLIC ICI
Rivage Noirs (Poche) - 911 pages
J'ai tout lu jusqu'à American death trip compris et puis laissé tomber, en raison du style que tu qualifies de télégraphiste, et qui rend à mon sens, le texte illisible. Ellroy, c'est l'anti-Proust des bas fonds, l'humour en moins. Je ne pense pas que j'y reviendrai. Et le type est vraiment un sale con, même si bla-bla-bla, il faut séparer l’œuvre de l'homme. Au cinéma, comme tu le dis, ça fonctionne.
RépondreSupprimerTout pareil, sur le style, et la difficulté de lire ses phrases/sms. Mais le bouquin était à ma disposition, je me suis dit pourquoi pas réessayer.
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