vendredi 17 novembre 2023

LE GARCON ET LE HERON de Hayao Miyazaki (2023) par Luc B.

 


 

C’est mon premier Miyazaki au cinéma. Bah ouais, il n'est jamais trop tard pour bien faire, et il s’en est fallu de peu, car pour lui, c’est sans doute son dernier. Bon, il avait déjà dit ça après LE VENT DE LÈVE en 2013, et finalement, le vieux (82 ans aux pinceaux) a repris ses gouaches.

Hayao Miyazaki, ce n’est pas un réalisateur, ni un dessinateur, c’est une institution. Après avoir acquis plus qu’une solide expérience, il co-fonde en 1985 les studios Ghibli, d’où sortiront ses classiques, LE CHÂTEAU DANS LE CIEL, LE TOMBEAU DES LUCIOLES, NAUSICA (que d’aucun considère comme son chef d’œuvre), MON VOISIN TOTORO, PRINCESSE MONONOKE... n'en j'tez plus, Miyazaki c’est le Kubrick du poil de martres, on en connaît au moins tous les titres.

LE GARÇON ET LE HÉRON bat les records de fréquentation au Japon, mais aussi en France. On hurle au chef d’œuvre (encore ?!). Je ne suis pas fin connaisseur du monsieur, mais on retrouve ici tout l’univers et les thèmes. Celui du gamin séparé de ses parents, la guerre (aspect très autobiographique) le parcours initiatique, le fantastique, les univers parallèles, les drôles de créatures.

Miyazaki réalise des dessins animés. Au sens strict du terme, comme Disney en son temps. Il n’y a pas d’animation aidée par ordinateur, encore moins de 3D. Quoique, ici, dans un ou deux plans, notamment avec un rideau qui flotte au vent, on se demande s’il n’a pas utilisé un poil de numérique. Le dessin animé se repère avec les décors. Il y a le fond, le décor, qui est peint, avec de la matière, de la texture, auquel on superpose des celluloïds où sont dessinés les personnages (ou accessoires) qui seront mis en mouvement. Et dont la texture est lisse. Ce qui n’empêche pas les ombres, qui apportent le relief.

Si dans un décor de maison (par exemple) où on voit les coups de pinceaux, une texture aquarellée, mais qu’une porte est lisse, travaillée en aplat, c’est qu’elle est sur la couche celluloïd, donc qu’elle va bientôt s’ouvrir ! 

LE GARÇON ET LE HÉRON se passe en 1937. Le jeune Mahito perd sa mère dans l’incendie de l’hôpital où elle travaille – superbe scène. Son père l’envoie chez sa tante, Natsuko, qui deviendra sa tutrice. Il y a une très belle scène où Mahito surprend, du haut d’un escalier, son père revenir du travail et enlacer Natsuko. On le suppose, car le cadrage en plongée ne permet pas au gamin (et donc au spectateur) de tout voir, juste les jambes des amants qui se rapprochent, mais nous ne sommes pas dupes, le padre en pinçait pour la belle-sœur.

En promenade dans la propriété, Mahito est suivi par un héron, du genre moqueur, presque agressif, qui le harcèle, lui parle comme étant « l’élu » tant attendu. Le héron représente, au japon, un être fourbe, corrompu. Au cours de ses pérégrinations, le gamin découvre une vielle tour en ruine, qu’il essaie d’explorer, précédé du héron, mais les vieilles et charmantes servantes édentées de sa tante lui en interdisent l’accès. Verboten ! Et puis une nuit, il surprend Natsuko quitter sa chambre, s’enfoncer dans les bois. 

Il la suit, et se retrouve dans un monde parallèle (scène où le sol en damier, très surréaliste, à la Dali, fond sous ses pieds et l’aspire, la femme qui se liquéfie) toujours accompagné du héron, dans le bec duquel se cache une espèce de bonhomme hargneux au gros nez (fabuleuse idée, qui effraie avant de devenir comique, lorsque Mahito lui tire une flèche faite de ses propres plumes). Le héron lui annonce que sa mère n’est pas morte, qu’il ne tient qu’à lui de la retrouver…  

On pense à ALICE AUX PAYS DES MERVEILLES, ou au MAGICIEN D’OZ, d’autant qu’un des personnages féminins, une jeune fille, porte à peu près la même robe que la petite Dorothy. Il y a une grande scène de pêche, puis une île envahis de pélicans belliqueux, des grenouilles visqueuses et envahissantes, de perruches géantes, et ces petits personnages merveilleux, les warawaras, comme des ballons de baudruche blancs qui se gonflent pour s’envoler et retrouver leur monde humain (repris de PRINCESSE MONONOKE où ils étaient noirs). Il y a un petit air d’AVATAR de Cameron avec les petites méduses volantes.

C’est dans ces moments que la magie opère, quand l’imagination se déploie, les carcans de la narration explosent. Avec la scène des portes qui ouvrent sur le monde d’avant, avec ce vieux sage (Grand Oncle) qui maintient l’univers en équilibre précaire avec un empilement de pièces géométriques. Les yeux se régalent des cadrages toujours justes, de la composition des plans, de la fluidité de l’animation. Bien qu’on ne comprenne pas forcément les tenants et aboutissants de cette quête initiatique, un tantinet hermétique, un voyage vers le passé pour mieux conduire au futur.

Le souci dans ce (très beau) film, c’est que finalement, on n’y comprend pas grand-chose. On regarde les scènes les unes après les autres, sans lien scénaristique évident (pourquoi la tante fugue la nuit, quid de  la chambre d’accouchement ?). On en admire la virtuosité du trait, les décors superbes, mais à l’instar d’un MULHOLLAND DRIVE de Lynch, on n’en capte pas le sens. Il faut sans doute le voir plusieurs fois. On peut comprendre que le personnage de Grand Oncle représente un peu Miyazaki, le dernier des derniers, enfermé dans son studio comme dans une tour d’ivoire, s’inquiétant de ne pas trouver un successeur à son art si délicat.

LE GARÇON ET LE HÉRON ressemble à un film testamentaire, un résumé de l’œuvre de l’auteur, nourri d’auto-citations, qui suggère plus qu’il n’explicite et qui passionnera sans doute davantage les connaisseurs.


couleur  -  2h05  - format 1:1.85  

4 commentaires:

  1. Juste pour signaler le décès de Michel Ciment le 13 novembre, critique de cinéma et grand spécialiste entre autre de Kubrick( j'ai son bouquin, une vraie bible!).

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    1. C'est prévu, Juan, j'ai mis un p'tit mot dimanche.

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  2. A part Nausica, j'ai vu les autres que tu cites ... mes préférés , le tombeau ... et princesse machin ...
    J'ai du mal avec Miyazaki (déjà pour écrire son nom). Nul doute que ce soit un cador de l'animation mais les codes de l'animation des japs (les fonds de décor de style très naïf, de même que les personnages, ça ne prend sens qu'avec les mouvements, même si avec le temps y'a eu de gros progrès dans le "réalisme"), et encore plus leurs histoires avec leurs univers parallèles remplis de monstres, de sorcières, de malédictions et de maléfices (de ... non, je suis bien élevé, je la fais pas), j'ai souvent du mal ...
    de même qu'avec les réalisateurs d'animation qui s'inspirent de la culture manga (Perfect blue, ce genre de films), ou ceux qui les imitent (Belle, fait par des européens, mais très japonais par le style, visuellement bluffant mais pénible pour les oreilles avec cette k-pop omniprésente et l'insupportable louane en version française)

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  3. Mon fils est dingue de "Nausica", je trouve que ça parait vieillot en terme d'animation (c'est un des premiers, les budgets n'étaient sans doute pas encore conséquents), l'univers m'a rappelé aussi Philippe Druillet. Dans celui-ci, je trouve les décors superbes, artistiquement parlant y'a pas grand chose à redire, si ce n'est que les personnages se ressemblent tous, mais c'est le style du monsieur, et du dessin animé japonais en général.

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