Le rock s’est construit majoritairement dans deux pays : les Etats Unis et l’Angleterre.
L’affaire démarra bien sûr au pays de l’oncle Sam, plus précisément à Chicago. Il faut réécouter Robert Johnson, John Lee Hooker et autres Muddy Waters s’enivrer de ce puissant nectar pour comprendre ce qu’est le rock américain. Les pionniers du Mississippi marquèrent le swing yankee de leur emprunte, nombreux furent d’ailleurs les jeunes rockers ayant pris des leçons auprès d’eux. Du Paul Butterfield Blues Band à Johnny Winter, des Allman Brothers à ZZ Top, le mojo des grands anciens ne cesse d’être repris par des générations de jeunes musiciens. Dès le début, leurs homologues britanniques comprirent qu’ils ne pouvaient reproduire ce mojo originel.
Cette énergie était le fruit d’une histoire qui n’était pas la leur, l’expression de tourments qui leur étaient étrangers. Les anglais ne connurent pas les mêmes paysages, leur musique ne fut pas influencée par le battement d’un train traversant les plaines.
Les américains inventèrent une musique basique, simple et sauvage, qualités qui n’étaient pas les plus flagrantes du côté de la perfide Albion. Connu pour son raffinement et son excentricité, le pays de Dylan Thomas décida donc de se lancer dans une merveilleuse fuite en avant. Formidables trousseurs de mélodies, les Kinks et autres Beatles embarquèrent le rock dans un voyage psychédélique fascinant.
Ce voyage trouva bien sur son point d’orgue sur « Sergent Pepper », monument indépassable et indépassé d’une musique ayant atteint son âge adulte. Somptueux écho du génie beatlesien, le rock progressif est le genre qui symbolise le mieux le swing anglais. C’est aussi grâce à cet héritage que la nationalité de Big Big Train est reconnaissable dès les premières notes qu’il joue. Son ton théâtral et sa finesse mélodique annonçant fièrement son influence genesienne.
« Toute musique qui ne peint rien n’est que du bruit » Jean D’Alembert
Alors les musiciens anglais ont peint, ébauchant quelques ignobles croûtes avant de toucher au sublime, passant des contrées les plus lumineuses aux limbes les plus sombres. Avec « The Underfall Yard » Big Big Train nous fait entrer dans son tableau merveilleux, que ses mélodies dessinent devant nous.
Sur « Victoria brickwork » cette même guitare rappelle les envolées vertigineuses de « Close to the edge ». Ce vol acrobatique finit par atterrir sur une plaine rassurante, un paysage apaisant comme la vue du soleil semblant se coucher dans une mer paisible. Big Big Train est enfin devenu le maître de son propre espace-temps, ses successions d’accalmies et d’envolées passionnantes semblant toujours se terminer trop vite. Lors des passages atmosphériques, le chanteur déclame un refrain aussi inoubliable que les hymnes mystico spatiaux de « Dark side of the moon ». Quelques minutes plus tard sur « Winchester Diver », les arpèges de guitare tournent autour des sifflements mélodieux du clavier, nuée de lucioles dansant autour d’un arbre centenaire.
Passant de ces arpèges à des chorus plus appuyés, le guitariste accélère le flot de ses notes majestueuses, engendrant ainsi un torrent que Yes n’avait pas répertorié sur son historique « Tales from a topographic ocean ». Les violons de « Winchester Diver » nous ramènent ensuite vers des paysages plus apaisés, qui préparent le mélancolique final que constitue le morceau titre.
« The Underfall Yard » propose un voyage hors du temps, ses références sont la matière lui permettant de créer un tableau unique. Le génie du rock anglais se situant dans son originalité et son raffinement, ce disque est sans doute une des plus grandes réussites des successeurs de Peter Gabriel.
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Autre album de Big Big Train chroniqué par Benjamin : "The difference machine" CLIC
On écoute la chanson-titre, et on regarde (en écoutant aussi) "Victoria brickwork" dans une version live de 2015.
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